Note liminaire

Les enjeux sociaux de l’eau : comparaisons internationales[Record]

  • Louis Guay and
  • Ana Lucia Britto

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L’eau est le principal constituant des êtres vivants ; elle est indispensable au développement de toute vie. Elle appartient au milieu physique, au milieu sensible, décrit par Bachelard dans L’eau et les rêves (1942), un essai sur les fonctions symboliques et culturelles de l’eau, souvent liées à la religion. Pour de nombreux acteurs sociaux, l’eau est au coeur de tout, sa gestion étant la synthèse des enjeux multiples et contradictoires de nos sociétés et de leur relation à la nature (Roche, 2011). L’eau s’inscrit dans le temps et l’histoire. Les effets des usages actuels se prolongent dans le temps. Les rapports à l’eau peuvent être considérés comme des phénomènes sociaux totaux. En effet, l’eau entre dans des relations sociales complexes de manière à la fois directe et indirecte (Anctil, 2014). Comme sa quantité n’est pas infinie et que sa qualité peut se dégrader, elle prend une valeur économique variable selon les besoins et les demandes sociales. L’eau est aussi le fruit d’une construction sociale : les acteurs lui accordent des fins et des valeurs diverses. Dans la perspective de l’écologie politique, est apparu le concept de territoires hydrosociaux, désignant des configurations spatiales de personnes, d’institutions, de flux, de technologies et de milieux biophysiques qui s’articulent autour du contrôle de l’eau (Boelens et al., 2016). L’eau compose les paysages naturels qui sont valorisés de manière fort différente. Par exemple, les fleuves et rivières urbains ont longtemps été voués à une vocation économique pour devenir plus récemment un objet de protection, de restauration et de réappropriation à des fins récréatives et esthétiques (Castonguay et Evenden, 2012). La reconquête des berges crée des espaces valorisés du paysage, comme l’aménagement des berges du Rhône à Lyon et celui de la rivière Saint-Charles à Québec. L’eau se déploie dans l’espace et sa gestion doit tenir compte des territoires qu’elle traverse. Il est aujourd’hui beaucoup question de gestion intégrée par bassin versant, mais un bassin hydrographique ne possède pas forcément les mêmes contours que les découpages administratifs et politiques. Un travail d’harmonisation des deux entités est jugé nécessaire. De manière encore plus générale, l’eau est facteur et vecteur de développement. L’irrigation des cultures est, depuis longtemps, nécessaire à l’accroissement de la production. L’eau est aussi source de production d’énergie. La politique et la planification des grands barrages hydrauliques ont mis en lumière cette fonction essentielle dans le développement. Les grands barrages et leur contrôle de l’eau ont été un élément central de la politique industrielle de plusieurs pays, comme le Canada, les États-Unis et le Brésil. Concilier les besoins du développement économique, la protection des droits sociaux et la préservation des ressources en eau est un enjeu complexe créé par le déplacement de populations par de grands projets de barrage et la contamination causée par l’industrie et l’exploitation minière, comme au Brésil et ailleurs en Amérique latine. Certains acteurs de la gestion de l’eau prônent que la solution aux conflits passe par une gouvernance participative de l’eau. Les pratiques dans ce domaine sont très variées (Bevir, 2007 ; 2013). Existe-t-il un modèle universel ? Probablement pas, même quand on défend la gestion intégrée par bassin versant. En somme, tout ce qui caractérise les sociétés humaines interagit avec l’eau, mais ces interactions sont changeantes et suscitent souvent la controverse et le conflit. Les conflits de l’eau ne sont pas rares, même s’il est rare qu’ils dégénèrent en conflits armés (Wolf, 2007). La controverse publique, elle, est plus caractéristique de la manière dont l’eau est utilisée et gérée. Cela fait de l’eau un objet sociologique, pris dans un sens large. En effet, les problèmes liés aux …

Appendices