Comptes rendus bibliographiques

CHACABY, Ma-Nee et PLUMMER, Mary Louisa (2016) A two-spirit journey. The autobiography of a lesbian Ojibwa-Cree elder. Winnipeg, University of Manitoba Press, 256 p. (ISBN 978-0-88755-812-2)[Record]

  • Julie Beauchamp

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  • Julie Beauchamp
    Département de science politique, Université du Québec à Montréal, Montréal (Canada)

Résultat d’une longue série d’entrevues semi-dirigées et d’une méthodologie à la croisée des études autochtones et des sciences sociales occidentales, A two-spirit journey raconte, à la première personne, l’histoire de Ma-Nee Chacaby, une aînée ojibwée-crie lesbienne, two-spirit, souffrant d’une déficience visuelle. Survivante non seulement des processus de colonisation, d’acculturation et d’assimilation des communautés autochtones, mais également d’abus sexuels, physiques et psychologiques, la coauteure retrace son voyage spirituel vers une guérison physique et mentale, qui l’a menée à devenir une activiste autochtone two-spirit. De façon similaire aux ouvrages s’inscrivant dans la production (auto)biographique autochtone, le thème principal qui structure le récit est celui de la connexion : avec les êtres humains et non-humains, le Grand Esprit, la nature et le territoire. L’identité autochtone se construisant en étroite relation avec la communauté et le territoire, le récit particulier de Chacaby participe à l’avancement des connaissances sur les impacts des processus spatiaux de la colonisation, témoignant de l’importance de l’espace pour l’enseignement et le partage de la culture, des traditions et des connaissances autochtones. L’ouvrage est divisé en 11 chapitres qui retracent de façon chronologique le parcours de Chacaby. Née en 1950, celle-ci grandit à Ombabika, une petite communauté isolée du nord-ouest de l’Ontario, où elle est marquée par l’alcoolisme et la pauvreté. Elle y est élevée par sa grand-mère, qui lui enseigne les traditions culturelles et spirituelles anishinaabe et lui inculque le respect du monde naturel, les principes de l’harmonie, de l’équilibre et de la compassion. Alors qu’elle répugne aux activités attribuées aux fillettes, son beau-père lui enseigne les connaissances et le savoir-faire traditionnels de la chasse, de la pêche et du piégeage, tâches et activités normalement réservées aux garçons. Sa grand-mère, qui se rappelle et apprécie les traditions de diversité de genre dans la culture anishinaabe, raconte à Ma-Nee, dès son plus jeune âge, qu’elle détient deux esprits, à la fois l’esprit mâle et l’esprit femelle, ce qui la conduit à être attirée par les tâches masculines. Alors que, dans le passé, les niizhinojijaak (deux esprits en ojibwé-cri) étaient respectées et valorisées au sein des communautés autochtones, accomplissant des tâches spirituelles importantes et détenant un statut spécial, sa grand-mère lui dit que les temps ont changé et que Ma-Nee aura donc à surmonter de nombreuses épreuves tout au long de sa vie. Très tôt, la jeune Ma-Nee subit la violence physique et psychologique de ses proches aux prises avec l’alcoolisme, ainsi que les violences sexuelles de différents hommes de sa communauté. À 12 ans, elle est témoin de l’enlèvement par des hommes blancs de la plupart des enfants d’Ombibaka, dont son jeune frère et sa demi-soeur, amenés vers les pensionnats, ce qui vient briser l’équilibre et l’harmonie de sa communauté (p. 55). À l’adolescence, tentant d’échapper aux traumas et aux souffrances de la vie quotidienne, elle développe une dépendance à l’alcool. Quelques années après le décès de sa grand-mère et son mariage arrangé, elle fuit un mari violent et abusif et s’installe à Thunder Bay, en 1970. Sombrant plus profondément dans l’alcool, elle perd rapidement la garde de ses enfants et se retrouve en situation d’itinérance. Vivant dans la rue, particulièrement vulnérable et exposée au racisme, elle est régulièrement victime d’agressions physiques et sexuelles, notamment par des agents de police. La seconde partie du livre raconte l’inspirant et émouvant combat de Ma-Nee contre l’alcoolisme, le racisme et l’homophobie, vers une guérison qui l’amènera à être conseillère en toxicomanie, à travailler au sein de divers organismes communautaires, à accueillir de nombreux enfants comme parent adoptif, en plus d’élever les siens, et à développer et embrasser sa spiritualité et son homosexualité. …