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Un nouveau type de commerce s’installe en Algérie. Dans ce livre, l’auteure s’emploie à l’illustrer à travers le prisme du rapport de cette nouvelle activité commerciale avec le bâti qui lui est a priori associé. À la fin de l’ouvrage, on comprend combien ces implantations commerciales inhabituelles sont le lieu de convergence de diverses logiques, socioéconomiques en l’occurrence. La première partie retrace les chemins de l’urbanisation de l’Algérie à travers les effets d’un urbanisme d’« État » envisagé comme moteur de la progression de la ville. Cette partie aide à la compréhension des rouages de l’urbain, mais donne la part belle à la zone d’habitat urbain nouvelle (ZHUN) (p. 6-48). Peu d’explications sont données quant à la mise en place des villes par cet urbanisme d’« État » que l’auteure réduit à son expression la plus visible, la ZHUN, et à une autre formation, la villa-immeuble. Au plan paysager, il existe très peu d’écart entre les deux : le travail aurait gagné à le souligner davantage. L’évolution du type de villas-immeubles s’appuie sur une explication institutionnelle qui reste la part la plus intéressante de la première partie.

En deuxième partie, l’examen des trois terrains constantinois montre l’implication particulière de l’auteure et fait ressortir la multitude des stratégies résidentielles de la population concernée ainsi que son aspiration à la légalité. Il est intéressant de comprendre que tout le renouveau, question centrale du livre, repose sur les dynamiques des marges et sur leur incidence sur un paysage désormais bouleversé : ici, des formes urbaines imposantes interagissent avec des « contenus » et des programmes socioéconomiques hors du commun. Là, réside le grand choc subi par la ville, d’autant plus que les pouvoirs publics n’interviennent qu’après coup, pour donner à ces mutations une forme de légalité.

Il est regrettable que ces idées soient noyées dans l’immensité du travail de terrain. Tout autant les répartitions que les paysages du nouveau commerce ont été traduits de manière riche et diversifiée : une cartographie précise, des photos de qualité, des statistiques récentes et, surtout, des discours auprès des habitants et des commerçants. Ces derniers constituent en effet le point fort du travail de terrain conduit pendant plus de huit ans (2006-2014) par une auteure femme dans un environnement relativement hostile. Voilà un autre mérite qui s’ajoute à ce travail. Le long du livre, sont révélées des situations individuelles d’une pluralité étonnante, où l’implication de l’auteure l’aide à pénétrer les univers particuliers des personnes interrogées (p. 226-227). Il manque à cette partie un regard qu’illustreraient des photos d’ensemble ou des schémas, pour montrer ces unités dans leur contexte. Le lecteur est conduit de l’espace urbain à l’unité de base du commerce en question.

La troisième partie traite des ressorts de cette stratégie au niveau de la région Est, autour de Constantine donc. Il en ressort un jeu d’échelle subtil qui conduit le lecteur jusqu’aux sources d’approvisionnement et aux aires de chalandise du commerce en question. Là, surgit la particularité de ces « fourmis» algériennes qui, pour s’approvisionner en produits de consommation et d’équipement de la maison, ne semblent reculer devant rien. L’insertion des « nouveaux pôles » dans des circuits échappant peu à peu à la sujétion française en fait les « espaces mondiaux » d’un commerce de desserte pourtant régionale. La Chine semble alors dominer ce renouveau de liens commerciaux (p. 114).

Car toute l’énergie déployée pour ce commerce-monde agit localement et n’est connue que des clients algériens. Qu’apporte-t-elle à l’économie en général sinon de nouvelles habitudes de consommation et des réseaux de confiance (p. 207) ? Il faudra peut-être souligner que ces implantations ont établi leur croissance dans un contexte d’embellie financière qu’assure un système de mobilité en direction de pays d’Asie, de grandes distances en somme. Ce dynamisme certain possède-t-il les moyens financiers, techniques et, surtout, institutionnels pour s’ancrer dans la société et dans la durée ? Jusqu’où peut-il contribuer au développement du pays ? De quelles richesses est-il créateur? Voilà des questions qui peuvent traverser l’esprit de tout lecteur, connaissant l’Algérie ou non. Le texte reste, à ce titre, orphelin d’illustrations et de descriptions du pays et des villes importantes structurant ce commerce, d’autant que l’auteure se prête aisément à des allers et venues entre Oran pour illustrer la forme d’immeuble commercial (p. 110), Alger pour la provenance des marchandises, des emballages et pour les sièges sociaux (p. 119, 120, 122), Annaba et Skikda pour leurs ports (p. 124), têtes de file des réseaux si bien décrits dans la seconde partie.

Ce travail rencontre deux écueils. Il s’intéresse à un terrain particulièrement fécond, mais dont la construction semble conjoncturelle car fortement liée à l’embellie financière qui commence à montrer ses limites. Ce type d’implantations résistera-t-il à une crise quelconque ? Le commerce informel ne s’est-il pas imposé comme objet de recherche durant les années 1990 ? Aujourd’hui, sauf exception, cette pratique ne fait plus parler d’elle (p. 103, 218, 235). Il est regrettable que l’auteure ait omis de faire référence aux travaux de Boumaza, qui s’y est vivement intéressée. Levier d’une vive stratégie privée, le scénario de faire commerce à chaque réalisation de maison individuelle peut se répéter indéfiniment, ce qui donne à toute enquête de terrain un caractère illimité, dispersé et composite.

Pour l’instant, la parcelle et le lot sont pour l’entrepreneur-commerçant une forme d’offre afin que le « commerce du conteneur » se substitue enfin au « commerce du cabas » (p. 239). Au-delà, ce que suggère cette offre bouleverse la structure de toute la ville de Constantine pour déployer une nouvelle géographie commerciale. Une entrée par la géographie du commerce aurait ajouté une plus-value aux sections de débat qui donnent sa substance à l’ouvrage. L’expression n’apparaît hélas qu’au début de la troisième partie (p. 186) et non pas pour étayer la réflexion. On comprend que le travail s’inscrit clairement dans le champ de la géographie sociale (p. 17, 18). L’intense jeu d’acteurs privés qu’a approchés l’auteure dans le vif, tout autant que ses efforts de conceptualisation, expliquent ce choix.

L’originalité de cette offre est un autre point essentiel, car celle-ci n’a rien à voir avec les modèles de commerce les plus répandus dans le monde : commerce ancien en centre-ville et grandes surfaces en périphérie. En attendant que ces territorialités encore en formation fassent davantage parler d’elles, ou plus que cela, qu’elles permettent une ouverture du débat et, pourquoi pas, une redéfinition des modèles classiques, on ne se lassera pas de lire et de relire ce livre pour la lumière qu’il a portée sur des zones inexplorées.