Comptes rendus bibliographiques

MURILLO, Céline (2016) Le cinéma de Jim Jarmusch. Un monde plus loin. Paris, L’Harmattan, 302 p. ISBN 978-2-34309-678-0[Record]

  • Christian Poirier

…more information

  • Christian Poirier
    Institut national de la recherche scientifique, Centre Urbanisation Culture Société Montréal (Canada)

Céline Murillo propose dans Le cinéma de Jim Jarmusch. Un monde plus loin une analyse filmique du cinéaste, figure importante du cinéma indépendant américain. L’objectif de ce livre est de « montrer comment les films de Jarmusch font reculer la référence au monde de différentes façons, puis comment, après un détour par une esthétique filmique appuyée, ils nous ramènent vers le monde pour en proposer une nouvelle lecture qui devient possible grâce à un décalage » (p. 10-11). Jarmusch est né à Akron, ville de l’Ohio en désindustrialisation depuis plusieurs décennies. Les paysages postindustriels et de banlieues imprègnent son cinéma, tout en explorant diverses facettes de la territorialité nord-américaine, combinant réalisme et poésie. Le cinéaste effectue un voyage en France puis s’installe à New York, gagnant ainsi une ouverture vers d’autres milieux géographiques, avec cet intérêt pour les zones urbaines, périurbaines et les quartiers en friches. Son regard se porte de la sorte, depuis son premier long métrage (1980) jusqu’aux plus récents, sur des lieux très variés, habités, traversés ou évoqués par les personnages : Baltimore, Budapest, Cleveland, Détroit, Londres, Los Angeles, Madrid, Memphis, Miami, New York, Paris, Rome, Séville, Tanger, Yokohama... Le territoire est une composante parmi d’autres de ce que Murillo nomme le « monde », qui comprend également des aspects tels que la temporalité et les relations interpersonnelles, éléments qui se combinent de façon complexe. Il aurait cependant été approprié de définir sur le plan conceptuel ce qu’on entend par « monde ». Le cinéma de Jarmusch crée un espace entre le spectateur et la fiction : « Nous perdons nos repères visuels, et cela nous donne la possibilité de voir les objets comme pour la première fois : ils sont défamiliarisés » (p. 17-18). Autrement dit, l’espace est constamment territorialisé et déterritorialisé. La notion de déterritorialisation est empruntée notamment à Deleuze et Guatarri (1980), à savoir des individus inscrits dans des contextes sociaux, temporels et spatiaux différents et inédits ; il y a remise en question d’un espace et d’un temps unifiés. Les personnages « sont à la dérive, ou, comme des touristes, ils contemplent paysages et villes d’un point de vue extérieur » (p. 31). Ils sont entre isolement (distance) et isolation (protection) face au monde (p. 57). La solitude est également vécue lorsque les personnages sont en couple ou en groupe. Désorientés, ils errent, les déplacements étant plus importants que les buts. « Allie [Permanent vacation, 1980], perdu dans son vagabondage, se fond visuellement avec la ville : dans cette indifférenciation, il la voit sans pouvoir agir » (p. 33). C’est un cinéma centré sur la ville, laquelle est cependant pratiquement inaccessible (p. 38). Dans Coffee and cigarettes (2003), « [l]es villes où se situe le café sont le plus souvent indéfinissables » (p. 116). Ce type de cinéma, comme l’explique Deleuze (1983 : 279) pertinemment convoqué par Murillo, « se fait dans un espace quelconque, gare de triage, entrepôt désaffecté, tissu dédifférencié de la ville, par opposition à l’action qui se déroulait le plus souvent dans les espaces-temps qualifiés par l’ancien réalisme. Comme dit Cassavetes, il s’agit de défaire l’espace, non moins que l’histoire, l’intrigue ou l’action » (cité p. 37). Céline Murillo évoque « un lieu plat, dénué de point reconnaissable, aux habitations basses qui s’égrènent sans limites le long d’un axe routier. Cleveland est au début de la route, mais nous ne savons rien de la fin. S’agit-il de Miami, de Key West ou d’une destination intermédiaire ? Ainsi les personnages confrontent leurs attentes d’un lieu idéal et leur perception d’une zone sans borne » (p. 234). Une exception …

Appendices