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Introduction

Depuis les années 1960, la planification stratégique est devenue l’outil privilégié du développement régional, au Québec. Utilisée tant par les régions administratives que par les villes et les municipalités régionales de comté (MRC), cette méthode vise à faire le lien entre connaissance et action en combinant à la fois une visée stratégique fondée sur la formulation d’une vision commune et un objectif plus opérationnel de mise en oeuvre de cette vision par des stratégies et des actions. Au fil du temps, la planification stratégique est devenue un espace d’efforts collectifs d’appropriation des enjeux territoriaux tant économiques que sociaux et culturels (Proulx, 2008) et a été appliquée aussi bien à des questions d’aménagement du territoire qu’à la gestion des politiques publiques ou des biens et des services, ou qu’au développement durable. En prenant appui sur un diagnostic territorial, elle a permis aux régions de développer des stratégies et de déterminer des actions à réaliser sur un temps court de quatre à cinq ans.

Alors que la planification stratégique était perçue au départ comme un exercice de planification autoritaire et technocratique (Proulx, 2014), les récentes évolutions du modèle en ont fait une approche plus collaborative, plus pragmatique et plus opérationnelle (Gauthier et al., 2008). Il n’en demeure pas moins que la planification stratégique régionale, au Québec, comporte certaines lacunes lorsque projetée sur le long terme. D’abord, les exercices de planification stratégique sont principalement sectoriels (santé et services sociaux, culture, enseignement, emploi, etc.) et ne contribuent que partiellement à une planification régionale d’ensemble. S’ajoutent à ces exercices des planifications économiques locales plus ciblées (agriculture, tourisme, foresterie, etc.) qui sont réalisées par les centres locaux de développement (CLD) et les sociétés d’aide au développement des collectivités (SADC) et qui morcellent encore plus les stratégies de développement. Par conséquent, la planification stratégique régionale a beaucoup de mal à s’imposer et à déboucher sur une vision d’ensemble du développement d’une région, d’autant plus qu’elle demeure indicative et sans pouvoirs contraignants et qu’elle se réalise avec peu de ressources, sans trop de participation ni de capacité d’agir sur le développement (Proulx, 2007). Ces exercices ont aussi tendance à cadrer fortement l’analyse dans un espace-temps de courte durée qui ne permet pas aux acteurs de penser leur développement autrement qu’en fonction des tendances lourdes, très ancrées dans l’histoire du territoire, et donc d’imaginer des futurs désirables et de faire émerger des scénarios différenciés de leur développement.

C’est à la suite d’un exercice de planification stratégique régionale (2012-2017) mené en Outaouais et ayant soulevé son lot d’insatisfactions que nous avons été amenés à nous intéresser à la prospective. Selon la définition proposée par Wachter dans le Dictionnaire de la géographie (Lévy et Lussault, 2003 : 749), la prospective territoriale [1] est « une méthode d’exploration du futur » qui « cherche à sonder les devenirs possibles d’un territoire (région, ville, État, Europe…) tout en visant à éclairer des choix publics et à obtenir des résultats politiques ». Créée dans les années 1950 sous l’impulsion de la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR), la prospective s’est surtout développée en France à partir des années 1990, à la faveur de grands programmes nationaux qui ont encouragé la multiplication des expériences et aidé les territoires à mettre en place les outils et les dynamiques temporelles et collectives nécessaires (Decouflé, 2000a ; Fourny et Denizot, 2008). Cette approche, qui part du principe que « l’avenir ne se prévoit pas, il se construit » (De Jouvenel, 1964), invite à considérer l’avenir non plus comme une chose décidée, mais comme une chose à faire.

Même si Godet (2007) voit des synergies potentielles entre les deux approches, peu de travaux ont permis jusqu’à maintenant d’éclairer les possibilités et les défis de l’implantation d’une méthodologie prospective dans un contexte territorial fortement imprégné par la planification stratégique régionale. Plusieurs questions nous interpellent dans cet article. Par exemple, comment sortir du cadre pragmatique, assez procédural et limité de la planification stratégique régionale ? En quoi l’expérience française de prospective régionale peut-elle contribuer à enrichir la planification stratégique régionale au Québec ? Enfin, comment permettre aux acteurs du développement d’une région de participer davantage à cette planification et d’imaginer des futurs souhaitables sur un temps plus long? Le meilleur des deux mondes résiderait-il dans une approche combinée de « prospective stratégique », comme l’affirment Godet et Durance (2011) ? Suivant l’intuition de ces auteurs, notre ambition dans ce texte est de voir dans quelle mesure la prospective régionale à la française (Wachter, 2003) peut enrichir la planification stratégique régionale telle qu’elle s’est institutionnalisée au Québec depuis plus de 30 ans. Plus précisément, nous voulons explorer deux hypothèses complémentaires. La première considère que la greffe d’une démarche prospective dans un contexte québécois dominé par la planification stratégique comporte des défis pratiques importants du fait d’un rapport au temps différent. La seconde hypothèse veut que, malgré les difficultés, le rapport au temps long permette de pallier certaines limites de la planification stratégique régionale à la québécoise.

Dans la première partie du texte, nous amorçons cette réflexion en faisant ressortir l’historique et les particularités de la planification stratégique régionale au Québec, ainsi que les limites de cette approche. Nous explorons ensuite les spécificités de la prospective régionale en France, dans le but de voir comment cette approche pourrait élargir la portée de la planification stratégique au Québec en comblant certaines de ses lacunes. Plus particulièrement, nous cherchons à mettre en relief les distinctions entre les deux approches en ce qui a trait au rapport au temps. Dans la seconde partie du texte, nous revenons sur l’expérience de prospective régionale tentée dans la région québécoise de l’Outaouais pour illustrer, à travers un cas concret, la tension entre les temps longs et les temps courts vécue par les acteurs du développement. Une analyse critique de cet exercice nous amène enfin à mieux cerner les contraintes liées au contexte québécois et à considérer certaines pistes susceptibles de favoriser l’implantation d’une approche prospective comme prémisse à la planification territoriale au Québec.

La planification stratégique régionale (PSR) au Québec

Historiquement, la planification stratégique est issue du management stratégique de gestion dans les entreprises privées, qui remonte aux années 1960 (Martinet, 2008 ; Mintzberg et al., 2009). S’appuyant sur des visées théoriques et pratiques essentiellement liées à l’efficience et à l’efficacité des organisations, la planification stratégique est une approche qui amène l’organisation à réfléchir aux objectifs qu’elle veut atteindre, puis à déterminer les moyens à mettre en oeuvre pour y parvenir en tenant compte de ses valeurs et de sa mission. Cette organisation est donc appelée à remettre ses objectifs en question par rapport à son environnement interne et externe, sur la base de ses forces et de ses faiblesses, ainsi que ses opportunités et les menaces auxquelles elle est confrontée (Martinet, 1983).

Dans la sphère publique québécoise, divers outils de management stratégique ont fait leur apparition au début des années 2000, après l’adoption de la Loi sur l’administration publique, qui obligeait tous les organismes publics à se doter d’une planification stratégique se déroulant sur un horizon de quatre à cinq ans. Aux niveaux régional et local, les pratiques de planification stratégique se différencient de celles des organisations publiques, en ce sens qu’elles ont été amorcées dès le début des années 1990 afin de moduler l’allocation des ressources publiques sur la base de stratégies régionales et locales (Proulx, 2008). Peu encadrés par la loi, ces exercices ont mené à des procédures régionales variables et à une multitude de planifications sectorielles et organisationnelles qui, dans les faits, ont occasionné beaucoup de confusion et une multiplication des stratégies de développement sur les territoires.

Pour le ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire (MAMOT), la planification stratégique régionale (PSR) représente « un processus de gestion visant à assurer, d’une manière continue, une concordance entre une organisation et les circonstances internes et externes qui lui sont favorables. Elle s’accomplit en adaptant la mission, en définissant des objectifs, en développant des stratégies et en élaborant un plan global qui indique comment les ressources seront utilisées pour répondre aux besoins des intéressés et aux exigences de l’environnement » (MAMOT, 2015).

Essentiellement, le MAMOT demande que ces exercices se déroulent avec la participation de tous les intervenants (publics et privés) et des citoyens, selon une démarche continue, dynamique et interactive qui intègre tous les secteurs d’activité (tableau 1). Ces planifications doivent tenter de répondre à des questions spécifiques : où est-on aujourd’hui (le diagnostic) ? où allons-nous (les tendances et les enjeux) ? où voulons-nous aller (la vision et les objectifs) ? comment allons-nous y arriver (les stratégies et les actions) ? (MAMOT, 2015).

Tableau 1

Étapes de la planification stratégique au Québec

Étapes de la planification stratégique au Québec
Source : MAMOT, 2015

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La définition et les étapes proposées de planification stratégique montrent bien l’importance accordée au caractère pragmatique et statique de la démarche, qui vise à gérer les besoins organisationnels et ceux des populations. La dimension prospective dans le processus en est absente, sinon par le biais d’un énoncé de vision stratégique qui peut certes reposer en partie sur le diagnostic territorial mais qui, dans les faits, se résume souvent à une vision souhaitée d’une région à long terme et ne repose pas sur un exercice de prospective à proprement parler.

L’absence de cadre législatif et normatif contraignant constitue par ailleurs une limite importante pour l’application de la PSR. Rappelons que, dans l’espace régional et local au Québec, il existe 17 régions administratives, 96 MRC et de multiples organisations sectorielles (santé et services sociaux, emploi, tourisme, développement économique, culturel, etc.) qui ont à réaliser des planifications stratégiques d’une durée variable (quatre ou cinq ans) et s’échelonnant sur des périodes de temps tout aussi variables. Devant cette profusion de plans stratégiques, il devient impossible de dégager une vision commune à long terme reposant sur une étude sérieuse permettant d’anticiper le futur, de développer de véritables stratégies régionales qui permettent de contourner les intérêts sectoriels et corporatistes des organismes locaux et régionaux (Proulx, 2008) et d’évaluer les retombées réelles de ces planifications sur les territoires (VGQ, 2011). Selon Proulx (2007), la planification stratégique régionale demeure un exercice qui n’a pas les moyens de ses ambitions, car elle ne permet pas d’intégrer globalement les autres planifications existantes sur le territoire et d’en orienter les stratégies et les actions.

Cette forte tradition de planification stratégique régionale et locale, l’obligation imposée par le gouvernement du Québec de recourir à cet outil et la nature assez simple et peu contraignante du cadre d’application expliquent en partie le peu d’intérêt manifesté par les régions du Québec à l’égard de la prospective régionale. En fait, on recense seulement deux exercices québécois de prospective régionale, soit celui réalisé en 2004 au Saguenay–Lac-Saint-Jean à l’instigation de chercheurs de l’Université du Québec à Chicoutimi (Proulx, 2007) ainsi que celui réalisé en Outaouais, en 2014, avec le soutien des acteurs économiques de la région (Robitaille et al., 2015), qui sera décrit plus loin.

Les apports de la prospective régionale en France

La réflexion menée en France sur les apports de la méthodologie prospective est riche d’enseignements sur les retombées potentielles de cette approche pour la planification stratégique régionale. En particulier, elle nous permet de mieux saisir comment la prospective contribue à inscrire le devenir des territoires dans une démarche permettant de concilier l’impératif stratégique du long terme à celui de la gestion du court terme, ce qui demeure un des défis à relever par la planification stratégique régionale au Québec.

La prospective, selon Loinger et Spohr (2005 : 34), « est une discipline, un ensemble de méthodes et plus largement une attitude qui vise à explorer les futurs d’un enjeu, d’un objet de la connaissance ou de l’action ». Elle sert donc de support à l’activité de planification, qui demeure un cadre de référence pour l’action sur le territoire. Ainsi, la prospective territoriale ou régionale cherche des réponses à des questions centrales : quels futurs sont possibles ? quelle société et quel territoire voulons-nous dans 20 ans ? comment pouvons-nous les atteindre ?

Qualifiée de « boule de cristal de l’aménagement du territoire » par Wachter (2000 : 64), la prospective « vise à anticiper, à des horizons plus ou moins éloignés, les évolutions désirables ou non désirables d’un système » dans l’objectif de répondre à des problèmes de politique pratique. Elle constitue en ce sens « un outil de dialogue qui permet de confronter des choix et des stratégies » à partir de scénarios du futur élaborés dans le cadre de réflexions à long terme (Idem : 65), en vue de « produire un accord sur une image partagée d’un territoire à aménager » (Wachter, 2003 : 750). La prospective consiste donc à penser sur le long terme, dans une démarche globale, et ainsi à agir avec plus d’efficacité sur les mécanismes de prise de décision à court et moyen termes. Elle favorise d’une part la créativité, mais aussi la déconstruction des représentations dominantes et enfin leur reconstruction, tout ceci dans un exercice collectif de « vision commune » (Berger, 1964).

Créée dans les années 1950 en France, la prospective a connu un premier âge d’or dans les années 1960 et 1970 sous l’impulsion de la DATAR (Decouflé, 2000a), avant d’être instaurée sur une plus grande échelle au début des années 1990, à la suite des premières lois de décentralisation. La prospective s’est alors répandue dans la majorité des régions françaises avec le soutien de programmes nationaux comme Territoires 2020, de 1990 à 1995, et Territoires 2030, à partir de 2004 (Fourny et Denizot, 2008). Les expériences nombreuses et diversifiées, soutenues par les conseils régionaux et / ou la préfecture des régions, avaient pour but de développer un schéma régional et de contribuer à l’élaboration du plan État-Région permettant l’accès à l’utilisation des fonds européens. Aux échelles infrarégionales (pays, agglomérations, etc.), la prospective s’est développée plus tardivement, avec l’objectif de déterminer les actions à entreprendre tout en contribuant à la construction de l’identité territoriale. Dans tous les cas de figure, la prospective demeure une méthode qui doit tenir compte du périmètre d’étude, des pouvoirs administratifs ou politiques et des compétences présentes sur les territoires, mais aussi de l’interdépendance des territoires, et cela, à toutes les échelles, de la commune à l’Europe (Delamarre, 2002).

En général, la prospective combine des travaux d’experts, des techniques de communication et des exercices de créativité. Elle est à l’articulation d’un univers qu’on peut situer dans le champ de la « gouvernance » du processus de projet territorial. Les méthodes développées par la prospective divergent de celles de la prévision et sont particulièrement adaptées au territoire : elles s’intéressent aux « temps longs » pour voir loin et large, et se veulent globales, brassant en même temps toutes les dimensions de la société : économiques, politiques, sociales, culturelles ou technologiques. En conséquence, ces méthodes sont à la fois qualitatives et quantitatives.

La prospective ayant comme objectif de choisir une trajectoire parmi un ensemble de trajectoires possibles, elle repose sur l’élaboration de scénarios. On entend par scénario « la combinaison de séquences d’événements ou de phénomènes anticipés, ordinairement situées les unes par rapport aux autres dans un double système de relations diachroniques et causales, en vue de mettre en évidence les caractères probables de l’évolution d’une situation donnée, à partir d’un corps d’hypothèses formulées sur les " tendances lourdes " de cette évolution » (Decouflé, 2000b : 745-746). Ces scénarios peuvent être tendanciels ou contrastés. Les scénarios tendanciels sont le résultat d’une « simulation de processus d’évolutions possibles à partir d’une situation existante » alors que les scénarios contrastés ont pour objet d’élaborer « l’image future d’une situation donnée à partir d’hypothèses » (Idem : 746). Enfin, dans le champ de la prospective territoriale, on distingue généralement deux grands types : la prospective experte et la prospective participative. La première vise le développement d’une connaissance sur le processus de transformation du territoire et mobilise des spécialistes qui ont une expertise diversifiée dans différents domaines. La seconde produit une connaissance collective par des débats et des forums participatifs où se travaillent les représentations futures des territoires (Fourny et Denizot, 2008).

Les temps de la prospective et de la planification stratégique régionale

Comme nous l’avons vu précédemment, le temps de la planification stratégique régionale au Québec est relativement court (quatre à cinq ans), ce qui permet uniquement de fixer des objectifs à partir de la situation présente sur le territoire au lieu de susciter une mise à distance des habitudes et des héritages du passé (Bouzaiane et Mouelhi, 2008 ; Sgard, 2008). Ce faisant, la planification stratégique régionale écarte un ensemble de scénarios plausibles du futur pour se concentrer sur des stratégies et des actions répondant à des problématiques sectorielles ou de clientèles vécues par les entreprises et la population. Même si la planification stratégique régionale se réalise habituellement sur la base d’un diagnostic de la situation présente de la région, ce diagnostic repose surtout sur une analyse permettant de déterminer des éléments sur lesquels les acteurs du milieu doivent intervenir pour corriger des dysfonctionnements ponctuels.

La prospective régionale est donc une démarche permettant de produire une vision plus large que la planification stratégique régionale et qui permet de réfléchir sur le temps long (15 à 25 ans), soit l’horizon sur lequel portent les scénarios (figure 1). Selon Bouzaiane et Mouelhi (2008 : 2), « [l]a prospective permet d’imaginer des situations nouvelles plus diversifiées et plus contrastées que ce que laissent dégager les techniques de prévision. Elle permet également d’avoir une vision des situations qui pourraient être plus intéressantes que des objectifs planifiés a priori et aussi de mettre en évidence des situations indésirables qui méritent d’être dévoilées suffisamment à l’avance ».

Il n’en reste pas moins que les expériences françaises de prospective régionale ont démontré que l’engagement dans une réflexion, sur un temps long, demeure difficile tant pour les élus que pour les planificateurs, qui n’ont « pas le temps » et préfèrent souvent un moyen terme plus facile à imaginer et à planifier. Le tableau 2 ci-dessous montre comment les approches et les méthodes de la planification stratégique régionale et de la prospective régionale peuvent se différencier. Certes, le temps – ou l’horizon étudié – demeure un élément central de cette différence, mais les visées, la méthode et les finalités de ces démarches ne sont pas les mêmes.

Figure 1

Les temps de la prospective

Les temps de la prospective
Conception : Robitaille, Chiasson et Gauthier, 2016. Source : TEDDIF, 2013

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Tableau 2

Comparaison de la planification stratégique régionale au Québec et de la prospective régionale en France

Comparaison de la planification stratégique régionale au Québec et de la prospective régionale en France
Conception : Robitaille, Chiasson et Gauthier, 2016

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L’insertion d’une dimension prospective dans la planification stratégique régionale en Outaouais

Le cas que nous analysons ici, Prospective Outaouais 2030, a été réalisé dans le cadre d’un partenariat entre des chercheurs de l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et des acteurs de la région de l’Outaouais. Située au sud-ouest du Québec, cette région est l’une des 17 régions administratives du Québec. À l’instar des autres régions du Québec, son territoire est gouverné par trois paliers : le palier local des municipalités, le palier supralocal, avec cinq MRC [2] et le palier régional, avec la Conférence régionale des élus de l’Outaouais (CREO). [3] La particularité de la dynamique régionale de l’Outaouais vient du fait que la région est située à la frontière avec la province de l’Ontario, en particulier la Ville d’Ottawa, capitale nationale du Canada. Cette position frontalière influence à bien des égards la trajectoire de développement de la région et ne manque pas de façonner, au moins en partie, les efforts de prévision et de planification de l’avenir.

L’Outaouais et son développement

À compter du début du XIXe siècle, le développement de la région de l’Outaouais sera principalement axé sur sa vocation forestière (Gaffield, 1994). Ce n’est qu’à partir des années 1970 que l’économie des pâtes et papiers, qui a jusque-là dominé l’économie régionale, va faire place à une économie plus tertiaire prenant appui sur la fonction publique fédérale (Beaucage, 1994). Cette tertiarisation de l’économie urbaine va fortement contribuer à instaurer un développement régional à deux vitesses. D’une part, le pôle urbain et périurbain jouit d’une économie tertiaire dynamique, avec des salaires et un taux d’emploi plutôt élevés en raison d’une forte intégration avec la région métropolitaine d’Ottawa. D’autre part, dans les territoires plus éloignés du centre, la dépendance aux ressources naturelles reste bien présente, ce qui expose le développement des territoires aux soubresauts des marchés internationaux des matières premières (Chiasson, 2005).

Le moment initial

C’est dans ce contexte d’une région au développement fortement différencié entre le centre et la périphérie qu’a pris naissance l’initiative Prospective Outaouais 2030, dont la description ci-dessous est reprise en grande partie de Robitaille et al. (2015). De façon plus précise, cette initiative est également à situer en rapport avec la planification stratégique régionale qui a été portée par la CREO. Cette planification, prévue pour l’horizon 2012-2017, faisait face à certaines critiques de la part d’acteurs de la région, particulièrement en ce qui a trait à l’incapacité de réfléchir à long terme sur un enjeu central, celui de la diversification économique dans un contexte de région frontalière avec l’Ontario fortement dépendante du secteur de l’administration publique fédérale. Ces insatisfactions vont donner lieu à la création, sous l’égide de la Chambre de commerce de Gatineau, d’un Conseil de développement économique régional de l’Outaouais (CDERO), qui sollicitera ensuite des chercheurs de l’UQO rattachés au Centre de recherche sur le développement territorial (CRDT) pour mettre à jour un portrait économique de la région réalisé quelques années plus tôt (Bensouda et Doucet, 2011). C’est sur la base de cette demande que nous avons proposé, à titre de chercheurs, d’élargir le mandat pour inclure un exercice de prospective devant aboutir à une vision de développement socioéconomique partagée par les acteurs-clés de la région. Cette vision était jugée nécessaire de part et d’autre pour répondre à certaines lacunes, tout en étant complémentaire à la planification stratégique régionale 2012-2017.

Les chercheurs et les partenaires du milieu se sont entendus au départ sur un exercice de prospective qui s’étalerait sur une période de six mois, c’est-à-dire de janvier à juin 2014, ce qui représente un défi en soi puisqu’un exercice prospectif prend généralement de 24 à 48 mois (Godet et Durance, 2011). Afin de rendre opérationnelle la démarche de prospective, trois instances de travail ont été mises sur pied : un comité de pilotage formé des membres de l’équipe de recherche de l’UQO et chargé d’assurer l’encadrement scientifique et méthodologique de la démarche, un comité de coordination regroupant l’équipe de recherche et les partenaires financiers du projet et chargé d’assurer le bon déroulement du projet et, finalement, un comité de réflexion stratégique, mis sur pied par le comité de coordination afin d’agir comme force motrice du travail de réflexion et de prospective devant aboutir à une vision commune du développement de la région de l’Outaouais sur l’horizon 2030. Le choix des membres de ce comité de réflexion était basé sur l’expertise que les individus pouvaient apporter à la démarche plutôt que sur leur appartenance à une institution ou à tel ou tel groupe incontournable, pour éviter que la réflexion soit trop rapidement balisée par des impératifs institutionnels et organisationnels. Sur ces bases, une trentaine d’intervenants ont été invités à participer et 15 experts ont accepté de se joindre au comité de réflexion. Comme en témoigne le tableau 3, le comité de réflexion stratégique initial était passablement diversifié, tant du point de vue du secteur d’activité que de la provenance territoriale.

Tableau 3

Représentation des experts par secteur d’activité et par territoire dans le comité de réflexion stratégique

Représentation des experts par secteur d’activité et par territoire dans le comité de réflexion stratégique
Conception : Robitaille, Chiasson et Gauthier, 2016

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Éléments de méthodologie pour construire le temps long

Le comité de réflexion stratégique a tenu cinq réunions sur une période de huit mois, soit deux mois de plus que le calendrier prévu, pour compléter le travail d’élaboration du scénario qui a finalement été retenu : L’Outaouais 2030 : une région unifiée et émancipée. Pour chacune de ces réunions, le travail de préparation fait par le comité de pilotage a été sensiblement le même : un cahier du participant préparé par l’équipe de recherche était acheminé aux participants une semaine à l’avance. Il contenait les principaux constats et résultats se dégageant de la réunion précédente, en plus des éléments d’information nécessaires pour le prochain atelier, incluant des rappels sur ce qu’est la méthode prospective. Bien que ne faisant pas nécessairement partie des outils de réalisation d’une prospective, les cahiers du participant se sont avérés un des points d’ancrage importants pour la bonne marche de l’exercice de prospective. La préparation de ces cahiers a exigé du comité de pilotage une somme de travail considérable, mais fructueuse, puisque les cahiers ont largement facilité le travail d’animation du comité de réflexion, en plus de laisser d’importants jalons de la démarche pour de futurs exercices de prospective.

Si les cahiers du participant ont permis d’assurer une certaine continuité entre les diverses réunions du comité de réflexion, les méthodes employées pour animer la réflexion et la discussion sur les objectifs visés ont varié de façon importante d’un atelier à l’autre. Le tableau 4 synthétise la trame méthodologique qui a guidé la mise en place des cinq ateliers. Les paragraphes qui suivent résument la contribution de chacun de ces ateliers à notre démarche. Une description plus étoffée de notre parcours méthodologique se trouve dans Robitaille et al. (2015).

Tableau 4

Trame méthodologique du travail de prospective en Outaouais

Trame méthodologique du travail de prospective en Outaouais
Conception : Robitaille, Chiasson et Gauthier, 2016

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Le premier atelier visait à établir, auprès des acteurs, l’intérêt d’un exercice de prospective et d’une réflexion sur le temps long dans le contexte régional, ce qui a été fait par l’entremise d’une présentation sur ce qu’est la prospective et d’une mise en perspective des limites des diverses planifications stratégiques établies sur le territoire régional.

Lors du second et du troisième atelier, les acteurs ont été invités à faire un travail de détermination et de priorisation des variables qui influencent le développement de la région. Dans un premier temps (atelier 2), les acteurs, à partir de 15 variables initiales, ont cerné les tendances lourdes régionales et les ruptures possibles, ainsi que les menaces et opportunités que représentent ces tendances. Les tendances déterminées par le comité de réflexion ont ensuite été synthétisées en quatre grandes tendances qui se sont retrouvées au coeur des discussions de l’atelier 3, où nous avons fait appel à la méthode MicMac (Matrice d’impacts croisés Multiplication appliquée à un classement) (Godet et Durance, 2011). Rappelons que cette méthode vise à analyser les variables-clés d’un système, particulièrement celles porteuses d’enjeux pour son évolution, de façon à mettre en évidence (hiérarchiser) les variables influentes (ou motrices) et dépendantes. Pour ce faire, on utilisera une matrice pour déterminer le degré de motricité (capacité à influencer le développement) et le degré de dépendance de chaque variable, les unes par rapport aux autres. Finalement, les ateliers 4 et 5 ont été consacrés à la définition de scénarios pour le développement de la région sur un horizon 2030. Lors de l’atelier 4, des groupes de discussion ont eu à se prononcer sur deux scénarios contrastés : [4] le premier, dont l’essor reposait sur deux dynamiques distinctes entre la partie métropolitaine et les MRC rurales, et le second, dans lequel la région de l’Outaouais était unifiée dans et pour son développement. Les groupes de discussion avaient à se prononcer, dans un premier temps, sur la « probabilité » et, dans un second temps, sur la « souhaitabilité » que les deux scénarios se réalisent. Ces scénarios se voulaient l’aboutissement du travail de clarification et de priorisation des tendances réalisé dans les ateliers précédents, de façon à dégager une vision commune d’un futur à la fois possible et souhaitable pour la région de l’Outaouais en 2030. De l’avis des participants, il était clair que le second scénario, celui qui prévoit un développement cohérent entre le pôle urbain et les MRC rurales, était à la fois plus probable et plus souhaitable. Cependant, le groupe de discussion n’était pas prêt à rejeter entièrement le premier scénario, considérant que certains de ses éléments méritaient d’être intégrés au scénario final. Dans ce contexte, les acteurs ont demandé la tenue d’une cinquième rencontre afin de valider un troisième scénario intégrant ces éléments. Ce dernier scénario a fait assez rapidement consensus lors de cette dernière rencontre (tableau 5). À des fins d’appropriation de ce scénario, les participants ont été amenés à débattre, après réflexion, des « éléments actuels qui vont dans le sens de la vision Outaouais 2030 » et des « freins qui pourraient retarder le développement de ce scénario ».

Tableau 5

Principaux éléments du scénario L’Outaouais 2030 : une région unifiée et émancipée

Principaux éléments du scénario L’Outaouais 2030 : une région unifiée et émancipée
Conception : Robitaille, Chiasson et Gauthier, 2016

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Les difficultés : insérer le temps long dans une démarche courte

Nous avons suivi, parfois avec des adaptations, la séquence habituelle pour un travail de prospective. Globalement, on peut considérer que cette démarche a porté des fruits dans le sens où la mise en pratique de la méthodologie prospective a effectivement permis de se doter d’une compréhension commune des avenirs possibles de la région, au-delà des horizons habituels de la planification stratégique. Par contre, la greffe d’une méthodologie prospective à une planification stratégique régionale ne se fait pas sans heurts, comme le démontre la section qui suit.

On remarquera d’abord que l’exercice de prospective a été mené dans un cadre plus ou moins propice, et cela, autant pour le calendrier que pour le financement. Malgré qu’une étude prospective régionale prenne souvent plus d’une année à réaliser, le comité de coordination a tout de même retenu un calendrier de travail très serré de huit mois. Ce calendrier était d’autant plus restrictif que les sommes consenties au projet sous-estimaient de façon assez importante la quantité de travail nécessaire au déploiement de cette méthodologie. Ainsi, plusieurs étapes du projet n’ont pu aboutir qu’avec l’apport de ressources supplémentaires assez importantes du CRDT et au prix d’un travail considérable, réalisé souvent dans l’urgence et sans nécessairement la capacité de recul nécessaire à une telle activité. Sans doute par manque d’expérience en prospective, les acteurs impliqués dans la direction du projet, incluant les chercheurs, ont nettement sous-estimé l’effort collectif à consentir pour se doter d’une réelle capacité d’intégrer une vision de référence partagée dans la planification stratégique régionale.

Le délai requis pour construire une capacité de prise en compte du temps long avec le comité de réflexion a parfois fait l’objet de discussions animées au comité de coordination. Les acteurs, partenaires du projet, ont parfois montré des signes d’impatience face à une démarche qui prenait du temps à aboutir. À plusieurs reprises, le comité de pilotage a dû rappeler l’importance, dans une démarche prospective, de laisser le temps à un parcours collectif d’appropriation du futur de suivre son cours. Ces discussions ont été particulièrement manifestes à partir du moment où le projet de forum socioéconomique s’est concrétisé, ce qui a augmenté la pression pour que la démarche « livre la marchandise » et donc qu’on réinscrive le processus dans l’action. Ces discussions, qui ont passablement compliqué le travail de coordination de la démarche, nous semblent assez révélatrices d’une certaine habitude de la planification stratégique régionale chez les acteurs de l’Outaouais et de la nécessité, dans ce contexte, de rappeler l’importance de se donner les moyens d’incorporer le temps long.

La différence de culture entre la planification stratégique régionale et la prospective régionale s’est également manifestée à l’intérieur du comité de réflexion stratégique lui-même. Rappelons que le comité de coordination avait sélectionné des gens sur la base de leur expertise particulière plutôt que de leur appartenance à telle ou telle organisation, et il a pris soin de rappeler aux participants qu’ils étaient interpelés à ce titre. Le but était de s’éloigner de la logique organisationnelle proche de l’action, qui est dominante dans la planification stratégique régionale, pour permettre aux participants d’imaginer ensemble les futurs de la région sans être trop contraints dans le présent. La logique organisationnelle a toutefois fait un certain retour dans le comité de réflexion, surtout lors des discussions sur les scénarios dans les derniers ateliers alors que des impératifs institutionnels ont refait surface dans le discours de certains acteurs tentés d’user de leur position d’autorité pour dicter un peu l’orientation des travaux du comité. Cette dynamique a sûrement été renforcée par le climat d’incertitude croissante qui régnait à l’automne 2014 au moment où les plans du gouvernement québécois de transformer le paysage institutionnel des régions québécoises commençaient à circuler. Les organisations représentées autour de la table étant toutes touchées d’une façon ou d’une autre par les changements à venir, le contexte politique a semblé favoriser une certaine crispation dans la défense des intérêts chez certains et entraîné une fluctuation des acteurs présents lors des derniers ateliers. Ces éléments ont contribué à rendre le climat moins propice à la prospective.

L’aboutissement : le Forum socioéconomique de l’Outaouais

À mi-parcours de la démarche de prospective, les partenaires ont proposé que les scénarios élaborés dans le cadre de cette démarche soient rendus publics dans le cadre d’un forum socioéconomique. Ce forum, finalement tenu le 29 novembre 2014, représentait en quelque sorte l’aboutissement de notre démarche et une fenêtre privilégiée pour examiner le rapprochement entre la prospective régionale et la planification stratégique régionale.

Organisé par les chercheurs de l’UQO à l’instigation de la Chambre de commerce de Gatineau, le Forum a réuni 150 personnes qui ont été conviées à déterminer les actions à prendre pour favoriser une trajectoire régionale alignée avec la vision inscrite dans le scénario retenu. En guise de préparation, le scénario Outaouais 2030 avait circulé largement auprès des acteurs du développement de la région pour leur donner l’occasion de réfléchir à des actions à prendre pour le mettre en oeuvre. Plus de trente acteurs régionaux ont fait parvenir des réactions qui ont ensuite été compilées et présentées lors du Forum.

L’intérêt suscité par le Forum auprès des acteurs du développement de la région et dans les médias régionaux, tout comme la volonté du CDERO d’en faire un événement public à grand déploiement, nous semblent être des indicateurs d’un certain appétit régional pour le développement d’une vision et d’un scénario à long terme. Interpelés pour la première fois sur un futur possible, les acteurs ont manifestement apprécié cet exercice qui sortait du cadre traditionnel (et insatisfaisant) de la planification stratégique. À l’issue du Forum, le scénario développé à la suite du travail du comité de réflexion semblait d’ailleurs faire consensus auprès d’un assez large public d’acteurs engagés.

Cependant, un peu plus de deux ans après l’événement, force est de constater que l’exercice a eu peu de suites et que la prise de conscience collective qu’il a suscitée semble s’estomper. Or, cet effort inédit de mobilisation des acteurs autour d’un projet d’élaboration d’une vision à long terme pour la région de l’Outaouais aurait pu avoir un impact réel, n’eût été l’abolition des conférences régionales des élus dans la foulée des mesures d’austérité adoptées par l’État québécois. En effet, avec la disparition de la CREO, l’instance chargée d’animer et de mettre en place la PSR, il n’existe plus vraiment d’instance de concertation à l’échelle régionale pour porter la planification, pas plus qu’il n’y a de support institutionnel régional auquel raccrocher la vision du développement élaborée dans le cadre de l’exercice de prospective. Il devient donc difficile, dans ce contexte, d’amener les acteurs du développement socioéconomique à travailler de concert pour la mettre en oeuvre, d’autant plus qu’en l’absence de conditions propices, les forces traditionnelles prennent le pas rapidement sur toute velléité de changement. À cet égard, et comme l’ont souligné les experts et les participants au Forum, on peut conclure que l’intervention de l’État ou, dans ce cas-ci, le désengagement de l’État, constitue la première variable motrice de développement de la région de l’Outaouais.

Conclusion

Cet article a porté sur la complémentarité entre la prospective régionale et la planification stratégique régionale. Ces deux méthodes renvoient à des rapports singuliers au temps qui sont imprégnés dans les pratiques et les institutions des territoires. L’analyse de l’exercice Prospective Outaouais 2030 a permis de voir que devant cette « différenciation territoriale », liée à la mobilisation des acteurs et aux temps d’action des politiques publiques, la greffe d’une approche prospective dans un contexte territorial plus habitué à une temporalité de planification stratégique ne va pas toujours de soi. Cela est attribuable à une visée très pragmatique de ces exercices de planification stratégique régionale qui sont renouvelables tous les cinq ans et qui servent essentiellement de suivi d’allocation des ressources.

À l’instar de l’expérience tentée en Outaouais, la démarche prospective participative du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Vision 2025, n’a pas non plus donné les retombées espérées. Perçue par la communauté comme un exercice issu du milieu universitaire, cette première expérience de prospective à la québécoise n’a pas débouché sur la mise en place d’un mécanisme (forum) capable de porter cette vision, et les connaissances acquises n’ont pas suffisamment percolé dans les planifications stratégiques des organismes du développement de la région (Proulx, 2007).

Dans le cas de Prospective Outaouais 2030, le dispositif méthodologique mis en place visait à accompagner les acteurs vers le développement d’une capacité de prise en compte du temps long dans la réflexion sur l’avenir de la région. Or, la démarche s’est heurtée à de nombreux freins (ressources limitées, un certain désengagement des participants, contraintes de temps pour la réflexion et pour l’action, etc.) et à un contexte de mise en oeuvre peu propice, qui témoignent d’une certaine résistance des acteurs et des institutions du milieu. Cela suggère que l’intégration du temps long dans des territoires de planification stratégique nécessite un changement de culture organisationnelle, plus de ressources et, surtout, un patient travail de construction.

L’analyse des divers moments de la démarche illustre par ailleurs que la greffe d’une méthode prospective dans un terreau de planification stratégique régionale, bien que confrontée à des résistances, a tout de même porté des fruits intéressants – comme le développement d’une vision s’appuyant sur l’intégration du temps long – qui démontrent le potentiel de la prospective dans le contexte des territoires québécois. Le Forum socioéconomique, en tant qu’exercice de prospective participative, a en ce sens permis d’ouvrir un dialogue et un espace de négociation en vue d’aider à déconstruire les représentations dominantes pour construire, avec les acteurs, de nouveaux scénarios inscrits dans le long terme sur la base d’une image partagée du territoire. Les changements apportés par le gouvernement québécois aux institutions régionales et la remise en question plus globale de la planification stratégique régionale comme mécanisme de développement régional rendent cependant beaucoup plus incertaine la mise en oeuvre de ces visions.