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Préfacé brièvement par Antoine Bailly, détenteur du prix Vautrin-Lud, et postfacé abondamment par Jacques Lévy, cet ouvrage a fait appel à la participation de 28 collaborateurs dont les contributions sont partagées, comme c’est le cas très souvent pour les ouvrages collectifs, en trois parties dont le lecteur pourra juger de la pertinence des intitulés. D’entrée de jeu, Bailly, géographe retraité de l’Université de Genève, converti en oenologue-voyageur, fait allusion à la nouvelle géographie telle que mise de l’avant par Paul Krugman. Ceci, sans signifier s’il s’agit de cette dernière qu’on trouvera ici renouvelée par la mise en évidence de 13 thèmes bien distincts. Avec ces thèmes, les auteurs favorisent le passage de la pluridisciplinarité à la transdisciplinarité afin de répondre aux exigences de la complexité des problèmes contemporains. Le lecteur, cependant, ne doit pas s’attendre à des surprises quant aux spécialités des différents auteurs, dont les champs d’intérêt – mis à part un spécialiste en management de Montréal – tournent autour des questions urbaines et de l’aménagement du territoire. Oui, tout géographe se retrouvera en terrain familier en abordant cet ouvrage appuyé sur l’hypothèse que « les conditions de structuration des transitions à l’oeuvre actuellement impliquent l’émergence de la question territoriale », vue ici comme le fondement entre la géographie et l’économie. Aux yeux de Pecqueur et Talandier, le territoire apparaît comme un espace physique borné se voulant la résultante d’un processus de construction sociale complexe et inscrit dans la longue période (p. 15-16).

La première partie, Nouvelle organisation spatiale du développement économique, offre à Pecqueur l’occasion de reprendre le concept de la différentiation mis en évidence dans ses ouvrages précédents. Avec l’exemple de la coutellerie de Laguiole, le professeur de géographie de Grenoble souligne le fait que les produits ne sont pas spécifiques, mais différenciés. Ce qui conduit à en faire un avantage territorial. Sa collègue Talandier, dans le chapitre suivant, ne va pas, bien sûr, le contredire tout en observant que le développement territorial n’est pas seulement une question de ressources, de distance et d’accès au marché. Car il prend son appui sur la compréhension et la mise en capacité de systèmes territoriaux en continuelles mutations. Sous le couvert des capacités territoriales, la coauteure aborde celle de l’intermédiation se rapportant, entre autres, aux divers services destinés aux entreprises disponibles dans leur environnement immédiat.

C’est dans la deuxième partie, Réorganisation spatiale de la société : innovation et créativité, que le lecteur québécois s’étonnera de se voir offrir l’exemple de la production de jeu vidéo de Montréal sous la plume du coéditeur de la revue Management International, Patrick Cohendet. Ce dernier reprend une figure publiée antérieurement dans la langue de Shakespeare et intitulée Underground, middleground, upperground, qui représente l’anatomie d’une ville créative. Avec ses 3 000 salariés, le studio d’Ubisoft, il va sans dire, occupe ici une place primordiale, compte tenu de son rôle dans le fait que la métropole du Québec soit devenue un des principaux pôles dans la production de jeu vidéo, en bonne compagnie avec Los Angeles, San Francisco et Londres.

Un chapitre subséquent de Raphaël Besson, un collègue des responsables de l’ouvrage, m’a initié à un concept qui m’était totalement inconnu en relation avec les territoires ruraux : les tiers lieux. On en doit l’origine au sociologue Oldenberg, qui en a développé la notion dans une publication de 1989 (introuvable en bibliographie comme, hélas, plusieurs autres références). Il s’agirait de lieux hybrides qui ne relèvent ni du domicile ni du travail, se situant entre l’espace public et l’espace privé. On se rapporte à des lieux de rencontre tels des cafés, des librairies et autres espaces intermédiaires facilitant les activités de réseautage. Il faut convenir qu’il ne s’agit pas ici de l’invention du siècle étant donné que, sous différents vocables, on fait allusion aux centres d’interrelation depuis déjà deux ou trois décennies en évoquant le capital social. Il est donc étonnant que l’auteur s’y réfère par une allusion à un soi-disant regain d’intérêt. Le télécentre La Cocotte numérique, du Pays de Murat dans le Cantal, et un espace de cotravail, dans le Haut-Jura, servent d’études de cas.

S’ensuit un chapitre moins controversé portant sur l’économie sociale et solidaire (ESS) mieux connue au Québec par l’expression « économie sociale ». Ici, Bernard Pecqueur a su tirer profit de ses contacts réguliers avec les chercheurs québécois du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES) pour collaborer avec une autre de ses collègues, Amélie Artis. Ainsi, le concept de ressources spécifiques se trouve relié à celui de ressources génériques pour montrer quel usage en font les entreprises de l’ESS. Parmi celles-ci, on retrouve un acronyme typiquement franco-français, « SCOP », pour décrire une structure bien familière aux Québécois, à savoir les coopératives de salariés dites ici « sociétés coopératives et participatives ». Les auteurs s’appliquent à montrer comment les entreprises de l’ESS s’inscrivent dans les stratégies de développement territorial de concert avec les autres acteurs d’un territoire donné.

Le titre de la troisième partie risque de soulever la polémique : Les oubliés de la géographie économique. Qui sont ces oubliés ? Le sont-ils vraiment ? Il est question de désindustrialisation et de souhait de réindustrialiser les territoires. Afin d’enrayer le processus de désindustrialisation, le Toulousin Gabriel Colletis évoque la création d’un nouveau paradigme industriel. Heureusement, dans sa réflexion visant à contrer les effets des délocalisations, l’auteur évite de reprendre les recettes préconisées par l’actuel locataire de la Maison-Blanche. Le lecteur peut soupirer d’aise : le charbon demeurera sous terre.

Avec sa longue postface, Jacques Lévy, professeur de géographie à l’École polytechnique de Lausanne, nous apprend que l’ensemble des réflexions du volume résulte de la tenue d’un colloque dont le lieu n’est pas mentionné. Le texte se partage en quatre sections : Cent ans de solitudes (on remarquera le pluriel) ; Construire une dialogique (l’ensemble des relations entre deux dimensions de la connaissance des mondes sociaux) ; Intersections (chaîne globale de la valeur, sérendipité, urbanité) ; Hybridation (voir le syndrome du Mezziogorno italien). Tel qu’indiqué en quatrième de couverture, effectivement, ce livre « propose un renouvellement de la géographie économique à l’aune des nouvelles dynamiques territoriales ». Le débat continue.