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Introduction

Dans cet article, nous proposons une analyse géographique de l’application du programme européen Liaison entre actions de développement de l’économie rurale (LEADER), en tant que dispositif de politique publique destiné à favoriser le développement territorial. À partir d’un bilan du programme LEADER 2007-2013, nous focalisons notre analyse sur la détermination et la valorisation de ressources culturelles, environnementales ou sociales pour le développement d’activités touristiques et récréatives dans les territoires ruraux marginalisés de l’ex‑région Languedoc‑Roussillon, en France[1]. Nous voulons mesurer l’articulation entre l’action publique, la valorisation des ressources, le tourisme et, plus largement, le développement socioéconomique dans les territoires ruraux en difficulté.

Au moment où se négocient, à Bruxelles, le budget de la prochaine Politique agricole commune (PAC) et les orientations de la politique européenne de développement rural, nous revenons sur le programme LEADER 2007‑2013, dans l’intention d’examiner les formes et l’efficience de l’articulation d’une politique publique qui fonctionne sur le principe de la contractualisation multiniveaux. En effet, depuis son introduction dans les pays membres de l’Union européenne (UE), en 1990, le programme LEADER encourage l’émergence de systèmes d’action locaux destinés à promouvoir les initiatives endogènes de développement et d’intégration socioéconomique des territoires ruraux. Il introduit une forme nouvelle de gouvernance des territoires ( Leloup et al., 2005) en invitant les acteurs locaux à prospecter et à valoriser des ressources de remplacement, afin de diversifier les activités rurales (Peyrache‑Gadeau et Pecqueur, 2004 ; Gumuchian et Pecqueur, 2007). Les acteurs locaux sont incités à s’impliquer dans une démarche prospective et participative créant un potentiel d’innovation (Dargan et Shucksmith, 2008 ; Chevalier, 2014 ; Maurel et al. 2014 ; Berriet-Solliec et al., 2016). Ce potentiel dépend alors de la composition et du fonctionnement des réseaux de coopération du programme à l’échelle locale ( les groupes d’action locale [GAL] ) qui déterminent le pilotage des initiatives endogènes et le contenu des projets de développement ( Lacquement et Chevalier, 2016). L’action publique de développement est contractualisée par une politique publique dont les orientations sont fixées au niveau européen et déclinées au niveau national.

Le programme LEADER prend naissance en tant que programme d’initiative communautaire dans le cadre d’une réforme de la politique régionale de l’UE intervenue en 1988, dite aussi réforme des fonds structurels. L’objectif est de promouvoir une politique de développement rural rendant possible l’expérimentation de démarches nouvelles, qualifiées de bottom up (approche ascendante), impliquant davantage les acteurs politiques et sociaux de niveaux local et infrarégional. Les premiers programmes ( LEADER I 1990-1993, LEADER II 1994-1999 et LEADER+ 2000‑2006) sont appliqués dans le cadre d’un zonage territorial qui détermine les régions rurales en difficulté. Les programmes suivants sont intégrés à la PAC de l’UE : LEADER 2007-2013 et LEADER 2014-2020 qui, depuis sa réforme de 2003, comprend un pilier « agricole » destiné au financement de l’aide directe aux exploitations agricoles et un pilier « rural » dédié aux actions de diversification de l’économie rurale, aux mesures agroenvironnementales et à l’application de la démarche LEADER. Le programme 2007‑2013, retenu pour l’étude, est le dernier programme LEADER à avoir fixé des objectifs transcrits par les États membres en priorités stratégiques[2].

La démarche LEADER met ici en question les formes de l’action publique locale en faveur du développement touristique dans des territoires ruraux en situation d’arrière‑pays délaissés. Au regard des travaux déjà réalisés sur l’application de ce programme européen, l’étude préconise une triple approche, à la fois géographique ( rural en situation d’arrière‑pays), socioéconomique ( zones délaissées ou en difficulté) et thématique (développement touristique), qui permet de s’interroger sur l’efficience des politiques publiques face aux enjeux du développement territorial par la recherche de solutions de rechange. En effet, la valorisation du potentiel touristique et récréatif des espaces ruraux constitue en France l’une des quatre priorités des orientations stratégiques du programme LEADER 2007-2013 (Chevalier et al., 2017). L’application de la politique publique suppose la capacité des acteurs locaux à se saisir de cette priorité pour concevoir une stratégie de développement visant la conversion des économies locales et l’adaptation des économies productives. La mise en oeuvre de la stratégie nécessite ensuite une action coordonnée de prospection et de valorisation de ressources de remplacement dans le but de capter les revenus de la fréquentation touristique et des usages récréatifs de l’espace. Cette approche permet d’évaluer les avancées et les limites du programme LEADER dans la mobilisation et l’implication des acteurs locaux dans des démarches de développement territorial.

Pour rendre compte de l’articulation entre action publique, ressources, tourisme et développement territorial, nous caractériserons d’abord, au moyen d’un traitement statistique multivarié, le processus de déclassement et la situation de marge d’une partie des espaces ruraux du Languedoc-Roussillon. En combinant le traitement statistique et l’approche monographique, nous analyserons ensuite les stratégies de développement des 14 GAL de l’ancienne région Languedoc-Roussillon, afin d’évaluer la manière dont l’initiative locale a intégré les enjeux de valorisation du potentiel touristique et récréatif au projet de développement local. Enfin, nous privilégierons l’approche monographique pour suivre et caractériser les formes de l’action publique locale à travers la mise en oeuvre des projets de développement touristique et récréatif.

Déclassement territorial et situation de marge dans les territoires ruraux de la région Languedoc-Roussillon en 2014

Nous considérons ici la situation de marge comme une situation d’écart (Prost, 2004), la marginalité comme le résultat d’un processus de déprise et de dépendance, mais également comme une situation marquée par les prémices d’innovations et de reconquêtes. Le territoire en marge, ou à l’écart, se situe aux limites de la norme territoriale, en rupture brutale ou progressive avec l’organisation territoriale en termes spatiaux et fonctionnels. Cette situation est le résultat des dysfonctionnements du système socioéconomique d’ensemble et de la modification de ses éléments constitutifs. Elle a pour cause la circulation des flux et ses effets sur la division du travail, qui favorisent certains lieux pour la distribution de l’activité et des revenus (approche néoclassique), mais aussi les structures sociales et l’organisation de la production (approche marxiste) (Bailly et al., 1983 ; Bailly 1995). Mais cette situation est dynamique, car le renouveau territorial peut se faire par une intégration au système d’ensemble. Nous nous appuierons sur ce cadre théorique pour caractériser les situations de marge ou d’intégration relative des territoires ruraux de la région Languedoc‑Roussillon.

D’une renaissance rurale…

Au regard de ce positionnement théorique, les territoires ruraux du Languedoc-Roussillon bénéficient de manière inégale du processus de renaissance rurale, c’est-à-dire du processus global de repeuplement et de diversification des activités socioéconomiques qui affecte les campagnes françaises depuis l’inversion démographique enregistrée par le recensement général de 1975. La métropolisation et les changements du système productif ont des effets différenciés sur les territoires ruraux, et sont à l’origine de processus de marginalisation et de situation de mise à l’écart, de faible intégration au système socioéconomique. Néanmoins, les dynamiques d’intégration peuvent être suscitées par une action publique locale, à partir du moment où cette dernière se met en capacité de formuler une stratégie de développement territorial et de mettre en oeuvre des projets de création ou de conversion d’activités économiques, comme les activités touristiques et récréatives.

Si les campagnes du Languedoc-Roussillon bénéficient globalement de la croissance de la population, ce processus de repeuplement demeure cependant très contrasté. Il se réalise essentiellement par excédent migratoire et partiellement par excédent naturel, là où la structure de la population s’est rajeunie. Il se développe de manière intense à la périphérie des agglomérations urbaines, grandes et moyennes, mais cette périurbanisation affecte aussi les petites villes. Il demeure fragile dans les zones de faible densité, très dépendant des flux migratoires et de la structure d’âge des populations nouvelles. Le processus isole aussi de véritables zones de dépression démographique, où les communes rurales continuent de se dépeupler sous l’effet du départ des forces vives et du vieillissement structurel.

Surtout, le repeuplement n’induit pas nécessairement l’amélioration de l’emploi dans les zones rurales. Il ne détermine pas non plus les formes de structuration de l’économie rurale, qui demeurent d’une grande variété en raison de la singularité des trajectoires socioéconomiques locales. L’intégration des espaces ruraux dans l’économie globale ne peut donc se réduire aux seuls effets induits de la mobilité résidentielle. Selon les cas, l’économie de l’espace rural peut s’en émanciper et trouver, dans des activités toujours plus diversifiées (agriculture, artisanat, etc.), de nouvelles sources de richesse et d’autres potentialités de développement. Parmi elles, la valorisation du milieu naturel consécutive à la contraction de l’activité agricole comme les représentations idéalisées de la ruralité (Marie et Viard, 1980) deviennent des facteurs d’attractivité résidentielle et des sources potentielles de développement. Mais d’autres facteurs interviennent pour orienter les formes d’intégration des territoires ruraux et différencier les régions LEADER. Le repeuplement se combine aux performances respectives des différents secteurs de l’économie et à la part des transferts sociaux.

…À la diversité des formes d’intégration socio-économique des campagnes

Nous nous proposons donc de rendre compte des formes d’intégration socioéconomique des communes rurales, susceptibles d’influencer l’orientation des stratégies de développement LEADER car les GAL vont construire leurs stratégies à partir de diagnostics de la situation sociodémographique et économique.

À partir de la méthode mise en place par Kendall et Pigozzi en 1994, nous avons élaboré une typologie des formes d’intégration socioéconomique, d’abord à l’échelle des cantons, puis à celle des GAL (figure 1). Nous avons procédé à plusieurs analyses permettant, d’une part, de sélectionner les variables les plus pertinentes (tests statistiques) et, d’autre part, d’établir une classification des différents territoires à partir d’une méthode statistique de classification mixte. À partir de données socioéconomiques, dont le détail est présenté ci-après, nous avons déterminé un profil type des cantons et des GAL, à la fois structurel et dynamique. Ensuite, nous avons calculé les différents écarts types à la moyenne régionale pour chacun des cantons ruraux. Ce calcul nous a alors permis, par un traitement statistique, de comparer les différentes situations par rapport aux moyennes de la région (hors cantons urbains) et de déterminer les différents degrés de spécialisation de chaque territoire. Chaque situation a ensuite donné lieu à une classification aboutissant à une typologie. Enfin, pour chaque GAL, nous avons calculé un indice d’hétérogénéité. Celui-ci est basé sur l’écart‑type de chaque variable à la moyenne du GAL. Les variables suivantes ont été utilisées pour la typologie :

  • Évolution de la valeur ajoutée brute (VAB) primaire (2008-2014)

  • VAB primaire (2014)

  • Évolution VAB secondaire (2009-2014)

  • VAB secondaire (2014)

  • Évolution VAB tertiaire (2009-2014)

  • VAB tertiaire (2014)

  • Rapport revenus au lieu de résidence/au lieu de travail

  • Part des transferts sociaux dans les revenus (chômage RSA) (2014)

  • Part des transferts sociaux (retraites) dans les revenus (2014)

  • Évolution solde migratoire (2009-2014)

Trois régions LEADER présentent une forme d’intégration socioéconomique sous influence urbaine (figure 1, type 1). La métropolisation et l’étalement périurbain transforment les fonctions des territoires ruraux par un processus exogène d’induction économique. Le dynamisme de l’économie urbaine, la redistribution des activités dans l’espace urbain et l’extension résidentielle en périphérie induisent, dans les espaces ruraux en situation périurbaine, des activités nouvelles génératrices de revenus et d’emplois. Les surfaces commerciales, les commerces de détail, les services divers rendus aux populations se localisent en fonction des stratégies des entreprises régionales et du fonctionnement des marchés de consommation. Le niveau de métropolisation renforce ce processus par induction, mais il accuse les contrastes spatiaux en fonction de la distance et de l’accessibilité de la ville-centre, comme dans le GAL Coeur d’Hérault, à la périphérie de l’agglomération de Montpellier.

Deux régions LEADER se détachent par la spécialisation agricole et agroalimentaire combinée au développement des activités induites par l’extension résidentielle (type 4). Les performances de l’économie locale [3] (Chevalier, 2002 ; Davezies 2009) tiennent à l’encadrement des filières agroalimentaires, mais également à l’investissement des agriculteurs dans l’augmentation de la productivité du travail agricole, qui a conduit à la spécialisation des systèmes de cultures et à la concentration des structures d’exploitation. La profession agricole joue véritablement un rôle moteur dans l’économie locale, même si les agriculteurs sont devenus minoritaires. Les contrastes sont vifs entre les cantons de l’arrière‑pays et les cantons en situation littorale, qui dépendent beaucoup plus fortement des activités induites de l’économie résidentielle.

La dépendance aux transferts sociaux joue un rôle très ambivalent. Pour trois des régions LEADER, les revenus des pensions de retraite se combinent aux activités du secteur tertiaire, en particulier aux activités touristiques, pour produire une grande partie de la richesse locale. Cette combinaison a engagé une dynamique positive d’intégration socioéconomique (type 2). Mais la dépendance aux transferts sociaux peut conduire à la marginalisation des zones rurales (type 5). Dans trois régions LEADER, la crise frappe durement les activités économiques, souvent peu modernisées, et entraîne le repli des sociétés locales. Le secteur agricole se remet difficilement de la restructuration des unités de production dans le cadre des politiques de modernisation tandis que les implantations des quelques petites entreprises, soumises à de nouvelles normes de productivité et de rentabilité, ont un avenir incertain dans ces zones relativement enclavées, souvent restées à l’écart des flux d’investissement. Le sort des populations locales est alors souvent suspendu aux minimas sociaux (allocations chômage, revenu de solidarité active [RSA], minimum vieillesse).

Le processus de marginalisation est encore plus affirmé dans le GAL Gévaudan-Lozère (type 3). Le traitement statistique distingue une forme d’intégration par diversification des activités, mais cette dernière semble se réaliser par défaut. La crise des activités rurales traditionnelles a conduit mécaniquement à la tertiarisation de l’économie locale. Les services fournissent la moitié de la richesse locale, mais leur valeur ne progresse pas (pas plus que celle des autres secteurs de l’économie), si bien que le produit intérieur brut (PIB) par habitant recule depuis une dizaine d’années. Dans ces campagnes périphériques, l’économie locale dépend pour l’essentiel des activités de services à la personne et des minimas sociaux.

Stratégies de développement territorial et enjeux de valorisation du potentiel de développement touristique et récréatif

Les formes et les contrastes du changement rural ne sont pas sans influence sur l’action publique. Ils tendent à orienter la conception des politiques d’intervention dans un objectif de correction des processus de déprise (Lacquement et al., 2020). Le programme LEADER s’inscrit dans cette orientation en mobilisant des financements destinés à produire des effets de développement territorial. L’étude se concentre sur la manière dont l’action collective locale se saisit du dispositif LEADER pour chercher des solutions aux difficultés socioéconomiques révélées par les exercices de diagnostic.

L’application de la politique européenne se traduit, au niveau des GAL, par la rédaction d’une stratégie de développement. Ce document programmatique décline, au niveau local, les orientations du Plan stratégique national de développement rural 2007‑2013, en établissant une hiérarchie entre quatre priorités stratégiques [4]. Le choix d’une priorité « ciblée » ou une priorité principale, par rapport à des priorités « secondaires », exprime les orientations de l’action publique au niveau local. Cette section analyse la manière dont les acteurs locaux se saisissent des enjeux de valorisation du potentiel de développement touristique et récréatif.

Des enjeux intégrés à la stratégie de développement

En Languedoc‑Roussillon, quatre GAL ont retenu la priorité « Améliorer le potentiel touristique et récréatif » : Coeur d’Hérault, Haut Languedoc et Vignobles, Haute Vallée de l’Aude, Terres romanes en Pays catalan. Malgré les situations de revitalisation démographique, les dynamiques socioéconomiques sont hétérogènes et les processus de déprise persistent, ce qui oriente visiblement les stratégies vers la recherche de ressources de développement autres. L’extraversion de l’économie locale par le développement des activités de tourisme et de loisir est alors conçue comme une réponse aux difficultés d’adaptation et de restructuration des activités productives du secteur agricole ou industriel.

FIGURE 1

Typologie des formes d’intégration socioéconomique des GAL en Languedoc-Roussillon (2014)

Typologie des formes d’intégration socioéconomique des GAL en Languedoc-Roussillon (2014)
Source : insee, 2009, 2014 et 2015 Conception : art-dev umr 5281, cnrs, 2017

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La prise en compte des enjeux de valorisation du potentiel de développement touristique va au-delà du choix stratégique ; elle s’exprime également par le volume de financement que représentent les projets touristiques. Le financement confirme le choix stratégique de la priorité ciblée ou montre que les autres priorités choisies constituent un potentiel de développement touristique, notamment la priorité « Préserver et restaurer les patrimoines naturel et culturel ». Dans trois cas, le financement dépasse 50 % du budget total : Haute Vallée de l’Aude, Terres romanes en Pays catalan, Terroirs du Lauragais. Dans trois autres cas, le financement représente de 36 à 50 %, comme Vallée de l’Agly, Pyrénées Méditerranée et Coeur d’Hérault (tableau 1).

Les choix stratégiques des GAL sont l’interprétation locale d’une norme d’action publique établie au niveau étatique par le Plan stratégique national de développement rural 2007‑2013 qui, lui-même, est le résultat du transfert de la politique européenne (Chevalier et Vollet, 2019). Sur la base de la démarche ascendante et participative du programme LEADER, cette interprétation exprime les orientations de l’action locale de développement. Cependant, les choix stratégiques et le volume de financement ne suffisent pas pour caractériser les formes de l’action locale, c’est‑à‑dire la manière de concevoir et de mettre en oeuvre le développement des activités touristiques afin d’inverser les processus récessifs. L’action publique locale dépend de la sélection de ressources et des porteurs de projets (Lacquement et Raynal, 2013 ; Chevalier et Dedeire, 2014 ; Lacquement et Chevalier, 2016 ; Lacquement et al., 2020).

Sélection et la mobilisation de ressources territoriales pour le développement des activités touristiques et récréatives

La démarche de sélection des ressources contribue à différencier l’action locale de développement. Les stratégies des GAL interprètent en effet les orientations retenues au niveau national en effectuant des choix de catégories. Ces choix sont la traduction locale de la politique rurale et expriment le caractère endogène de la démarche de développement territorial. L’interprétation locale du programme LEADER dépend fortement de la nature des ressources socioéconomiques choisies et de la manière dont elles sont valorisées pour dynamiser l’économie locale. Ce sont les projets de développement qui activent les ressources territoriales inventoriées dans les documents stratégiques (Lacquement et Raynal, 2013 ; Lacquement et Chevalier, 2016).

L’analyse géographique emprunte ici les concepts du courant de l’économie territoriale sur la caractérisation des ressources du développement socioéconomique à l’échelle locale (Pecqueur et Zimmermann, 2004 ; Campagne et Pecqueur, 2014). L’économie de la proximité postule que les ressources du développement procèdent d’un processus social de construction qui se fonde sur une stratégie d’adaptation de l’économie locale aux contraintes de l’économie globale. Elle distingue les ressources génériques des ressources spécifiques. Les premières ont pour caractère d’être transférables, car leur construction n’est pas liée à une contrainte de localisation géographique. Les secondes sont, au contraire, localisées et résultent d’un processus d’identification et de valorisation qui fait de la contrainte de localisation un avantage comparatif qui accroît la compétitivité des productions locales et contribue à l’intégration de l’économie locale dans l’économie globale (Peyrache‑Gadeau et Pecqueur, 2004). La grille de lecture établie à partir des paradigmes de l’économie de la proximité permet d’interpréter la nature des ressources mobilisées, mais également leur mode de valorisation, que le corpus théorique désigne par le terme « trajectoire ». Leur mode de valorisation permet de distinguer des trajectoires de banalisation et des trajectoires de spécification des ressources, seules ces dernières étant en mesure de contribuer à une meilleure intégration de l’économie locale dans l’économie globale (Idem)[5].

TABLEAU 1

Part des projets touristiques financés par les GAL du Languedoc-Roussillon 2007-2013 (en % du budget total)

Part des projets touristiques financés par les GAL du Languedoc-Roussillon 2007-2013 (en % du budget total)

*Octobre 2020

Source : Réseau rural français, 2020 | Conception : Lacquement et Chevalier, 2020

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Les stratégies des GAL déploient plusieurs manières d’activer les ressources touristiques et récréatives des territoires locaux. La première se limite à proposer des projets d’équipement ou de rénovation des infrastructures touristiques qui mobilisent souvent des ressources de type générique, tendant à orienter l’offre touristique vers des produits standardisés, comme dans les trois GAL situés dans le Massif central. Plus nombreux dans la région sont les GAL qui conçoivent des projets de création de produits touristiques sur la base de la valorisation des ressources locales, principalement du patrimoine rural dans son acception la plus large, dans une démarche de spécification des ressources territoriales. Ces projets distinguent l’offre touristique en créant une sorte de plus-value dont bénéficie la commercialisation des différents produits dans le secteur de l’hébergement, de la restauration, des visites de sites et des activités de pleine nature. Ils forment ce que l’économie territoriale nomme des « paniers de biens  »(Hircza et al., 2008).

Le GAL du Pays Coeur d’Hérault parvient, quant à lui, à des projets de développement touristique qui intègrent l’ensemble des ressources territoriales dans une démarche globale de création d’une rente de qualité territoriale (Peyrache-Gadeau et Pecqueur, 2004) autour de certains sites patrimoniaux, comme le paysage karstique du cirque de Navacelles, sur les Causses, ou le patrimoine architectural roman de Saint‑Guilhem‑le‑Désert, dans la vallée de l’Hérault. L’offre touristique associe plusieurs produits ou services territorialisés, parce que les membres du GAL mobilisent des ressources ancrées dans le territoire local, ce qui signifie, d’après la grammaire de l’école de la proximité, que ces ressources sont reconnues comme appartenant à l’histoire et à l’identité du territoire local (Torre, 2009).

Implication des porteurs de projets dans le développement des activités touristiques et récréatives

Les démarches de valorisation des ressources économiques dépendent des porteurs de projets. Des travaux antérieurs montrent en effet des corrélations entre ces démarches et le profil des porteurs de projets (Chevalier, 2010 ; Lacquement et Raynal, 2013 ; Lacquement et Chevalier, 2016). En nous focalisant sur ceux-ci, nous visons à caractériser l’initiative endogène de développement qui, en fonction des trois sphères d’acteurs représentées au sein des GAL, peut être plus ou moins institutionnelle, plus ou moins associative ou plus ou moins entrepreneuriale. Le statut des porteurs de projets introduit un facteur décisif de différenciation des formes de coordination de l’action locale. On peut distinguer des formes exclusives ou quasi exclusives de portage de projet s’opposant à des formes associées. Les premières se caractérisent par la surreprésentation de l’une des trois sphères (publique, associative ou professionnelle) tandis que les secondes présentent des initiatives plus largement réparties entre les différents types d’acteurs locaux.

Les formes exclusives expriment d’abord le poids des acteurs institutionnels dans les territoires ruraux les plus en difficulté. Ces acteurs monopolisent l’initiative locale soit directement, soit indirectement par l’intermédiaire d’associations en grande partie contrôlées et animées par des élus locaux (les associations de développement économique, en Lozère, par exemple). Les formes exclusives expriment ensuite le rôle décisif des initiatives professionnelles, qui s’organisent en associations de producteurs engagés dans la redynamisation d’une filière économique. Elles montrent enfin l’importance de l’héritage socioéconomique: la présence d’un tissu dense d’entreprises facilite l’engagement du secteur privé dans l’action publique locale.

Ces héritages économiques s’inscrivent dans une trajectoire d’évolution qui peut jouer un rôle vertueux, à partir du moment où les acteurs locaux se mobilisent et se coordonnent pour développer de nouveaux projets (Lacquement et Raynal, 2013). Dans le GAL du Haut Languedoc et Vignobles, par exemple, les viticulteurs forment un groupe actif d’entrepreneurs qui ont amélioré la qualité de la production, mais qui se sont également investis aux côtés des associations chargées de mission d’aménagement et des élus locaux pour concevoir des actions en faveur du tourisme oenoviticole. Ces actions se développent dans un territoire soumis à la pression urbaine et exposé aux difficultés économiques et sociales de la conversion du vignoble de masse. Elles prennent forme à l’échelle de la coopération intercommunale grâce au renforcement des prérogatives locales dans le domaine du développement économique.

Les formes associées sont rares, car elles masquent souvent des situations de monopole ou de leadership. Par contre, elles expriment dans certains cas, la capacité du GAL d’orchestrer l’initiative locale par la mobilisation de l’ensemble des forces vives du territoire local. Dans le GAL Coeur d’Hérault, par exemple, de nombreux projets ont été déposés par les associations dans le but d’aménager des sites touristiques ou de rénover des équipements d’accueil et de loisir. Les associations sont soutenues par les municipalités qui mobilisent les entreprises pour des opérations de réhabilitation du patrimoine rural (église romane de Lunas) et des événements culturels (exposition annuelle du musée d’art contemporain de Lodève).

Formes de coordination de l’action publique locale en faveur des activités touristiques et récréatives

Notre but est de caractériser les formes de l’action publique locale en faveur du développement touristique dans les territoires ruraux en situation de marge. Celle‑ci procède d’un système local d’action, organisé en réseau, qui mobilise des acteurs d’origines diverses pour les impliquer dans la réalisation de projets de développement. Le système local suppose pour cela la coordination des initiatives endogènes au sein de groupes d’acteurs sollicités pour leur activité professionnelle, leur niveau de responsabilité politique ou administrative, ou encore leur participation à la vie associative. Les GAL se composent en effet de représentants de groupes sociaux actifs de la vie locale et du développement territorial : élus, entrepreneurs et acteurs associatifs. La composition et le fonctionnement de ces réseaux déterminent le pilotage des initiatives endogènes qui vont modifier les activités économiques sur le territoire local (Faure, 2011 ; Lacquement et Raynal, 2013).

On se focalise donc ici sur la coordination de l’action locale, c’est-à-dire sur la manière de mettre en oeuvre les projets de développement, qui sont sélectionnés en fonction des ressources mobilisées et des porteurs de projets. Si l’on croise les types d’acteurs impliqués avec les ressources activées, on peut caractériser et cartographier les formes de coordination de l’action locale de développement. Dans notre étude, nous articulons deux échelles d’analyse : l’échelle régionale (celle de la région politico‑administrative), puis l’échelle locale (celle des GAL en tant que territoires de projets).

Échelle régionale : formes de pilotage de l’action publique locale

À partir de variables issues de l’exploitation des fiches des différents projets touristiques des 14 GAL de l’ex‑région Languedoc‑Roussillon (porteurs, ressources mobilisées) et de l’application des algorithmes statistiques, il s’est agi de proposer une répartition des GAL en un certain nombre de classes intrinsèquement homogènes et suffisamment distinctes les unes des autres (figure 2). Pour ce faire, nous avons choisi la méthode de « classification mixte », dont l’objectif est de maximiser les variances interclasses tout en minimisant les variances intraclasses. Le procédé consiste à :

  • premièrement, rechercher les groupements stables issus du croisement de deux partitions obtenues par classification ascendante hiérarchique (CAH) à partir de centres initiaux aléatoires ;

  • ensuite, effectuer une CAH à partir des centres de gravité de ces groupes stables et sélectionner la meilleure coupure de l’arbre ascendant hiérarchique correspondant à un saut important de l’indice de niveau et produisant des classes homogènes et bien séparées ;

  • enfin, consolider la coupure choisie par une ultime CAH réalisée à partir des centres de gravité des classes de la coupure.

FIGURE 2

Formes de coordination de l’action locale en faveur des projets touristiques dans les GAL du Languedoc-Roussillon (2007-2013)

Formes de coordination de l’action locale en faveur des projets touristiques dans les GAL du Languedoc-Roussillon (2007-2013)
Source : Réseau rural français, 2020 | Conception : ART-Dev UMR 5281, CNRS, 2017

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Pour chaque classe des typologies réalisées, on peut trier les indicateurs de type continu dans l’ordre de leur importance dans la caractérisation en calculant la distance entre leur moyenne dans la classe et leur moyenne générale, tout en tenant compte de leur variance dans la classe. Pour un indicateur X et une classe k, la quantité Tk(X), dite « valeur-test » permet d’évaluer cette distance en nombre d’écarts‑types d’une loi normale :

avec :forme: 2213364.jpg

= moyenne générale de X

- s²(X) = variance empirique de X

- n = effectif global

- nk = effectif de la classe k

forme: 2213365.jpgk = moyenne de X dans la classe k

- sk²(X) = variance de X dans la classe k = forme: 2213366.jpg

La valeur-test mesure la similarité entre indicateur et classe. Plus la valeur-test est élevée, plus l’indicateur est caractéristique de la classe. Le seuil communément admis est de 2.

L’action locale de développement se présente d’abord sous la forme d’une initiative des acteurs publics dans le cadre d’un pilotage municipal, prédominant (figure 2, type 1) ou en lien étroit avec le milieu associatif (type 4). Celui-ci se concentre sur les équipements touristiques de type générique et caractérise les zones les plus en difficulté et les moins intégrées à la dynamique économique régionale de métropolisation et de «résidentialisation».

En parallèle, un pilotage qui implique davantage le monde des associations (type 2) s’est affirmé dans un certain nombre de GAL, dans lesquels les initiatives concourent à la conversion et à l’extraversion de l’économie régionale par la spécification des ressources locales dans des zones en situation économique intermédiaire ou contrastée. Les comités de programmation des GAL prennent davantage en compte les projets proposés par les associations, en les sélectionnant et en leur accordant le financement nécessaire.

Le pilotage entrepreneurial (type 3) se distingue par la capacité du secteur privé à se greffer sur la dynamique mise de l’avant par les institutions publiques : les entreprises développent des activités de production et de service, créent de la valeur ajoutée en utilisant les labels territoriaux certifiés par les institutions nationales (Appellation d’origine contrôlée [AOC]) ou régionales (Parc naturel régional [PNR]), et créent alors des actifs spécifiques. Il s’agit généralement de régions LEADER qui épousent le périmètre des PNR préexistants (comme en Camargue ou dans le Haut‑Languedoc). Ces derniers ont généralement un effet structurant sur la composition des GAL et sur la conception de leurs stratégies de développement, souvent orientées vers les entreprises. L’action publique locale est en partie liée, de manière plus ou moins dépendante, aux démarches institutionnelles préexistantes. À titre d’exemple, la société Avène, spécialisée dans la production de produits cosmétiques en Haut-Languedoc, est largement impliquée dans les projets LEADER de protection et de valorisation de la ressource en eau, domaine que la charte du PNR a priorisé dès 1980. Cette implication dans le développement local lui permet de bénéficier de soutiens financiers croisés, y compris de l’État par l’entremise du ministère de l’Environnement.

Dans certains cas, la démarche LEADER se concrétise par l’association étroite et équilibrée de l’ensemble des forces vives du milieu rural (type 5). Les acteurs institutionnels (communes et communautés de communes principalement), associatifs et entrepreneuriaux mobilisent tous les types de ressources locales, des ressources principalement de type spécifique dont la valorisation constitue une rente de qualité territoriale. Ce pilotage concerne une zone rurale située en périphérie de la principale agglomération urbaine de la région (Montpellier ) et qui semble bénéficier d’une situation d’intégration à la dynamique de métropolisation, de mobilité résidentielle et de diffusion de l’économie présentielle.Cette observation semble majorer le rôle des facteurs externes dans le changement rural. Les processus de conversion de l’économie rurale semblent dépendre de la proximité urbaine, tandis que les initiatives endogènes semblent sous influence.

Échelle locale : formes d’application de la démarche LEADER

Ce constat peut être nuancé par l’approche monographique que nous choisissons ici de cibler sur deux régions LEADER, Pays Coeur d’Hérault et Pays Pyrénées Méditerranée, parce que ce sont deux territoires marqués par de forts gradients de densité, d’accessibilité et d’activité, et représentatifs de l’hétérogénéité socioéconomique des territoires ruraux de la région Languedoc‑Roussillon.

La localisation et le type de projets touristiques montrent tout d’abord que le programme LEADER tend à concentrer les initiatives et les financements dans les zones rurales les plus dynamiques. Il s’agit des campagnes les plus « résidentialisées » par l’étalement urbain où les projets touristiques prennent la forme de création de zones de loisir et de création ou de rénovation d’hébergement. Il s’agit également des bourgs-centres et des petites villes où les projets touristiques sont les plus diversifiés. Au contraire, dans les territoires marginalisés, dans les espaces ruraux en difficulté, on mesure un effet de dispersion des projets et de saupoudrage du financement, tandis que les initiatives tendent à se concentrer sur des actions d’équipement, d’aménagement d’espaces publics, de rénovation ou d’infrastructures. On observe clairement une situation d’asymétrie et d’inversion entre la répartition des projets et celle des volumes de financement. Cette situation suscite des interrogations sur la coordination de l’action locale: quelles sont les ressources mobilisées pour les projets, quels sont les acteurs qui portent les projets ?

La démarche LEADER oppose ici deux logiques de mobilisation des ressources : une logique de sectorisation et une logique d’association ou d’intégration des ressources du développement du tourisme rural. La logique de sectorisation intéresse en partie seulement les campagnes « résidentialisées », comme celles situées au nord de l’agglomération de Montpellier, pour des ressources très liées à la périurbanisation et à l’économie résidentielle. Mais la logique de sectorisation intéresse surtout les zones les plus marginalisées.

Dans le Pays Coeur d’Hérault, les projets sont construits sur des ressources sociales[6] de type générique (équipements, infrastructures) et des ressources environnementales qui peuvent être de type spécifique, à partir du moment où s’est effectuée une démarche de patrimonialisation par l’intermédiaire d’un PNR ou d’une opération de valorisation d’un grand site naturel ou architectural. La démarche s’engage dans la protection des milieux naturels, des paysages, du bâti vernaculaire et de l’architecture remarquable pour développer des produits et des services touristiques labellisés.

Dans le Pays Pyrénées Méditerranée, les projets touristiques valorisent davantage les ressources spécifiques par la patrimonialisation des paysages montagnards, mais la logique reste sectorisée par la création de produits ou de services touristiques sans lien direct entre eux, sans la véritable plus-value qu’on pourrait trouver dans un panier de biens. Cette opposition entre logique de sectorisation et logique d’intégration des ressources contribue à expliquer, mais en partie seulement, la situation d’asymétrie constatée précédemment.

Dans les deux GAL de notre étude, les situations sont très différenciées et opposent une nouvelle fois les arrière‑pays aux espaces ruraux « résidentialisés ». C’est une forme de leadership ou de monopole institutionnel qui s’est imposée dans les zones marginalisées ou en difficulté, d’autant que l’initiative communale ou intercommunale est souvent associée à l’action associative, ou s’appuie directement sur l’action associative, dans la mesure où les structures associatives servent de relais à l’action des municipalités (association de développement économique dans le Pays Coeur d’Hérault, mais aussi pays d’art et d’histoire dans le Pays Pyrénées Méditerranée).

À l’opposé, l’initiative entrepreneuriale est très présente dans les campagnes périurbanisées, tandis que l’initiative issue des associations proprement dites vient de la présence locale des grandes fédérations nationales (Fédération de pêche en Vallespir, Fédération de tourisme équestre à Saint‑Guilhem‑le‑Désert) ou de la présence d’un seul acteur associatif, comme une association de produits de terroir sur le plateau du Larzac. Seul le tissu socioéconomique des bourgs‑centres, qui se maintient parfois difficilement, autorise l’association des initiatives venues des trois sphères de la société locale. De nombreux travaux ont montré le rôle structurant des bourgs‑centres dans les espaces ruraux de faible densité, grâce en particulier à l’offre de services à la population (commerces, services publics, services de santé) (Talandier et Jousseaume, 2013).

Formes de coordination de l’action locale en faveur du développement touristique

Si l’on croise, en dernier lieu, les types d’acteurs impliqués avec les ressources activées, on peut caractériser et cartographier les formes de coordination de l’action locale de développement (figures 3 et 4). Dans les zones rurales en marge ou en difficulté, la démarche LEADER se caractérise principalement par le pilotage municipal de l’action de développement touristique. Souvent appuyée sur des structures associatives, elle se focalise sur la création ou sur la rénovation des équipements et des infrastructures touristiques, c’est‑à‑dire sur des ressources de type générique. Elle ne se tourne que partiellement vers la valorisation des patrimoines culturel et naturel, ce qui, dans ce cas, traduit plutôt une démarche de spécification des ressources rurales.Cette dynamique de spécification des ressources et de diversification de l’activité touristique est favorisée par des facteurs géographiques et par des facteurs sociaux, en grande partie liés: les premiers procèdent, d’une part, de l’amélioration de l’accessibilité des lieux et des sites (axe méridien de l’autoroute A75 en Languedoc, axe de piémont et de vallée en Roussillon) et, d’autre part, de la présence d’un bourg‑centre qui polarise des activités économiques. Le rôle de ces facteurs géographiques est majoré par celui de facteurs sociaux : ceux‑ci s’expriment par la capacité des acteurs sociaux à s’impliquer dans la démarche de développement local et à organiser des réseaux de coopération, ce qui, sur le plan théorique, constitue un capital social. On constate que la démarche LEADER facilite l’activation du capital social dans les bourgs-centres, mais que la construction de réseaux est plus délicate dans les communes plus isolées ou en déprise. Néanmoins, dans ces communes, la démarche peut devenir un facteur d’innovation et d’intégration socioéconomique des marges rurales.

Les typologies sur les formes de coordination de l’action locale en faveur des projets touristiques LEADER (2007‑2013) dans les GAL Pays Coeur d’Hérault et Pyrénées Méditerranée (figures 3 et 4) ont été réalisées selon la méthode présentée précédemment.

FIGURE 3

Formes de coordination de l’action locale en faveur des projets touristiques LEADER (2007-2013) dans le GAL Pays Coeur d’Hérault

Formes de coordination de l’action locale en faveur des projets touristiques LEADER (2007-2013) dans le GAL Pays Coeur d’Hérault
Source : Sydel du Pays Coeur d’Hérault, 2020

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FIGURE 4

Formes de coordination de l’action locale en faveur des projets touristiques LEADER (2007-2013) dans le GAL Pyrénées Méditerranée

Formes de coordination de l’action locale en faveur des projets touristiques LEADER (2007-2013) dans le GAL Pyrénées Méditerranée
Source : PPM, 2020

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Toutes les variables utilisées sont issues de l’exploitation des fiches des différents projets touristiques des deux GAL (porteurs, ressources mobilisées) ainsi que de leur localisation dans les communes formant le partenariat.

Conclusion

Notre travail a montré que les effets de contexte géographique jouent à la fois sur la mobilisation des acteurs et sur la conception des projets. Les structures spatiales tendent à différencier les stratégies d’acteurs et l’orientation de l’action publique. Les faibles densités, l’éloignement et la crise sectorielle des activités économiques créent des conditions locales qui conduisent souvent les GAL à privilégier des actions d’équipement et à utiliser le programme LEADER comme un outil de rattrapage. L’amélioration de l’accessibilité et l’ouverture des économies locales à la fréquentation touristique favorisent plutôt la fédération des acteurs locaux, les formes nouvelles de gouvernance et la construction de ressources nouvelles à partir de la valorisation des patrimoines naturel et culturel. La proximité urbaine et l’influence métropolitaine orientent les GAL vers des démarches qui participent au développement d’une économie rurale de type résidentiel, structurée par les activités de services de loisir tournées vers les nouvelles populations résidentes, comme le montre, par exemple, la situation aux alentours de Montpellier, dans le GAL Pays Coeur d’Hérault.

Le jeu des structures spatiales est un facteur de différenciation des stratégies de développement, mais il ne détermine pas de manière absolue les formes de l’action publique. Ce travail a montré aussi que la démarche LEADER procède d’un apprentissage de normes d’action par les acteurs locaux. Selon l’ancienneté et la composition du GAL, cet apprentissage social est différencié et détermine la capacité d’action engagée dans la conception de la stratégie et des projets. Les situations de leadership ou de monopole des processus de décision par une partie des membres du GAL débouchent plutôt sur des actions sectorielles, conduites selon une logique de guichet. Par contre, la diversité et la coordination des initiatives majorent la capacité d’action en faveur du développement territorial: la composition et le mode d’action du GAL créent une situation de gouvernance locale qui favorise la valorisation de ressources nouvelles et l’intégration des économies locales au système global.

Les effets de contexte et le rôle du capital social mettent alors en question la manière de concevoir la politique publique de développement en faveur des territoires ruraux en difficulté. Au moment où s’engagent les négociations sur les nouvelles orientations du pilier rural de la PAC, se pose la question de l’efficience de la politique publique: la prescription de priorités stratégiques est-elle un levier ou un frein pour les initiatives endogènes en faveur du développement territorial ? Le programme LEADER 2014‑2020 ne prescrit pas de priorités stratégiques de ce type. Les GAL définissent leurs propres priorités de développement. L’efficience de la politique publique dépend alors pleinement des formes de coordination de l’action locale. Or, les inégalités de contexte socioéconomique et l’inégale capacité des GAL d’activer le capital social tendent paradoxalement à diluer les initiatives endogènes en matière de développement rural et à concentrer l’innovation sociale en faveur de certains territoires. Des études réalisées sur le programme LEADER 2014‑2020 établissent ce constat (Lacquement et Chevalier, 2020). Ces inégalités font partie des limites que pointent les détracteurs de la démarche LEADER pour la remettre en cause, mais aussi pour promouvoir une reconcentration des crédits en faveur d’interventions descendantes et sectorisées. C’est là que se situe l’enjeu principal des négociations actuelles sur l’avenir de ce programme européen.