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L’ouvrage de Philippe Dugot, professeur à l’Université de Toulouse, a été réalisé avec le soutien financier du partenariat Hubert Curien « Maghreb », du ministère des Affaires étrangères et du Développement international français, et des ministères de l’Enseignement et de la Recherche scientifique algérien, marocain et tunisien, dans le cadre du projet MONDISMAG N° 16MAG18. Ces précisions annoncent le cadre de construction de l’étude de la place du commerce dans la ville durable conçue comme une pièce centrale en urbanité et en urbanisme pour des études géographiques. Le titre de l’ouvrage, dans ses contextes de la fabrique de la ville durable, suggère que les acteurs territoriaux interagissent pour que le commerce et l’urbanisme commercial participent à la durabilité de ces territoires tout en faisant, des dynamiques propres aux commerces, des phénomènes indissociables des réalités de l’urbanisation. La production de l’urbain présente alors des temporalités longues, variables et modulables, lesquelles sous-tendent des interrogations quant à la place tenue ou accordée à l’urbain dans les perspectives de développement durable et les implications pour l’urbain en devenir.

L’articulation en quatre thèmes participe à une lecture évolutive des facettes de l’urbain retenues pour soutenir la démonstration corrélée aux faits commerciaux. L’ouvrage est jalonné de quelques figures et de rares cartes. Philippe Dugot annote richement ses développements afin que les lecteurs puissent vérifier et utiliser les références présentées. L’objet d’étude qu’est le commerce pour ses emprises au coeur de l’urbain est largement défini. L’auteur démontre qu’il est une activité structurante de tous les tissus urbains. Cette activité témoigne de l’évolution des sociétés dans leurs territoires et de leur production des formes d’urbanisme. Les destructions par abandon ou par réorientation sont présentes. Elles donnent l’image d’un objet vivant qui n’est pas figé, mais qui, sous l’impulsion de ses créateurs, doit s’adapter aux réalités du moment pour demeurer rentable.

Dans le deuxième thème, Dugot présente la nature consumériste et mercantile des activités commerciales afin de montrer que le gain et la rentabilité guident les implantations commerciales. Ces dernières, sous l’impulsion des concepteurs, évoluent pour conquérir des parts de marché matérialisées par des établissements et la mise en oeuvre de toutes les ressources disponibles, à l’image du commerce en ligne qui participe à la disparition des commerces de proximité ; cette disparition est largement causée par la grande distribution implantée aux portes des centres urbains avec des établissements connectés efficacement aux réseaux routiers.

Le troisième aspect fait la part belle aux forces en présence, où les commerces de détail et ceux de consommation de masse se trouvent en tension, où la spéculation et le poids des intermédiaires viennent inciter les investisseurs à la concentration, bien que les conséquences pour l’environnement soient parfois des plus néfastes. Dans la dernière partie, Philippe Dugot met en question les dynamiques possibles d’un urbanisme commercial qui doit composer avec les législations sans nuire aux aspirations individuelles ainsi qu’à la propriété privée. Les actions durables des établissements commerciaux doivent répondre aux règles tout en s’adaptant au foncier et aux paysages auxquels sont attachés les citoyens. Par ailleurs, il indique que, sans le volontarisme des acteurs en présence, le développement durable ne peut pas être efficace, d’où la nécessité de concevoir des outils plus efficaces pour tendre vers la durabilité. En outre, est admise la relative fragilité fonctionnelle du concept de développement durable pour lequel des dysfonctionnements surgissent lors de sa mise en oeuvre.

À titre personnel, au regard de la somme et de la densité de la démarche d’exposition, de compilation et de commentaire, je ne remets pas en cause le travail de nature universitaire. En revanche, « la fabrique de la ville durable », dont l’objectif annoncé est un développement urbain soucieux de durabilité, demande pour des géographes qui oeuvrent dans cette perspective de laisser le « vivre ensemble », lequel n’est que juxtaposition d’individus pour tendre vers la convivance plus astreignante. L’auteur emploie fréquemment le terme « urbanité ». Ce dernier sous‑tend l’existence de la « géographicité », la nature de notre rapport au monde, afin d’entrevoir le monde des possibles en relation avec ceux qui constituent la réalité. Ce concept est occulté. Les liaisons entre le développement durable et la durabilité sont inscrites dans les doctrines mercantilistes largement exposées tout au long de l’ouvrage, alors que la durabilité est beaucoup plus exigeante que le développement durable entaché, dans les pratiques contemporaines, du rôle de vecteur d’opportunisme. La notion d’interface n’est pas employée alors qu’elle est en relation étroite avec les territorialités et les territorialisations, elles aussi absentes. Pour une mise en valeur respectueuse de l’intérêt des parties en présence, il est impératif que le concept de moindre contrainte soit inclus dans la démarche, ce qui n’est pas le cas ici. Enfin, l’analyse systémique de durabilité manque à un ouvrage qui devrait permettre de proposer des pistes d’implication pour les institutionnels et surtout pour tous les chercheurs, notamment en géographie, en prenant appui sur une trame méthodologique projective.

Néanmoins, la lecture et l’appropriation des informations compilées dans ces pages mettent à plat le monde qui a été construit, ainsi que les dysfonctionnements inhérents à l’urbain dans ces implantations commerciales, d’où sa nécessaire connaissance et sa prise en considération pour l’élaboration d’entreprises porteuses de durabilité. L’intérêt de cet ouvrage est, pour tout étudiant en géographie qui aspire à embrasser à bras‑le‑corps l’objet commerce ou l’urbanisme commercial, voire pour tout curieux des faits commerciaux au coeur de l’urbain avec les dynamiques produites par les acteurs que sont les producteurs et les consommateurs, d’exposer l’étude des potentialités des recherches à entreprendre dans ces domaines, en particulier pour tendre en direction d’une ville durable et de la durabilité espérée. Bien que succinctes, les pistes proposées sont des jalons qui méritent une attention soutenue pour tester leur faisabilité et leur pertinence dans différents contextes, tout en utilisant la profusion d’informations mise en relief par l’auteur. En outre, ce dernier insiste sur le rôle des sociétés, productrices d’un urbanisme qui, pour être durable, doit être conçu en incluant tous les constituants, lesquels lui donnent sa texture en concevant l’urbain d’après-demain.