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Cet ouvrage vient à son heure pour éclaircir, de manière théorique et concrète, les modalités de conduite et les effets induits de la démocratie participative, mobilisée, rappellent les deux codirecteurs dans leur introduction, et ce, à la fois pour combler un déficit supposé de légitimité de la fonction politique et pour examiner dans quelle mesure une de ses modalités d’application – le débat public – peut répondre aux aspirations quotidiennes de plus en plus « pluralistes » des populations à travers le monde.
L’ouvrage comprend 13 chapitres, répartis en 3 grandes sections (« Transformations sociales et controverses publiques » : 5 chapitres ; « Institutions, médias et actions publiques » : 4 chapitres ; « Mobilisations sociales et démocratisations » : 4 chapitres) auxquelles ont contribué 18 auteurs (hommes et femmes).
L’objectif du livre est de faire comprendre dans quelles conditions se déroulent un ou des débats publics sur des questions de société, sur des thèmes en rapport avec la défense ou la valorisation de l’environnement, à propos de la mise en place de politiques publiques locales. Plusieurs des contributions analysent les effets de démocratisation qu’entraînent l’organisation de formes variées de débats publics, les différentes configurations de médiation des rapports de force et des jeux d’acteurs, ainsi que la place de l’expertise sociale, thématique, scientifique, mobilisée dans chacun des cas présentés. L’ensemble des textes présente un double niveau de lecture : tout d’abord, un état de l’art sur le thème traité, que celui-ci soit l’accès à l’eau, le contrôle des aspects de sécurité routière, la place de l’expertise dans les sociétés complexes et connectées contemporaines, ou celle des acteurs-décideurs du secteur agroalimentaire dans le cas de l’analyse des luttes des opposants aux organismes génétiquement modifiés (OGM). Dans un deuxième temps, chaque auteur s’attache à disséquer les modalités de débat public – et ses aléas – consécutif à l’apparition d’un nouveau thème environnemental – la majorité des textes y font référence – ou d’une nouvelle politique publique locale décidée par un exécutif local.
Peut-être cet ouvrage, qui fera date, manque-t-il encore de mise en contexte territorial pour expliquer la variété des débats publics décrits, mais ceci pourra faire l’objet d’analyses ultérieures et n’enlève rien à sa qualité. Car nombre de contributions soulignent aussi les réticences, les freins, les oppositions même, pour instaurer des formes classiques ou alternatives de démocratie locale, notamment de la part des administrations municipales.
Et si la plupart des auteurs constatent les effets limités des propositions des habitants, citoyens, acteurs mobilisés dans le cadre de divers débats, vis-à-vis d’intentions ou de projets proposés par les pouvoirs institutionnels peu enclins à les remettre en cause, ils insistent sur ce qui apparaît le plus important à leurs yeux au sein de ces démarches : une culture de la participation appropriée par le plus grand nombre, étayée par des connaissances scientifiques et « habitantes » partagées, et qui placent les citoyens plus près d’un pied d’égalité avec les pouvoirs publics.
On ne peut présenter ici, de chacune des 13 communications, que l’aspect le plus en rapport avec le titre et le sous-titre de l’ouvrage : « Action collective, expertise et démocratie ».
Le premier texte, de visée plus théorique, porte sur le devenir des espaces publics dans les métropoles, traversées par des flux, gouvernées par de « multiples réseaux, groupes, sous-systèmes », espaces qui, aux yeux des acteurs, pourraient incarner les lieux indispensables d’appropriation collective, où pourraient se dérouler des productions artistiques jouant le rôle de médiation sociale entre les habitants d’un territoire donné. Tout cela en se demandant si le statut de « performance artistique » n’est pas de même nature que le marketing urbain à l’oeuvre dans la plupart des villes du monde, aujourd’hui.
Les auteurs de la deuxième contribution s’interrogent sur le concept de mixité sociale, en insistant sur ce que qu’il cache : des controverses en matière d’éducation ou de gestion des équipements publics, par exemple, ensevelies sous l’intérêt non démontré de l’hétérogénéité sociale, jusqu’ici peu favorable aux échanges équilibrés entre classes moyennes et classes populaires. Les auteurs reconnaissent le mérite du concept sur un autre plan, plus politique et réglementaire, comme celui de faire respecter, en France, la part de construction de logements sociaux dans les programmes immobiliers des communes de plus de 3500 habitants.
Dans l’exemple en provenance du Brésil, au chapitre suivant, on s’intéresse aux conditions d’exercice des services d’accès à l’eau potable en montrant des conceptions très différenciées entre une gestion marchande et une autre, prisée par les habitants des quartiers défavorisés des villes, favorisant un accès pour le plus grand nombre, support d’un « droit à la citoyenneté » plus large. Et les auteurs montrent l’« acceptation difficile », par les gestionnaires des services publics de l’eau, de l’inclusion d’usagers dans les modes de gestion et l’asymétrie des pouvoirs qui en résulte. La démarche est de même nature concernant le contrôle de la sécurité des routes au Québec : ce contrôle fait l’objet d’une « recentralisaton » par l’État canadien, ce qui, pour l’auteur, traduit non seulement une entorse à la décentralisation, mais s’accompagne aussi d’une limitation des possibilités de débat public par un mode d’exercice du pouvoir vertical et à distance de la part du même État.
Dans le cinquième chapitre, l’auteur porte un regard critique sur le contenu de la sociologie de l’expertise développée jusqu’à aujourd’hui pour souligner notamment l’importance de l’« expertise publique » constituée de l’association de citoyens et d’acteurs sociaux, trop peu étudiée à ses yeux. Celle-ci peut évoluer vers le concept plus large d’« expérience » ou de compréhension des modes d’expertise en « contexte social », de sorte que les formes de débat public viennent éclairer les controverses environnementales qui s’associent bien, conclut l’auteur, pour former une « cosmopolitique », c’est-à-dire un domaine où problèmes et solutions interagissent.
Le sixième chapitre commence la deuxième section de l’ouvrage par l’analyse des modes d’apprentissage des effets induits de la culture des organismes génétiquement modifiés (OGM) pour constater, selon l’auteure, comment toute décision « précautionniste » entraîne un doute au sein des populations concernées et renforce une attitude négative à l’égard des OGM. La rédactrice rejoint l’analyse développée au chapitre neuf. Elle constate que la contre-expertise citoyenne dans ce domaine, souvent étayée scientifiquement, « risque de décrédibiliser aussi les élus », au sens où tout pouvoir institutionnel est suspecté de défense des intérêts des grands décideurs économiques.
Dans le septième chapitre, le débat public, en tant que ressource cognitive, fait l’objet d’une analyse comparée entre le Québec et la France. L’auteur y souligne trois enjeux : la faible amélioration, par les citoyens et les associations, de projets déjà choisis de facto par les institutions locales ; le positionnement ambigu des États qui devraient se comporter comme un tiers impartial lors des controverses environnementales ; l’usure des formes de participation citoyenne quand elles sont trop étalées dans le temps. D’autant, et c’est ce qui est souligné dans le chapitre suivant, que les acteurs institutionnels n’ont pas vu leur pouvoir réduit par l’intervention massive des médias dans le champ public.
Les quatre chapitres suivants, qui composent la troisième section, s’attardent d’abord sur les modes de concertation menée dans le cadre de l’évolution du Plan de mobilité durable de la Ville de Québec, montrant que les expressions citoyennes sont parfois mieux entendues par les autorités locales quand elles s’exercent en dehors des dispositifs participatifs. Puis le onzième chapitre trace un bilan plutôt positif des participations habitantes dans les processus locaux de décision, par la multiplication des scènes de mobilisation que ces participations installent, ce qui rend néanmoins la démarche plus complexe à gérer pour tout le monde. Et malgré l’irrégularité des échanges numériques, analysés dans le chapitre suivant, on entrevoit bien, grâce à l’apport du dernier chapitre, ce qu’apporte, pour l’intérêt général, la « construction d’espaces de possibilité où les acteurs peuvent devenir des agents autonomes ».
Les effets du temps et des nouvelles temporalités propres à la participation citoyenne et à la décision publique locale ne sont pas abordés en tant que tels dans cet ouvrage de synthèse, mais apparaissent bien pourtant en filigrane des textes proposés, au moins de trois manières : la question de l’usure de la participation déjà évoquée ; celle du caractère souvent éphémère des implications des habitants dans la conduite des débats publics institutionnels ; et les temps d’apprentissage partagés nécessaires pour que débat public et controverses s’accordent bien dans leurs rythmes au bénéfice de politiques publiques locales plus complexes à concevoir.