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Le titre de l’ouvrage ne reflète pas le contenu auquel un lecteur européen pouvait a priori s’attendre, c’est-à-dire un propos universel et des analyses de portée plus large sur la gouvernance des régions en général. De façon analogue, le développement régional lui-même n’est pas strictement défini ; il est appréhendé principalement par l’urbanisation, la croissance démographique, l’importance et la variété des activités économiques. Mais, passé ce premier effet de surprise, nous avons découvert dans le livre de Marc-Urbain Proulx un formidable exposé sur la dynamique territoriale régionale et municipale au Québec, un diagnostic exhaustif fondé sur une connaissance historique approfondie, sur de multiples observations empiriques, notamment statistiques, relayées par des schémas et une cartographie riche et pédagogique. On y trouve également un ensemble de propositions pour relancer à bon escient, et dans un esprit d’intérêt collectif, le développement des régions périphériques du Québec sur des bases nouvelles (de transition, d’innovation, de résilience). Nous y avons trouvé une vision aussi précise que globale du développement géoéconomique québécois, avec les principes directeurs de sa prise en main territoriale. Certes, quelques thèmes généraux sont traités, comme la planification territoriale, le processus territorialisé de l’innovation, les clusters et leurs effets de proximité, mais l’ouvrage est consacré en priorité aux régions et municipalités régionales de comté (MRC) du Québec. Le lecteur comprend alors que, même s’il existe des principes et des modèles de développement généralisables, le développement régional est toujours contextualisé.

Une démarche fondée sur des théories, mais également sur une connaissance fine du terrain, des populations et des entreprises

Des idées maîtresses et des axes de réflexion structurent l’ouvrage : la démographie comme principal indicateur de développement, l’idée de freins et de leviers au développement ou encore l’animation, la concertation et le partenariat comme fils directeurs. Chacun des 17 chapitres déploie son lot de données institutionnelles et historiques, de concepts empiriques et théoriques, d’analyses nuancées, de sorte qu’il n’est pas aisé d’en donner un résumé. Nous nous en tiendrons à quelques constats forts, traversés par une question centrale : comment concevoir et organiser le développement territorial, avec quels schémas stratégiques, quels outils, quelles pratiques, quelles institutions, quels degrés de décentralisation et de coordination ? Ce sont les régions et les MRC qui seront le fer de lance du redéveloppement. Cependant, plusieurs conceptions de l’appropriation territoriale s’affrontent, en particulier celle du développement communautaire (proche du développement local en Europe) et celle plus strictement économique, entrepreneuriale et industrielle, à dominante urbaine, davantage prisée par les milieux d’affaires.

L’accent est mis sur les nombreux acteurs qui opèrent aux côtés des entreprises. L’auteur s’appuie sur une connaissance patiemment accumulée des lieux, des espaces, des ressources, des organisations et des stratégies. Au Québec, les institutions de médiation en charge du développement territorial ont été, dans un premier temps, centralisées, caractérisées par des relations verticales (Office de planification et de développement du Québec – ODPQ – 1968-1992, ministère des Régions) avant d’être déconcentrées (bureaux multifonctionnels de Services Québec, commissaires industriels, sous-ministres adjoints en région, délégués régionaux) puis décentralisées (gouvernements régionaux). L’auteur évalue les acquis et les limites de chacun de ces dispositifs.

Un ouvrage de ce type est extrêmement précieux, car il rassemble, sur un vaste territoire qui a sa cohérence géographique, économique et politique propre, une somme considérable de connaissances et d’expériences en géographie économique (la localisation des activités) et en économie géographique (la dynamique spatiale). L’auteur a rassemblé des analyses et des travaux qui portent principalement sur la dynamique urbaine du Québec et sur les mécanismes de développement des régions périphériques. L’introduction rappelle à juste titre le caractère polysémique du concept de région et les différentes typologies qui s’efforcent de lui donner une consistance en sciences sociales et en économie régionale. L’ouvrage est centré sur les 15 régions administratives québécoises (hors région de Montréal et régions de peuplement initial) et sur un bon millier de municipalités qui les polarisent et donnent au Québec son armature urbaine polycentrique particulière. De fait, les régions au Québec font face depuis une cinquantaine d’années aux mêmes phénomènes qu’on observe ailleurs dans le monde : variations des cycles économiques mondiaux, perte d’emplois industriels, pressions sur les ressources naturelles et exigence écologique, désengagement des gouvernements centraux, avènement d’une économie de la connaissance basée sur l’innovation, etc. Néanmoins, leur situation géographique, leur démographie, conduisent les régions périphériques à reconsidérer aujourd’hui différemment leur schéma de développement pour échapper à l’extractivisme.

La spécificité des régions périphériques du Québec

Avec, entre autres, ses 11 nations autochtones et ses 400 000 lacs, le Québec n’est évidemment pas un territoire simple et homogène. Administrativement, il est constitué, d’une part, de régions fortement densifiées du point de vue de la démographique et des activités économiques (en gros le pourtour du Saint-Laurent occupé depuis la fin du XVIIIe siècle et ses extensions vers le sud, l’ouest et l’est) et, d’autre part, d’un ensemble de six vastes régions périphériques[1]. Ces grandes régions périphériques très fortement dotées de gisements divers et de ressources naturelles (forêts, ressources halieutiques, mines de fer, de métaux divers, diamant, or et sources d’énergie diverses, etc.) sont polarisées de manière variable et instable, exploitées à partir d’avant-postes et de longs corridors de pénétration. Leurs richesses sont très convoitées, mais leurs territoires sont négligés. L’armature urbaine du Québec n’est pas stabilisée. Une grande partie de ce vaste territoire connaît encore des transformations profondes, sous la forme de phases d’expansion et de contraction. Depuis l’Europe, on peut hésiter à qualifier ces transformations incessantes qui voient certains territoires se polariser, certains pôles urbains se renforcer alors que d’autres s’étiolent. Est-ce le signe d’un dynamisme renouvelé ou, au contraire, celui d’une instabilité qui complexifie toute tâche de planification à long terme ?

Le rôle-clé des institutions de médiation et des personnes

Ce ne sont pas seulement les flux économiques, par nature instables, ou les populations (de plus en plus mobiles) et les dynamiques de polarisation (sources d’économies d’échelle) qui évoluent, se transforment, se reconfigurent, le plus souvent en suivant les mouvements mondiaux de la demande de ressources et de matières premières dont le pays est abondamment doté. Le nombre de municipalités, les intercommunalités, les découpages infrarégionaux et supracommunaux évoluent parallèlement.

Le développement régional est conditionné par une vaste panoplie d’institutions et d’acteurs. L’auteur s’est penché sur les principales réformes territoriales et les très nombreuses institutions de développement. Il les qualifie de « peu bureaucratisées, peu complexes, légères, agiles et flexibles », sachant cibler les besoins des clientèles spécifiques, capables d’adapter leurs expertises de manière à répondre rapidement aux besoins en évolution constante. Ces structures de la gouvernance territoriale polyvalentes ou sectorielles savent mobiliser les acteurs privés et publics ainsi que les ressorts de la société civile pour conduire d’innombrables opérations de médiation (ententes, exercices de prospective, concertations, conférences, sommets économiques). Elles mobilisent aussi les moyens de la démocratie participative et représentative (un certain nombre de préfets eux-mêmes sont élus au suffrage universel depuis 2001). Elles sont parfois contestées, car elles conduisent à un émiettement du processus décisionnel.

Dans tout le livre, Proulx s’emploie à mettre à jour les bonnes méthodes. Il déplore une baisse d’efficacité de la gouvernance, un ralentissement relatif des dispositifs, un déficit de vision globale, bien que certains progrès soient encore observés dans l’agriculture, les transports collectifs, l’environnement, le patrimoine, l’économie sociale, etc.

Au final, cet ouvrage érudit est passionnant. On peut en tirer quantité d’enseignements que le lecteur, nouvellement mais abondamment informé sur la situation spécifique du Québec, pourra sinon utiliser, du moins méditer dans d’autres contextes.