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Dans les dernières lignes de sa conclusion générale, l’auteur fait allusion à ces migrants africains qu’on voit presque tous les jours aux informations télévisées traverser la Méditerranée ou la Manche au risque de leur vie. Il écrit : « On a l’impression que les événements se répètent avec les deux grandes tragédies de l’histoire africaine, l’esclavage et la déportation du commerce triangulaire ». En fait, Joseph Diop, un Sénégalais d’origine, attribue l’échec des décennies d’efforts de développement aux aléas des relations internationales. Son ouvrage résulte d’une thèse en sociologie du développement, soutenue à l’Université de Rennes en 2018. Le lecteur y trouve un texte d’une grande clarté, dépouillé des exigences rédactionnelles propres à tout texte académique. L’auteur avait pour objectif de chercher à comprendre les mécanismes sociaux qui entravent le développement à partir de l’exemple d’une microrégion rurale située près de Thiès, à l’ouest du Sénégal. Une approche qualitative, consistant à interroger les acteurs-clés au sein du cas étudié, fut privilégiée. Ces derniers, dans la littérature récente, sont qualifiés de « parties prenantes », une expression ignorée par l’auteur pourtant bien documenté. À partir de leurs témoignages, il cherche à saisir pourquoi les pays d’Afrique en général, et le Sénégal en particulier, se trouvent toujours dans une situation de pauvreté. Des tentatives de réponses sont fournies à l’intérieur de trois parties.

La première partie, « Les cadres sociohistoriques du développement local au Sénégal », met en cause l’aide internationale. On connaît le vieux débat sur l’aide liée, dont le Canada à travers l’ACDI a offert une parfaite illustration. On ne s’étonne pas que l’auteur fasse allusion à « un jeu de marchandage dans lequel le donateur est avantagé, car la main qui reçoit est souvent en bas » (p. 22). On ne s’étonne pas davantage que l’auteur prenne à partie l’influence exercée par les ONG. L’enfer étant pavé de bonnes intentions, la remise en cause de leur mode d’opération remonte à la fin des années 1980. L’auteur cite un article du Monde de 2003 pour souligner que leur prolifération serait le pur produit de la mondialisation. Or, les ONG se sont vu offrir un boulevard d’interventions partout en Afrique avec les velléités de décentralisation manifestées à partir des années 1990. L’auteur ne peut éviter d’y faire allusion, car sans une décentralisation des instances gouvernementales supérieures, le développement territorial ne peut exister. Là-dessus, comme pour de nombreux concepts, Joseph Diop ne manque pas de citer une panoplie d’auteurs pour décrire les trois phases mises en évidence. La dernière, pour le Sénégal, remonte à 1996. Elle reconnaît la région en tant que collectivité locale. L’auteur y voit une avancée significative.

La deuxième partie, « Approche socioanthropologique du développement local : la pertinence du territoire », se situe au coeur de l’ouvrage. Or, le lecteur averti apprendra très peu, mises à part des références à des sociologues moins connus que les Alain Touraine, Guy Rocher et autres Michel Crozier cités ici. Valait-il la peine de se rapporter à des auteurs dont les thèses remplissent la section économique des bibliothèques universitaires ? Je pense aux trop célèbres « étapes de la croissance » de Rostow, sur lesquelles tout était déjà dit avant la fin des années 1960.

Diop se fait plus intéressant dans une section sur les formes alternatives de développement. Après s’être reporté à des auteurs tels Serge Latouche et le brésilien Celso Furtado, il évoque la nécessité « de replacer l’homme au centre du processus de transformation sociale des territoires » (p. 82). L’évocation du recours à un nouveau modèle n’est pourtant guère récente. En effet, elle remonte en France à l’avènement de la gauche au pouvoir en 1981. Au Québec, cette approche fut importée dans les années suivantes ; l’auteur en fournit la preuve en citant avec pertinence l’ouvrage, devenu un classique, du géographe Bernard Vachon publié en 1992. Mais comment définir le « local » ? Parler de territoire s’avère plus facile. Il voit dans l’approche territoriale « un réel regain d’intérêt pour les sciences sociales et pour les décideurs politiques en matière de développement » (p. 143). S’ensuivent des définitions à partir de différentes références, dont une attire l’attention. Il s’agit d’un article de Fabienne Leloup, ex-présidente de l’Association des sciences régionales de langue française (ASRDLF), cité pas moins d’une douzaine de fois (Leloup, 2010). Or, celui qui a le plus écrit sur les questions territoriales, Bernard Pecqueur, professeur émérite du département de géographie de l’Université de Grenoble, n’est cité timidement qu’à deux reprises. Et il faudra attendre la toute fin de l’ouvrage pour que son collègue et coauteur occasionnel, Claude Courlet, également reconnu comme un pionnier en la matière, soit cité à son tour.

Avec la troisième partie, « Le territoire de Fandène : réceptacle ou fabrique de développement ? », on obtient des commentaires tirés de l’interrogation d’une vingtaine d’acteurs, sans vraiment recevoir une réponse précise à la question soulevée. Est-ce l’incapacité de répondre à la question qui a conduit l’auteur à parsemer son texte de réflexions d’ordre conceptuel dégageant de malencontreux coq-à-l’âne de peu d’intérêt ? Alors que toute étude de cas s’accompagne de données socioéconomiques, l’auteur n’en fournit aucune. Ce n’est que grâce à un graphique d’une clarté peu évidente que le lecteur apprend que Fandène comprend trois villages. Joseph Diop se demande si l’étude du cas de Fandène peut soulever des perspectives théoriques pour d’autres territoires de développement. Bonne question. En d’autres mots, quelles leçons peut-on tirer des observations signalées ici ? Il va sans dire que, si plusieurs problèmes évoqués sont spécifiques aux us et coutumes des acteurs de la région concernée, certains lecteurs avertis trouveront des similitudes avec des problèmes rencontrés ailleurs. Car, comme le dit l’adage : « Là où il y a des hommes, il y a de l’hommerie ». En conséquence, certains problèmes évoqués ne sauront étonner le lecteur où qu’il soit.