Abstracts
Résumé
Cet article vise à poser quelques jalons pour mieux comprendre le droit à l’autodétermination et le droit à l’autonomie des peuples autochtones dans ses dimensions juridiques, politiques et économiques. Il s’attache à explorer leur signification respective de même qu’à mettre en lumière la diversité de leur manifestation concrète. Il aborde enfin le cadre et les limites de leur mise en oeuvre dans le contexte précis de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Mots-clés :
- droit à l’autodétermination,
- droit à l’autonomie,
- autonomie économique,
- peuples autochtones,
- Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones
Article body
Les articles 3, 4, 5, 18, 19, 23 et 34 enchâssent dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) des droits de trois types : le droit à l’autodétermination et le droit à l’autonomie des peuples autochtones, dont l’autonomie politique, sociale et économique, ainsi que le droit à la participation des peuples autochtones aux processus décisionnels. Ils mettent fin aux débats activés par les États membres visant à limiter l’exercice du droit à l’autodétermination par ces peuples (Blue Water Thesis; débat sur la terminologie « populations autochtones » versus « peuples autochtones » (Bellier 2019 : 7-9)). Ils ont aussi suscité l’importante résistance des États du Canzus (Canada, États-Unis, Nouvelle-Zélande et Australie) durant les négociations de la DNUDPA et au moment de son adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2007 (Lighfoot 2016 : 2). Ils s’inscrivent cependant dans la mouvance de dispositions et de résolutions plus anciennes, notamment les articles 1, 2 et 55 de la Charte des Nations Unies, les Résolutions 1514 et 2625 de l’Assemblée générale des Nations Unies et l’article 1er commun aux deux pactes internationaux, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Dans les lignes qui suivent et vu leur ancrage dans la DNUDPA, nous allons circonscrire deux notions, celles de droit à l’autodétermination et celle de droit à l’autonomie. Nous nous concentrerons sur ces deux notions sachant qu’il arrive qu’elles soient confondues. Pour sa part, le droit à l’autonomie sera abordé dans ses dimensions juridiques, politiques et économiques. Pour les fins de cet article, vu les développements et les nuances requises que nous n’avons pas le temps d’aborder ici, nous laisserons de côté le droit à la participation des peuples autochtones et ses interférences avec le droit à l’autodétermination et le droit à l’autonomie.
Le droit à l’autodétermination
Le droit à l’autodétermination est un droit collectif appartenant aux peuples, dont les peuples autochtones, permettant l’exercice du libre choix politique, économique, social et culturel pour ses titulaires, y compris en matière d’orientation des programmes sociaux et économiques (art 23 de la DNUDPA) et de structures institutionnelles et normatives (art 34 de la DNUDPA).
Plusieurs perspectives existent sur ce droit et quatre seront ici abordées pour mieux le comprendre. Premièrement, en droit international, il est généralement présenté à travers deux dimensions. L’une consiste en la dimension interne de ce droit. Elle conduit à l’exercice du libre choix à l’intérieur même des frontières de l’État déjà existant. L’autre, la dimension externe, inclut le droit pour un peuple de faire sécession pour se constituer en nouvel État ou pour fusionner avec un autre État. Bien que cette dichotomie soit contestée (Anaya 2006), elle révèle que la portée de ce droit varie sur un spectre et que plusieurs interprétations cohabitent. En la matière, les diverses interprétations données à l’article 3 de la DNUDPA sont démonstratives. L’une d’elles, particulièrement prônée par les États et leurs représentants (Daes 2008 : 15), veut que cette disposition soit interprétée en relation avec les articles 4 et 46 de la DNUDPA, n’enchâssant ainsi que la dimension interne du droit à l’autodétermination à celle qui consiste à s’autogouverner à l’intérieur même des frontières de l’État déjà existant. Une autre interprétation, très présente dans le discours des représentants autochtones ayant participé à la rédaction de la DNUDPA, n’exclut pas l’exercice d’un plein droit à l’autodétermination incluant sa dimension externe (Daes 2008 : 15), une avenue qui serait cependant peu recherchée par les peuples autochtones (Borrows 2016 : 222). Deuxièmement, le droit à l’autodétermination peut aussi être perçu comme un outil de justice distributive qui protège la « répartition juste des pouvoirs souverains » (Macklem 2015 : 29). Troisièmement, pour d’autres auteurs, le droit à l’autodétermination consiste en un droit inhérent, impulsé par et selon les valeurs autochtones. Il prend donc racine dans la volonté et les choix du peuple qui s’autodétermine et se fonde inévitablement sur « la revitalisation des traditions culturelles » et sur des relations de nations à nations nourries par la résurgence comme processus d’autodétermination et de décolonisation (Coulthard 2018 : 193). Enfin, selon une perspective relationnelle du droit à l’autodétermination, la liberté étant marquée par « les contingences contextuelles » (Borrows 2016 : 163 et 179), l’interdépendance avec les Autres (peuples, humains et plus qu’humains) et le contrôle des interactions qui en résultent, conduit le droit à l’autodétermination à prendre de multiples formes. Ce dernier peut se concrétiser tant par des actes de rébellion ou de résistance, que par des pratiques de coopération (Borrows 2016 : 100-102). Dans ce contexte, puisque l’autodétermination sert d’abord à avancer l’agentivité des peuples autochtones (Borrows 2016 : 164), il n’y a pas d’absolu. En fonction des contextes et du type d’interaction choisi, le droit à l’autodétermination peut se matérialiser par la coopération avec l’État ou en rupture avec celle-ci (Borrows 2016 : 179). En la matière, la position de John Borrows rejoint celle de Sheryl Lightfoot, pour qui :
“The new challenge, therefore, is to imagine and create means of Indigenous self-determination that do not revolve around or rely on state structures. This necessarily involves a decoupling of sovereignty from self- determination, which will eventually impact not only Indigenous peoples, but also all peoples. The wider implication is that self-determination can now mean something other than independent, territorial, sovereign statehood, although the formidable challenge is to create a new meaning that does not result in a diminished, second-class form of self-determination for Indigenous peoples. The meanings of both self-determination and decolonization are therefore evolving on the global level and Indigenous rights have an important role to play in the global conversation surrounding that evolution. Due to the intervention of global Indigenous politics, a future imagining of self-determination will likely involve sovereignties that may be plural and multiple, and political relations that are grounded in mutual respect and ongoing negotiated power relations”.
Lightfoot 2016 : 18-19
À la lumière de ces quatre perspectives, le droit à l’autodétermination peut ainsi s’exercer autant à travers un référendum de sécession, qu’à travers l’écriture d’une constitution fondée sur les traditions juridiques propres à la communauté qui rédige le texte sur la base de son droit inhérent, ou encore prendre la forme de la négociation libre d’un palier de gouvernance autochtone au sein d’un État déjà existant ou émaner de la participation aux institutions étatiques et de la participation équitable à l’économie nationale et mondiale. Ce ne sont là que quelques exemples. Toutefois, exercée sur la base de la DNUDPA, l’amplitude que pourra prendre la démarche d’autodétermination est encadrée par l’article 46 du texte, notamment par le respect de l’intégrité territoriale, de l’unité politique d’un État souverain et indépendant, des droits humains et des libertés fondamentales de tous, des principes de justice, de démocratie, d’égalité, de non-discrimination, de bonne gouvernance et de bonne foi. L’exercice de l’autodétermination étant façonné en fonction d’un contexte et d’une volonté propre, cela ne signifie pas d’emblée que cet encadrement le rend impossible tel que circonscrit. Cependant, les conditions inscrites à l’article 46, disposition névralgique, révèlent l’emprise des États sur la dernière mouture du texte, en particulier le Canada et ses alliés, et la place qu’occupe encore la préservation de leur souveraineté au sein de l’Organisation des Nations Unies (Léger 2007). L’arrimage entre cet article et le droit à l’autodétermination laisse ainsi place à de nombreuses questions. Par exemple, comment articuler l’article 46 de la Déclaration avec le droit pour tous les peuples issus de territoires non autonomes ou de tout autre territoire n’ayant pas accédé à l’indépendance « de jouir d’une indépendance et d’une liberté complète », prévu à l’article 5 de la Résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations Unies ? Cette résolution aussi appelée Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, adoptée dans un contexte de guerre de décolonisation sur le fondement de la Charte des Nations Unies, le 14 décembre 1960, par l’Assemblée générale des Nations Unies, prévoit aussi à son article 7 l’engagement des États de respecter les « droits souverains et […] l’intégrité territoriale de tous les peuples ». Comment, en moins de 50 ans, un tel engagement a-t-il glissé vers l’enchâssement d’un droit à l’autodétermination s’exerçant dans le respect de « l’intégrité territoriale ou l’unité politique d’un État souverain et indépendant » (DNUDPA, article 46(1)) ? En outre, en fonction de quelles perspectives — autochtones, étatiques — les notions de « démocratie », « d’égalité », de « non-discrimination », de « bonne gouvernance », de « droits humains », de « bonne foi » ainsi que les « principes de justice » sont-ils à interpréter ? Et, selon la perspective retenue, peut-elle contraindre un processus d’autodétermination ? Si oui, comment ?
Le droit à l’autonomie : aspects juridiques, politiques et économiques
La DNUDPA ne propose pas de définition du droit à l’autonomie. L’autonomie est, comme le montrent les diverses expériences à l’international, un concept relatif, variable, dépendant des contextes et des aspirations des groupes ou entités en présence. En clair, le concept d’autonomie est souple et flexible. Cela fait en sorte que l’évaluation de l’autonomie et la pleine mesure de sa signification juridique et politique demeurent parfois confuses (Loukacheva 2007 : 12). En effet, non seulement l’évaluation de l’autonomie est une question de degrés, mais aussi plusieurs sens peuvent lui être attribués (Lapidoth 1995 : 29). Dans nos travaux (Motard 2013), le droit à l’autonomie s’exprimant dans le cadre d’un État colonial s’évalue à l’aune de trois grands paramètres :
le caractère libre — dépourvu d’interférences par l’État — des décisions prises par le peuple ou de la communauté autochtone, incluant la manière de concevoir l’ordre juridique (« autonomie-liberté »),
la portée des responsabilités exercées (ex. : la juridiction personnelle — c’est-à-dire la capacité d’un gouvernement d’appliquer ses lois uniquement à certaines personnes sur la base de critères d’identité (un gouvernement autochtone qui n’appliquerait ses lois qu’à des membres de sa nation indépendamment de leur localisation, par exemple) — ou la juridiction territoriale — c’est-à-dire la capacité d’un gouvernement à appliquer ses lois à toutes personnes sur un territoire déterminé) et la capacité d’exercer ses responsabilités (« autonomie-compétence ») et
la nature égalitaire des relations avec l’État (« autonomie-égalité »).
Dans tous les cas de figure, il appartient avant tout au peuple autochtone de décider du degré d’autonomie qui lui permet d’exercer sa souveraineté inhérente (Motard et Nootens 2022).
Il faut dire toutefois que la DNUDPA épouse ces différents paramètres sans les nommer de manière explicite. Dans cette déclaration, le droit à l’autonomie comprend le droit générique d’être autonome dans les affaires locales et internes, ce qui comprend le droit de décider de ses représentants selon ses propres procédures, ainsi que d’avoir des moyens financiers autonomes pour se gouverner. Il faut relever ici la difficulté d’opérer une rupture nette entre les affaires locales et internes et les autres enjeux — les uns étant parfois intimement liés aux autres, comme peuvent l’être les questions touchant les changements climatiques pour ne donner que cet exemple. La limitation, dans le texte de la DNUDPA, aux affaires locales et internes pose aussi la question du droit des peuples et nations autochtones au prolongement de leurs responsabilités au-delà des frontières de l’État-nation colonial suivant, par exemple, le modèle mis de l’avant par la doctrine Gérin-Lajoie. Depuis 1965, cette doctrine met de l’avant « la volonté du Québec d’être un acteur sur la scène internationale dans ses domaines de compétence constitutionnelle » (Paquin et Chaloux, 2016 : 5). Selon cette approche, non seulement le Québec est-il constitutionnellement responsable de la mise en oeuvre des traités conclus à l’international, mais il aurait aussi la volonté de conclure lui-même des traités internationaux touchant ses champs de compétence. Poussées encore plus loin, ces réflexions nous amènent à penser le décloisonnement de l’État : comment, par exemple, les droits à l’autonomie et à la participation prévus à la DNUDPA peuvent- ils appuyer l’idée de la reconnaissance de la personnalité juridique internationale aux corps politiques intermédiaires que sont les peuples et nations ? Le droit à l’autonomie comprend enfin certainement le droit de préserver et de renforcer les institutions de gouvernance, incluant les traditions et ordres politiques et juridiques qu’elles sous-tendent, et de se développer socioéconomiquement, politiquement et culturellement. Ce droit comprend par conséquent plusieurs facettes (autonomie politique et juridique, culturelle, sociale et économique); son exercice est tributaire de l’exercice des autres droits inscrits dans la DNUDPA (droits culturels, droits à la terre et aux ressources, etc.) et inversement.
La DNUDPA ne pose pas de conditions quant aux modalités d’exercice de l’autonomie (sources, reconnaissance, modalités d’intégration aux structures étatiques, etc.) ni en ce qui concerne le recours à la négociation avec l’État ou à la reconnaissance étatique. Elle rappelle néanmoins que, comme tous les droits, le droit à l’autonomie n’est pas absolu (cf. art. 46). Selon notre compréhension des travaux menés par le Groupe international de travail sur les affaires autochtones (IWGIA), la légitimité des processus décisionnels constituerait l’élément clé du respect, de la protection et de la mise en oeuvre du droit à l’autonomie (IWGIA, 2009).
Au niveau de sa mise en oeuvre, l’autonomie n’est réalistement envisageable qu’avec un accès aux moyens de l’exercer. Prenons exemple sur la dimension économique de l’autonomie. L’autonomie économique se définit comme la capacité d’une entité (peuple, nation, communauté, municipalité, etc.) de prendre des décisions de manière indépendante au sujet de son avenir économique (Sarooshi 2004). Ne posant pas de conditions quant aux modalités d’exercice de l’autonomie économique, la DNUDPA laisse dans l’ombre la question des moyens effectifs de sa mise en oeuvre. Or, le seul fait de posséder des droits à l’autodétermination ne garantit aucunement aux peuples autochtones les moyens nécessaires à leur réalisation. Il suffit de poser un regard sur l’actualité pour constater les nombreux litiges et conflits relatifs au manque d’accès au territoire qui menacent leur façon de vivre et pour comprendre qu’ils ne possèdent très souvent pas les moyens pour exercer librement leurs ambitions en matière de développement économique. À travers le monde, les peuples autochtones dénoncent justement le manque d’accès au territoire, ce qui, du point de vue de l’économie de marché, signifie aussi un manque d’accès aux ressources naturelles et aux capitaux nécessaires à leur autonomie. À ce propos, les Nations Unies mentionnent d’ailleurs que les plans de développement économique de nombreux pays ignorent fréquemment les peuples autochtones ou ne prennent pas suffisamment en considération leurs points de vue et leurs besoins particuliers[1]. Il y a donc, pour les peuples autochtones, un besoin de réelle liberté dans les choix économiques qui les concernent.
Considérant que le développement économique d’une communauté repose sur des actions collectives visant à mobiliser les ressources afin d’améliorer le bien-être et l’autosuffisance de sa population (Diochon 2003; Fontant 2013), l’autonomie économique s’en trouve liée à l’autonomie politique et culturelle, sans que cependant ces liens soient bien définis par la littérature. L’inverse est également vrai, en ce sens qu’il n’y a pas d’autonomie politique sans autonomie économique et culturelle (Macdonald & Fortin 2014). À ceci, Fortin (2002) offre l’explication que « dans les sociétés libres, les pouvoirs économiques se nourrissent de prospérité. […] Les gouvernements de ces mêmes sociétés ont plus de facilité à gouverner et à se maintenir en poste lorsqu’ils sont associés au développement et à la création de richesse » (p. 153-154). Cornell et Kalt (2007) expliquent cette interrelation par le fait que, d’un point de vue politique, la meilleure défense de la souveraineté d’une nation autochtone est son exercice. Sur le plan économique, l’autonomie politique augmenterait la perspective d’une utilisation durable du territoire. Puis, culturellement, l’autonomie se déploierait d’une manière qui reflèterait les choix propres à la nation, en la plaçant en position de contrôle des entreprises, stratégies et impacts de leur développement économique.
Malgré la validité morale que le droit à l’autonomie économique représente, cela ne rend pas sa réalisation simple, ni n’assure sa traduction en stratégies et en impacts concrets. À l’instar de l’autonomie politique, la réalisation de l’autonomie économique est contextuelle et contingente de la volonté et de la capacité de chaque nation. Son adaptation en stratégies concrètes et contextualisées demeure donc un défi.
Parmi les quelques auteurs s’étant penchés sur l’autonomie économique en contexte autochtone, Arthur (2001) suggère qu’au-delà d’une simple volonté politique l’autonomie économique dépend de la capacité des peuples à mobiliser des ressources et à accéder aux marchés. Sans cette forme d’autonomie, les peuples autochtones sont limités dans leur habilité à être proactifs dans leur développement et risquent de demeurer économiquement dépendants de l’aide extérieure. L’autonomie économique devient, dès lors, un jalon essentiel d’une « autonomie positive » permettant la construction d’un futur souhaitable, en harmonie avec les aspirations des peuples (s’autonomiser pour). En tant que levier, l’autonomie économique permet de dépasser une « autonomie négative » qui cherche principalement à contrer les ingérences externes (s’autonomiser de) (Arthur 2001 : 23). À la lumière de cette distinction entre autonomie positive et négative, la notion d’autonomie économique permet de mieux comprendre l’influence du pouvoir économique des peuples autochtones sur leur capacité à satisfaire leurs objectifs en matière de développement. Ajoutons que, selon Cornell et Kart (2007), l’opérationnalisation de cette autonomie repose sur des institutions et des structures de gouvernance qui sont en adéquation avec les cultures, les besoins et les enjeux actuels des peuples autochtones.
Dès lors, au regard de l’autonomie économique, l’application de la DNUDPA soulève plusieurs questions. Notamment, comment les peuples autochtones peuvent-ils financer et développer leurs activités économiques de manière autonome (Article 4) malgré les contraintes historiques et actuelles découlant du manque d’accès aux territoires ? Comment les peuples autochtones peuvent-ils exercer une autonomie dans l’élaboration de priorités (Article 23) afin de cultiver librement leurs ambitions en matière de développement économique ? De quelle façon peuvent-ils exercer leurs droits à une participation à la vie économique de l’État (Article 5) si leurs besoins, objectifs et visions du développement ne sont pas pris en compte ?
À l’accès aux moyens économiques et physiques de l’autonomie économique se poserait donc la condition de la liberté de choix, mais également celle des conditions de son exercice. L’économie étant un « jeu » de relations (échanges, concurrence, collaborations, etc.), elle peut inévitablement se dérouler en faveur du joueur dominant. C’est ce que suggère la mise en garde de Fortin (2014) qui stipule que, sans une liberté d’intégration de la culture dans les choix d’une nation en matière de développement économique, celui-ci « [le développement économique] peut également être le lieu d’une assimilation graduelle des cultures minoritaires, emportées par le mouvement économique mondial » (p. XIV). En ce sens, l’autonomie économique est un élément essentiel à l’exercice du droit à l’autodétermination puisque, par la liberté décisionnelle et l’accès aux moyens qu’elle exige, elle pose les conditions d’une participation autochtone à l’économie contemporaine.
Conclusion
À l’aune de ce texte, l’apport de la DNUDPA se décline de la façon suivante :
D’abord, elle confirme le droit des peuples autochtones à exercer leur libre choix, politique, économique, juridique et culturel à son article 3. De plus, elle fait du droit à l’autodétermination la clé de lecture de l’ensemble des droits que possèdent les peuples autochtones, ce qui n’est pas le cas de textes internationaux antérieurs, telle la Convention 169 relative aux peuples indigènes et tribaux de l’Organisation internationale du Travail. Ensuite, les notions discutées dans cet article et inscrites dans la Déclaration, sont imbriquées les unes aux autres, telles des poupées gigognes. En clair, ces droits sont interdépendants. Enfin, malgré les conditions posées à l’article 46 qui réitère le principe de l’intégrité territoriale des États, ces notions laissent place à une diversité de matérialisations possibles, en fonction des conceptions et des contextes locaux d’application. Elle laisse place aussi à l’ingéniosité juridique des nations autochtones qui sauront jouer avec les termes enchâssés dans la Déclaration et adopter de nouvelles interprétations.
Appendices
Notes biographiques
Doris Farget est professeure au Département des sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal. Elle est membre du Centre Interuniversitaire d’études et de recherches autochtones (CIÉRA) et du Groupe de recherche sur les affirmations autochtones contemporaines (GRIAAC). Elle s’intéresse, d’une part, au droit international et canadien relatif aux peuples autochtones, en particulier les droits relatifs au territoire, l’obligation de consulter et le droit au consentement des peuples autochtones. Depuis plus récemment, ses travaux de recherche portent sur les traditions juridiques autochtones, plus précisément Ilnutsh.
Geneviève Motard, (LL.B, LL.M., LL.D.) est professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université Laval et, depuis 2020, directrice du Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones (CIÉRA). Ses travaux s’intéressent aux rapports entre l’État québécois et les peuples autochtones, et notamment aux interactions entre leurs ordres et traditions juridiques. Elle s’intéresse particulièrement au respect des droits politiques et territoriaux des peuples autochtones par les États, et aux diverses expressions du constitutionnalisme autochtone. Elle a récemment traduit et mis à jour, en collaboration avec Geneviève Nootens et Dominique Leydet, La Constitution autochtone du Canada, de John Borrows (P.U.Q., 2020). Elle vient de publier, avec Geneviève Nootens, l’ouvrage Souverainetés et autodéterminations autochtones : Tiyaoriot’en (P.U.L., 2022). Elle est membre du Groupe de recherche sur les sociétés plurinationales (GRSP).
Emilie Fortin-Lefebvre est professeure au département de management à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. Ses travaux portent sur l’autonomie économique en contexte autochtone. Plus largement, ses intérêts de recherche s’inscrivent dans le rapport entre l’entrepreneuriat, l’accompagnement entrepreneurial, le développement économique, les modèles économiques alternatifs et les méthodologies créatives de co-création et de transfert de connaissances. Elle ancre actuellement son engagement auprès des populations autochtones par la direction du Centre d’études pour l’autonomie économique des Premiers Peuples et des Inuit (Centre d’études AEPPI). Celui-ci rassemble l’expertise autochtone et universitaire dans le but de développer des savoirs communs qui répondent aux besoins des peuples autochtones.
Note
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