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En 1984, la chaîne de télévision allemande ARD diffusa la série télévisuelle Heimat [1], qui fut ensuite remontée sous forme de film. L’enjeu de ce film est d’abord celui d’un mot, le mot-titre Heimat, que le cinéaste Edgar Reitz ose reprendre et s’entête à maintenir. Ce mot fait problème. Pourquoi ?

D’abord, il est difficile à traduire en un seul mot dans n’importe quelle autre langue. Voici quelques-unes de ses composantes sémantiques en traduction française : patrie, chez-soi, pays natal, terre natale [2], terre des ancêtres, lieu d’origine [3]. Ensuite, il y a le « loaded ideological genealogy of the word » (Santner 1990, p. 176). Ce à quoi Eric Santner fait allusion de la sorte, c’est au lien unissant le mot à l’idéologie nazie du Blut und Boden (littéralement : sang et terre), à travers les appropriations de ce mot par divers discours qui circulaient à l’époque du national-socialisme allemand.

À la même époque, Anselm Kiefer reprend dans ses peintures et dans ses performances des matériaux qui restent associés, dans la mémoire culturelle allemande, à l’époque du fascisme. Dans les deux cas, l’enjeu consiste à arracher à un énonciateur, à un utilisateur donné, des matériaux qui appartiennent en principe à toute l’histoire culturelle allemande et, plus généralement encore, à la langue allemande. Ces matériaux, dans la plupart des cas, étaient utilisés bien avant l’avènement du fascisme au xxe siècle, mais leur appropriation par les discours ou par les pratiques des nationaux-socialistes les a marqués. Cette appropriation a marqué ces matériaux d’une manière si indélébile, et si traumatisante, qu’il est devenu difficile de séparer le matériau de cette voix qui s’y est comme gravée et dont le souvenir est si virulent qu’on est allé jusqu’à tabouiser l’usage du matériau pour ne plus entendre la voix qui, à un moment précis de l’histoire, s’y est associée.

Une question plus générale se pose donc : comment désamorcer la virulence de cette trace, de cette marque ? Faut-il traiter le matériau culturel en question comme on traite un déchet toxique : le entsorgen [4], c’est-à-dire l’enfouir — au sens littéral pour les déchets matériels, au sens figuré pour les déchets culturels —, l’enlever de la circulation, empêcher qu’il entre en contact avec les gens, le contourner pour éviter la contamination [5] ? En le tabouisant, on en fait en quelque sorte un fétiche négatif, étant donné qu’on ne réussit pas à séparer le matériau et la voix ineffaçable qui y est gravée. Les déchets nucléaires, on propose de les enfouir sous terre, dans le sous-sol rocheux ; les matériaux portant la trace d’un vécu historique traumatisant, peut-on les encrypter dans les recoins de l’inconscient collectif ?

La question pour les Allemands de l’après-guerre, en particulier pour les artistes, est donc la suivante : peut-on, et si oui comment, arracher ces matériaux à cette voix puissante qui y reste attachée ? Comment les « dé-tabouiser » ? C’est dans ce genre de travail de réappropriation que Reitz s’engage donc en s’attachant au mot heimat.

Mais pourquoi choisit-il ce mot en particulier ? Et pourquoi lui apparaît-il nécessaire que ce mot soit utilisé comme titre de sa série ? D’ailleurs, le titre a évolué lors de la genèse de la série. Le premier titre, Heimat, fut jugé trop épineux. On l’a d’abord remplacé par Made in Germany, pour finalement opter pour un compromis : Heimat, eine Chronik in 11 Teilen (Heimat, une chronique en 11 parties) [6]. La version anglaise de la série retient dans son générique le paysage du Hunsrück [7] dont se détache en gros plan un grand bloc erratique sur lequel est gravée en lettres gothiques l’inscription « Made in Germany », à laquelle se superpose, en majuscules et en plus grand, le titre principal, « HEIMAT », suivi du sous-titre, « A Chronicle by Edgar Reitz ».

La mention « Made in Germany » est particulièrement intéressante au regard de notre propos. Elle met l’accent sur l’origine nationale de la production — et par là sur les droits de propriété nationaux. Avant même que quoi que ce soit ne soit révélé sur le contenu du film, on affirme que ce qui suit a été fabriqué en Allemagne et porte donc le certificat d’authenticité allemande. L’autre possibilité, c’est celle contre laquelle s’affirme ce film, et à travers ce film Edgar Reitz, à savoir le « Made in USA ». Reitz s’oppose et se détache — pour dire les choses simplement — de l’esthétique hégémonique de Hollywood, et de l’hégémonie d’un média en particulier, la télévision, dont l’usage américain est devenu l’exemple patent de l’impérialisme culturel américain. Et surtout, il s’agit d’une opposition au quasi-monopole que les Américains ont acquis sur la représentation de l’histoire allemande après la capitulation de 1945. Le certificat d’authenticité nationale, placé avec ostentation en position de titre, signale une contre-offensive du pays vaincu. Reitz signifie par là que, désormais, l’histoire allemande sera faite en Allemagne, par les Allemands, et pas aux États-Unis.

C’est là que commence le jeu intéressant qui fait se croiser mémoires et médias d’Europe et d’Amérique — et, plus particulièrement, le jeu entre l’Allemagne et les États-Unis — dont je veux retracer ici quelques-uns des faits saillants. La série Heimat est en fait entièrement conditionnée par ce face-à-face qui se répercute à tous les niveaux, mais je dois me contenter d’évoquer quelques-uns des traits les plus frappants de cet antagonisme.

Quelques mots seulement sur la genèse de Heimat. Depuis quelque temps déjà, Reitz faisait partie d’un groupe de jeunes cinéastes qui formaient la nouvelle école du cinéma allemand. Kluge, Schlöndorff, Fassbinder et Sinkel en faisaient aussi partie. Du moins est-ce en collaboration avec eux que Reitz a participé à Deutschland im Herbst (1978), un film sur la violence dans la société allemande et sur sa « gestion » par l’État. Mais le fait déclencheur qui l’orientera vers le projet de Heimat, c’est la diffusion en Allemagne de la série télévisuelle américaine Holocaust, en 1979. Ce fut un événement médiatique de première importance ; le taux d’écoute atteignit un niveau jamais connu [8]. Des millions d’Allemands voient pour la première fois une série entièrement consacrée à l’un des chapitres les plus tragiques de leur propre histoire : le développement d’une industrie de la mort dont les Juifs sont les principales victimes. Mais il s’agit d’une série faite à la manière américaine. D’ailleurs, Santner (1990, p. 73) dira à ce propos : « Reitz’s position vis-à-vis Holocaust becomes all the more important when one recalls that he conceived of Heimat to a large extent as a response-or better : as a German anditote-to that American television film. »

Pour Reitz, le problème tenait surtout au fait que les Américains se soient approprié l’histoire allemande et qu’ils en aient imposé leur propre représentation, selon leurs codes narratifs et leur esthétique audiovisuelle, en se servant par ailleurs du média qu’on pouvait dire le plus américain de tous : la télévision. Reitz s’insurgera contre cette hégémonie du paradigme de la représentation nord-américaine, surtout lorsque cette dernière aura pour objet l’histoire allemande. Il écrit à ce sujet un texte polémique intitulé « Unabhängiger Film nach Holocaust ? » Cette polémique est orientée contre « l’industrie culturelle américaine », mais aboutit à la question de savoir comment y résister activement. Voici, entre autres, ce qu’en dit Santner (1990, p. 74) :

The German filmmaker Reitz becomes a kind of Resistance fighter, only in the realm of images and representations, that is, against not the Holocaust but, rather, Holocaust and its producers, the Americans. And indeed, Reitz sees this as a struggle against “der eigentliche Terror” (the real terror) of the American aesthetics. Germans have, Reitz claims, abandoned their unique, regionally inflected experiences and memories because they have been morally terrorized by a television series. The work of resistance therefore must lie in the salvaging of local experience, local history, local memories.

L’adversaire est donc l’esthétique hollywoodienne, et c’est à cet adversaire qu’il faut s’en prendre. Cela fait écho à ce que dit le personnage de Robert dans Kings of the Road, de Wim Wenders : « The Yanks have colonized our unconscious. » Il faut arracher au « Yankee » l’histoire allemande en développant un cinéma national allemand tout en transportant le combat sur le terrain considéré comme occupé par l’adversaire : le média télévisuel.

Quel est le nouveau projet de représentation filmique de l’histoire que développe Reitz ? Dans les lignes qui suivent, j’en décris quelques aspects.

Il s’agit d’une chronique historique qui couvre la période allant de 1919 à 1982. L’histoire allemande est donc narrée sur une période historique que connurent trois générations. Cela assure la continuité du récit, dans lequel sont racontés les moments bouleversants, tels la Deuxième Guerre mondiale et les douze années du régime national-socialiste. Par ailleurs, Reitz assure cette continuité grâce aux souvenirs personnels de certains personnages, qui interprètent ces douze années à la lumière de ce qu’ils ont déjà vécu (la Première Guerre mondiale), et reconnaissent souvent des similitudes entre ces deux époques.

Cette chronique historique trouve son centre structurant dans une saga familiale. Il s’agit en fait de l’histoire de la famille Simon, de Schabbach : le père (Mathias, forgeron et paysan) et la mère (Margarete), les enfants (Paul, Eduard, Pauline) et les petits-enfants (surtout les enfants de Paul et Maria, Ernst et Anton, et le fils que Maria aura avec Otto, Hermann). Leur maison familiale est le lieu de rencontre de la plupart des personnages du film. Nous avons donc affaire à une famille-tribu qui peut représenter une grande partie de la variété sociale qui a historiquement existé à l’époque dans la région choisie.

Dans la mesure où l’enjeu de cette série est la représentation de l’histoire, il s’agit clairement de « l’histoire des petites gens ». On pourrait aussi dire que l’histoire est vue « d’en bas », du point de vue de ceux qui la subissent plutôt qu’ils ne la font, des « subalternes » qui n’ont pas accès aux connaissances susceptibles de les éclairer sur les grands rouages de l’histoire. L’horizon de leur conscience historique est délibérément montré comme restreint. Tout au plus ces personnages développent-ils des stratégies pour survivre à l’histoire, en profiter ou carrément s’y soustraire.

Dans cette série, l’histoire est également vue et représentée à partir de la périphérie. Jamais on ne se trouve dans les grands centres de décision [9]. On ne participe pas aux prises de décision historiques, mais on est en permanence affecté par ces décisions, dans la plupart des cas avec un peu de retard. Pour ce qui est de la représentation du régime fasciste, Reitz montre surtout celui-ci dans ses dimensions historiques locales et quotidiennes [10]. C’est là probablement sa décision la plus importante, qu’il met beaucoup de soins à mettre en pratique. J’y reviendrai.

Finalement, de grandes parties de la série sont consacrées à une histoire de la modernisation. Cette série raconte comment la modernité fait son entrée dans une communauté villageoise et rurale qui vit (en 1919, point de départ historique de la série) sur un mode largement prémoderne. Reitz insiste donc sur le choc de l’expérience que subit la population d’un village du Hunsrück et montre les effets aliénants, mais aussi les nombreux progrès, qu’entraîne la modernité. Et surtout, il montre les comportements de résistance, d’opportunisme et de réussite que provoque le changement. En réalité, ce sont plusieurs vagues de modernisation qui sont illustrées par l’arrivée à la campagne de différents types de technologies, de nouveaux médias, d’agents médiateurs du régime. Je me pencherai par la suite sur la représentation de l’histoire des médias.

Selon Ernst Bloch (1978), ceux qui furent les plus malmenés par la modernisation sont les bas salariés des villes, les jeunes et les paysans. Il a montré comment ces groupes se sentaient dépassés, laissés pour compte par l’histoire moderne, et comment ressurgissaient alors en eux des énergies anciennes, qui pouvaient prendre la forme de comportements de résistance ou encore se traduire par une nostalgie des conditions prémodernes. C’est pour penser cette complexité que Bloch développe le concept du non-contemporain. Et — ainsi va l’analyse de Bloch — ce sont justement ces énergies que le national-socialisme a su massivement drainer à son avantage et mettre à profit pour son projet politique.

Or, dans le film de Reitz, dans la perspective de la « périphérie d’empire », les nationaux-socialistes apparaissent comme les promoteurs de la modernité, comme ceux qui en apportent les bienfaits à la communauté rurale. C’est surtout dans les épisodes deux et trois qu’on assiste à l’arrivée du « progrès » à Schabbach. Un certain bien-être matériel est rendu possible : on voit apparaître des moyens de transport, une route rapide est construite pour lier le village au reste du monde, le téléphone arrive au village, les gens achètent et consomment davantage, ils s’offrent même le « luxe » d’aller au cinéma dans la petite ville voisine pour y consommer du mélodrame [11].

Jusqu’ici, le projet de Reitz paraît intéressant et légitime en tant qu’expression d’une nouvelle historiographie : renversement de perspective, critique des relations de pouvoir dans un État autoritaire, focalisation sur le quotidien et sur le local, microhistoire.

Mais, comme c’est le cas pour tout progrès, il y a un envers à la modernisation. Celle-ci a un impact négatif sur la communauté villageoise qu’était Schabbach à l’origine, c’est-à-dire au début du film, en 1919, quand Paul Simon est rentré de France, où il avait été fait prisonnier de guerre. Et c’est dans la représentation de cet envers de la modernisation que les choses se compliquent et que Heimat donne prise à une interprétation critique.

C’est que deux enjeux se superposent dans Heimat : d’une part, la volonté de raconter une microhistoire qui rende compte d’un point de vue délibérément local et périphérique et qui soit narrée d’après une focalisation subalterne ; d’autre part, le désir de partager des connaissances « Made in Germany » — désir qui motive une esthétique locale et nationale — dans le but de rapatrier la représentation de l’histoire allemande.

Reitz donne suite à cet intérêt en développant délibérément l’enracinement local de sa chronique. On pourrait dire : en donnant de la substance à son choix de mettre l’accent sur la microhistoire d’un quotidien local et rural. Peut-on aller jusqu’à affirmer qu’il a été pris à son propre jeu et que la résistance anti-américaine — et plus spécifiquement anti-hollywoodienne, sur le plan esthétique — s’est muée en une apologie de l’appartenance à une communauté organique rurale ? Il faudrait toutefois parler d’une apologie sur le mode élégiaque car, bien sûr, il s’agit d’une reconstruction idéalisée, conçue après la prise de conscience de la perte d’une telle vie communautaire — vie qui, d’ailleurs, n’a en réalité jamais été aussi idyllique. Ainsi, les interprètes de la série Heimat peuvent-ils être amenés à considérer comme plus grande qu’elle ne l’était réellement la proximité entre la série et l’idéologie Blut und Boden, à y voir trop de connivences implicites et trop peu de distance critique.

Dans la filiation de la théorie postcoloniale, Arif Dirlik a analysé les stratégies de résistance locale contre « the new global capitalism » et les a critiquées là où elles glissent dans un réinvestissement nostalgique et, partant, font du local une essence qui devient alors — plus qu’un lieu de résistance — une valeur en soi [12]. Il me semble que, étant donné toutes les précautions que requiert l’analyse du cas singulier qui nous intéresse ici, cette critique est valide aussi pour Heimat.

Le fait est que, lors de la phase préparatoire du film, qui a duré plusieurs années, Reitz s’est réellement transformé en ethnographe [13]. Il a élu la région du Hunsrück, son propre lieu d’origine [14], comme son « terrain » ; il s’y est installé, s’est intégré à la population locale et y a mené un long travail d’observation-participation et d’enregistrement [15]. Il s’est également transformé en dialectologue en étudiant le parler local. Tous les matériaux qu’il a ainsi recueillis (sur la société et la culture locales, sur l’intégration de la communauté organique dans son environnement et dans les cycles de vie) ont été ensuite utilisés dans son travail de cinéaste. Il a inventé un village du nom de Schabbach dans lequel vivrait, selon un mode presque pastoral, une famille-tribu du nom de Simon [16].

C’est ce monde prémoderne reconstruit qui sera ébranlé par l’arrivée de la modernité, coïncidant avec la montée du mouvement national-socialiste et avec l’établissement du régime fasciste qui est associé par plusieurs personnages, dans le second épisode, à l’avènement d’« une nouvelle époque » (eine neue Zeit). La perception de la modernisation par les habitants de Schabbach est donc ambivalente : partiellement bienfaisante d’une part, partiellement aliénante et déstabilisante d’autre part.

Dans ce grand récit de l’aliénation moderne, Reitz imbrique et développe un autre récit sur la destruction de la communauté organique, plus tortueux, voire insidieux. Ce récit s’incarne dans le personnage de Paul Simon. Dans sa biographie, le alienus (qui est contenu étymologiquement dans aliénation) se manifeste d’abord comme l’appel irrésistible du lointain. Paul émigrera aux États-Unis et ne reviendra dans son village qu’après la guerre, comme le fils américanisé qui ne trouve plus sa place dans la communauté d’origine. Moyennant la figure de Paul, le va-et-vient entre l’Allemagne et les États-Unis est ainsi directement inscrit dans Heimat sur le plan de l’histoire.

Le premier épisode de la série porte le titre Fernweh (l’appel du lointain). Paul est porteur de ce « mal » (-weh[17] après son retour de France en 1919. Il ne réussit pas vraiment à s’intégrer dans sa communauté d’origine, reste en quelque sorte un étranger et est perçu comme différent des autres. Il s’intéresse de manière presque obsessionnelle à la radio, qui lui donne accès au grand monde, aux espaces lointains. Reitz met ainsi en scène une version moderne de la Sehnsucht romantique : un désir sans objet qui ronge la subjectivité intérieure de l’individu et devient le moteur de ses actions.

Paul restera enfermé dans le grenier de sa maison familiale, à construire un récepteur de radio. Mais un beau jour, inopinément, il partira : il devient dès lors der Weggeher, celui qui part. Immigrant, il transitera par Ellis Island, près de New York, mais son parcours américain ne sera pas vraiment relaté dans le film, qui ne nous donne que quelques indices de son devenir-Autre, c’est-à-dire de son devenir-Américain. De bricoleur de radio, il deviendra propriétaire d’une entreprise d’appareils électriques : Simon Electrics, Inc. [18] De plus en plus, il incarnera cette altérité à la fois menaçante et aliénante que Reitz reconnaît dans la culture américaine.

L’histoire de Paul, ce sera donc celle d’un Allemand devenu Américain, du moins trop américain pour vraiment retrouver le chemin du retour et sa place dans sa communauté d’origine. Son retour à Schabbach en 1945 est représenté sur un mode caricatural : un Paul américanisé, coiffé d’un chapeau texan, arrive dans une grosse voiture américaine, conduite par un chauffeur noir, et distribue des cadeaux aux enfants de son village natal : le parfait cliché du riche oncle d’Amérique.

Reprenons tout cela sous l’angle des démêlés de Reitz avec l’Amérique et son industrie culturelle, démêlés dont le personnage de Paul n’est qu’une des figures. Nous avons vu que la série Heimat est une riposte à la série américaine Holocaust et, plus généralement, à la culture hollywoodienne. Nous avons aussi vu qu’elle devait permettre une réappropriation de l’histoire allemande par les Allemands. Un des choix esthétiques qui découle de ce projet consiste à affirmer l’authenticité de la culture locale et rurale allemande. Résistance et affirmation de soi, ce double geste s’avère cependant ambivalent, dans la mesure où il y va d’une représentation de l’histoire du IIIe Reich. On a pu imputer cette ambivalence à une trop grande proximité par rapport au passé allemand. Le manque de distance critique a pu être perçu comme une manière d’exonérer les Allemands de la culpabilité du régime nazi et de son pire crime, l’Holocauste, qui, logiquement, n’apparaît que tout à fait en marge de la conscience historique que peuvent acquérir les villageois de Schabbach.

Un des reproches que la critique fera à Reitz sera d’avoir raté son rendez-vous avec l’histoire. Lui qui voulait inventer une nouvelle représentation « made in Germany » de l’histoire allemande, aura failli — lui aussi ! — à ce que certains perçoivent comme la tâche principale de l’artiste et du créateur culturel allemand après la Seconde Guerre mondiale : faire un travail de deuil par rapport au passé fasciste.

On peut faire remonter la formulation de cette tâche, ou plutôt le constat négatif qui la précède, au livre que Alexander et Margarete Mietscherlich ont publié en 1967 sous le titre Die Unfähigkeit zu trauern (l’incapacité de faire le travail de deuil) [19]. De là découle une injonction : il faut faire le travail de deuil, ne pas refouler ou dénier le passé traumatisant, le « perlaborer [20] ». Cela devient une obligation historique. Non seulement Reitz n’aura pas été à la hauteur de ce devoir, mais il aura même glissé imperceptiblement vers son contraire. Du moins aura-t-il donné prise à des interprétations contraires, dans le sens de ce que disait déjà Adorno (cité dans Hansen 1985, p. 9) en 1963 :

The slippage from coming to terms with the past in the sense of “working through,” to a discourse of denial which strives to restore the damaged collective narcissism by eliminating from consciousness the very events that jeopardized the possibility of national identification in the first place.

Cette injonction de faire un travail de deuil a donné lieu à toute une constellation de critiques de nature psychologique et psychanalytique sur Heimat. Deux titres suffisent à indiquer cette tendance : « Heimat and the German Left: The Anamnesis of a Trauma », article de Michael Geisler (1985), et « Screen Memories Made in Germany: Edgar Reitz’s Heimat and the Question of Mourning », chapitre que Eric L. Santner (1990, p. 57-102) consacre à Heimat dans son livre Stranded Objects. Mourning, Memory, and Film in Postwar Germany. La critique, qui argumente à partir de cette obligation en s’appuyant sur un appareil conceptuel psychanalytique, a tendance à arriver à cette double conclusion : non seulement Edgar Reitz a-t-il raté un rendez-vous avec l’histoire en se soustrayant au travail de deuil qui s’imposait à lui, mais, en véhiculant une vision idyllique et élégiaque du local et du quotidien, il s’est placé dans une position problématique dans la mesure où sa stratégie de nature esthétique reste suffisamment ambivalente pour ouvrir la porte à une lecture essentialiste.

Pourtant, à s’arrêter à cette critique, on risque, en tant que critique, de rater une grande partie du travail critique du film. À le regarder exclusivement à travers ce modèle herméneutique, on risque de ne plus le voir réellement [21].

Or, il y a dans cette série toutes sortes d’autres aspects intéressants qui ne sont pas suffisamment pris en compte par une telle lecture critique. Dans ce qui suit, je me pencherai sur l’un de ces aspects. Heimat, qui a été réalisé en vue d’être diffusé par deux médias — la télévision et le cinéma —, comporte une réflexion sur les médias et, plus spécifiquement, sur la fonction mémorielle des médias, une réflexion qu’Edgar Reitz inscrit dans une véritable histoire des moyens de communication. Cette réflexion fait partie intégrante de cette série sur l’histoire allemande et la double d’une auto-réflexion sur le statut et le rôle des médias.

C’est à la lumière de cet aspect particulier que la perspective locale, le regard délibérément périphérique exprimant nécessairement le « retard » des régions marginales, redevient hautement intéressante. En fait, le point de vue éloigné de la périphérie réussit à donner du relief au développement des médias modernes, en particulier des médias communicationnels qui permettent cette chose paradoxale qu’est un contact à distance. C’est que les médias modernes de télécommunication transforment radicalement la condition spatiale du local et du périphérique en permettant un contact instantané et direct avec le centre. La condition temporelle du retard en périphérie est annulée par l’effet « en temps réel » de ces médias.

Dans Heimat, donc, Reitz retrace l’histoire des médias, surtout dans la première moitié du xxe siècle, et il le fait de manière systématique. Voici un inventaire des divers aspects des médias qu’il traite dans sa chronique du xxe siècle allemand :

D’abord, il présente une gamme très variée de médias, traditionnels et nouveaux. Parmi les médias traditionnels, il accorde une grande place à la communication orale de la communauté villageoise, à la manière dont les rumeurs circulent de bouche à oreille et dont les informations se transmettent dans les lieux publics, mais aussi semi-publics (comme, par exemple, dans la cuisine communautaire des Simon). Il montre l’usage que les villageois font du journal et, plus généralement, de la presse écrite pour avoir accès à un monde distant de leur village. La photographie connaît un traitement privilégié, en tant que média d’enregistrement et d’archivage. Reitz la met en scène à travers deux de ses personnages — Eduard, le photographe, qui enregistre avec sa caméra tout ce qui se passe au village [22], et Glasisch, le chroniqueur, qui commente les photos pour résumer, au début de chaque série, l’histoire antérieure. Se répétant au début de chaque épisode, la mise en scène est ritualisée : Glasisch, installé devant de véritables archives photographiques, résume sur le mode narratif, tout en le commentant, ce qui s’est passé dans le village. Il agit comme un griot qui traduit le média photographique par le média oral.

Se détachent de ces médias déjà établis les nouveaux médias dont Reitz nous montre les processus d’implantation technique, ainsi que l’apprentissage et l’adaptation qu’ils requièrent de la part de la population locale. Et il étudie la transformation du quotidien provoquée par l’usage de ces médias. Ici, il s’agit du téléphone, de la radio, des nouvelles filmées (Wochenschau) et du film.

Cette représentation des médias et le récit de leur implantation sont entièrement intégrés dans la structure narrative de la série. Ainsi, Reitz crée-t-il, parmi la génération des enfants et des petits-enfants de Mathias et Margarete (nés autour de 1900), des personnages qui sont fortement identifiés avec un média particulier, ou du moins avec une nouvelle technologie. Et cela en leur donnant un talent particulier par rapport à un média ou une technologie, et plus encore en les montrant possédés par une obsession qui les accompagnera durant toute leur vie.

Paul, le bricoleur de radio, ensuite entrepreneur dans le domaine des appareils électriques, s’intéresse surtout à la naissance du nouveau média radiophonique.

Ernst est fasciné par tout ce qui vole, en particulier par les avions. Il s’intéresse à tout ce qui touche à l’aviation et à son évolution. Il deviendra donc pilote de la Luftwaffe et essaiera, après la guerre, de gagner son pain comme pilote.

Anton s’intéresse d’abord à la radio, puis au cinéma ; dans le second épisode, on le voit, assisté de sa mère, construire un récepteur de radio. Après son retour de la guerre, il se lance dans la production d’appareils optiques de précision. Pendant la longue marche qui l’aura ramené chez lui du front de la Crimée, il aura imaginé à la fois son plan de construire une fabrique à Schabbach et les différents brevets qu’il entend exploiter.

Eduard, enfin, le « raté » de la famille, qui n’en est pas moins omniprésent, est le chroniqueur médiatique de la famille et du village. Il se sert de tous les nouveaux médias au fur et à mesure qu’ils deviennent disponibles et fonctionnels. On le verra au début, désoeuvré et maladif, en train de lire le journal à sa famille, pour ensuite devenir un véritable fanatique de la photographie, qui utilisera ce média surtout pour enregistrer et archiver la vie de sa communauté. Il ira jusqu’à faire du journalisme photographique. À la fin de la série, il accompagne son frère Paul dans les villes voisines en collant à son oreille le transistor que Paul a rapporté d’Amérique.

Plusieurs événements importants de la série peuvent être qualifiés de médiatiques. Reitz réussit ainsi à dramatiser l’impact des médias dans l’histoire des petites gens que sont les Schabbachois. Je pense, entre autres choses, à l’arrivée du téléphone à Schabbach, aux diverses séances de photos où Eduard éternise des moments importants de la vie du groupe, à la pénétration radiophonique de la voix du Führer dans le village, à l’épisode osé où, sur le front russe, le jeune soldat Anton assiste à l’enregistrement filmique d’une scène où des partisans russes sont fusillés, aux scènes de cinéma et à la scène du mariage à distance où, moyennant le téléphone, un soldat qui est au front peut épouser sa fiancée qui est à la maison, pendant que la Wochenschau filme le jeune soldat au téléphone pour des motifs de propagande.

Heimat propose donc aussi une réflexion sur les fonctions des médias et sur l’impact qu’a leur utilisation sur une communauté qui, du moins au début, est fermée sur elle-même. Entre autres, ce sont les fonctions d’enregistrement et d’archivage que Reitz met en scène. C’est à ce chapitre que sa série offre une contribution intéressante à la problématique qu’on pourrait circonscrire par les termes « technologisation de la mémoire ». Une autre fonction importante mise en scène et thématisée par Reitz est celle de la (télé)communication en tant que mode de transmission d’informations, mais aussi en tant que mode de propagande et qu’action à distance. Finalement, Reitz traite aussi de la fonction de divertissement propre aux médias du cinéma et du gramophone.

Reitz reproduit également divers discours sur les médias et les accompagnateurs des médias. Je pense en particulier à ce que dit Eduard concernant son activité de photographe du village, mais aussi et surtout à ce que dit Paul au sujet de l’ouverture au monde que devrait lui garantir son poste de radio. Finalement, je songe aux déclarations programmatiques sur l’importance des nouveaux médias qu’émettent, sur le front russe, les supérieurs d’Anton qui sont à la tête d’une unité de propagande de la Wehrmacht.

Un autre aspect intéressant du film est le fait que Reitz ne montre pas seulement l’usage et le mode de fonctionnement des médias, mais, pour certains d’entre eux, leur implantation. Cela lui permet d’illustrer la nécessité d’infrastructures techniques et économiques pour implanter et faire fonctionner les nouveaux médias. Reitz démontre ainsi qu’il n’oublie pas, dans sa chronique des nouveaux médias, de les représenter sous l’angle du hardware. Ici, il faut surtout mentionner l’implantation du téléphone, qui implique des câbles à enfouir, des lignes à construire et la connexion au réseau de chaque ménage. Avec Paul et Anton, Reitz montre aussi l’émergence de nouvelles industries et de lieux de production qui vont de pair avec les nouveaux médias et deviennent une condition de leur implantation en tant que médias de masse.

Finalement, Reitz souligne l’impact politique des nouveaux médias. Cela concerne surtout la radio, dont l’émergence et l’implantation comme média de masse [23] coïncide avec la montée du fascisme. La chronique de Reitz prend soin de nous montrer la corrélation entre les deux développements. Et il nous rappelle que la radio [24] a été le média par excellence du fascisme allemand. C’est dans l’instrumentalisation de la radio à des fins politiques que réside une partie du succès du mouvement national-socialiste dans les années 1920-1930.

Pour ces raisons, je me concentrerai, dans une brève analyse en trois temps, sur la manière dont Reitz retrace et représente l’histoire du média radiophonique et l’accompagne de divers discours tout en l’insérant dans des situations changeantes.

Premier temps, 1923. Le principe espérance : la radio comme libération et accès au monde

Une scène montre Paul, bricoleur solitaire, dans la maison familiale à Schabbach. Il fabrique un poste récepteur d’ondes courtes. Maria, sa future femme, le rejoint. Il lève à peine les yeux de son bricolage. En peu de mots, il lui explique son mal du lointain (Fernweh) : sur les ondes radiophoniques, il espère pouvoir s’évader de la communauté villageoise, rejoindre le grand monde, être en contact avec l’ailleurs [25].

Ici, la radio apparaît comme le média moderne permettant d’effectuer le départ du foyer paternel, qui est la scène initiale typique du roman de formation. Cette scène de « média-motion » — la personne physique reste figée sur place et ne se déplace que dans l’espace virtuel et imaginaire auquel le média donne accès — sera suivie plus tard d’un départ réel qui mènera Paul en Amérique.

Deuxième temps, 1939. La voix de Hitler à Schabbach

Même média, même principe d’action à distance, mais l’effet est à l’opposé de celui que montre la première scène. Ici, c’est le pouvoir central qui agit à distance en rejoignant les villageois les plus périphériques, en les plaçant sous son emprise. La mise en scène de cette voix médiatique du Führer a été savamment étudiée : des gros haut-parleurs installés partout, à l’intérieur comme à l’extérieur, alternant avec des portraits photographiques de Hitler. De jeunes cadets militaires sont au garde-à-vous autour du tombeau d’un martyr de la cause patriotique. Tout le monde se comporte comme si le Führer était physiquement présent. La radio participe ainsi de la disciplinarisation des corps, qu’on aime appeler aujourd’hui le biopower.

Ce qui ajoute encore à la puissance de cette scène, c’est que Reitz y insère le son documentaire de la déclaration de guerre faite par Hitler le 1er septembre 1939. La scène a un effet puissant : cette voix, connue justement grâce à la radio, et ce texte, lourd de conséquences, flottent au-dessus de tout dans une espèce d’ubiquité. Une nation entière est rivée à la radio, dont l’effet à distance crée un corps collectif médiatique, une communauté « appareillée [26] ». La parole médiatisée du chef agit partout en temps réel.

Quand la caméra se déplace vers l’extérieur, vers le ciel vide, et que la voix omniprésente se brise en échos, il y a peut-être un effet d’ironie : autant en emporte le vent ! La prochaine scène montre l’effet « à retardement » de la radio : dans les rues du village, les phrases de Hitler sont reprises, reproduites, répercutées telles quelles dans l’habituel échange oral. Elles parasitent la conversation.

Troisième temps, 1945. Berlin : le post-mortem du Grossdeutscher Rundfunk

Berlin brûle, l’Armée rouge avance dans les rues. Une jeune femme, ex-actrice, réussit à rejoindre son ami, le soldat Pollack, qui a trouvé refuge dans une maison à moitié détruite. La mort de ce couple — lui mourra sur place, elle se jettera devant les balles des soldats russes — symbolisera la chute de l’armée hitlérienne.

En face du soldat agonisant, il y a un poste de radio. Il ne fonctionne plus, il est réduit au silence. Désespérée, la jeune actrice essaie d’égayer son ami. Elle se place derrière le poste de radio et parodie une émission qui s’adresserait à son ami. En doublant ainsi la radio d’une présence physique réelle, elle prête au média qui a cessé de fonctionner sa voix de chanteuse de cabaret. Il s’agit d’une fausse performance radiophonique, qui n’aura d’ailleurs pas l’effet escompté sur son ami. Mais de ce fait, sa performance prend valeur d’un post-mortem pour la radio du IIIe Reich.

Je voudrais souligner la présence, dans des films d’autres réalisateurs, de deux séquences similaires, deux rappels cinématographiques de l’effet spectral de la voix de Hitler qui aura été portée, diffusée et gravée dans la mémoire collective grâce au média radiophonique. Le premier rappel est de 1947 et se trouve dans le film Germania, anno zero de Rossellini : un groupe de gamins tâche de se faire de l’argent en vendant des souvenirs du IIIe Reich à des soldats américains. Dans les ruines de Berlin, ils font jouer les discours de Hitler sur un tourne-disque de fortune. La voix originale de Hitler résonne dans les décombres de son empire qui devait durer mille ans ; un véritable fantôme sonore. L’effet est sinistre et donne des frissons.

Le second est tiré d’un film de Syberberg sur Hitler [27] : dans la scène initiale, Syberberg monte la voix originale de Hitler avec une séquence d’images plus farfelues et ridicules les unes que les autres. Cela devrait suffire pour désamorcer l’incantation maléfique de cette voix. Or, il n’en est rien pour le spectateur germanophone que je suis et qui a trop souvent entendu cette voix techniquement ressuscitée et retransmise ; elle sort indemne de ce montage qui devrait pourtant la malmener. Cette voix doit une grande partie de son effet à sa transmission par voie radiophonique.

Conclusion

Cette brève illustration de la manière dont Reitz retrace l’histoire de la radio qui, avec le cinéma, est le média moderne de la première moitié du xxe siècle, devrait être complétée par l’examen, non moins détaillé, du traitement qui est accordé aux autres médias dans Heimat. Mais la présente amorce d’analyse aura déjà suffi à montrer plusieurs aspects importants qui permettent de déplacer l’attention de la critique, trop exclusivement focalisée sur l’obligation de faire un travail de deuil :

  1. La série télévisuelle Heimat s’avère d’une plus grande complexité que les préjugés que rencontre ce genre ne le laissent entendre. En plus de sa fonction d’entertainment, de dramatisation et de documentation historique, elle assume ici une fonction additionnelle : elle offre, insérée en filigrane dans le large tissu d’une chronique, une archéologie des médias modernes.

  2. Il est vrai que la revalorisation du local — surtout dans le contexte contemporain d’une résistance contre certains effets de la globalisation — peut créer un envers négatif, qui consisterait en un investissement essentialiste, et partant nostalgique, du local. Reitz n’était pas à l’abri de ce danger — le conflit des interprétations à ce sujet reste ouvert.

  3. Le travail précis et bien informé que Reitz a fait en tant que cinéaste sur l’émergence des nouveaux médias permet justement de comprendre la transformation radicale que ces médias font subir à notre expérience de l’espace. Dans la mesure où il s’agit de médias agissant à distance et « en temps réel » — de médias de télécommunication —, leur implantation massive bouleverse de fond en comble la notion même du local comme opposé au global, ou de la périphérie comme opposée à un centre. Reitz nous offre les résultats — fictionnels, il est vrai — d’une véritable archéologie de ce que nous vivons aujourd’hui comme une mutation anthropologique. Dans ce sens, sa série télévisuelle peut nous faire comprendre comment, historiquement, s’est préparé le terrain de ce que, dans un ouvrage récent, Zygmunt Bauman (2000) appelle la « modernité liquide » : une modernité qui, grâce aux avancements technologiques des médias, a « liquéfié » notre manière de nous situer dans l’interface de l’espace et du temps. L’espace comme distance à franchir serait annulé ; le temps serait réduit à l’instantanéité. Malgré la grande insistance de Reitz sur l’histoire locale, motivée par sa volonté de résistance à une certaine culture américaine, l’histoire des médias dans Heimat aura donc aussi fait comprendre la déconstruction même de la catégorie du local.