Comptes rendusBook Reviews

Sean CUBITT, The Cinema Effect, Cambridge/London, MIT Press, 2004, 456 p.[Record]

  • Jan Baetens

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  • Jan Baetens
    Katholieke Universiteit Leuven

Dans The Cinema Effect, ces divers horizons et multiples influences se retrouvent dans une synthèse étourdissante, au double sens du terme. Car Cubitt fascine autant qu’il laisse perplexe et son livre ne suscite pas moins l’admiration que l’agacement. Les trois sections du livre (« Pioneer Cinema », soit le cinéma des premier temps ; « Normative Cinema », soit le cinéma de l’âge classique, celui de l’image-mouvement deleuzien ; « Post-Cinema », terme américain très populaire dont le sens est ici nettement plus vaste que celui de « cinéma numérique » auquel certains ont tendance à le réduire : « cinéma postmoderne » en paraît un équivalent plus acceptable), puis les quatorze chapitres presque tous centrés sur l’analyse d’un film ou d’un auteur particuliers, enfin les quelques dizaines de lectures, parfois rapides, parfois plus détaillées, disséminées dans tout l’ouvrage, n’emportent pas tous l’adhésion de la même manière. Par moments, le lecteur renâcle même fortement. Toutefois, l’impression globale que laisse le livre est positive. D’abord, certes, en raison de son culot théorique, ensuite à cause de la finesse et de l’ingéniosité de nombreuses analyses microscopiques, enfin grâce à l’indignation morale et politique qui traverse le livre d’un bout à l’autre. Bref, pour contestables que paraissent bien de ses idées, Cubitt offre ici un livre puissant, stimulant, provocant. S’appuyant sur la triade peircienne de « firstness » (la chose en soi), « secondness » (la chose en tant qu’elle se rapporte à quelque chose d’autre) et « thirdness » (la chose en tant qu’elle représente quelque chose à la manière d’un signe), Cubitt distingue trois grands modes d’existence de l’image, qui définissent chacun des effets spécifiques qu’il caractérise à l’aide de métaphores empruntées à la culture digitale : le « pixel » (l’image mobile telle qu’en elle-même), le « cut » (le montage, qui insère le pur déroulement du temps dans un dispositif spatial) et le « vector » (l’image comme pure création symbolique, détachée du réel et seulement déchiffrable par un acte interprétatif). Pour simple et séduisante qu’elle soit à première vue, ne fût-ce que parce qu’elle rompt avec les habituelles dichotomies de la théorie du cinéma (« cinéma des premiers temps » versus « cinéma narratif » ou « image-mouvement » versus « image-temps », pour ne citer que les oppositions les plus répandues), la triade en question devient très vite problématique par l’usage ou, plus exactement, par le non-usage qu’en fait l’auteur. En effet, le cadre épistémologique de Peirce n’est présent qu’en toile de fond, et souvent de manière strictement implicite : une fois sa grande triade posée, Cubitt n’y revient plus que très rarement, de sorte que la plus-value méthodologique et théorique du système peircien n’est ni mise en lumière ni mise à l’épreuve. Le mode dominant des lectures concrètes de l’auteur n’est en tout cas nullement peircien, la grande architecture du livre étant donnée par le métarécit de la culture comme marchandise, qui suit pas à pas l’évolution du système économique capitaliste. De plus, les trois pôles du « pixel », du « cut » et du « vector » font l’objet d’une interprétation pour le moins essentialisante. Chaque fois, une seule oeuvre suffit à illustrer la logique d’un des trois modes de l’image : les premiers documentaires des frères Lumière le font pour le « pixel », les films à trucages de Méliès pour le « cut » et Fantasmagorie, un dessin animé moins connu d’Emile Cohl, pour le « vector ». Les possibilités de mélanges et d’imbrications des trois pôles sont quant à elles soigneusement écartées, sauf à la toute fin du livre, …

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