Comptes rendusBook Reviews

Jean Luc Lioult, À l’enseigne du réel. Penser le documentaire, Aix-en-Provence, Presses de l’Université de Provence, 2004, 175 p.Jean-Pierre Bertin-Maghit, Les documenteurs des années noires. Les documentaires de propagande, France 1940-1944, Paris, Nouveau Monde, 2004, 286 p. Accompagné d’un DVD.[Record]

  • Roger Odin

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  • Roger Odin
    Université Paris III

Malgré un renouveau récent (visible, essentiellement, dans les thèses universitaires), les travaux sur le documentaire restent suffisamment rares en France pour que l’on porte attention à deux ouvrages qui viennent de sortir quasi simultanément. L’un est le fait d’un théoricien, également réalisateur, qui a mis en place à l’Université d’Aix Marseille un espace de travail sur le documentaire (thèses, publications, traductions, réalisations) : Jean Luc Lioult ; l’autre est le fait d’un historien qui a également réalisé des documentaires (Le cinéma de l’ombre, On tournait pendant l’occupation, Les documenteurs des années noires) : Jean-Pierre Bertin-Maghit. L’ouvrage de Jean Luc Lioult « se propose de revisiter les concepts utiles à l’étude des rapports image/monde » (p. 11). Ainsi sont passées en revue toute une série de notions fonctionnant le plus souvent par couples (fiction vs non-fiction, afilmique vs profilmique, analogique vs digital, narrativité vs discursivité, vérité vs véri-fiabilité…), mais également par triades (indice, icône, symbole ; stratégies, registres, modes…). L’auteur y aborde aussi les problèmes de la syntaxe audiovisuelle (à travers l’analyse des films Les vacances du cinéaste de Johan van der Keuken, 1974, et Black Daisies for the Bride de Tonn Harrisson et Peter Symes, 1993), la question de la réception par les spectateurs (notions de savoirs adjacents, de péri et d’intertextualité) ainsi que les relations entre intention et éthique (« De l’intention au pacte, de la rhétorique à l’éthique »). Sur nombre de ces sujets, J. L. Lioult fait des mises au point discrètes mais utiles. Il suggère par exemple de s’en tenir à une conception restrictive du couple afilmique (les données du réel non affectées par le filmage) vs profilmique (ce qui manifeste une volonté de production de sens), plaide inversement pour une conception élargie de la « véri-fiabilité » (« on admet comme vraies des représentations que l’on juge fiables, au sens où elles rendent compte de phénomènes naturels ou culturels attestés », p. 59), montre que narrativité et discursivité ne s’excluent pas (on peut raconter des événements tout en servant un discours, p. 88), etc. À l’intérieur de cet ensemble, un couple de notions occupe une position particulière : l’opposition entre « réel de premier ordre » (« les propriétés objectivement connaissables qui peuvent donner lieu à un consensus ») et « réalité(s) de deuxième ordre » (« le(s) monde(s) affecté(s) de sens et de valeurs que (re)construisent les représentations du réel ») (p. 37). C’est ce couple qui permet à Lioult de définir le documentaire : les images du documentaire portent la « trace directe […] de certains aspects du réel de premier ordre » (p. 38). Cette façon d’envisager le documentaire le conduit à émettre des réserves sur ce qui est pour moi la caractéristique de la lecture « documentarisante » — la lecture réclamée par le documentaire —, à savoir la construction par le spectateur d’un énonciateur réel, c’est-à-dire d’un énonciateur interrogeable en termes de vérité   : « La construction par le spectateur d’un énonciateur réel, écrit-il, me paraît moins déterminante que la (re)construction à partir du texte d’une portion de réel de premier ordre et sa véri-fiabilité » (p. 130). Plus loin, il précise que la règle, dans le documentaire, est que les personnages se représentent eux-mêmes, et que le moment et l’espace du tournage valent en eux-mêmes. De telles affirmations laissent entendre que, pour Lioult, le documentaire, du moins le documentaire idéal — celui qui manifeste l’essence du documentaire — est le documentaire direct. Il est évident que nombre de documentaires ne répondent pas à ces critères. Dans d’autres passages, la position de Lioult est plus nuancée. …

Appendices