Abstracts
Résumé
On réduit parfois les concepts opératoires que sont l’image-mouvement et l’image-temps à de simples étiquettes qui devraient renvoyer à des âges distincts du cinéma. Cet effet de lecture produit par la publication en deux temps, deux volumes, de l’ensemble consacré au cinéma par Deleuze traduit sans doute des hésitations de sa part, notamment dans l’articulation qu’il établit entre les termes d’une histoire du cinéma et les concepts propres à une logique de la perception. Mais il conduit surtout à en fausser singulièrement la perspective, comme à ne pas en voir l’intérêt. Une lecture plus attentive des références cinématographiques avancées par Deleuze en ce qui a trait à l’image-temps doit nous inviter à nous méfier de la symétrie que nous voudrions voir établie entre le diptyque conceptuel proposé pour l’image filmique, et une coupure effectuée à partir d’une chronologie offerte par l’Histoire du cinéma (et qui conduit à opposer un cinéma « classique » à un cinéma « moderne »). Pour nous libérer de cette confusion entre des termes utilisés dans une perspective ordonnée par un souci purement historique et les enjeux propres à une analytique des images, la notion de plan ouvert pourrait à cet égard se révéler décisive, en renouant avec une thématique qui parcourt en profondeur l’analyse deleuzienne : la « pensée du cinéma » et le « bergsonisme » profond de ce dernier. Elle nous aide en effet à comprendre l’articulation entre les deux concepts et à mieux saisir leurs effets proprement esthétiques. Le concept de plan ouvert permet ainsi d’investir d’une façon nouvelle la « pensée du cinéma » qui gouverne l’approche deleuzienne. Des exemples spécifiques d’écriture cinématographique empruntés à des auteurs différents (Altman, Duras, Resnais, Syberberg, Welles et Wenders, notamment) permettent d’en déterminer quelques-uns des aspects.
Astract
We sometimes reduce the theoretical concepts movement-image and time-image to mere labels for describing distinct periods of film history. This phenomenon, the effect of the separate publication in two volumes of Deleuze’s work on the cinema, undoubtedly conveys his hesitations on the subject, in particular with respect to the links he sees between the terms used in film history and the concepts proper to a logic of perception. But it especially leads to a singular falsification of perspective. A closer reading of Deleuze’s film references with respect to the time-image should prompt us to avoid the symmetry we might like to see between the conceptual diptych he proposes for the cinematic image and a break in the chronology found in film histories (in which “modern” cinema is opposed to “classical” cinema). To free ourselves of the confusion between the terms used in a perspective ordered by purely historical concerns and the issues proper to an analysis of images, the concept of an open shot may prove to be decisive by returning to a theme underlying all of Deleuze’s analysis: his profound cinema thought and “Bergsonism.” This theme helps us to understand the connection between the two concepts and to better grasp their properly aesthetic effects. The concept of the open shot thus makes it possible to examine the cinema thought governing Deleuze’s approach in a new way. Specific examples taken from films by various filmmakers (Altman, Duras, Resnais, Syberberg, Welles and Wenders in particular) will be used to determine some of its features.
Article body
Il faudra bien, un jour, se résoudre à interroger l’histoire de la réception, sur le plan conceptuel, des deux ouvrages consacrés par Gilles Deleuze au cinéma — moins pour observer comment les concepts qui circulent dans cette oeuvre ont parfois été soumis à des applications mécaniques, au risque de devenir des catégories passe-partout, que pour comprendre par quel étrange effet l’entreprise deleuzienne a surtout fait l’objet d’un questionnement récurrent quant à la pertinence historique de ses classifications. Cela est particulièrement net à propos du couple conceptuel qui donne à chaque volume du diptyque son titre respectif. Car ce qui ne laisse pas de surprendre, c’est bien la persistance d’un étrange effet de lecture qui conduit à replier sur une chronologie ce qui a été conçu en vue d’une pure logique des rapports entre les images, et à prolonger un malentendu que l’on aurait pu croire dissipé depuis longtemps [1].
Cette volonté de faire coïncider la dramatisation conceptuelle à laquelle le régime d’écriture deleuzien obéit avec les termes d’une histoire dont la narration serait la vérification empirique des thèses soutenues sur le plan théorique, si elle a pu mettre en évidence quelques-unes des hésitations de Deleuze à ce sujet, passe en effet à côté de l’essentiel : l’image-temps ne vient pas après la crise de l’image-mouvement, comme une « suite », tout simplement parce qu’elle est présente depuis toujours dans le cinéma, comme une tentation, ou comme une perspective inhérente à cette « Idée du cinéma » que l’on peut souvent voir à l’oeuvre dans la réflexion qui accompagne les premiers mouvements cinématographiques des années vingt. Ce n’est pas un hasard si Deleuze ne cesse de s’y référer, sans jamais l’associer, et pour cause, à une forme précise, ni l’inscrire strictement dans le cadre d’une datation — en sorte que cette référence vient miner la simplicité de la distinction entre un cinéma « classique » et un cinéma « moderne ». Sans doute y a-t-il dans l’approche deleuzienne des hésitations expliquant la persistance de ce malentendu qui conduit à associer au diptyque conceptuel conçu par Deleuze les moments d’une histoire du cinéma destinés à l’illustrer ; mais il nous apparaît surtout que l’on n’a pas pris toute la mesure de ce principe de réversibilité auquel obéit l’opération même de la lecture à laquelle Deleuze (1985, p. 59) soumet l’histoire du cinéma pour en penser l’« Idée » : « Il fallait le [cinéma] moderne pour relire tout le cinéma comme déjà fait de mouvements aberrants et de faux-raccords. L’image-temps directe est le fantôme qui a toujours hanté le cinéma, mais il fallait le cinéma moderne pour donner un corps à ce fantôme » (Deleuze 1985, p. 59).
Relire, et donner un corps : double opération qui, au sein du cinéma, joue de l’image et sur l’image, et qui, en ce qui a trait à la perception filmique, consiste à obtenir du spectateur qu’il soit un lecteur. Or ce qui est chaque fois en jeu tient moins à la volonté de trouver dans une chronologie le corrélat d’une mutation générale de la nature de l’image, qu’à la nécessité de penser ce double régime des images comme une dimension constitutive du cinéma, du point de vue de l’idée qui gouverne ce dernier, que l’on peut résumer par la volonté de représenter le temps par les moyens du temps ou d’accéder à une image directe du temps. Ce qui est plus intimement lié à l’histoire, non du cinéma, mais de la pensée, c’est, nous dit Deleuze, la modification des conceptions du temps — le passage du cinéma à une problématique d’ordre transcendantal ne reposant pas sur une condition empiriquement vérifiable liée à son simple développement interne, c’est à un ensemble de facteurs disparates qu’il doit son émergence, lesquels font intervenir notre propre régime de croyance —, notre forme moderne de scepticisme, en quelque sorte.
Là encore, cette différence est une différence de pensée, qui affecte la relation à l’image. En effet, quand la possibilité de l’accession au régime de l’image-temps est rapportée à une crise qui traverse tout le cinéma, la crise de l’image-action, cette crise ne remet en cause un certain type de récit — celui qui fait de la continuité sensorimotrice le principe même d’une narration centrée autour de l’image-action — qu’en raison d’une autre crise, celle qui traverse la relation du spectateur à l’image : quand l’image visuelle et l’image sonore cessent de coïncider, la voie est ouverte à ces puissances du faux qu’exploreront des cinéastes aussi différents que Lang, Welles, Resnais ou Robbe-Grillet. Impossible, alors, de replier cette articulation chronologique entre les deux temps de l’analyse, dans les termes connus d’une histoire du cinéma, ou même de la faire coïncider strictement avec la crise de l’image-action liée aux effets de l’après-guerre — en dépit même de la présentation qu’en donne par deux fois Deleuze à la jointure des deux volumes de son ouvrage [2]. Pourtant, et contre le parallélisme qu’entraîne en effet l’analyse faite par Deleuze (1983, p. 277) de l’histoire (du cinéma autant que du monde) et de la typologie des images, celui-ci formule à deux reprises un important correctif : « Mais une crise de l’image-action peut-elle être présentée comme nouvelle ? N’était-ce pas l’état constant du cinéma ? » Il amène en outre de singuliers ajustements à ce sujet lorsqu’il fait la récapitulation des images et des signes, juste après avoir pris comme exemple un nouveau régime de l’image, soit la profondeur de champ de Welles et les travellings de Resnais et de Visconti, qu’il associe à l’enjeu que suppose une présentation directe du temps, tout en contestant le postulat voulant que l’image cinématographique soit pur présent. D’une part, en subvertissant précisément la tentative de périodisation historique : Dreyer est cité, au mépris le plus strict de la chronologie. Ensuite, en réintroduisant le principe de réversibilité que nous évoquions précédemment :
Les travellings de Resnais et de Visconti, la profondeur de champ de Welles, opèrent une temporalisation de l’image ou forment une image-temps directe, qui accomplit le principe : l’image cinématographique n’est au présent que dans les mauvais films. […] Et sans doute les procédés sont multiples : c’est au contraire l’écrasement de la profondeur et la planitude de l’image qui, chez Dreyer et d’autres auteurs, ouvriront directement l’image sur le temps comme quatrième dimension. C’est, nous le verrons, parce qu’il y a des variétés de l’image-temps comme il y avait des types de l’image-mouvement. […] C’est cette montée, cette émancipation du temps qui assure le règne du raccord impossible et du mouvement aberrant. Le postulat de l’« image au présent » est un des plus ruineux pour toute compréhension du cinéma.
Mais ces caractères n’ont-ils pas marqué très tôt le cinéma (Eisenstein, Epstein) ? […] Comment en faire le trait d’un cinéma moderne, qui se distinguerait du cinéma « classique » ou de la représentation indirecte du temps ?
Deleuze 1985, p. 56-57
C’est pourquoi la chronologie et la périodisation historiennes manquent l’essentiel en esquivant la difficulté que s’efforce de surmonter Deleuze, d’une part en voulant maintenir la notion d’« âme » ou d’« Idée du cinéma », d’autre part en déterminant quels traits distinctifs permettent de penser la différence entre le cinéma moderne et le cinéma « classique ». Parce que l’image-temps n’est pensable que comme un au-delà de l’image-mouvement, parce qu’elle est contenue virtuellement dans les premiers termes de l’image-mouvement, c’est un rapport d’engendrement qu’il s’agit de constituer entre ces deux types d’image. L’image-temps ne surgit dans cet « au-delà de l’image-mouvement » que parce qu’elle n’est pensable (et observable) qu’après que le cinéma a épuisé toutes les possibilités de l’image-mouvement. Aussi, limiter notre analyse aux facteurs — historiquement attestés — d’une image-temps, c’est commettre la même erreur que celle qui consiste à confondre le possible et le virtuel. Le malentendu entre une pensée propre au cinéma et l’histoire du cinéma repose donc sur une confusion, non en ce qui a trait aux mots utilisés, mais aux perspectives, étant entendu que l’historien, attaché à l’enchaînement des faits, ne retient que les possibles qui se sont réalisés, quand le philosophe s’attache à retrouver les virtualités, y compris celles qui n’ont pu s’actualiser, puisque le possible « renvoie à la forme d’identité dans le concept, tandis que [le virtuel] désigne une multiplicité pure dans l’Idée » (Deleuze 1968, p. 273 — c’est moi qui souligne).
Autant dire qu’au regard du cinéma, le point de vue occupé par le philosophe consistera non pas à retrouver des possibilités oubliées ou des réalités occultées, mais à dessiner, dans le processus même de l’image cinématographique, cette tension du virtuel et de l’actuel, en concevant l’image-temps comme une forme virtuelle de toute image-mouvement, et non pas tant comme un possible à venir — telos fondateur qui ne pourrait être atteint, chronologiquement, qu’à la fin du déroulement chrono-logique du concept (et partant, du cinéma). Mais pour briser la persistance de cette association paresseuse en quoi consiste la duplication de l’image-mouvement et de l’image-temps en deux âges stylistiques du cinéma, il faut revenir sur leur relation d’engendrement, et penser le principe de la composition de l’image filmique : le plan. L’intérêt que Deleuze manifeste plus d’une fois pour la pensée du cinéma consiste très précisément à souligner que la différence entre les deux types d’image est moins la conséquence d’une crise du cinéma qu’une virtualité constante du cinéma : le cinéma moderne l’aurait sensiblement actualisée, en modifiant la fonction du montage, notamment, mais pas seulement. « Il fallait que l’image se libère des liens sensori-moteurs, qu’elle cesse d’être image-action pour devenir une image optique, sonore (et tactile) pure. Mais celle-ci ne suffisait pas : il fallait qu’elle entre en rapport avec d’autres forces encore, pour échapper elle-même au monde des clichés » (Deleuze 1985, p. 35).
La différence entre image-mouvement et image-temps suppose donc l’actualisation d’une dimension demeurée la plupart du temps virtuelle. Mais tout se passe comme si les hypothèses avancées pour expliquer la crise de l’image-action avaient conduit à lire le deuxième volume de Cinéma comme une suite, dans l’histoire du cinéma, de cette crise, et comme une solution (ou une réponse) à cette même crise. Parce que l’image-temps est une tentation inscrite dès les premiers temps du cinéma, Deleuze ne cesse en effet, pour l’évoquer ou la penser, de croiser en tous sens la ligne des faits, pour faire dialoguer entre eux des films très différents et appartenant à des âges différents du cinéma, avec des textes théoriques appartenant à un autre âge du cinéma, comme ceux d’Epstein, où il est possible de vérifier quel intérêt pouvait trouver un théoricien du cinéma, qui fut aussi un cinéaste, à ce renversement de la relation du temps au mouvement, et de suivre le fil d’une idée consistant à vouloir rendre le premier indépendant du second. L’analytique de l’image filmique que propose Deleuze est alors inséparable d’une logique de la perception, ne serait-ce que parce qu’il a recours à une écriture extrêmement sensible à la puissance affective et expressive de l’image. Ainsi s’éclaire également l’un des traits les plus remarquables de l’approche deleuzienne : on a rarement lu pareilles descriptions de l’efficacité propre aux images cinématographiques, on a rarement lu analyse s’enfoncer si profondément dans l’image, pour la retenir et la caractériser, pour en détailler la puissance du pâtir comme de l’agir sur un spectateur qui, à la différence de ce qui se produit avec la peinture, devient le sujet même de l’enquête [3].
Contrairement à ce que fait Deleuze dans son grand ouvrage sur Bacon, où il engage l’analyse de la peinture depuis l’expérience même de peindre, en investissant les déterminants sensibles de ce que peut être le point de vue du peintre, nombre d’analyses menées par Deleuze au sujet du cinéma sont écrites du point de vue de la relation entre le film et son spectateur. Le cinéaste, comme metteur en scène, n’est peut-être bien que le premier spectateur de son film. Aussi, la donnée première, c’est l’image projetée, et dans la projection, la perception est tout à la fois active et passive, elle est l’acte d’un sujet qui se tient à distance, en même temps que toute distance s’abolit par la capture qui s’opère via l’écran. Aussi l’image est-elle une notion relativement imprécise, ou anexacte, quand c’est le plan qu’il s’agit de penser. Le plan, donc, et non pas le photogramme, puisque c’est ce à quoi l’image est ramenée faute d’être conçue immédiatement comme mobile, comme image-mouvement. La conséquence s’ensuit : le plan, c’est l’image-mouvement, et l’image-mouvement, c’est le plan. Cette équivalence absolue échappe cependant à ceux qui, substantialisant la distinction entre les deux concepts centraux d’image-mouvement et d’image-temps, pensent pouvoir les considérer non comme des modalités de l’image, mais comme des images d’essence différente. D’ailleurs, si l’on suit aussi rigoureusement Bergson que le fait Deleuze, il faudrait comprendre que l’image cinématographique est elle-même une opération effectuée sur un donné préalable représenté dans l’équivalence primitive de l’image avec la matière : en un premier sens, l’image n’est image-mouvement que parce qu’il y a identité de l’image et de la matière. Un tel enjeu ne peut se déployer pleinement qu’à la faveur d’une radicalisation et d’une systématisation de l’hypothèse liminaire de Matière et mémoire (Bergson 1959a) concernant l’équation matière-image, qu’il faut envisager avec toute la force de la revendication de Bergson, selon un angle qui ignorerait tout des subtilités de la philosophie — et Deleuze (1983, p. 86) reprend intégralement cette équation à son compte, lorsqu’il écrit notamment ceci : « Nous nous trouvons en effet devant l’exposition d’un monde où image = mouvement. » S’il y a identité de l’image et du mouvement, on doit reconnaître en premier lieu que le concept d’image-mouvement n’est pas proprement cinématographique, ce que les commentaires critiques adressés à Deleuze ont tendance à négliger. Il faudrait dès lors se demander comment on passe au concept proprement cinématographique d’image-mouvement : celui-ci n’apparaît pensable que s’il est conçu comme le produit de l’opération qu’est l’acte de filmer. Cette opération que le cinéma effectue tout autant que le récit s’appelle découper, cadrer, monter — et ce sont avant tout des opérations de la conscience [4].
On comprend alors que Bergson ait fourni le cadre exact dont avaient besoin les premiers penseurs du cinéma : s’il avait raté le cinéma, il avait précisément pensé le plan en le libérant ou en le dégageant de ses déterminations extensives, en en faisant une donnée immédiate de la conscience ou de la pensée. Et si, paradoxalement, la vie de l’image avait été saisie chez Bergson au travers d’un modèle essentiellement pictural, le bergsonisme aurait ruiné la conception que les classiques avaient de l’image en y introduisant un corps, et une durée. Un corps, puisque c’était à partir de la prise en compte de ce dernier qu’on pouvait, selon Bergson, introduire dans le concept de l’image un centre d’indétermination variable ; une durée, car il fallait également comprendre comment les images se distinguaient entre elles, et les unes par rapport aux autres, de telle sorte que certaines puissent devenir images privilégiées. Mais c’est aussi pourquoi il reste à penser le plan filmique comme « plan ouvert » (Deleuze 1985, p. 33 et suivantes).
Le bergsonisme se trouvait de plain-pied avec le point de vue cinématographique, exigeant une perception acentrée et une coupe pensée comme coupe mobile, comme le souligne fortement Deleuze (1983, p. 86-87 — c’est moi qui souligne) :
Cet ensemble infini de toutes les images constitue une sorte de plan d’immanence. L’image existe en soi, sur ce plan. Cet en-soi de l’image, c’est la matière : non pas quelque chose qui serait caché derrière l’image, mais au contraire l’identité absolue de l’image et du mouvement. […] Or c’est bien dans cet univers ou sur ce plan qu’on taille des systèmes clos, des ensembles finis ; il les rend possibles par l’extériorité de ses parties. Mais il n’en est pas un lui-même. C’est un ensemble, mais un ensemble infini […]. Aussi est-il une coupe […].
Ce sont ces déterminations, encore posées comme virtualités dans l’image-mouvement, que l’image-temps libère : en un sens, il n’est besoin ni d’un centre, ni d’un sujet, ni d’un corps, ni d’une action, juste d’une durée et d’un principe d’ouverture — l’ouverture du plan comme principe.
L’image-mouvement n’a pas disparu, mais n’existe plus que comme la première dimension d’une image qui ne cesse de croître en dimensions. […] tandis que l’image-mouvement et ses signes sensori-moteurs n’étaient en rapport qu’avec une image indirecte du temps (dépendant du montage), l’image optique et sonore pure, ses opsignes et sonsignes, se lient directement à une image-temps qui s’est subordonnée le mouvement. C’est ce renversement qui fait, non plus du temps la mesure du mouvement, mais du mouvement la perspective du temps : il constitue tout un cinéma du temps […].
Deleuze 1985, p. 34
S’il faut laisser passer beaucoup d’images pour qu’il y ait à l’écran cette monstration directe du temps, c’est leur subordination au temps qui est maintenant révélée, en même temps que nous est révélé d’où naissent les récits, les mouvements, les actions : de cette profondeur pure où l’intensif se donne comme pure durée et où le pli se déplie en se déployant, où l’implexe se « désimplique ». Ce que Deleuze soulignera dans Le pli (1988) à propos du baroque et de Leibniz, il l’observait déjà, à travers le mouvement de son analyse, en matière de cinéma : ex-pliquer, c’est dés-impliquer. Mais un pan entier du cinéma (incluant le cinéma classique et le cinéma appartenant à ce qu’on a nommé le néoréalisme) se trouve aussi réévalué par ce renversement de perspectives — un nouveau pli, dans l’histoire du cinéma, dont l’historiographie n’a peut-être pas fini de prendre la mesure, si c’est Wenders qui nous ramène au Voyage en Italie de Rossellini, ou s’il est possible, à la faveur d’un croisement imprévu, de faire se rencontrer Antonioni, Ozu et Visconti. À propos de Godard et, plus explicitement, de La lettre à Freddy Buache, Deleuze (1985, p. 244) note que « le cinéma cesse d’être narratif » pour devenir romanesque. De Cassavettes, il retient que « les personnages ne doivent pas venir de l’histoire ou de l’intrigue, mais l’histoire, être sécrétée par les personnages » (Deleuze 1985, p. 250) [5], et il associe cette exigence d’un cinéma des corps au gestus brechtien en constatant le même renversement de la relation de subordination à une intrigue préexistante.
Le concept d’image-mouvement opère donc à deux niveaux : il désigne en premier lieu le donné immédiat du réel, si l’on tient pour acquis le postulat initial de Bergson quant à l’identité de la matière et du mouvement. Et c’est à ce niveau que le concept proprement cinématographique se constitue, mais comme une ponction, un prélèvement, une limitation. Il y a donc, entre les deux niveaux du concept, l’opération même du film. En un sens, il y a, avant même que ne se construise le concept cinématographique d’image-mouvement, un seul et unique plan, qui se confond avec la totalité de la matière. Deleuze accorde d’ailleurs à Pasolini le crédit d’avoir pensé avec la plus grande rigueur, notamment dans L’expérience hérétique (1976) [6], ce plan unique et absolument illimité en droit. Le refus ou la répugnance du plan-séquence, chez Pasolini, sont liés à cette question — il lui faut procéder par prélèvements, recadrages et décadrages pour que la totalité synthétique atteigne au cinéma de poésie. En ce sens-là, le plan d’équivalence Matière = Mouvement ou Matière = Image donne à penser le plan comme un plan absolument illimité. Le cinéma vient en quelque sorte le clore, le clôturer, le découper en unités distinctives (prises, séquences, etc.). Et c’est l’organisation des opérations du filmage (soit cadrer, découper, monter), comme la déclinaison des images en variétés distinctes, qui permettent de penser la totalité-film au regard d’une totalité-monde incommensurable. C’est là le rôle du montage, en tant que condition d’une présentation indirecte du temps [7]. Mais le plan peut être pensé comme ouvert, en un autre sens, plus spécifiquement cinématographique, lorsqu’il est question, en effet, de faire surgir une présentation directe du temps.
On pourrait dire que l’un des enjeux du cinéma n’est pas seulement de cadrer et de découper, mais d’ouvrir, ou de s’ouvrir à ce qui advient — autre façon d’appliquer la « leçon du bergsonisme » au cinéma : « Il y a toujours un moment où le cinéma rencontre l’imprévisible ou l’improvisation, l’irréductibilité d’un présent vivant sous le présent de narration […] Ces deux thèmes, la totalité ouverte et l’événement en train de se faire, appartiennent au bergsonisme profond du cinéma en général » (Deleuze 1983, p. 278 — c’est moi qui souligne [8]). Mais alors qu’il est constamment question de totalité ouverte, comme de l’Ouvert, le concept de plan ouvert ne figure pas chez Deleuze. Pourtant, il nous semble que c’est à cette conception d’un plan ouvert qu’il nous conduit, si l’on veut comprendre que le plan est cet élément originaire ou ce fond sans fond à partir duquel s’effectuent les opérations de sélection, de cadrage, de mont(r)age et de découpage qui sont les moments constitutifs et principiels du filmage [9], ce que l’équation plan = énoncé ne permettait pas de saisir, pas plus que la définition de la distance scalaire de la caméra, seule définition rigoureuse selon Mitry.
Il n’entre en fait dans ces concepts de plan que des déterminations relatives à l’espace. De l’approche de Deleuze, on a souvent retenu la charge contre la sémiologie de Metz. Mais on n’a pas vu que l’essentiel tournait autour de la définition du plan et que Deleuze, à cet égard, récusait tout autant la position de Mitry que celle de Metz. Cela se voit dès que l’on s’arrête à la question du plan-séquence, qui est considérée comme contradictoire par le premier, ou qu’on s’interroge à propos des critères de distinction entre l’image et le plan chez Metz [10]. On sait le prix à payer chez Mitry : le plan-séquence est un « monstre théorique » et le travelling, un procédé qui brouille l’unité de composition du plan à partir du cadre. Or, il ne s’agit pas de discuter de l’existence ou non des plans-séquences, mais de comprendre ce qui, en eux, se joue : quand on passe d’une profondeur de champ de type classique (modèle Wyler) à cette profondeur de champ qu’expérimente Welles, c’est en effet tout le régime des priorités et des mesures qui bascule, en même temps que vacille la possibilité d’assigner, respectivement à un centre, point de vue et sujet. Le régime qu’invente Welles, selon Deleuze qui le met en rapport avec deux conceptions picturales de la profondeur, c’est celui de la diagonale et de la trouée : la diagonale, qui fait communiquer et entrer en collision deux zones spatiales et temporelles, par la mise en relation directe d’un premier plan et d’un arrière-plan ; la trouée, dans laquelle l’image « se creuse intérieurement » (Deleuze 1985, p. 140). L’indécidabilité, ou la puissance du faux, s’exerce autant en ce qui a trait au régime de la voix (qui parle ? qui voit ?) qu’à la modalité des traces enregistrées (régime subjectif ? régime neutre ou objectif ?).
Si Deleuze refuse en quelque sorte d’inscrire Welles dans la perspective bazinienne d’une ontologie de l’image [11], tout comme il refuse de voir chez ce cinéaste un réalisme plus riche et plus approprié à la vocation « phénoménologique » attribuée un peu trop vite, selon lui, au cinéma, c’est que Welles ne cesse d’explorer la puissance d’ambiguïté de l’image lors même qu’elle est traquée comme l’unique témoignage qui peut rester d’un mort. Le lien avec la narration ne cesse alors, dans cette perspective, de se distendre : ainsi en va-t-il de cette séquence, à la fin de La splendeur des Amberson (1942), où le personnage que joue Welles revient dans sa ville. Le monologue est maintenu, mais la caméra filme en panoramique une ville transformée, enregistrant par la même occasion les modifications qu’elle a subies — et s’écartant par là même du principe finaliste qui régit la fin d’un récit classique. Un changement de régime très singulier, distinct de ceux produits par les précédentes expérimentations de Welles dans Citizen Kane (1941) ou par les deux séquences au miroir de La dame de Shanghai (1948), peut ici être observé. À l’impossible assignation du personnage à son image, sous la double pression conjuguée de l’imago et de la psyché (tout provenant d’une voix qui raconte au passé ce qui « fut comme une apparition »), la séquence des Amberson oppose un régime narratif où la « résolution » diégétique passe par un commentaire consacré à un référent jusque-là désinvesti et supposé stable (« la Ville ») et que le narrateur découvre, à l’instar du Narrateur proustien, entièrement métamorphosé et méconnaissable. Le panoramique évoqué plus haut, effectué non sur des visages, mais sur des façades d’immeubles, obéit presque à la modalité du documentaire ou du reportage, et pourrait constituer un exemple d’essai cinématographique. Mais ainsi placé dans l’économie du film, le plan-séquence sur la ville amène l’image à s’ouvrir aux plus vastes dimensions de la profondeur de temps : le territoire filmé et parcouru se donne comme une profondeur temporelle à déchiffrer. L’image ne peut jamais coïncider avec ce que fut l’objet pris, capté, et celui-ci demeure fondamentalement équivoque, soumis aux jeux de miroirs et à la labilité des profils — comme dans la fameuse séquence des miroirs, ou lorsque l’unité du personnage fuit sans cesse malgré la tentative de Welles d’en saisir la vérité par la sommation des points de vue (Kane).
Si la profondeur n’a pas le privilège des images-temps, elle est cependant à entendre en deux sens, selon qu’elle est envisagée comme l’attribution d’une dimension spatiale au plan ou selon qu’elle s’inscrit dans la perspective des enjeux relatifs à la représentation directe du temps : alors la profondeur de champ, qui est celle du champ, révèle l’ensemble des déterminations constitutives du plan, qui se charge alors d’une signification explicitement temporelle : « la profondeur de champ crée un certain type d’image-temps directe, qu’on peut définir par la mémoire, les régions virtuelles de passé, les aspects de chaque région. Ce serait moins une fonction de réalité qu’une fonction de mémoration, de temporalisation » (Deleuze 1985, p. 143).
En réalité, bien des aspects de la temporalité et de la mémoire entrent en jeu. Si l’on passe, en suivant Deleuze, de Welles à Resnais, le temps non chronologique auquel on parvient nous expose à un autre aspect de la mémoire — celui où le souvenir pur n’apparaît qu’à la condition de se détacher de l’ordre psychologique du souvenir identifié à la recognition, ou encore comme ce faux souvenir qui reconstruit le passé en le rendant de ce fait réel, d’être simplement présent au titre d’un bloc imaginaire : tout Muriel (Resnais, 1963) est pris dans les limites dessinées par cette double orientation, mais cela pourrait se dire aussi de Providence (Resnais, 1976). Avec Resnais, le plan-séquence est d’abord ou souvent lié à un mouvement, un déplacement de et dans l’image. Mais le travelling accompagne moins les déambulations d’un personnage que les ressassements de la mémoire, de telle sorte que l’image est constamment « mise en crise » sous l’effet conjugué d’une narration disjonctive (comme dans Smoking/No smoking [1993], mais le principe est à l’oeuvre très tôt, avec Muriel) et d’une image qui ne cesse de se démentir, voire de se contredire (Muriel, encore, et Providence). Cela constitue « un cinéma qui, à force d’esquiver le présent, empêche le passé de se dégrader en souvenir » (Deleuze 1985, p. 163). Cela vaut admirablement pour Providence, où l’image du souvenir ne cesse de se transformer par la force du fantasme et du délire, et où le souvenir pur, inaltéré, revient au travers d’une imago éclatante, le plan de la villa à la véranda, donnant sur un arrière-plan de plage et de mer manifestement faux. Cela vaut aussi pour L’amour à mort (Resnais, 1984), dont la ponctuation, qui se présente sous la forme d’un plan noir strié, intervient régulièrement dans le récit, trouant le continuum narratif et créant une profondeur interstitielle à l’intérieur de cet espace et de ce temps où les morts s’engouffrent et d’où ils nous reviennent.
On peut donc revenir sur la portée des repères chronologiques avancés par Deleuze : par-delà les mutations historiques qu’ils soulignent et les modifications du regard qui leur sont diversement corrélées, ils marquent d’abord une différence dans la relation de l’image-plan au tout qui l’accueille, selon la nature de ce tout. Mais, il faut bien le reconnaître, la formulation deleuzienne n’évite pas toujours les ambiguïtés dans le second volume de Cinéma : tantôt l’ouvert est rapporté au « classique », quand le dehors est affecté au « moderne ». À la suite des analyses consacrées à l’automatisme cinématographique, on peut lire ceci :
L’automate est coupé du monde extérieur, mais il y a un dehors plus profond qui vient l’animer. La première conséquence est un nouveau statut du Tout dans le cinéma moderne. Pourtant, il ne semble pas qu’il y ait une grande différence entre ce que nous disons maintenant, le tout c’est le dehors, et ce que nous disions du cinéma classique, le tout c’était l’ouvert. Mais l’ouvert se confondait avec la représentation indirecte du temps […]. Ce pourquoi l’image cinématographique avait essentiellement un hors-champ qui renvoyait d’une part à un monde extérieur actualisable dans d’autres images, d’autre part à un tout changeant qui s’exprimait dans l’ensemble des images associées. Même le faux-raccord pouvait intervenir déjà, et préfigurer le cinéma moderne […].
Deleuze 1985, p. 233
Mais il semble bien qu’ailleurs, ce soit un autre aspect de l’ouvert qui demande à être pris en considération, en ce qu’il qualifie précisément le passage d’une présentation indirecte du temps à une présentation directe. On comprendra alors que, pour nous, la question n’est plus de savoir à quel type d’image du temps, indirecte ou directe, il a été historiquement possible au cinéma d’accéder, que de comprendre précisément que la distinction qu’établit Deleuze entre l’image-mouvement et l’image-temps est d’abord et surtout une différence de la première avec elle-même, en tant qu’elle s’ouvre, se module — s’ouvre à la modulation même de la lumière :
Certes, l’image-mouvement n’a pas seulement des mouvements extensifs (espace), mais aussi des mouvements intensifs (lumière) et des mouvements affectifs (l’âme). Le temps comme totalité ouverte et changeante n’en dépasse pas moins tous les mouvements, même les changements personnels de l’âme ou mouvements affectifs, bien qu’il ne puisse s’en passer. Il est donc saisi dans une représentation indirecte, puisqu’il ne peut se passer des images-mouvement qui l’expriment, mais dépasse pourtant tous les mouvements relatifs en nous forçant à penser un absolu du mouvement des corps, un infini du mouvement de la lumière, un sans-fond du mouvement des âmes : le sublime [12].
Deleuze 1985, p. 309
Il y a bien là une difficulté, qui demande à être considérée attentivement. Il s’agit davantage d’une tension entre deux aspects de l’ouvert que d’une contradiction dans l’analytique de l’image déployée par Deleuze. La différence ne porte qu’en apparence sur l’opposition du hors-champ et du faux raccord, puisqu’il y aura deux formes de hors-champ, alors que le faux raccord est initialement envisagé, dans le cinéma classique, comme une possibilité anomale. En revanche, s’il y a un point où la distinction entre les deux âges du cinéma se présente sous la forme d’une différence proprement filmique, c’est celui où l’on passe d’une image-temps obtenue à partir d’une continuité, à une image-temps qui intervient à la jointure, dans l’interstice même des plans, qui se glisse entre deux plans : ce que résume la question « où est passée Gertrud […] ? » (Deleuze 1983, p. 45).
C’est dans cette articulation du plan et du temps que se joue et se noue le rapport à l’ouvert. D’un côté, et en droit, au nom de l’équivalence absolue du plan et du mouvement, tout plan est illimité, infini : la forme la plus exacte d’équivalence serait celle du plan-séquence, au sens pasolinien du terme — repris par Deleuze —, où il y a équivalence entre la forme immédiate de la perception et le continuum même du perçu. L’image-mouvement, en tant que concept proprement cinématographique, est donc une coupe, une restriction, un prélèvement — les images étant déclinées selon les modalités propres aux trois variétés de l’image-mouvement [13]. Mais faute de concevoir le plan-séquence autrement que comme une séquence de plans, et la profondeur de champ que comme un mixte de plan, la durée et le temps ne peuvent relever que de la séquence, de l’histoire, ou de l’intrigue. L’invention du concept d’image-temps résout en ce sens les apories relevées par Deleuze dans les discussions qui opposèrent Mitry et Bazin, par exemple sur la légitimité du plan-séquence, ou qui sont liées à une conception strictement spatiale du plan. S’opposant à cette restriction, qui reste prisonnière d’un mouvement surajouté mais hétérogène au regard de l’image, Deleuze souligne que « la notion de plan peut avoir une unité et une extension suffisantes si on lui donne son plein sens projectif, perspectif ou temporel » (Deleuze 1983, p. 41 — c’est moi qui souligne). En ce sens, le plan, c’est bien l’image-mouvement, et l’image-mouvement nous oblige à reconnaître la relation du mouvement au temps. Mais pour accéder au concept d’image-temps, un autre pas doit être franchi. L’émancipation du temps par rapport au mouvement suppose en effet une libération des puissances internes de l’image : cela demande du temps, cela passe par une modification du régime narratif, cela implique une soustraction consciente au modèle de l’image-action, comme une attention résolue à ce qui surgit et advient dans le plan. En somme, si l’image-temps est bien cette approximation la plus pure du plan d’immanence, elle doit, pour apparaître, retrouver la dimension de l’Ouvert, conquise cette fois sur les formes habituelles de la re-présentation. La ballade, le plan-séquence seront les premières figures de ce principe voulant qu’il existe un continuum originaire à l’intérieur du Tout filmique, puisqu’ils réuniront de façon exemplaire la continuité filmique du récit d’où ils procèdent et l’unité narrative de la séquence, sans coupe, ellipse ou prélèvement liés à une fragmentation seconde.
Puisque l’image-mouvement peut être identifiée au plan, il faut donc introduire une autre équivalence pour apprécier le jeu qui se noue entre l’image-mouvement et l’image-temps : si le cinéma « exprime le temps lui-même comme perspective ou relief » (Deleuze 1983, p. 39), ce serait en termes de perspective et de profondeur qu’il faudrait concevoir l’image-temps, étant entendu que Deleuze redonne à la profondeur une dimension temporelle, à la suite de Bergson et de Merleau-Ponty. Car tout plan n’est pas ouvert au sens suggéré jusqu’ici, et il n’y a pas qu’une seule modalité de plan ouvert. L’ouvert peut se confondre en effet avec la représentation indirecte du temps — et c’est le hors-champ qui renvoie doublement à un référent situé au-delà du plan (le monde extérieur, le continuum illimité en droit). Le plan classique est ouvert sur un dehors susceptible de rentrer dans le champ : Deleuze se souvient explicitement des analyses de Noël Burch à ce sujet [14]. Mais avec le faux raccord et, surtout, avec l’espacement des images, l’interstice devient la figure essentielle d’une autre relation à l’ouvert, pensé cette fois comme ce qui vient « entre [15] ».
Sous le régime de la ballade, ou du plan-séquence, le plan est ouvert pour accueillir le temps, l’événement en train de se faire, le nouveau, l’imprévu. Le dehors ici cesse d’être le champ off susceptible de s’actualiser, pour devenir d’abord ce qui surgit d’entre les images, ou ce qui s’y glisse et empêche la soudure, la collure de prendre. Soit par exemple le début d’un film d’Altman — l’immense séquence d’ouverture de Buffalo Bill and the Indians (1976) ou de Thieves Like Us (1974) : nous nous trouvons ici dans un plan indéfini, un espace non limité, sinon par le cadre, et il nous faut attendre longtemps avant qu’un mobile apparaisse et y définisse une action. Mais prise dans son alentour, l’entrée de ce mobile dans le plan et sa traversée de l’espace donné dans l’unité de l’image et du plan appartiennent moins à la mise en place d’une narration, dont on saisirait alors l’unité narrative et dramatique, qu’elle n’affiche (comme un trait d’écriture remarquable) la volonté constante d’Altman de situer l’événement à la pointe extrême de cette limite où absence de tension et climax ne s’opposent plus mais sont les deux faces d’une même réalité : le moment attendu (le règlement de comptes, la scène anticipée, etc.) n’arrive que par défaut, ou quand il est trop tard. L’attente orientée vers l’apparition du nouveau se heurte à l’imperturbable répétition du Même (la puissance du cliché) : tel est le régime narratif auquel Altman a recours dans nombre de ses films en établissant une relation complexe entre les différents niveaux du film (celui propre à la diégèse du film, celui qui renvoie aux éléments du code narratif propre au genre retenu, en même temps que le film que l’on voit en épingle ironiquement les conventions comme autant de médaillons qu’il s’agit de faire « bégayer ». Pendant un temps, cette manière de faire passa pour un détournement du code ou une satire du genre, puis vint le moment où la fantaisie altmanienne se montra inséparable d’une restitution mélancolique et décalée du modèle : Altman filme comme un jazzman reprend un standard, en le détournant ou en le modifiant sensiblement. Et la prédilection pour la forme chorale, l’invention de la conversation filmée en continu propres à Altman, tantôt rumeur, tantôt éclat saisi en gros plan, tout cela conduit Altman à tisser des fils narratifs hétérogènes, indépendants et dont la réunion aléatoire produit le sentiment d’un work in progress dont le film est autant la résultante que l’enregistrement. L’improvisation et le puzzle sont donc les moyens privilégiés par Altman pour laisser se déployer le type de narration qu’il affectionne et qu’on trouve dans Nashville (1975), The Long Goodbye (1973) ou The Player (1992) : l’histoire avance en même temps qu’elle est filmée — voir notamment l’aventure de Tanner ’88 (1988). Dans Thieves Like Us, l’unité provient d’autre chose que de l’image ou de l’histoire — elle est assurée avant tout par le rythme produit par le montage. Mais c’est sur le plan du continuum sonore que les séquences avancent véritablement, s’enchaînant et se scindant tour à tour. La radio est presque le seul personnage que l’on suit de bout en bout, et la bande-son recouvre nombre de situations au point d’apparaître comme la voix inconsciente de l’Histoire, voix par laquelle le spectateur d’aujourd’hui est appelé à se laisser happer tout autant que la foule qui, au plan final, monte l’escalier à l’appel du train. La radio constitue ici un cas remarquable de voix narrative sans sujet, et se tient très loin des effets d’époque et des effets anecdotiques recherchés par Allen dans Radio Days (1987). Chez Altman, l’équivalence entre le centre et la périphérie modifie l’économie de la profondeur de champ en cessant de faire jouer celle-ci en fonction d’une opposition entre subjectivités (la différence de points de vue), et privilégie la tension objective entre les différents niveaux du récit — tension dont le récit n’est au fond que la résolution non victorieuse, sans point de vue conclusif autre que l’effet produit par cette « choralité ». Mais la « choralité » tient aussi à distance l’impératif narratif, lorsqu’il s’agit de restituer dans le plan lui-même et dans la continuité temporelle de la séquence l’effet d’une profondeur qui invite le spectateur à déambuler dans l’image et à en modifier sa vision — tantôt rapprochée, tantôt lointaine, indépendamment du focus filmique et narratif : voir l’alternance, dans Kansas City (1996), entre l’intrigue policière et les séquences musicales ; ou dans Short Cuts (1993), l’oscillation constante entre la froideur du constat et le pathétique propre aux nouvelles de Carver.
Le changement constant de focus ne renverse pas seulement la hiérarchie entre les plans, ou n’inverse pas simplement les perspectives ; il fait surgir soudain, en creux, le point aveugle (ou sourd). C’est ce qui confère à Gosford Park (Altman, 2001) sa dimension funèbre particulière, quand nous arrivons à voir comme à travers un spectre le château invisible aux propriétaires, celui qu’occupe la domesticité. Cela se passe comme si l’image même se dédoublait constamment et qu’un espace gigogne se dévoilait au fur et à mesure des allées et venues du personnel, non pas selon une opposition verticale, comme chez Lubitsch, entre upstairs et downstairs, entre le monde d’en haut et celui d’en bas, mais plutôt comme s’il y avait emboîtement, même si ce mouvement est constamment nié par ceux-là mêmes qui en sont à l’origine, de deux espaces jumeaux dont l’un serait en quelque sorte le refoulé de l’autre : le film est l’autopsie de ce refoulement. (La seule séquence qui fait s’ouvrir ces deux espaces l’un à l’autre est celle où les domestiques écoutent l’invité chanter et jouer au piano ; mais ce qui est vécu du point de vue des domestiques comme un moment de contemplation découle d’une asymétrie dans la relation entre ces espaces, comme entre les classes : il n’y a à aucun moment ouverture symétrique des espaces, il n’y a nulle communication entre eux, car il n’y a pas d’espace commun aux classes, vouées à ne jamais se rencontrer, faute de pouvoir se heurter, sinon au travers d’un reflet, ou par l’effet des traces laissées dans le for intérieur de certains.) Ce que fait surgir Gosford Park, c’est bien la présence spectrale d’un monde invisible (celui des domestiques) dans l’univers des maîtres, en même temps qu’il dépeint ce monde des maîtres comme un spectre en état de décomposition ; et ce sont les déambulations des uns et des autres dans des couloirs qu’ils ne devraient pas emprunter qui font s’ouvrir par son milieu ce château, au rebours de la présentation verticale qui en est faite au début du film.
Tout autre est le plan ouvert à la Wenders, comme on en trouve dans Faux mouvement (1974) : dans ce type de plan, la perception n’est pas « acentrée », en attente d’un point focal toujours instable. Elle y est au contraire centrée, mais elle se décentre en s’évadant du cadre, en en repoussant les limites, invitant ainsi le regard du spectateur à en sortir lui aussi, à aller au-delà du cadre, à le creuser cette fois d’une profondeur qu’on souhaiterait réelle. Ainsi en va-t-il de cette image de la ville filmée depuis un hélicoptère, image que l’on observe à travers le regard de Wilhelm Meister, ou de ces regards abandonnés au paysage défilant par la vitre du train : une immobilité devenue fuyante et ne pouvant paradoxalement être conservée que par la mobilité du regard. Le plan ouvert, ici, n’est pas attente d’un virtuel en voie d’actualisation, mais bien plutôt attente de la possibilisation d’une dimension, jusque-là latente ou espérée. Dans Alice dans les villes (Wenders, 1974), pour prendre un autre exemple, le spectateur se surprend à vouloir vérifier la correspondance qu’il y a entre la photographie qui sert de guide aux deux personnages, et les villas environnantes. Bien entendu, cette vérification est impossible — la déception qui concerne d’abord les deux personnages agissant aussi sur la perception que le spectateur a du film, et de ce que le film a retenu, enregistré. L’image dans l’image ne fonctionne plus comme veduta, quand elle souligne qu’une telle dénivellation du « réel » a lieu à même l’image : à l’intérieur d’une image, ou d’un plan, qui s’ouvre par son milieu ou se fissure lentement.
Mais l’Ouvert peut aussi se constituer en un tout autre sens : non plus par l’effacement des limites fixées au plan par le cadrage ou la tentation de s’en affranchir par des décadrages successifs [16], mais par ce mouvement qui émane des profondeurs de l’image, ou par cette violence qui sera faite plus tard au continuum filmique. Il y a, de fait, plusieurs façons d’ouvrir le plan : en partant de l’illimité en droit, le restreindre et le laisser se déployer selon le rythme interne à la séquence, ou en travaillant à ses interstices. L’attention que Deleuze prête aux formes les plus contemporaines de la rédaction de son ouvrage le montre en effet étonnamment sensible à tout ce travail singulier qui s’opère sur l’image et qui fait se rencontrer différents modes cinématographiques, jusqu’au plus expérimental. Un Martin Arnold, en soumettant les séquences anodines de films mineurs au démembrement produit par le dispositif de projection mécanique qu’il a inventé, produit une syncope de l’image pour en extraire la monstruosité ou l’inquiétante étrangeté, qui demeure par-delà l’aspect anodin ou lénifiant que le code stylistique et le dispositif narratif d’origine avaient enregistré sans le savoir : sous le masque lisse des deux chérubins d’Hollywood que sont Judy Garland et Mickey Rooney, la violence prédatrice des adolescents saisis par un rut cannibale apparaît dans toute sa crudité ; l’idéal de bonheur standardisé d’une famille de la low middle class devient le prototype de toutes les schizophrénies sociales à venir [17]. La machine d’Arnold croise sans doute l’autre machine, celle de l’inconscient ou de la pensée : la scène prélevée sur le film est retravaillée, distordue, altérée par le processus auquel la machine inventée par Arnold la soumet, mais en même temps qu’elle fait surgir la projection inavouée de l’image, elle se confond avec ce que la mémoire produit le plus souvent — l’invention d’un vrai faux-souvenir [18]. La frayeur surgit ici de la distorsion produite par le rythme de défilement des images sur la puissance latente que le défilement à la vitesse normale résorbe dans la continuité d’une action qui va jusqu’à son terme ; mais l’essentiel tourne bien autour de cette puissance dont l’image est capable et qui la fait jouer sur deux temps, ou s’imprimer deux fois — une première fois dans la succession linéaire des séquences, une seconde fois selon la différentielle des affects et des percepts. Alors l’image ne vit pas seulement d’une vie qui lui serait propre, mais en s’émancipant de la continuité diégétique où elle s’inscrivait, elle devient cette puissance d’effets qui force à penser, elle s’inscrit dans l’involution d’un processus qui est précisément celui de la projection (sur l’écran de la mémoire, par exemple, en même temps que le regard s’investit d’autant plus sur l’écran de cinéma que sa capture par la mémoire est réussie).
L’Ouvert se manifeste aussi dans la capacité des modalités de la forme expérimentale de revenir sur l’image, en la trafiquant ou en modelant sans cesse ses propres modes d’apparition. Mike Hoolboom, dans Tom (2002), film qui rend hommage au cinéaste Tom Chaumont, mélange des séquences qui nous montrent ce dernier à la fin de sa vie, avec d’autres que Chaumont a lui-même filmées ; mais l’essentiel de son « autobiographie » est portée par des séquences entières prélevées sur des films aussi dissemblables que Que viva Mexico ! (Eisenstein, 1931), Il était une fois en Amérique (Leone, 1984) ou Le sang d’un poète (Cocteau, 1931). La liste n’est pas exhaustive et peu importe : le film obéit aux principes du collage, d’une part, de la superposition, auxquels s’ajoutent les effets de transparence ou d’inversion des données filmiques, d’autre part. On constate ici que la logique qui préside au collage, à la superposition, à la surimpression n’est en rien comparable à celle qui gouverne l’emploi du fondu enchaîné. Mises ensemble, en écho ou en surimpression, les images fonctionnent plutôt comme des unités séquentielles devenues autonomes par rapport à leur matériau d’origine, dont elles ont été prélevées arbitrairement en fonction des effets que leur connexion avec d’autres images rend possibles ou que leur extraction de la continuité d’origine a rendus perceptibles. Elles n’indiquent pas le passage graduel d’une séquence à une autre, elles ne définissent aucune frontière, mais elles font surgir le palimpseste mémoriel qui entoure la perception elle-même. Ce film, comme bien d’autres qui appartiennent à cette tendance réflexive du cinéma expérimental, n’avance qu’en revenant sur des séquences préalablement enregistrées et qui sont retravaillées au bénéfice d’une voix autonome, propre au regard réflexif, critique et essayiste que le cinéma est capable de porter sur lui-même : une image-meta, en quelque sorte.
Ce croisement est patent chez un Syberberg, où la saturation du plan est d’abord interne, puisque le plan visuel est constamment traversé de plusieurs modalités filmiques : projection d’images déjà enregistrées (des archives notamment, mais aussi des lieux réels servant de décor au comédien qui se tient devant, disproportionné par rapport à ces images et manifestement dans un autre espace, dans un autre plan, dirait-on). Ludwig, requiem pour un roi vierge (Syberberg, 1972) et Hitler, un film d’Allemagne (Syberberg, 1977) seront exemplaires de cette méthode qui pense l’image filmique comme un plan feuilleté, constitué de plusieurs niveaux distincts, non connexes mais interdépendants. Seule une écriture stratigraphique peut être à la hauteur de cette conception de l’Histoire : tel est le rôle des panneaux de décors théâtraux qui se succèdent selon les besoins de la séquence, comme dans Ludwig, ou par l’entremise desquels l’unité apparente du plan général (celui de la séquence filmée) contient, à différentes échelles ou à des distances distinctes de la caméra, des plans historiquement différenciables : « L’image visuelle devient archéologique, stratigraphique, tectonique » (Deleuze 1985, p. 317) [19]. Le plan sonore lui-même est constamment traversé de multiples lignes : une bande renvoie au matériau historique traité, en y mêlant différents enregistrements (discours, concerts, par exemple), quand deux autres renvoient d’une part à la parole du cinéaste (son commentaire) et, d’autre part, à ce qui serait la Voix même du film prise comme Effet Totalisant. Le rôle joué par la musique chez Syberberg, et notamment dans Hitler, un film d’Allemagne (1977), est en effet sans précédent : à la fois partie du film et partie prenante de l’objet historiquement étudié, elle est également cette nappe continue qui ne coïncide pas avec l’unité de propos de chaque séquence, sauf lorsqu’elle surgit en tant que matériau historique (enregistrement d’archives). Elle est une ponctuation constitutive du régime esthétique du film, et la déploration mélancolique qui s’y fait entendre n’est pas simplement un « thème », c’est un matériau sensible qui permet au plan de composition sensible propre à l’oeuvre d’art d’exister dans l’unité d’un affect, d’un percept et d’une idée. L’image prise ainsi dans l’unité déchirée de ses plans constitutifs laisse passer le thrène sans fin qu’un regard déchiré et blessé adresse au monde englouti dans ce désastre absolu auquel nul n’aura su réchapper : ce que la musique assume, telle une voix narrative autonome en charge des affects mélancoliques des tard venus que nous sommes, ou que l’image de l’Enfant-Pietà fait exister, notamment dans la première partie de son Hitler (1977). (On observe un effet similaire dans La guerre d’un seul homme de Edgardo Cozarinski [1981], tout entier construit avec des bandes d’actualités cinématographiques d’époque et qu’accompagnent les extraits du Journal parisien, celui que Jünger a tenu durant les années de guerre : lorsque retentit le dernier des lieder de Strauss, il est évident que cette mélancolie diaprée n’émane ni du matériau ni du discours jusque-là tenu, et est encore moins rapportable au bilan officiel de la Guerre qui vient de finir. D’où un trouble analogue à celui que produisaient par endroits les fugitifs arrêts sur image sur tel ou tel visage anonyme englouti par l’histoire et négligemment saisi par la caméra sans auteur qui présidait à la constitution de ce dépôt que sont les images d’actualité, déchets et rejets d’un présent sans conscience historique et que leur retour, longtemps après, par le truchement de l’archive et du montage propre au cinéaste, vient lester d’un effet de sens imprévu, sans signification fixe préalablement déterminée.)
Pour que le temps soit visible, on comprend qu’il faut en avoir fini avec le récit, l’illustration, le dramatique, du moins en avoir fini avec leur primauté ou leur priorité. Ce n’est pas qu’il n’y ait plus de récits, de mouvements ni d’actions : ils sont simplement secondaires par rapport à cette libération des puissances de l’image cinématographique. C’est en ce sens qu’il faut comprendre l’insistance mise par Deleuze à associer l’image-temps à une contestation du primat du récit : elle s’inscrit dans sa critique des approches de la représentation entendue comme RE-présentation, selon les enjeux exposés dès Différence et répétition, et que la Logique de la sensation (1981) avait appliqués à la peinture en opposant le figural au mimétique.
La peinture n’a ni modèle à représenter, ni histoire à raconter. Dès lors, elle a deux voies possibles pour échapper au figuratif : vers la forme pure, par abstraction ; ou bien vers le pur figural, par extraction ou isolation. Si le peintre tient à la Figure, s’il prend la seconde voie, ce sera donc pour opposer le « figural » au figuratif. Isoler la Figure sera la condition première. Le figuratif (la représentation) implique en effet le rapport d’une image à un objet qu’elle est censée illustrer ; mais elle implique aussi le rapport d’une image avec d’autres images dans un ensemble composé qui donne précisément à chacune son objet. La narration est le corrélat de la sensation.
Deleuze 1981, p. 10-11
L’image-temps serait au cinéma ce que le figural est à la peinture. Dans Logique de la sensation, Deleuze reprend explicitement ce concept au Lyotard de Discours, figure (1971), pour le faire jouer dans une perspective non mimétique, non illustrative. Dans sa relation au cinéma, il faudrait l’entendre également dans un sens non narratif, ce à quoi s’emploient précisément les analyses de Deleuze portant sur la présentation directe du temps : ce que retient alors Deleuze, ce n’est pas cette restitution prise dans une logique du moulage (ou de l’empreinte) qui avait caractérisé, selon la perspective inspirée par la phénoménologie, l’approche d’André Bazin ; c’est tout au contraire ce qui marque une suspension du récit, une irruption de plans jusque-là soigneusement distingués et écartés, c’est précisément ce qui permet de voir, à rebours de la présentation historienne des écoles et des styles, ces puissances de l’image s’accroître et faire irruption sur la surface de l’écran, brisant ainsi la relative unité du film et du récit. Dans chacun des exemples analysés par Deleuze dans le second volume de Cinéma, le film est appréhendé comme une expérimentation sur le visible. L’expérience qu’il propose oblige le spectateur à rompre avec une certaine idéologie du visuel, comme avec le modèle de la perception naturelle (dans laquelle restait prise l’approche phénoménologique). Dans ces trois perspectives récusées par Deleuze, la représentation obéit peu ou prou au modèle de la recognition qui gouverne le principe de reconnaissance à l’oeuvre dans le concept aristotélicien de la mimèsis. Mais son refus le plus net, Deleuze l’adresse à l’identification abusive du visible au visuel. Le visible ne se confond pas avec le visuel et encore moins avec cette unité appelée audiovisuel : la libération de l’image-temps, c’est la libération des images pures — optiques, sonores, tactiles. Quand Marguerite Duras invente pour India Song (1975) le film des voix, distinct du film des images, cette double bande conduit à dissocier chaque voie (ou voix) — à les faire jouer pour elles-mêmes :
L’image sonore est née, dans sa rupture même, de sa rupture avec l’image visuelle. Ce ne sont même plus deux composantes autonomes d’une même image audio-visuelle, comme chez Rossellini, ce sont deux images « héautonomes », une visuelle, une sonore, avec une faille, un interstice, une coupure irrationnelle entre les deux.
Deleuze 1985, p. 327
Ce faisant, l’« héautonomie » ainsi attribuée à chaque « image » conduit précisément à penser leur rapport tout autrement qu’un rapport d’illustration, d’enregistrement ou de saisie du « direct », mais comme un rapport menant à l’instauration de plans successifs ou feuilletés où vient s’engouffrer l’épaisseur du temps. Ce que le concept d’image-temps vient remettre en cause, c’est une vieille croyance en l’identité de l’image filmique et du présent de l’indicatif — comme si l’image était au présent, ignorant les autres temps comme les autres modes. Par deux fois, Deleuze note cette illusion ou ce lieu commun persistant et qu’il conteste vigoureusement. La première fois, il rappelle le mot de Godard : « Le cinéma c’est ça, le présent n’y existe jamais, sauf dans les mauvais films » (Deleuze 1985, p. 55). La deuxième fois, il s’amuse en disant qu’il arrive à Robbe-Grillet de reprendre à son compte la considération suivante : « Il est inexact de considérer l’image cinématographique comme étant par nature au présent » (Deleuze 1985, p. 138).
L’enjeu, pour Deleuze, consiste ici à saisir l’« auto-affection » du temps :
D’une part il n’y a pas de présent qui ne soit hanté d’un passé et d’un futur, d’un passé qui ne se réduit pas à un ancien présent, d’un futur qui ne consiste pas en un présent à venir. La simple succession affecte les présents qui passent, mais chaque présent coexiste avec un passé et un futur sans lesquels il ne passerait pas lui-même. Il appartient au cinéma de saisir ce passé et ce futur qui coexistent avec l’image présente. Filmer ce qui est avant et ce qui est après… […] C’est très difficile, parce qu’il ne suffit pas d’éliminer la fiction, au profit d’une réalité brute qui nous renverrait d’autant plus aux présents qui passent. Il faut au contraire tendre vers une limite, faire passer dans le film la limite d’avant le film et d’après le film, saisir dans le personnage la limite qu’il franchit lui-même pour entrer dans le film et pour en sortir, pour entrer dans la fiction comme dans un présent qui ne se sépare pas de son avant et de son après […].
Deleuze 1985, p. 54-55
Ce qui est dit ici du cinéma direct, on le trouve tout aussi bien dans certaines expériences où la narration est poussée à la limite apparente de sa littéralité, comme dans Jeanne Dielman (1975), de Chantal Akerman, ou, à l’inverse, de son évanescence, comme chez Duras, où la « réalité coloniale », jamais filmée, vient hanter toute l’image par la seule vertu des voix enregistrées et de la musique. On retrouve cette coexistence des temps dans la séquence du bal, dans Des journées entières dans les arbres (1977), qui montre une Madeleine Renaud vieillissante dansant avec son fils resté jeune. Elle fait surgir ainsi une image complexe qui tient en un plan toutes les dimensions du temps, puisqu’elle ne saurait ici « incarner » la Mère encore jeune et encore moins correspondre au souvenir du passé ; mais comme souvenir pur, où tous les temps coexistent jusque dans la pointe qui le réactualise, l’anachronisme délibérément choisi fait surgir un passé pur, non narratif et non narrativisé par une relation causale (comme peut l’être le flash-back) [20]. Et pour demeurer en ce sens fidèle à la leçon de Deleuze, qui entrecroise constamment les âges du cinéma afin de démentir la sécheresse d’une lecture historique de la question, on pourrait évoquer le plan final de The Ghost and Mrs. Muir (Mankievicz, 1947), où le regard perdu vers les lointains dessine une ligne de fuite sur la mer où se rejoignent tous les temps du film, le regret absolu de ce possible qui eut lieu, et la certitude qu’il n’existera plus dans le futur qu’au titre d’un irréel du passé, mais advenu un temps sous la forme d’un optatif. L’image ne parle même pas au passé — « cela a été qui n’est plus », elle ne remémore pas non plus ce qui est advenu — puisqu’elle le contient en elle, mais elle dit d’abord, sous la forme d’un retrait et d’un effacement, ce que cela aura(it) été (si), et qui n’a pu être que sous la forme d’un irréel passé : il aurait été une fois un impossible…
On comprend alors ce qu’a rendu possible ce concept d’image-temps : une pensée effective des aspects les plus profonds de l’Idée de cinéma, en même temps qu’elle nous a permis d’identifier les formes novatrices expérimentées dans le cinéma jusque dans ses aspects les moins connus ou les plus expérimentaux. Réversiblement, ce concept a permis de faire surgir la dimension proprement expérimentale de l’image cinématographique, en tant qu’expérience de pensée. D’où l’insistance mise par Deleuze à souligner la puissance pathique de l’image, en l’articulant à un effet sur la pensée : si le trajet complet de l’image consiste à aller de l’image au concept, du concept à l’affect, avant qu’une identité de l’image et du concept ne soit envisageable, Deleuze (1985, p. 206), partout dans son ouvrage, s’efforce de demeurer fidèle à ce programme : « L’image cinématographique doit avoir un effet de choc sur la pensée, et forcer la pensée à se penser elle-même comme à penser le tout. » Peut-être faut-il admettre qu’un lien plus étroit entre sa philosophie et le cinéma conduit Deleuze à aborder le cinéma moins comme une forme que comme une force d’expression, où l’art affirme son rapport avec la question de la pensée de manière plus cruciale. Et parce qu’il « y a donc beaucoup de manières dont le cinéma peut effectuer ses rapports avec la pensée » (Deleuze 1985, p. 213), l’approche deleuzienne prolonge autant les approches inaugurées dans Différence et répétition, qu’elle esquisse des questions qui trouveront dans son dernier ouvrage leur résolution. D’un côté, le partage effectué entre l’image cinématographique et le « cliché » accentue l’écart qui sépare, sinon oppose, le cinéma de pensée ou la pensée du cinéma d’avec la part commerciale d’un art de masse (le cinéma ordinaire) ; d’autre part, le refus de s’arrêter à ce dernier accentue la question d’abord posée dans Différence et répétition, où l’opposition, propre cette fois à la philosophie, porte sur ce qui relève d’un régime représentatif, et sur ce qui doit permettre de viser une autre « image de la pensée [21] ».
Que fait donc Deleuze de si singulier ? S’il insiste tant pour dire des artistes qu’ils pensent ou que l’art relève de la pensée, cette appréciation suppose d’être rapportée à la double opération qu’il mène à propos de la philosophie dans sa contestation du bon sens et du sens commun, comme dans sa critique de l’« image dogmatique de la pensée ». Entre l’art et la philosophie, un principe d’affinité est établi, qui permet de les penser en rupture avec le plan par lequel la pensée ne pense pas ou ne pense plus — plan par lequel elle devient doxa, régime des opinions. À tant insister sur l’appartenance de l’art à la pensée, Deleuze bouscule radicalement la priorité accordée en général à la philosophie sur les autres disciplines, comme il conteste la hiérarchie qui régit souvent les rapports entre l’art, la science et la philosophie. Ce qui scelle définitivement l’appartenance de l’art au domaine de la pensée, c’est que l’art est envisagé comme une expérience, et ce que l’oeuvre travaille à faire, c’est précisément d’ouvrir les chemins de l’expérience « pour devenir “expérience”, empirisme transcendantal ou science du sensible » (Deleuze 1968, p. 79). Il me semble qu’il faudrait alors, pour qualifier la nature du discours deleuzien relatif à l’art, parler de celui-ci comme d’une « noétique » : toute l’analyse de Deleuze est engagée depuis ce mouvement où elle se laisse prendre par la sensation et la perception, afin de les exposer à leur limite, celle où l’insensible et l’imperceptible la constituent en atteignant le seuil de la sensation et de la perception [22].
Appendices
Note biographique
Alain Ménil
Il enseigne la philosophie et le théâtre au Lycée Claude Monet (Paris). Il a publié en 2003 une édition annotée des textes de Diderot sur le théâtre (deux volumes : Diderot et le drame, Diderot et l’acteur) et a contribué à des ouvrages collectifs sur le cinéma.
Notes
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[1]
Sur les difficultés liées au fait de savoir si l’articulation entre les deux volumes de Cinéma est chronologique ou logique, conceptuelle ou factuelle, les commentaires abondent. Retenons d’abord, selon les époques de la réception de l’oeuvre, les articles de Reda Bensmaïa (1988) et de Jean-Louis Leutrat (1991). Ces questions feront ensuite l’objet de discussions plus approfondies lors des premiers colloques consacrés à l’oeuvre (voir notamment Jean-Louis Leutrat, dans Gaetano 1993, et l’ensemble de textes réunis par Oliver Fahle et Lorenz Engell [1997]). Raymond Bellour (1997) est le seul à défendre le point de vue d’une stricte conformité de la périodisation deleuzienne aux chronologies adoptées par la plupart des histoires du cinéma, ce qui ne l’empêche pas de récuser la réduction de l’entreprise deleuzienne à un point de vue « historiciste ».
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[2]
Bien que le dernier chapitre de L’image-mouvement insiste surtout sur l’invention hitchcockienne de l’image mentale, et que le premier chapitre de L’image-temps organise son approche à partir de la réception du néoréalisme italien, ils ont en commun (mais peut-être aussi la faiblesse) de présenter le passage de l’image-mouvement à l’image-temps comme concomitant à une mutation de la situation historique.
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[3]
C’est au fond ce que manque Jacques Rancière (2001, 2005) qui, au fil de ses analyses, développe une critique de plus en plus crispée de l’approche deleuzienne. Il projette les cadres de sa propre approche, qui demeurent déterminés par la logique du muthos à l’oeuvre dans le film. C’est la constitution de l’intrigue qui l’intéresse, quand Deleuze écrit sous la puissance de réverbération des images. Voir Leutrat 2004.
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[4]
Voir L’énergie spirituelle et l’exemple des divers récits possibles d’une journée (Bergson 1959b, p. 912-914 [131-132] ; toutes les références à Bergson sont citées dans l’édition dite du Centenaire, Paris, PUF, 1959 ; la double pagination renvoie aux oeuvres publiées séparément).
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[5]
Sur l’abandon du visuel, ou sa transformation, voir Deleuze 1985 (notamment tout le chapitre IX, § 2).
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[6]
En tant que le plan est tout autant une unité que la réalité, « le tout cinématographique serait un seul et même plan-séquence analytique, en droit illimité, théoriquement continu ; d’autre part les parties du film seraient en fait des plans discontinus, dispersés, disséminés, sans liaison assignable. Il faut donc que le tout renonce à son idéalité, et devienne le tout synthétique du film […] » (Deleuze 1983, p. 44).
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[7]
L’essentiel des questions liées à ce tournant se trouvent résumées dans Deleuze 1985 (chap. II, § 3).
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[8]
Sur l’expression « bergsonisme du cinéma », que Deleuze emploie à plusieurs reprises, je ne puis que renvoyer à mes propres travaux (Ménil 1995, 1997, 1999).
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[9]
Je me permets de renvoyer à L’écran du temps (Ménil 1991) où je tentais alors une première approximation de cette notion. Sans doute faudrait-il relier ce point à l’image-temps entendue comme une figure du plan d’immanence (Ménil 1997). Je trouve une confirmation de ces hypothèses dans l’essai que Paola Marrati a consacré à Deleuze quand elle identifie plan d’immanence et plan ouvert (Marrati 2003, p. 120)
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[10]
L’autre point d’achoppement, chez Metz, c’est la définition qu’il donne de l’image comme plan isolé et immuable d’un désert, conséquence de l’équation plan = énoncé. Le cinéma commencerait donc avec la séquence, entendue comme « description », puisqu’un long plan isolé d’un espace immuable ne serait rien qu’une image. Sur les difficultés posées par les deux définitions du plan chez Mitry et chez Metz, voir Ménil 1991 (p. 47-55 et p. 107-113).
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[11]
Les analyses de Bazin consacrées au plan-séquence demanderaient d’être reliées au fameux « Montage interdit » par lequel Bazin récusait un cinéma qui manipule son spectateur par le montage, et prônait en retour l’humilité d’un art qui respecte les ambiguïtés du réel en se pliant aux conditions mêmes de l’objectivité du phénomène. L’horizon phénoménologique de Bazin y apparaît alors le plus net. Deleuze récuse la soumission de la phénoménologie au modèle de la perception « naturelle » ; néanmoins, il loue souvent Merleau-Ponty pour le renouvellement qu’il donne de la compréhension de la profondeur et du corps. Sur Deleuze et Merleau-Ponty, voir Fahle 2005.
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[12]
12. Ce sublime, qu’ailleurs Deleuze rapporte à la métaphysique du temps à l’oeuvre dans l’image-temps, on pourrait le rapporter à de nombreux exemples divergents quant à la nature (classique ou moderne) du cinéma — ainsi le plan final de Mrs. Muir (The Ghost and Mrs. Muir, Mankievicz, 1947) Il en va de même pour les plans-séquences et la profondeur de champ, telle que Welles l’envisage, et qui modifie complètement la figure wylérienne d’une profondeur simplement spatiale, une profondeur dans le champ, qui n’est « pas encore une profondeur de champ, une profondeur de l’image » (Deleuze 1985, p. 140).
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[13]
Voir Deleuze 1983 (p. 42-45).
-
[14]
Voir notamment les analyses consacrées par Burch (1986) à Nana. Le début de La chienne (Renoir, 1931) constitue un remarquable exemple de la confrontation du plan fixe théâtral au plan cinématographique : le hors-champ théâtral est lié à un espace et à un regard fixes, quand le hors-champ cinématographique se constitue dans la perspective d’une double mobilité de la prise de vues et de l’espace filmique.
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[15]
Le texte essentiel se trouve dans Deleuze 1985 (p. 233-236).
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[16]
Voir notamment sur cette question Bonitzer 1985, qui poursuit le travail amorcé par Noël Burch (1986) sur les plans à appréhension décalée : « objectif déconcerté », « reflet déchiré », « disparition » — ces titres de chapitres sont également à envisager comme des opérateurs conceptuels.
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[17]
Il s’agit notamment de Pièce touchée (1989), de Passage à l’acte (1993) et de Alone. Life Wastes Andy Hardy (1998). Voir Lippit 1999.
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[18]
Sur Martin Arnold et la question du faux-souvenir, voir Alain Ménil 2002 (p. 42-43).
-
[19]
Deleuze emploie le terme de stratigraphique pour qualifier le régime du voir qu’appelle ce type d’image — qui relève de la lecture ; mais c’est d’abord une dimension de l’image, bien sûr : « Bref, ce que nous appelons lecture de l’image visuelle, c’est l’état stratigraphique, le retournement de l’image, l’acte correspondant de perception qui ne cesse de convertir le vide en plein, l’endroit en envers. Lire, c’est ré-enchaîner au lieu d’enchaîner, c’est tourner, retourner, au lieu de suivre à l’endroit : une nouvelle Analytique de l’image » (Deleuze 1985, p. 319).
-
[20]
Il suffit, pour en comprendre la portée, de comparer la même séquence « narrative » dans le film que Jean-Jacques Annaud tira de L’amant : là, le cliché règne, puissant et insoupçonné, jusque dans la précision décorative de la « reconstitution ».
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[21]
Il y a là une véritable tension chez Deleuze entre l’appel à une pensée sans image, ainsi qu’il l’envisage dans Différence et répétition, et le projet de créer une nouvelle image de la pensée dont l’art lui offre le paradigme. Sur ces difficultés, voir Marrati 2003 (p. 121-122) et Brito 2004.
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[22]
Il nous est impossible de développer cette notion d’une « noétique » des affects et des percepts dans le triple mouvement de l’affect au concept, tel que Deleuze l’expose notablement dans le chapitre intitulé « La pensée et le cinéma » (1985, p. 203 et suivantes). Arnaud Villani (2005, p. 120) propose à cet égard esthésique, pour souligner combien les effets de l’oeuvre sur le sujet se font sentir : « il faut qu’une esthétique de la représentation laisse place à une esthésique du sujet actif ». Voir aussi Sauvagnargues 2005 et Boisnard 2004.
Références bibliographiques
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- Deleuze 1968 : Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, PUF, 1968
- Deleuze 1969 : Gilles Deleuze, Logique du sens, Paris, Minuit, 1969.
- Deleuze 1981 : Gilles Deleuze, Logique de la sensation, Paris, Éditions de la Différence, 1981.
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- Marrati 2003 : Paola Marrati, Gilles Deleuze. Cinéma et philosophie, Paris, PUF, 2003.
- Ménil 1991 : Alain Ménil, L’écran du temps, Lyon, PUL, 1991.
- Ménil 1995 : Alain Ménil, « Le bergsonisme au cinéma », Philosophie, no 47, 1995, p. 28-52.
- Ménil 1997 : Alain Ménil, « L’image-temps, une figure de l’immanence ? », dans David Rodowick (dir.), Iris, no 23, 1997, p.165-190.
- Ménil 1999 : Alain Ménil, « The Time(s) of Cinema », dans Jean Khalfa (dir.), An Introduction to the Philosophy of Gilles Deleuze, London/New York, Continuum, 1999, p. 85-104.
- Ménil 2002 : Alain Ménil, « À votre bon souvenir. Le faux-souvenir et pourquoi », dans Loig Le Bihan et Jean-Philippe Trias (dir.), Cinergon, nos 13-14, 2002, p. 23-86.
- Metz 1975 : Christian Metz, Essais sur la signification au cinéma, tome 1, Paris, Klincksieck, 1975.
- Mitry 1963 : Jean Mitry, Esthétique et psychologie du cinéma, tome 1, Paris, Éditions Universitaires, 1963.
- Pasolini 1976 : Pier Paolo Pasolini, L’expérience hérétique, Paris, Payot, 1976.
- Rancière 2001 : Jacques Rancière, La fable cinématographique, Paris, Seuil, 2001.
- Rancière 2005 : Jacques Rancière, « L’affect indécis », dans Critique, nos 692-693, Paris, Minuit, 2005, p. 141-159.
- Sauvagnargues 2004 : Anne Sauvagnardes, « De la capture des forces par l’image », dans Cauquelin 2004, p. 51-66.
- Sauvagnargues 2005 : Anne Sauvagnargues, Deleuze et l’art, Paris, PUF, 2005.
- Villani 2005 : Arnaud Villani, « De l’esthétique à l’esthésique », dans Alain Beaulieu (dir.), Gilles Deleuze, héritage philosophique, Paris, PUF, 2005, p. 97-121.