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Étienne Beaulieu, Sang et lumière. La communauté du sacré dans le cinéma québécois, Québec, L’instant même, 2007, 171 p.[Record]

  • Karine Bertrand

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  • Karine Bertrand
    Université d’Ottawa

Durant les trois premières décennies de son existence, le cinéma québécois a entretenu des relations orageuses avec l’Église catholique. Cette dernière considérait d’abord le cinéma comme un objet dangereux de perversion pour ses ouailles : les bons paroissiens s’éloignant en effet peu à peu de la lumière rédemptrice de l’Église pour pénétrer l’obscurité prétendument impure (et combien divertissante !) des salles de cinéma. Avec le temps, le clergé utilisa cependant le cinéma en sa faveur en diffusant des documentaires ayant pour objet la promotion des valeurs catholiques françaises telles la famille, l’attachement au pays et la valorisation du dur labeur. L’abbé Maurice Proulx et l’abbé Albert Tessier furent, entre 1920 et 1950, les représentants les plus connus de ce mouvement d’apparente réconciliation entre le cinéma et l’Église, promenant de village en village les images d’un pays unifié par Dieu, le tout accompagné d’un commentaire sans équivoque sur la beauté de la nature et l’importance de maintenir en place la mentalité puritaine caractéristique de cette époque. L’emprise du clergé sur le cinéma fut considérable et dura environ cinquante ans. L’avènement de la Révolution tranquille et la naissance du cinéma direct vinrent modifier le paysage cinématographique québécois en libérant l’image du discours ecclésiastique, sans pour autant se détacher complètement d’une tradition religieuse profondément ancrée dans le terroir commun. C’est de cet héritage religieux et de sa représentation dans le cinéma québécois dont il question dans l’ouvrage d’Étienne Beaulieu, Sang et lumière. La communauté du sacré dans le cinéma québécois. L’auteur, qui est professeur à l’Université de Winnipeg, nous entraîne dans un parcours initiatique où se côtoient des images de désir, d’ombre et de lumière. Cette quête cinématographique québécoise du Graal vise à atteindre la sainteté, à travers entre autres une esthétique du réel qui endosse une approche de la lenteur et tente de se positionner au-delà des conventions. À l’appui de ses propos, il utilise de façon créative les théories de Gilles Deleuze (1983 et 1985) sur l’image-mouvement et l’image-temps, associant la première aux films reliés aux cycles de la violence et la seconde à ce cinéma de la sainteté, qui comprend « que le seul moyen de résister à la dévastation du temps consiste à lui laisser faire son oeuvre » (p. 163). Partant de l’idée qu’« on meurt en groupe » au cinéma québécois, l’auteur nous rappelle, dans la première partie de l’ouvrage, les origines communautaires d’un cinéma qui incorporait les spectateurs dans l’image, notamment par l’intermédiaire du bonimenteur qui agissait comme un médiateur et créateur de sens entre l’écran et le public. Cette pratique marginale du bonimenteur, nous apprend-on, est fondamentalement une pratique de résistance « à toutes les formes de cinéma » (p. 26) puisqu’elle permet l’appropriation identitaire des images, qui passe par une adaptation de la narration à un contexte local, communautaire. Utilisant comme ligne directrice l’idée de la communauté unie coûte que coûte par un territoire et surtout par la tragédie, l’ouvrage se penche d’une part sur des thèmes universels qui fascinent et heurtent la psyché humaine, soit la mort, les rituels, le sacrifice, le sacré, la répression du désir et la rédemption. Appuyé en cela par les théories de René Girard (1972) sur la violence et le sacré, et en explorant plus spécifiquement les dimensions du désir triangulaire ou mimétique, de la crise sacrificielle et du bouc émissaire, l’auteur met en évidence le déclin du catholicisme et l’incapacité de l’Église à fournir aux Québécois un culte qui, par sa nature même, devait suffire à purifier des péchés et empêcher l’acte sacrificiel de devoir se répéter inlassablement. Le corpus de films analysés par Beaulieu dans …

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