Présentation[Record]

  • Richard Bégin and
  • Laurent Guido

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  • Richard Bégin
    Université Laval

  • Laurent Guido
    Université de Lausanne

L’horreur au cinéma est intimement liée à la peur et au dégoût. Or, il y a autant de manières de ressentir ces affects qu’il y a de spectateurs et de procédés susceptibles de les provoquer. Qu’elle se manifeste dans une oeuvre poétique, scénique ou filmique, l’horreur est dès lors bien malaisée à cerner et, de fait, à définir. Dans tous ces cas, cette émotion polymorphe n’en demeure pas moins suscitée par un dispositif symbolique particulier permettant d’en extraire ce que Wittgenstein (1961, p. 148) appelle des « ressemblances de famille ». Aussi l’horreur en littérature, l’horreur au théâtre et l’horreur au cinéma se distinguent-elles l’une de l’autre en ceci qu’elles impliquent un appareillage technique et des « familiarités » expressives spécifiques, ainsi que des formes narratives sui generis. On peut donc, en deçà et au-delà d’une incontournable intermédialité des affects, admettre l’existence d’une horreur proprement cinématographique suscitée tant par la présence oppressante de décors gothiques, que par l’insistance des regards frappés de stupeur ou l’apparition soudaine d’êtres difformes, suintants et désarticulés. Mais plus « familièrement » encore, l’épouvante et l’abjection peuvent résulter de la fulgurance du montage, du signalement d’une présence hors champ, de la saturation de l’image ou de l’obscénité du gros plan. Le film d’horreur cherche ainsi, bien souvent, à provoquer chez le spectateur le sentiment éprouvant — et fascinant à la fois — d’être immédiatement confronté à la violence de l’expérience audiovisuelle ; la force expressive du dispositif redoublant de la sorte les tensions qu’évoquent certaines situations représentées à l’écran. Longtemps négligé au sein des études cinématographiques, le genre de l’horreur a suscité depuis quelques années un intérêt croissant au sein du monde universitaire anglo-saxon, au point de constituer désormais un secteur florissant des publications savantes consacrées au cinéma. Amorcée sous une forme militante par Robin Wood (1986), l’analyse des représentations sociopolitiques véhiculées par les films d’épouvante a d’abord inspiré nombre d’articles et d’ouvrages pour la plupart centrés sur la période emblématique des années 1950, où l’hybridité générique (entre horreur, science-fiction et fantastique) a caractérisé des productions censées rejouer les peurs de l’Autre par l’exploitation de la mythologie de l’invasion ou de l’agression extérieure (Biskind 1983 ; Luciano 1987 ; Jancovich 1996 ; Bellin 2005). À partir des années 1990, cette approche intellectuelle de l’horreur s’est ouverte à des perspectives narratives et culturelles plus vastes (Carroll 1990 ; Jancovich 1992), avec un accent plus particulièrement marqué dans le domaine des études féministes et des gender studies (Creed 1993 ; Clover 1992 ; Berenstein 1995 ; Benshoff 1997). Plus récemment encore, différentes études ont réinterrogé les bases philosophiques et psychanalytiques du genre horrifique, dans son rapport avec ses spectateurs (Schneider et Shaw 2003 ; Hills 2005 ; Powell 2005). Désormais synthétisées dans de nombreux manuels et recueils à l’usage des enseignants et des étudiants universitaires (Grant 1996 ; Jancovich 2002 ; Grant et Sharrett 2004 ; Wells 2002 ; Hutchings 2004), toutes ces approches nous paraissent pourtant avoir mis au second plan l’aspect plus directement spectaculaire de l’horreur, qui fait justement l’objet du présent numéro de Cinémas. En choisissant de mettre l’accent sur des problématiques d’ordre esthétique, nous ne cherchons cependant pas à reconduire l’approche cinéphilique qui domine encore dans les rares essais publiés dans la francophonie sur l’horreur filmique. Même les plus aboutis d’entre eux réduisent souvent l’histoire du genre à sa seule période contemporaine — depuis 1960 — ou concentrent avant tout leur propos sur l’exégèse de quelques cinéastes importants (Dufour 2006 ; Thoret 2002). Croisant au contraire les perspectives intermédiale et historique, le présent numéro vise avant tout à cerner les transformations cinématographiques …

Appendices