Compte renduBook Review

Noël Burch, De la beauté des latrines. Pour réhabiliter le sens au cinéma et ailleurs, Paris, L’Harmattan, 2007, 305 p.[Record]

  • Marie-Hélène Bourcier

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  • Marie-Hélène Bourcier
    Université Lille 3

À première vue, compte tenu des titres (ironiques ?) des deux chapitres qui ouvrent le dernier essai de Noël Burch, « Prolégomènes I » et « Prolégomènes II », on pourrait s’attendre à une hermétique partition de Boulez ou, du moins, à une entrée en matière théorique suivie d’analyses de films qui vaudraient comme autant d’applications de celle-ci : une étude de cas avec L’immortelle (1963) de Robbe-Grillet, un travail sur Hawks et Vidor. L’ouvrage de Burch n’épouse en rien cette facture classique, et ce, à plusieurs niveaux et pour d’excellentes raisons. Sa conception originale constitue en effet un attrait supplémentaire tant elle enrichit la démarche critique qui nous est offerte. Tout d’abord, s’il est vrai que les prolégomènes installent une grille de lecture à la fois complète et subtile du modernisme dans le cinéma français, ils brassent bien plus large. Ils proposent rien de moins qu’une généalogie de la cinéphilie savante française née dans les années 1950, mais aussi — ce qui n’avait jamais été fait et Burch comble là une lacune majeure — du modernisme français dans toutes ses dimensions et sa persistance. Par ailleurs, d’autres chapitres tout aussi théoriques, comme celui consacré à l’esthétique sadienne française ou, plus exactement, à l’urgence de l’abandonner (« Contre l’esthétique sadienne ») et celui consacré à l’ambiguïté des films hollywoodiens de la fin des années 1930 à la fin des années 1950 (« Double langage — de l’ambiguïté tendancielle du cinéma hollywoodien ») parsèment l’ouvrage. Dans les interstices, on trouvera des chapitres plus longs qui font écho à ces chapitres roboratifs, mais aussi de véritables chroniques engagées en réaction à des films récents qui ne pouvaient laisser insensible un lecteur et un spectateur aussi féministe que Burch. De ce point de vue, le chapitre intitulé « Misogynie ordinaire en France : zapping » est sans appel et tristement nécessaire. Il nous renseigne sur la sensibilité critique et politique de Noël Burch, une qualité « féminoïde » pour l’oeil moderniste, qui s’exprime clairement dans tout l’ouvrage et le dynamise, faisant de ce livre une véritable autobiographie intellectuelle en mouvement. Mouvement entre deux cultures (Burch fut États-Unien avant de prendre la nationalité française), mais pas seulement, car Burch est un repenti magnifique de ce modernisme qu’il était venu chercher à Paris en 1951 pour s’en défaire par la suite, moyennant une rupture productive. C’est avec un courage et une acuité intellectuelle exceptionnels qu’il raconte et théorise ses investissements et ses désinvestissements tant personnels, sexuels qu’intellectuels, à la lumière de ses engagements politiques de gauche, mais aussi de ses engagements féministes (les deux ne vont pas toujours de pair, a fortiori en France). Ce n’est pas tous les jours que l’on peut lire et comprendre l’itinéraire d’un auteur raconté par lui-même et que marquent un amour invétéré du cinéma motivé par le plaisir et la critique politique et culturelle qu’il procure à tous ; ni tous les jours que l’abandon d’une théorie que l’on a pourtant fourbie, comme cette approche hyperformaliste du cinéma que fut Praxis du cinéma paru en 1969, est non seulement assumé, mais débouche sur un rebond critique qui se solde par une analyse inédite et percutante du culte de Sade en liaison avec les transformations du capitalisme, de l’esthétisme, de la politique auteuriste et du mépris de la culture de masse qui s’y rattachent. Cette dimension autocritique particulièrement fructueuse est l’un des ressorts de La beauté des latrines et lui confère à la fois force, honnêteté et agilité intellectuelles. « La première partie de ce livre s’intéresse à trois inventions françaises : le modernisme, le cinéma et la cinéphilie savante …

Appendices