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  • Serge Cardinal

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  • Serge Cardinal
    Université de Montréal

L’acteur de cinéma fait l’objet d’une attention toujours plus soutenue : on approfondit l’anthropologie de la star, ou on étudie son importance économique ; on écrit ou réécrit des théories du jeu ; on redéfinit un genre cinématographique en tenant compte de l’adhérence des acteurs aux personnages propres à ce genre ; on multiplie les portraits artistiques d’interprètes pour mieux exposer la diversité de leurs méthodes ; on philosophe sur les représentations du corps, les clichés sexuels, l’imagination éthique, la projection politique, en prenant pour sujet tel type de jeu ou telle formule d’interprétation ; on repense le visage, le dos, la couleur, l’hystérie, l’improvisation, le rythme, la synchronisation, en suivant de film en film les gestes, les postures, les vitesses existentielles de telle actrice ou de tel acteur, etc. Les textes rassemblés ici s’inscrivent dans ce développement actuel des études cinématographiques, mais pour poser une question plus rare : quel rôle joue l’acteur dans le rapport du cinéma aux autres arts et aux autres médias ? Suivant sa logique propre et sa perspective particulière, chacun de ces textes se demande en quoi et comment cet agent de change ou d’échange qu’est l’acteur fait circuler des problèmes esthétiques, figuratifs, poétiques et poïétiques entre le cinéma, la peinture, le théâtre, la danse, la musique. Partant chaque fois de cas exemplaires, les auteurs font de la figure de l’acteur le schème d’une problématisation des filiations artistiques, des reprises médiatiques, des survivances figuratives, par lesquelles le cinéma pense concrètement son rapport aux autres arts et aux autres médias. En quoi et comment l’acteur est-il l’agent de synthèse, l’objet de pourparlers ou le sujet d’une mésentente entre le cinéma et les autres arts ? Question plus rare, peut-être, mais qui a déjà une longue histoire : voudrait-on faire la synthèse des textes qui la scandent, ou le compte des chercheurs actuels qui la réécrivent, qu’on se condamnerait à une chronique qui ne satisferait que le juge en érudition ; optant plutôt pour le contrepoint, je ne convoquerai ici que deux figures qui, pour être presque ignorées dans le champ des études de l’acteur, n’en sont pas moins susceptibles de mieux faire entendre les cinq textes à venir. Dans « Vedettes de cinéma », paru en 1923, Ricciotto Canudo écrit un chapitre important de cette histoire. Canudo, on le sait, pratiquait l’esthétique combattante de son temps, laquelle avait un double but : convaincre que le cinéma est un art nouveau et encourager le développement de cet art ; en dépit de certains faits accablants, démontrer que le cinéma est en droit ou en puissance le dernier des arts. C’est pourquoi son esthétique avait pour objet les films en tant qu’ils indiquent des tendances ou des vecteurs de développement d’une spécificité cinématographique. Son intérêt pour certains acteurs ou certaines actrices — Douglas Fairbanks, Lilian Gish, Sessue Hayakawa, etc. — est soutenu par la même logique : « l’engouement des foules pour l’un ou l’autre de ces hérauts de l’art septième vient de temps en temps nous faire réfléchir sur l’essence même de ce nouveau personnage proposé à l’enthousiasme universel » (Canudo 1923a, p. 298). En toute logique, si Canudo veut nous convaincre que le cinéma est « l’art et le langage les plus étonnants que l’homme ait pu créer pour multiplier sa vie », il doit faire la démonstration que la « vedette de l’Écran » est un « type humain nouveau » (p. 297) et que cette humanité nouvelle est inséparable du cinéma. Sa démonstration — inspirée des philosophies de Benedetto Croce, de Ralph Waldo Emerson et d’Arthur Schopenhauer — va comprendre trois étapes. Première …

Appendices