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Entre liminarité et construction moderneLaura Isabel Serna, Making Cinelandia: American Films and Mexican Film Culture before the Golden Age, Durham, Duke University Press, 2014, 336 p.[Record]

  • Vincent Bouchard

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  • Vincent Bouchard
    Indiana University Bloomington

L’idée d’un cinéma hollywoodien impérialiste ayant d’importantes répercussions culturelles et économiques sur des pays étrangers, en particulier en Amérique du Nord, est depuis longtemps largement acceptée. Cependant, il est toujours intéressant de décrire le rapport médiatique disproportionné entre les oligopoles de la production et de la distribution cinématographiques, et une aire culturelle donnée. C’est ce que nous propose Laura Isabel Serna dans Making Cinelandia, en se concentrant sur la culture mexicaine, des deux côtés de la frontière, à partir des années 1920 : Serna décrit dans son ouvrage les réseaux de distribution et d’exploitation cinématographiques au Mexique, et analyse le discours « moderne » véhiculé à la fois par les films et par la presse spécialisée. Elle s’intéresse également à la réaction des autorités mexicaines (aux niveaux fédéral et municipal), qui voient d’abord d’un oeil favorable l’importation de films dépeignant un mode de vie urbain, mais qui cherchent ensuite à limiter la représentation caricaturale des personnages latino-américains et à combattre l’impérialisme hollywoodien. Enfin, l’auteure se penche plus précisément sur la réception, notamment en ce qui concerne l’influence de ces médias de masse sur les populations rurales migrant en ville. Adoptant une approche économique de la distribution cinématographique, Serna commence par exposer la manière dont les compagnies de distribution états-uniennes se sont emparées du marché mexicain après la Première Guerre mondiale (comme ailleurs en Amérique latine ou en Europe), et aborde les questions de rentabilité et de guerre commerciale entre les compagnies européennes (principalement françaises et italiennes), ainsi que les questions juridiques (la censure, les droits d’auteur et les droits d’exploitation). Elle montre comment les compagnies hollywoodiennes ont dû modifier quelque peu leur production, en particulier en ce qui concerne les « clichés » qui y étaient véhiculés — et qui ont eu des conséquences sur le racisme anti-Latino-Américains, toujours actif aux États-Unis. Évidemment, étant donné l’image caricaturale du Mexique — de son histoire, de ses coutumes et de ses habitants — montrée généralement dans la production hollywoodienne, il a fallu négocier, détourner et contester certains films. La modification de l’image du Mexique et des Mexicains dans les films hollywoodiens résulte du recours à différentes stratégies, dont le boycottage exercé par les spectateurs, la censure municipale ou fédérale et — surtout — les pressions diplomatiques. À l’aide de crédits d’impôt, les autorités mexicaines ont également convaincu les producteurs hollywoodiens de venir filmer les images « exotiques » au Mexique, ce qui a permis d’y développer une industrie cinématographique. À partir de l’analyse de certaines oeuvres — The Dove (Colombe, Roland West, 1927) ou The Fighting Trail (William Duncan, 1917) — ou de textes publiés dans des revues consacrées au monde du cinéma, Serna décrit la diffusion au Mexique d’une conception industrielle de la culture populaire. Elle montre comment les Mexicains (des deux côtés de la frontière) se sont approprié les films hollywoodiens (en les contestant parfois), afin de les adapter à leur horizon d’attente. Le principal aspect de cette adaptation concerne la place des femmes dans la société, qui constitue une différence majeure entre les deux pays : l’image moderne de la jeune femme travaillant et évoluant hors du cercle familial présentée dans les comédies dramatiques tournées aux États-Unis a dû être adaptée à la société catholique relativement conservatrice du Mexique, où les femmes commençaient seulement à s’émanciper. Ce décalage est particulièrement visible dans les publications pour et par les fans : si, aux États-Unis les auteurs mettent l’accent sur la jeune fille, les textes publiés au Mexique (certains articles sont de simples traductions en espagnol) sont beaucoup plus centrés sur la famille. Ce qui nous amène à …

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