Article body

Introduction

La libre circulation des personnes au sein de l’Union européenne et la mise en place, dans certains pays, de politiques d’accueil très attractives ont favorisé, ces dernières années, le développement de nouvelles formes de migrations intraeuropéennes. C’est entre autres le cas au Portugal, où un décret-loi du 23 septembre 2009 a créé un statut de « Résident non habituel » (RNH). Cette politique publique, en instaurant des avantages fiscaux pour les résidents étrangers, a contribué à modifier les stratégies résidentielles d’un certain nombre de ressortissants européens, et notamment de Français, en motivant leur installation au Portugal. Début 2017, le pays comptait ainsi près de 11 000 « résidents non habituels[1] ».

Dans cet article, nous nous interrogeons sur la place d’un tel dispositif en tant qu’outil de promotion du Portugal et, pour cela, nous analysons la manière dont cette politique publique est présentée au sein d’un corpus de 56 articles abordant la question des migrations vers le Portugal, parus entre le 2 mai 2013 et le 5 avril 2018 dans la presse française.

Dans une première partie, nous reviendrons sur la mise en place du statut RNH et sur ses incidences en matière de fiscalité. Dans un deuxième temps, nous examinerons la manière dont cette politique publique du Portugal a été traitée dans la presse en France et en quoi cela a pu contribuer à influencer les flux migratoires en direction du Portugal. Cela nous permettra d’aborder, notamment, la question du rôle des acteurs privés dans la promotion du statut RNH, c’est-à-dire de ceux qui tirent indirectement profit de la convention fiscale (agents immobiliers, fiscalistes, intermédiaires en tout genre qui accompagnent les migrants français dans leur installation au Portugal). Dans un dernier temps, nous nous interrogerons sur les particularités de la communication internationale et interculturelle mise en place par la presse française autour de ces nouvelles formes de migrations, à la fois héliotropiques et économiques, ainsi que sur son impact.

Le statut de résident non habituel : un outil de politique publique pour le Portugal

Présentation du dispositif RNH

Le régime fiscal dit de « Résident non habituel » a été instauré au Portugal par le décret-loi n° 249/2009 du 23 septembre 2009 modifiant le Code fiscal portugais. Pour pouvoir prétendre à ce statut qui accorde différents avantages fiscaux, il ne faut pas avoir eu de résidence fiscale au Portugal dans les cinq années précédant sa demande d’obtention et il faut vivre au Portugal au moins 184 jours par an (consécutifs ou non). Ce statut est valable pendant 10 ans. À la suite de cette période, c’est le régime de droit commun portugais qui s’applique. La création de ce dispositif en 2009 s’inscrit dans un contexte économique particulièrement difficile pour le Portugal, touché de plein fouet par la crise de 2008 et très endetté, ce qui explique que cette mesure ait reçu l’aval de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international.

L’objectif initial était d’attirer des personnes étrangères exerçant dans des domaines d’activités dits « à forte valeur ajoutée, à caractère scientifique, artistique ou technique », dont la liste a été précisée par l’arrêté n° 12/2010 du 7 janvier 2010 (les huit grandes catégories concernées sont les suivantes : architectes, ingénieurs et techniciens similaires; artistes plastiques, acteurs et musiciens; auditeurs; médecins et dentistes; professeurs; psychologues; travailleurs indépendants, techniques et similaires; investigateurs, administrateurs et managers) (ATA, 2015). Pour ces résidents non habituels, les revenus provenant de ces activités « à haute valeur ajoutée » bénéficient d’une taxation forfaitaire à l’impôt sur le revenu portugais (IRS) à 20 %; s’agissant des autres types de revenus de source portugaise, ils sont imposés selon les règles de droit commun applicables aux résidents portugais et sont donc soumis au barème progressif de l’IRS. Les résidents non habituels peuvent également bénéficier d’une exonération d’impôt au Portugal sur leurs revenus de sources étrangères dits « passifs » (intérêts, dividendes, revenus immobiliers, etc.). Ce sont alors les règles d’imposition de leur pays d’origine qui s’appliquent.

Ce nouveau statut fiscal a au départ rencontré assez peu de succès, car son obtention était relativement complexe du fait des nombreuses attestations administratives à fournir. Il a donc été modifié par la circulaire n° 9/2012 du 3 août 2012 (entrée en vigueur au 1er janvier 2013), afin, d’une part, de simplifier la procédure de demande, qui peut désormais se faire par une simple déclaration du contribuable attestant qu’il n’a pas été résident fiscal portugais lors des cinq dernières années et, d’autre part, en étendant explicitement la mesure aux retraités. À partir du 1er janvier 2013, le dispositif permet en effet aux résidents non habituels percevant des pensions de retraite étrangères d’être exonérés d’impôts sur le revenu au Portugal, sous réserve que les conventions fiscales de leur pays d’origine prévoient le droit exclusif d’imposer les pensions de retraite privées à l’État de résidence en vertu du principe de non double imposition. La convention fiscale existant entre la France et le Portugal signée à Paris le 14 janvier 1971[2] attribue ainsi le droit exclusif d’imposer les pensions privées au Portugal (selon cette même convention fiscale, les retraites publiques restent quant à elles imposables dans l’État de l’organisme payeur). Pour les bénéficiaires français du statut RNH, les pensions de retraite du privé sont donc non imposables en France et exonérées au Portugal.

Les résultats attendus par l’octroi de ces avantages fiscaux liés au statut RNH sont de différents ordres pour le Portugal. Le pays souhaite attirer des actifs avec des compétences professionnelles « à haute valeur ajoutée » – la « classe créative » de Florida (2002) –, mais aussi devenir une destination privilégiée pour les retraités aisés : une sorte de « Floride de l’Europe ». L’objectif affiché en 2013 est d’inciter « au moins 20 000 retraités à s’installer en deux ans pour qu’ils dépensent un milliard d’euros », selon les propos de Frederico Costa, président de Turism in Portugal et responsable de Living in Portugal[3], car, pour faire la promotion de ce nouveau dispositif fiscal, le gouvernement portugais a également créé un site Internet, traduit en sept langues, « Living in Portugal ». Ce site institutionnel[4]

destiné aux ressortissants étrangers vise à faciliter leur accès à des informations importantes et produites par des organismes officiels sur la procédure d’acquisition d’une maison au Portugal, ainsi que sur des sujets concernant les conditions d’entrée et de séjour, la fiscalité ou d’autres renseignements utiles pour les gens qui souhaitent vivre au Portugal[5].

Le Portugal espère ainsi susciter l’installation de résidents étrangers pour soutenir sa croissance économique, d’une part en augmentant la consommation, en berne du fait de la crise, et, d’autre part, en faisant participer les investisseurs étrangers à la relance du marché immobilier portugais. Suivant cette même logique, le gouvernement portugais va également créer, en octobre 2012, un programme de « golden visa », ou « permis de séjour pour activité d’investissement » (ARI), pour attirer les fonds étrangers d’investisseurs issus de pays hors espace Schengen.

Quoiqu’il en soit, c’est la circulaire n° 9/2012 du 3 août 2012 qui va permettre une montée en puissance du dispositif RNH, et c’est l’extension de ce statut aux retraités à partir du 1er janvier 2013 qui va être relayée par différents médias français.

La méthodologie de notre recherche

Notre question de recherche consiste à comprendre de quelle(s) manière(s) la presse française a relayé l’information sur le statut RNH et a pu contribuer à sa promotion auprès des Français. Pour tenter d’y répondre, nous avons choisi d’analyser de manière qualitative le contenu des articles publiés par la presse française au sujet de ce dispositif RNH, depuis sa mise en place par le Portugal en 2009. Afin d’identifier les articles existant sur cette thématique, nous avons réalisé une première collecte à partir d’Europresse.com, avec les mots clés « RNH et Portugal », « Portugal et retraite », « Français ET retraite ET Portugal », doublée d’une seconde collecte sur le moteur de recherche Google avec les mêmes critères. Ces deux requêtes nous ont permis de collecter 76 références, listant ainsi les articles parus dans la presse française et disponibles en ligne, entre le 2 mai 2013 et le 5 avril 2018. Nous avons choisi de ne pas conserver les articles parus dans les quotidiens régionaux, car les références issues de la recherche en ligne n’étaient pas très nombreuses et pas forcément représentatives de l’ensemble de cette presse. Nous avons donc préféré privilégier les éditions nationales et conserver l’ensemble des articles ayant abordé le sujet du statut RNH, quels que soient leur taille ou leur emplacement dans le journal. Notre analyse a donc finalement porté sur un corpus constitué de 56 articles, en provenance de quotidiens et d’hebdomadaires d’édition nationale, ayant une orientation généraliste, représentant 41 % des articles (en particulier Le Monde, Le Figaro, Libération, La Croix), ou économique et financière (notamment Les Échos, Les Échos Patrimoine, La Tribune, Votre Argent), regroupant 59 % des articles.

Pour l’ensemble des articles retenus, nous avons réalisé une analyse de contenu thématique manuelle (Bardin, 2007). Sur la base d’une lecture flottante, nous avons procédé à une thématisation en continu du corpus : cela a consisté à prendre connaissance du contenu des articles, de manière chronologique, à identifier au fur et à mesure les thématiques qui apparaissaient et à les mettre en rapport les unes avec les autres (Gavard-Perret et al., 2008).

Cette analyse a permis de dégager plusieurs tendances soulignant la manière dont les médias français ont interprété le statut RNH et ont pu contribuer à valoriser le dispositif visant à promouvoir les migrations vers le Portugal. Nous les présentons ci-après.

L’appropriation du statut RNH par la presse française

Avant 2013, quelques articles mentionnaient le Portugal comme destination possible pour des séniors français désireux de passer leur retraite au soleil, mais aucun d’entre eux ne portait exclusivement sur ce pays. Les premiers articles dédiés au Portugal comme lieu de retraite sont parus dans la presse française à partir de 2013, au lendemain de l’entrée en vigueur de la circulaire d’août 2012 permettant la mise en place simplifiée du statut RNH et, surtout, son extension aux retraités du secteur privé, ce qui confirme bien que le dispositif RNH était resté jusque-là assez confidentiel. De 2013 à 2018, le contenu des articles varie finalement assez peu, mais on peut toutefois constater, à partir des données chiffrées ci-après (Tableau 1), que le sujet n’a pas toujours fait l’objet du même approfondissement.

Fig. 1

Tableau 1. Présentation des articles de presse du corpus

Tableau 1. Présentation des articles de presse du corpus

-> See the list of figures

Des informations essentiellement économiques et financières

En 2013 et en 2014, les occasions de gains fiscaux et de plus-values immobilières associées au statut RNH sont quasiment les seuls arguments portés à la connaissance des lecteurs. Ils sont présentés comme un véritable facteur d’attraction et de promotion du Portugal. Le pays est décrit comme un « Eldorado[6] », un « paradis fiscal[7] », une « oasis fiscale[8] », etc., constituant de fait un facteur d’accroche pour les lecteurs. L’examen des titres de ces articles est d’ailleurs très révélateur, deux champs lexicaux prédominant nettement : ceux liés à la fiscalité et à la retraite.

Les articles mettent en avant l’intérêt fiscal que représente une installation au Portugal pour les retraités, alors unique cible des médias, mais aussi l’opportunité économique d’un achat immobilier dans le pays, du fait de la baisse des prix entraînée par la crise économique, les deux sujets étant souvent abordés conjointement. Quelques articles soulignent également que le coût de la vie au Portugal est plus bas et que s’y installer permet de gagner en pouvoir d’achat. Les articles paraissent alors principalement dans la presse économique et financière : en 2013 et 2014, 12 articles ont été publiés dans ces périodiques contre cinq dans des périodiques généralistes.

Cette analyse évoque des similitudes avec l’approche théorique de la communication internationale tournée vers le développement mise en place dans les années d’après-guerre, où l’on abordait les transferts de savoirs, de pratiques, etc., des pays développés vers les pays en développement, dans une approche verticale : comme au temps des grandes découvertes, « la volonté d’aller vers l’autre et de communiquer avec lui est fondée sur des intérêts d’ordre économique » (Agbobli et de Sotelo, 2005, p. 191). Si la situation analysée présentement est différente, un point commun subsiste : l’idée de profit est centrale, les caractéristiques humaines et sociales tant côté français que côté portugais étant très peu considérées. Bénéficier du statut RNH est avant tout présenté comme un investissement rentable. Dans cette manière de parler du Portugal comme lieu de retraite, on occulte le fait que le Portugal, c’est l’étranger, que c’est ailleurs. On parle très peu du pays d’accueil comme d’un nouveau lieu de vie et on évoque encore moins ses habitants. C’est en quelque sorte un « territoire tronqué », réduit à ses avantages comparatifs économiques, qui est décrit.

Des informations humaines et sociales peu présentes

Il faudra attendre 2015 pour lire un article où l’on parle réellement de ce que représente un départ de longue durée à l’étranger, et où l’on prend en compte les éléments liés au mode de vie et au vivre ensemble[9]. Si ce sont toujours les périodiques économiques et financiers qui évoquent le plus le sujet (ils représentent 62 % de la couverture médiatique sur le sujet), les articles sont globalement beaucoup plus longs : ils font 1 235 mots en moyenne en 2015, contre 480 en 2014 et 679 en 2013. Et cela concerne aussi bien la presse économique et financière (1 136 mots) que la presse généraliste (1 391 mots). Bien que toujours prédominants, les arguments fiscaux partagent de plus en plus l’espace médiatique avec les facteurs liés à la qualité de vie au Portugal. Les mêmes avantages comparatifs sont alors répétés de manière récurrente pour faire la promotion du Portugal et affirmer son positionnement, selon une approche de marketing territorial (Meyronin, 2015) : ensoleillement (300 jours par an), coût de la vie plus bas (de -20 % à -35 % selon les sources), prix immobiliers plus intéressants (souvent de l’ordre 20 %), gain en matière de pouvoir d’achat (de 20 à 40 %, grâce, notamment, aux avantages fiscaux). L’argumentaire s’étoffe toutefois en fin de période, où l’on mentionne également les avantages de ce choix résidentiel liés à la situation géographique et même géopolitique du pays : la sécurité, la proximité géographique et culturelle (appartenance à l’Union européenne), les facilités offertes par les compagnies low cost.

Cet engouement pour les comparaisons statistiques se manifeste également sous la forme des palmarès qui sont mis en avant dans plusieurs articles, appuyant l’idée selon laquelle « la dimension médiatique de ces évaluations contribue au renforcement d’images lié à un territoire » (Cardy, 2011, p. 59). Par exemple, on apprend le 28 janvier 2015 que le site retraite-etranger.fr a placé le Portugal en numéro un des destinations étrangères les plus attractives en matière d’expatriation de retraite, classement qui va donner lieu à différents articles relayant cette information ainsi que les critères ayant permis de distinguer le Portugal, contribuant ainsi à sa promotion. Cette mise en avant des chiffres dans le récit de presse confirme les propos de Roselyne Koren (2009) selon laquelle les chiffres « sont passés ces dernières années de la fonction de “fait brut” ou information technique à celle d’événement saillant qui joue un rôle central dans la mise en intrigue » (p. 66).

Ces arguments, répétés d’un article à l’autre et dont certains pourraient prêter à discussion, témoignent de la répétition d’un discours marketing, que l’on retrouve en grande partie sur le site Living in Portugal, qui a été créé, on le rappelle, par le gouvernement portugais, ainsi que sur le site Internet présentant le Salon de l’immobilier et du tourisme portugais organisé par la Chambre de commerce et d’industrie franco-portugaise (CCIFP) à Paris depuis 2012. En analyse des discours médiatiques, cette répétition des mêmes arguments pourrait être perçue comme visant un effet de réification : « la nouvelle prend une existence en soi, se trouve par là même authentifiée, se fige et donc s’inscrit de façon indélébile dans la mémoire » (Charaudeau, 2006, paragr. 29).

Puis, à partir de 2017, une légère évolution apparaît dans le contenu du corpus, voire dans les titres des articles (« S’installer au Portugal », « Vivre sa retraite au Portugal », « Retraite à l’étranger : ce qu’il faut vérifier avant de s’expatrier »). La question de l’installation dans le pays commence à être abordée davantage d’un point de vue pratique. Les avantages et les inconvénients de la vie au Portugal sont mentionnés (notamment les lacunes du système de santé portugais), soulignant ainsi la place croissante des intermédiaires et des experts en tout genre, dont la fonction principale est d’accompagner les migrants dans les diverses démarches liées au départ de la France et à l’arrivée au Portugal. Des articles plus techniques abordent certains points fiscaux particuliers (les questions liées à la succession, par exemple). Une place plus grande est également accordée, dans les articles, au dispositif RNH réservé aux actifs, soulignant que le Portugal est aussi un paradis pour les entrepreneurs, en particulier à Lisbonne. On peut se demander si cet infléchissement est lié à l’évolution du profil des demandeurs du RNH, des objectifs du gouvernement portugais ou des cibles éditoriales.

Alors que des facteurs plus qualitatifs ont fait leur apparition dans le contenu des articles, la dimension humaine liée au déplacement est toujours relativement peu présente. Globalement, la question de la communication interculturelle n’est pas abordée. Pourtant, toute migration implique une rupture avec son espace de vie antérieur et un nécessaire besoin de se réancrer dans un autre territoire, qu’il est nécessaire de comprendre pour pouvoir se l’approprier. En intervenant en tant que « sources d’information en amont », les médias peuvent constituer ce que Mustapha Belabdi (2011) appelle « des moyens privilégiés de connexion préparatoire avec le pays d’immigration » (p. 189). Pour autant, dans ces articles, l’interculturel n’est pas mentionné, alors que « le terme même implique l’idée d’interrelations, de rapports et d’échanges entre cultures différentes » (Ladmiral et Lipianski, 2015, p. 10). Jamais on ne parle de la possibilité de ne pas s’adapter. Aucun exemple de retour en France à la suite d’un échec d’adaptation n’est cité. La question de l’intégration est elle aussi totalement absente des articles, alors même que c’est une figure centrale de l’interculturalité (Stoiciu, 2008). Nous trouvons ainsi très peu d’éléments sur la socialisation des Français partis s’installer au Portugal depuis plusieurs années. Ont-ils réussi à s’intégrer, ou restent-ils dans l’entre soi?

Toutes ces questions relatives à la communication interculturelle devraient se poser de différentes manières, d’abord sur un plan linguistique, car, comme le rappellent Ladmiral et Lipianski (2015), « la communication avec des personnes appartenant à une autre nationalité, à une autre culture, pose d’abord des problèmes linguistiques » (p. 119). Or, dans les articles, la question de l’apprentissage de la langue n’est pas évoquée, ni même la difficulté pour des séniors – cible prioritaire de la presse les premières années – d’apprendre le portugais. De plus, la question de l’Altérité est très peu prise en compte et traitée dans la presse. Pourtant,

l’Altérité constitue, pour ainsi dire, le noyau dur de tout questionnement interculturel et international. Car si dans la communication internationale l’autre désigne ceux et celles qui vivent dans un autre pays, il désigne, dans la communication interculturelle, des porteurs de cultures différentes en interaction au sein d’un même pays, d’une même société » (Hsab et Stoiciu, 2011, p. 16).

La connaissance de l’autre et l’échange avec l’autre sont la base du vivre-ensemble en société. Or les articles, qu’ils proviennent de la presse économique et financière ou de la presse plus généraliste, ne mentionnent jamais ce que signifie réellement « vivre au Portugal » ni les difficultés d’adaptation que cela peut supposer. Et si l’ensemble de ces éléments n’est pas pris en compte par les migrants, alors le risque est grand de ne pas réussir son intégration, de se retrouver dans l’entre soi, en recréant une communauté de Français à l’étranger, ou encore de vivre isolé. Même si ce point n’est pas totalement surprenant de la part de la presse économique et financière, il est dommage que l’angle social et culturel ne soit pas davantage abordé dans la presse généraliste.

Des informations approximatives et partielles

Force est de constater que les informations communiquées dans les articles analysés ne sont pas celles que l’on pourrait attendre de la presse. L’absence d’une réelle présentation géographique et économique du Portugal permettant de « contextualiser » ces migrations est par exemple frappante. Les sources des statistiques mentionnées dans ces articles sont très rarement citées. Le traitement du sujet reste la plupart du temps superficiel, voire parfois caricatural. Les propos sont ainsi souvent approximatifs, que cela concerne la définition du statut RNH et des conditions fiscales qui lui sont associées, ou bien les données sur le coût de la vie ou les prix de l’immobilier au Portugal. Tous sont unanimes sur le fait que « la vie est moins chère au Portugal », mais les chiffres annoncés divergent fortement d’un article à l’autre (20 % d’économie du coût de la vie ici, contre 40 % là et idem pour l’immobilier).

Les statistiques sur la présence française au Portugal varient également de manière très importante d’un article à l’autre et témoignent globalement d’une certaine tendance à l’exagération. Ainsi peut-on lire, en mars 2015 : « c’est même une ruée. À en croire la Chambre de commerce et d’industrie franco-portugaise, 4 000 retraités s’y seraient installés en 2014, et entre 6 000 et 20 000 sont attendus cette année[10] ». Les approximations statistiques se répètent d’un article à l’autre, avec en particulier une confusion fréquente entre le nombre de résidents non habituels français, de Français officiellement inscrits sur le registre consulaire et de Français vivant au Portugal (les deux dernières catégories n’étant pas nécessairement bénéficiaires du statut RNH). Alors que les dernières publications analysées parlent de 10 689 résidents non habituels[11], toutes nationalités confondues début 2017, on soulignait encore, dans un article paru en mai 2017, qu’« en quatre ans, le nombre de Français installés au Portugal a plus que quintuplé pour atteindre le chiffre de 50 000 (contre quelques milliers en 2013), dont 80 % de retraités[12] ». D’après l’Ambassade de France au Portugal, au 31 décembre 2017, 17 432 Français étaient inscrits sur le registre consulaire (dont 45 % de binationaux) et le nombre total estimé de Français résidant au Portugal se situait dans une fourchette de 30 à 60 000 personnes.

En définitive, seuls quelques rares articles se distinguent par un contenu plus approfondi, mais l’ensemble du corpus laisse globalement une impression de survol du sujet, que l’on pourrait parfois assimiler à une présentation sommaire du Portugal « vue de la France » et expliquer notamment par de faibles compétences en communication internationale et interculturelle de la part des journalistes. Précisons qu’il ne s’agit pas de remettre en question la posture du journaliste (44 journalistes ont écrit les 56 articles de notre corpus) comme on aurait pu le faire pour celle du chercheur, mais plutôt de s’interroger sur les compétences que doit posséder toute personne qui intervient en communication internationale. Ainsi, pour Otto Filtzinger (1999, cité dans Hsab et Stoiciu, 2011), les quatre éléments incontournables des compétences que devraient posséder les intervenants en communication internationale sont les suivants :

  1. La compétence sur le plan de la communication, en lien avec les échanges avec autrui;

  2. La compétence internationale, en lien avec la compréhension de ce qui se passe dans le monde;

  3. La compétence interculturelle, en lien avec l’expérience des milieux pluralistes et de la pratique d’une autre langue que celle maternelle;

  4. L’expérience internationale, acquise à l’étranger dans le cadre d’un projet d’étude ou d’un stage d’une durée suffisamment longue (p. 23).

Or on peut également se demander si ce traitement superficiel du sujet n’est pas lié à la place prise dans ces articles par un certain nombre d’acteurs privés tirant indirectement un bénéfice de ce dispositif et l’ayant en quelque sorte « instrumentalisé » à leur profit.

Le recours à des témoins et à des experts

Dans presque chaque article, on note une volonté de rendre plus crédible l’information donnée grâce à l’intervention de témoins ou d’experts. Cette multiplicité d’acteurs confirme en outre le caractère polyphonique du discours de presse (Krieg, 2000), celui-ci étant défini comme le fait d’avoir recours à une multitude d’autres récits pour construire un article, par exemple « des narrations produites par des acteurs sociaux sur le terrain des événements, récits des faits repris, produits, voire anticipés dans leur version officielle, par des acteurs politiques, témoignages variés, etc. » (Arquembourg, 2005, p. 30.)

S’agissant des témoins, ils ont évolué pendant la période que nous avons analysée. Entre 2013 et 2014, nous trouvons des retraités qui ont fait le choix ou qui envisagent de s’installer au Portugal. Les articles de l’époque ne présentent les conditions pour bénéficier du statut RNH que pour cette population. À partir de 2015, les témoins sont également des actifs, notamment des entrepreneurs pour la période la plus récente. Les motivations au départ ne sont plus, alors, présentées uniquement sous l’angle fiscal, mais sont également liées à la qualité de vie au Portugal, ou bien aux atouts économiques du pays pour y créer une activité. L’idée de « fuir la France » apparaît également dans quelques articles par le biais de témoignages et est reliée à l’insécurité et surtout un « ras-le-bol fiscal ».

S’agissant des experts, en 2013 et 2014, ce sont des juristes, des avocats, des conseillers en gestion de patrimoine, des agents immobiliers (avec en particulier une forte visibilité de l’agence Maison au Portugal), qui corroborent les informations données dans l’article ou apportent des précisions en fonction de leur domaine de compétences. Le président de la Chambre de commerce et d’industrie franco-portugaise intervient également à de nombreuses reprises pour s’exprimer sur les flux de Français partant s’installer au Portugal, ainsi que sur les nombreux avantages comparatifs offerts par ce pays. À partir de 2015, l’importance d’un accompagnement apparaît plus clairement. Les experts anciennement sollicités restent, mais de nouveaux font leur apparition, comme des entreprises spécialisées dans les démarches administratives. Le contenu des informations données évolue, la notion de prestation de services devient plus visible et on perçoit davantage l’aide que ces experts sont en mesure d’apporter aux personnes qui souhaitent s’installer au Portugal. En communication interculturelle, le rôle des intermédiaires peut être très positif, car ils permettent notamment, d’un côté, de réduire l’incertitude et l’anxiété qui se développent en situation d’interculturalité, facilitant de fait la communication avec le pays d’accueil. D’un autre côté, ces intermédiaires sont en position de tirer directement profit de leur témoignage. On peut alors s’interroger sur la crédibilité de ces experts, voire sur leur légitimité.

Des chercheurs en sciences sociales se posent également ces questions (Barbier et al., 2013; Lima, 2009), dans un contexte où l’expertise, qui est d’abord une activité discursive, a pris une place considérable dans l’espace public (Berrebi-Hoffmann et Lallement, 2009; Bouzon, 2002) et où « les individus érigés ou auto-proclamés en experts sont devenus omniprésents dans la société contemporaine » (Garric et Léglise, 2012, p. 1). Dans notre corpus, les experts sont principalement des hommes et des femmes qui ont des connaissances « indirectes », par leurs compétences économiques, fiscales ou immobilières, sur le phénomène de migration des Français vers le Portugal. Tous sont experts puisqu’ils agissent « ponctuellement grâce à des compétences spécifiques, avec pour mission de formuler un jugement ou d’offrir une solution » (Trépos, 2002, p. 8). Les uns peuvent justifier de « critères de validation scientifique » (Guérin, 2007), car ils sont professionnels et accrédités (Lima, 2009). Les autres mettent en valeur une expertise profane, c’est-à-dire une capacité d’expertise quotidienne ou une « expertise d’usage », en ce sens qu’ils possèdent une somme de compétences, de savoir-être et de savoir-faire acquis au quotidien sur un sujet (Bonnet, 2006).

Ainsi, on pourrait déjà établir une différence entre ceux qui « sont » experts au sens scientifique, de ceux qui « font » l’expert, les seconds ayant un discours beaucoup plus vague que les premiers (Garric et Léglise, 2012), et force est de constater que tous les experts s’exprimant dans la presse analysée appartiennent à la deuxième catégorie. Par ailleurs, à partir de 2015, lorsque la nécessité d’avoir recours à des intermédiaires est soulignée par les articles, il s’avère que les experts interrogés sont aussi fréquemment ceux qui peuvent assurer cette fonction de médiation et d’accompagnement. Se pose donc la question de la partialité de leur discours, d’autant plus que l’on constate, au fil des articles et au fil des années, que ce sont très souvent les mêmes personnes qui sont sollicitées.

Le rôle des acteurs privés dans la promotion du RNH

L’analyse du corpus fait apparaître le rôle des acteurs privés dans la promotion du statut RNH, c’est-à-dire de ceux qui tirent indirectement profit de la convention fiscale. Il s’agit en particulier des agents immobiliers et des fiscalistes, ainsi que des agences spécialisées dans le conseil et l’accompagnement à l’installation au Portugal, qui se sont multipliées ces dernières années, notamment sur Internet. Par exemple, un des experts en matière d’expatriation de retraite à l’étranger souvent interrogé dans les articles est à l’origine d’un classement des pays les plus attractifs en la matière (dont le Portugal prend la tête en 2015), mais il est aussi animateur d’un site Internet et éditeur d’un guide pratique pour s’installer au Portugal. De même, certaines agences immobilières interviewées continuent, même en fin de période, à présenter les achats immobiliers au Portugal comme une opportunité financière, alors que la hausse des prix est déjà sensible dans différents secteurs géographiques (en particulier à Lisbonne et en Algarve). Sont-ils totalement objectifs?

Ces différents acteurs ont en effet tous intérêt, malgré des objectifs personnels sensiblement différents, à présenter le Portugal comme un « petit paradis » pour les Français. Et ce n’est pas non plus un hasard si ce sont ces mêmes agences immobilières et ces autres spécialistes du conseil à l’installation au Portugal qui partagent sur Internet les articles de presse ou les reportages télévisés consacrés au sujet. Ils utilisent les médias pour diffuser l’information auprès de leurs cibles potentielles et donc comme un outil de promotion de leurs propres activités. Le dispositif RNH mis en avant par la presse est ainsi clairement instrumentalisé par un certain nombre d’acteurs privés pour servir leurs propres intérêts, soulignant l’émergence de ce que certains auteurs n’hésitent aujourd’hui pas à qualifier d’« industrie de la migration » (David, Eimermann et Akerlund, 2015).

Une simple promotion de « migrations fiscales »?

L’analyse du corpus a montré de quelle manière le statut RNH avait été présenté par la presse française économique et financière française et par différents acteurs privés directement intéressés, faisant globalement apparaître le Portugal comme un lieu d’installation « désirable » pour les Français. Cela nous amène à nous interroger sur deux points. Nous reviendrons d’abord sur le décalage entre le contenu des articles et la réalité de ces migrations, qui sont plus complexes que ne pourrait le laisser deviner la lecture de la presse. Ensuite, nous expliquerons de quelle manière les résultats obtenus dessinent un nouveau rôle des médias, plus spécifiquement des médias étrangers, dans la communication internationale d’un autre pays, en faisant le lien avec leur rôle dans la promotion de ces migrations.

Des migrations à la fois héliotropiques et économiques

Les migrations internationales, en particulier de retraite, en direction du sud de l’Europe ne sont pas nouvelles et les travaux les concernant sont relativement nombreux (Benson, O’Reilly et Casado-Díaz, 2006; Casado-Diaz, Kaiser et Warnes, 2004; Duran, 2016; Gustafson, 2009; Huete et Mantecón, 2013; King, Warnes et Williams, 1998; O’Reilly, 2000; Williams, King et Warnes, 1997). Ils ont cependant davantage concerné l’Espagne que le Portugal et se sont avant tout intéressés aux communautés britannique et, dans une moindre mesure, allemande, les plus anciennement établies. Les migrations récentes de Français que l’on observe au Portugal témoignent de nouvelles dynamiques. Les premiers résultats d’entretiens semi-directifs menés auprès de Français installés ces dernières années dans les régions de Lisbonne et de Porto dans le cadre d’un programme de recherche interdisciplinaire[13] révèlent une réalité migratoire plus nuancée que celle globalement présentée par la presse française. Les Français ne sont tout d’abord pas tous bénéficiaires – ni même demandeurs – du statut RNH et, même parmi ces derniers, les motivations migratoires sont plus complexes que celles qui apparaissent dans la plupart des articles analysés précédemment. Elles ne peuvent en tout cas pas se résumer à un simple phénomène d’exil fiscal, même si la dimension économique est très présente.

Les Français s’installant au Portugal sont tout d’abord en quête de meilleures conditions climatiques : douceur des températures, fort taux d’ensoleillement, même si un important gradient s’observe entre le nord (1 600 heures de soleil) et le sud du pays (3 200 heures). Cette logique héliotropique rentre bien dans le cadre des « mobilités privilégiées » (Croucher, 2009, 2012) liées à la « recherche d’un autre style de vie » (Benson et O’Reilly, 2009; Benson et Osbaldiston, 2014). On ne peut cependant pas réellement parler de « migrations d’agrément » au sens strict (Cognard, 2010; Martin, Bourdeau et Daller, 2012; Moss, 2006). Ce concept désigne en effet un nouveau type de migrations de « confort », de populations relativement aisées à la recherche d’une meilleure qualité de vie et d’un environnement résidentiel riche en aménités territoriales, mais pour lesquelles l’agrément du mode de vie recherché est généralement caractérisé par des aspirations existentielles plus qualitatives qu’économiques (Cognard, 2010, 2018). Ici, à l’exception du facteur climatique, les aménités territoriales, en particulier paysagères, n’apparaissent que rarement comme un facteur essentiel pour les Français, qui sont, il est vrai, nombreux à choisir de s’établir en ville. Et même si certains résidents non habituels actifs, notamment les entrepreneurs, semblent davantage se situer dans cette logique de recherche d’une meilleure qualité de vie, au sens qualitatif du terme, dans ces phénomènes migratoires, et en particulier pour les retraités, la dimension économique tient une place très importante. On est loin, par exemple, du type de migrations que l’on peut observer chez les Néerlandais s’installant dans les campagnes françaises, pour qui la quête d’une meilleure qualité de vie dans un cadre rural préservé est centrale, certains étant même prêts à consentir un sacrifice financier pour pouvoir y résider (Cognard, 2018). Les stratégies migratoires des Français renvoient également à un rejet de la France, très peu évoqué par la presse. Celui-ci est multiforme et recouvre aussi bien un sentiment d’insécurité (délinquance, attentats), qu’un « ras-le-bol fiscal » et une volonté de fuir une société française jugée morose et en proie à un malaise social et identitaire (grèves, immigration…).

Néanmoins, l’attrait fiscal du dispositif RNH joue souvent le rôle d’élément déclencheur et semble avoir contribué au développement de nouvelles formes de migrations économiques en direction du Portugal. Trois principaux cas de figure s’observent : des migrations entrepreneuriales (alimentées par des avantages concurrentiels économiques diversifiés : taxation forfaitaire à 20 % grâce au RNH, mais aussi facilité de création d’une entreprise, main-d’œuvre qualifiée et économique, du fait notamment de la faiblesse des charges salariales…); des phénomènes d’exil fiscal « classiques »; et des logiques de repli économique pour certains retraités. Même s’ils ne l’avouent pas toujours ouvertement, l’appât fiscal du gouvernement portugais semble jouer pour certains Français comme un véritable « aimant », les amenant parfois à s’établir très rapidement dans un pays qu’ils ne connaissent absolument pas. Cependant, de manière plus générale, et en particulier pour de nombreux retraités (qui représentent vraisemblablement près de 80 % des résidents non habituels), s’installer au Portugal permet de maintenir ou d’améliorer leur pouvoir d’achat, dans une logique de « maximisation économique », grâce à la combinaison des avantages fiscaux, d’un coût de la vie plus faible et de prix du logement attractifs. Cette migration de Français dans le sud de l’Europe illustre donc l’existence d’un gradient nord-sud, non seulement climatique, mais aussi économique.

Cet attrait pour un pays ensoleillé où la vie apparaît moins onéreuse n’est pas sans rappeler les migrations de retraite des Nord-Américains motivées par des avantages économiques en direction du Mexique (Bantman-Masum, 2013; Croucher, 2009) et d’Amérique centrale ou du Sud (Benson, 2013; Hayes, 2014, 2015). Il y a néanmoins une double dimension dans ces phénomènes migratoires, car ils concernent à la fois des ménages aisés, profitant pleinement du cadeau fiscal portugais, mais aussi des personnes plus modestes, qui souhaitent « vivre mieux avec moins » et qui représentent assurément un nouveau profil d’« exilés fiscaux ». Pour eux, le gain fiscal réel serait d’ailleurs à examiner de près une fois tous les frais de l’expatriation additionnés. De plus, une fois installés, les Français soulignent que s’ils ont souvent au départ été attirés par des arguments économiques, ils ont ensuite été également séduits par un pays où ils se sentent bien et où ils apprécient la qualité de vie et la gentillesse des habitants.

Ces migrations en direction du Portugal témoignent aussi d’une logique de « mondialisation migratoire » et de mise en concurrence, y compris fiscale, des différentes destinations de retraite, et plus globalement d’installation, potentielles. L’éventail des possibles résidentiels s’est en effet largement ouvert ces dernières années du fait de la liberté de circulation au sein de l’Union européenne et d’une plus grande habitude de mobilité, liée en particulier à la diffusion des pratiques touristiques et au développement des compagnies low cost offrant des tarifs attractifs et permettant de réduire les distances-temps à l’échelle européenne. Les critères d’attractivité résidentielle ont ainsi évolué et sont aujourd’hui facilement comparés grâce aux informations diffusées par les médias et les réseaux sociaux, notamment dans le cadre des palmarès territoriaux précédemment évoqués. La « circulation internationale de l’information » (Mattelart, 2014) est aujourd’hui un des aspects de la « planète migratoire » (Simon, 2008).

Le Portugal a choisi de se placer sur ce marché concurrentiel en proposant différents avantages fiscaux aux résidents étrangers, en particulier retraités, grâce au régime fiscal du RNH. Certes les logiques de « migrations fiscales » ne sont pas nouvelles (Palan et al., 2009), y compris dans des territoires ensoleillés, que l’on songe par exemple à Malte (Akerlund, 2013), au Maroc ou encore à l’île Maurice, mais comme le souligne une journaliste, « le Portugal n’est pas sectaire, il aime les petits comme les gros[14] », et c’est sans doute une des raisons de son succès. Il s’adresse en effet à un large panel de contribuables, car, contrairement à de nombreuses « destinations fiscales », il n’y a pas d’investissement minimal pour obtenir le statut RNH et celui-ci est peu contraignant. Ce pays offre par ailleurs les avantages d’une proximité géographique et culturelle rassurante (notamment par rapport au contexte géopolitique du Maghreb). On peut également faire l’hypothèse que l’importante couverture médiatique dont a bénéficié le statut RNH en France, aussi bien dans la presse qu’à la télévision, a pu contribuer à « démocratiser » cette pratique d’optimisation fiscale.

Cependant, même si les Français sont les premiers acquéreurs étrangers de biens immobiliers au Portugal depuis 2016[15] et si les statistiques portugaises relatives à l’immigration témoignent d’une augmentation des installations françaises[16], l’exode fiscal annoncé par la presse n’a pas (encore?) eu lieu. Les rares chiffres qui circulent paraissent somme toute limités : les dernières publications parlent de 10 689 résidents non habituels[17] début 2017, toutes nationalités confondues. Il est de plus vraisemblable que la situation évolue à assez court terme vers une taxation minimale des pensions de retraite du côté portugais, du fait de la pression d’un certain nombre de partenaires européens, en particulier des pays nordiques, qui y voient une concurrence fiscale déloyale. Un projet de réforme a même été évoqué à l’automne 2017 (une taxation de l’ordre de 5 à 10 % des pensions), mais la mise en œuvre de la réforme, d’abord annoncée pour le budget 2018, a été abandonnée par le gouvernement portugais, en attendant sans doute que la pression européenne ne se fasse plus forte. Quoiqu’il en soit, cette remise en cause probable de l’exonération fiscale des pensions de retraite est quasiment passée sous silence par la presse française, un seul article l’évoquant en mars 2018[18]. Faut-il y voir un autre signe d’un traitement superficiel du sujet ou la peur d’effrayer une cible marketing?

Le rôle des médias dans la promotion des migrations

Lorsqu’un État met en place une politique publique favorisant la mobilité internationale, le principe veut que celui-ci organise également la communication sur cette mesure. Or, vu de France, le gouvernement portugais ne semble pas réellement avoir organisé d’actions de communication sur le RNH. Peut-être parce que ce statut, instituant un « petit paradis fiscal » au Portugal, pose de fait la question de l’absence d’harmonisation en matière de fiscalité au sein de l’Union européenne et commence à agacer un certain nombre de partenaires européens, qui voient leurs ressortissants s’y installer? S’agissant du statut RNH, la communication en France a principalement été le fait de deux acteurs : la Chambre de commerce et d’industrie franco-portugaise, qui a fait la promotion de l’installation au Portugal dès son premier Salon de l’immobilier et du tourisme au Portugal en 2012, et les médias français. Selon Carlos Vinhas Pereira, président de la CCIFP, interrogé en 2017 par un journaliste, l’origine du coup de cœur des Français pour le Portugal remonterait d’ailleurs à 2012, à l’occasion du premier Salon organisé à Paris :

Ce fut un succès inespéré. Nous étions quelques mois après le printemps arabe. Nous avons jugé pertinent de mettre le Portugal en avant sous l’angle du tourisme et de l’immobilier car nous subodorions que les Français allaient chercher une alternative aux pays du Maghreb pour leurs vacances et pour passer leur retraite au soleil[19].

Il est également le premier à souligner les nombreux avantages comparatifs du Portugal et notamment à mettre continuellement en avant un « gain non négligeable en pouvoir d’achat pour les Français » (« + 20 % à Lisbonne et jusqu’à 35 % dans l’intérieur du Portugal ») et les prix avantageux de l’immobilier au Portugal : « Ils s’élèvent en moyenne à 2 500 euros du mètre carré au Portugal et 3 500 euros dans la capitale Lisbonne, pour des biens de bonne qualité, soit le tiers des standards français[20] ».

Mais le dispositif RNH a également bénéficié d’une importante couverture médiatique en France, aussi bien dans la presse que dans des reportages télévisés. D’une part, cela souligne bien l’intervention des médias dans l’orientation de la perception du public (Lazar, 2001). D’autre part, cela met en lumière un nouveau rôle de la presse dans la promotion des migrations et, plus largement, en communication internationale et interculturelle. Depuis près de 30 ans, nous sommes passés dans un contexte de « circulation internationale de l’information » (Mattelart, 2014), qui accompagne la mondialisation des économies et des cultures. Les médias de masse « universalisent de nouveaux modèles jusqu’à en imprégner l’univers des sociétés les plus reculées » (Rasse, 2008, p. 46).

Si les travaux scientifiques récents s’intéressent à la manière dont les médias de différents pays abordent un même sujet, à la réception des informations par des individus présents sur des territoires différents ou au développement des médias internationaux, notre contribution propose un éclairage novateur et complémentaire. Elle met en lumière le rôle de promoteur qu’endossent les médias nationaux lorsqu’ils transmettent des informations venant d’un autre pays à une cible nationale directement concernée par cette information. Considérant plus spécifiquement les migrations en direction des États-Unis et du Canada, Eve Bantman-Masum (2015) avait déjà parlé de ce rôle, les médias français devenant de fait « des acteurs-clé de l’expatriation à la française » (s. p.). L’auteure avançait même l’hypothèse d’une « stratégie commerciale au service de la migration » (s. p.).

Trois ans après la publication de cet article, nous faisons un constat proche. Non seulement les médias français sont devenus des acteurs majeurs de la communication internationale du Portugal sur le dispositif fiscal RNH, mais, en plus, l’analyse des discours de presse que nous avons réalisée semble indiquer que l’enjeu de captation est prédominant par rapport à l’enjeu de crédibilité. Si celui-ci est associé à « une finalité éthique de transmission d’informations au nom de valeurs démocratiques : il faut informer le citoyen pour qu’il prenne part à la vie publique », le premier est associé à « une finalité commerciale de conquête du plus grand nombre de lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, puisque l’organe d’information est soumis à la concurrence et ne peut vivre (survivre) qu’à la condition de vendre (ou d’engranger des recettes publicitaires) » (Charaudeau, 2006, paragr. 13).

Ainsi, ce nouveau rôle endossé par les médias influence la promotion de la migration, car il oriente les informations qui sont diffusées. Habituellement, lorsqu’un état communique sur une politique publique ayant un impact sur la mobilité, il donne des renseignements sur la société d’accueil, les moyens d’aide à l’installation, l’intégration socioéconomique, etc. (Belabdi, 2011.) Par la transmission de ces informations, une forme de sensibilisation et d’éducation à la société d’accueil se met en place, avec pour objectif de faciliter la cohésion et la convergence culturelle (Hsab et Stoiciu, 2011), et ce, d’autant plus que l’on vise l’installation à long terme de la population migrante, comme c’est le cas pour les bénéficiaires du statut RNH qui peuvent en profiter pendant 10 ans. Ce faisant, on aide les individus à envisager les différents aspects de la migration, ce qui est primordial, comme le rappelle Mustapha Belabdi (2011) :

Lors d’une expérience migratoire, la relation avec la société d’accueil est vécue dès la période de préparation où le candidat se voit prédisposé progressivement à vivre sa nouvelle transition et manifeste un intérêt préalable pour sa future destination de résidence. […] Une double appartenance s’installe graduellement chez l’immigrant qui peut alors s’identifier à son milieu d’origine tout en se réclamant progressivement de la société d’accueil. (p. 184.)

En informant quasi exclusivement sur les gains économiques et fiscaux permis par une installation au Portugal, la presse tend à transformer la mobilité internationale liée au statut RNH en simple investissement financier. Dès lors, aussi bien les enjeux que les risques sociaux et humains inhérents à toute expatriation sont occultés, avec les conséquences qui en découlent et qui peuvent amener à une intégration ratée, voire à des échecs. On peut d’autant plus s’en étonner que c’est ici une population retraitée, et donc le plus souvent âgée, qui est le plus souvent ciblée.

Par ailleurs, la plupart de ces articles et de ces reportages vidéo sont librement accessibles sur Internet et, comme nous l’avons souligné, généralement partagés sur différents réseaux sociaux numériques par des acteurs privés, qui y trouvent un moyen d’informer leur clientèle potentielle. Cela démultiplie encore leur pouvoir de diffusion de l’information et donc leur impact, mettant en lumière un nouveau rôle des médias dans la promotion des migrations et, plus largement, en communication internationale et interculturelle. Comme Christian Agbobli (2015) le soulignait : « les nouvelles pratiques, avec les téléphones mobiles ou les médias sociaux qui placent les usagers au cœur du dispositif technique en privilégiant la collaboration entre les usagers dans la production et la diffusion, sont maintenant au cœur de la communication internationale » (p. 80). Les médias constituent donc un partenaire important en matière de promotion, d’autant plus que leur rôle en ce qui concerne l’agenda-setting n’est plus à démontrer[21]. Dans le même temps, le rôle des médias ne peut être que complémentaire à celui des acteurs politiques. En minimisant les aspects humains et sociaux de la migration (relatifs à la question de l’intégration, de la communication interculturelle), les médias ne remplissent pas la mission de préparation au départ, qui doit accompagner tout projet migratoire.

Conclusion

Dans cet article, nous avons montré que le régime fiscal du RNH, qui est un outil de politique publique mis en place par l’État portugais pour attirer des résidents et des investisseurs étrangers (actifs à « haute valeur ajoutée » et retraités) grâce à des avantages fiscaux, est utilisé comme un outil de promotion du pays à l’étranger. Cependant, nous ne nous sommes pas intéressées à la manière dont le Portugal brandit cet outil de communication, mais à la façon dont la presse française l’a porté à la connaissance de la population. Nous avons ainsi analysé comment des quotidiens et des hebdomadaires d’édition nationale, ayant une orientation généraliste ainsi qu’économique et financière, ont relayé l’information sur un dispositif fiscal mis en place par un autre pays. Les résultats révèlent assez peu d’évolution dans le traitement du sujet entre 2013 et 2018. Ainsi, dès 2013, la presse a endossé un rôle informatif en plaçant au centre des articles les arguments fiscaux et financiers, en parlant du statut RNH et d’achat immobilier de manière concomitante. L’installation au Portugal est présentée comme un investissement, une opportunité financière, et l’ensemble des enjeux humains et sociaux liés à cette mobilité ne sont pas traités ou à peine évoqués.

À partir de 2015, selon une approche de marketing territorial, les facteurs liés à la qualité de vie font leur apparition et viennent compléter l’argumentaire en faveur du Portugal. Nous entrons dans une ère davantage communicationnelle, où l’on commence à appréhender l’installation au Portugal comme une mobilité ayant des avantages et des inconvénients. L’analyse révèle également la couverture souvent superficielle du sujet et le poids pris dans cette information par un certain nombre d’« experts récurrents », qui représentent autant de nouveaux acteurs de la communication internationale (Agbobli, 2015). Ce dispositif RNH apparaît ainsi comme un outil de promotion du Portugal mis en avant par la presse et instrumentalisé par un certain nombre d’acteurs privés qui s’en servent pour informer leurs clientèles potentielles. Au final, ce sont avant tout les arguments fiscaux et relatifs aux différents avantages comparatifs d’ordre économique qui sont répétés de manière récurrente pour faire la promotion du Portugal.

Face à ces nouvelles formes de migrations vers le Portugal, qui sont plus complexes que la lecture des articles ne pourrait le laisser supposer et qui ne peuvent pas se résumer à une simple logique d’exil fiscal, il convient de repenser la communication internationale faite par les États et relayée par les médias nationaux en ne négligeant pas la dimension humaine de tout projet migratoire. Si les arguments financiers restent des facteurs d’attraction essentiels sans lesquels ce type de mobilité n’aurait souvent pas lieu, les individus qui s’installent à l’étranger ne peuvent être uniquement considérés comme des investisseurs. Ils viennent vivre dans un pays étranger et doivent s’y préparer s’ils veulent réussir leur expatriation. Ils ont besoin de motivations et d’informations autres que purement économiques et quantitatives. Or, si ces informations existent (par exemple, sur le site Living in Portugal, qui n’est évoqué que dans un seul article du corpus), elles ne sont que peu rendues visibles par la presse, et encore moins par tous les intermédiaires qui monnayent leurs services.

La question de l’immigration constituant un enjeu de communication publique et politique (de Souza Paes, 2015), la participation du gouvernement étranger en matière de communication internationale et interculturelle dans le cadre de la promotion d’une politique publique reste donc indispensable.