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L’importance du média radiophonique en Afrique surpasse de loin celle de tous les autres médias (Mytton, 1983; Tudesq, 1999). Considérée comme le média le plus efficace par sa rapidité de diffusion et ses faibles frais de fonctionnement, la radio permet de rejoindre un grand public et les auditoires moins instruits (Deflander, 2015; Mytton, 1983; Tudesq, 1999). Les radios communautaires et celles à but lucratif ont d’ailleurs joué un rôle majeur dans la diffusion des idées des mouvements de libéralisation des années 1990 en Afrique, en adoptant une position critique jamais endossée auparavant par les radios d’États (Deflander, 2015). Leur popularité fut telle que, désormais, presque toutes les régions rurales d’Afrique possèdent une station de radio « libéralisée » (Deflander, 2015). Les stations au contenu religieux font, quant à elles, partie du paysage radiophonique depuis plus longtemps. Elles furent pendant un temps les seules radios indépendantes à partager les ondes avec les radios étatiques (Tudesq, 1999). L’ouvrage d’Étienne Damome porte sur l’étude des radios religieuses du territoire subsaharien en rapport avec le contexte religieux et social ouest-africain entre 2004 et 2013.

Damome est enseignant et chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université Bordeaux Montaigne. Chercheur dans le laboratoire Médiation, information, communication, arts, il est aussi associé à l’unité mixte de recherche Les Afriques dans le monde. L’ouvrage ici présenté, dont l’objectif est de dresser le paysage radiophonique religieux de quatre pays d’Afrique de l’Ouest[1], s’inscrit dans la poursuite des réflexions de sa thèse doctorale (2007) intitulée : Radios et religion en Afrique : information, communication et/ou prosélytisme? Analyse comparée des cas du Bénin, du Burkina Faso, du Ghana et du Togo.

Au terme d’une étude du média radiophonique s’étalant de 2004 à 2013, l’ouvrage de Damome présente les radios religieuses de manière détaillée afin d’enrichir les connaissances du lecteur sur le contexte religieux en Afrique. Toutefois, il semble donner une attention particulière aux radios chrétiennes, qui sont souvent abordées plus en profondeur que les radios musulmanes. L’auteur n’en dit rien, mais d’après l’échantillon de 138 radios religieuses de confession différentes[2] (p. 18), il est clair que les chrétiens sont majoritaires sur les ondes. De plus, l’auteur mentionne que les religions traditionnelles africaines ne possèdent pas de médias de diffusion propres[3]. En effet, selon lui, sur le continent, il n’existerait qu’une seule radio portant exclusivement sur la religion traditionnelle[4].

Dans son introduction, Damome présente la méthodologie employée pour l’étude de la programmation, du contenu, des publics et des usages qui sont ensuite rediscutés dans les différents chapitres. Il explique avoir employé des techniques de collecte de données allant de l’analyse de documents à des entretiens avec les membres de la population et de l’écoute des émissions diffusées à la participation aux activités proposées. Selon l’aspect du média étudié dans un chapitre, l’auteur fournit une grille d’analyse et les détails de la constitution de son corpus. Ces informations, défilant d’un bout à l’autre de l’ouvrage, permettent de se rendre compte que l’analyse de Damome va au-delà des quatre pays subsahariens qu’il souligne comme central à son étude. Ceci porte parfois à confusion, mais justifie pourquoi l’auteur prétend à une globalisation de son analyse à l’ensemble du continent. Dans les trois premiers chapitres de son ouvrage, Damome décrit le contexte dans lequel ont émergé les radios religieuses en Afrique et dresse, plus particulière, le panorama général de ces radios au Bénin, au Burkina Faso, au Ghana et au Togo en explicitant le cadre juridique national qui prescrit leur statut respectif.

Les chapitres quatre et cinq abordent la mission religieuse des radios confessionnelles et son influence sur le type d’usages qu’en font les institutions religieuses, ainsi que sur le choix de la programmation et des thématiques abordées en ondes. Par exemple, l’auteur souligne que l’Église catholique conçoit l’arrimage entre le don de Dieu et l’ingéniosité humaine comme ayant permis la création des médias radiophoniques. Son origine serait donc partiellement divine, ce qui, sur le terrain, provoque son instrumentalisation en vue de faire avancer la mission religieuse. Conséquemment, ce média doit servir à l’évangélisation et aux actions pastorales dans le but de promouvoir le développement social et humain. L’auteur conclut que cette évangélisation est caractérisée par son ouverture au monde, justifiant la diffusion d’émissions touchant diverses facettes de la vie telles qu’elles s’observent sur le terrain.

Le sixième chapitre aborde les stratégies de communication[5] et de fidélisation de l’auditoire, suivi d’un chapitre sur le public ciblé et le profil des auditeurs de ces radios. Damome y constate l’impossibilité de dresser un profil type du public de la communication religieuse étant donné qu’elle s’adresse aux croyants et aux non-croyants. En effet, la diffusion radiophonique religieuse s’apparente davantage à une communication de masse s’insérant dans une logique de propagande (évangélisation/da’wa[6]), dont le but est d’attirer le plus grand public et de convertir ceux qui doivent l’être. Diversité du public rimant avec diversité des attentes, il n’est donc pas surprenant que les radios religieuses adoptent majoritairement un format généraliste en ne diffusant pas exclusivement des émissions religieuses.

Les derniers chapitres du livre (huit à onze) proposent quant à eux des réflexions sur la logique médiatique des communications religieuses, sur la situation religieuse et sociale dans les pays étudiés et sur le rôle d’affirmation de l’identité locale adoptés par ces radios. Ces chapitres mettent en exergue les enjeux de communication – rapport entre les institutions religieuses et la culture locale pour une identité locale, l’apparition de dialogue interreligieux et d’émissions interactives comme espace public de réflexion et de discussion – émanant de la communication médiatique des radios religieuses.

Dans son analyse, Damome fait ressortir quelques lignes directrices propres à la logique médiatique des communications religieuses en Afrique. Il dégage des discours et des actions des groupes religieux des principes de la communication radiophonique religieuse. Selon l’auteur, celle-ci peut être caractérisée comme étant médiatrice, communautaire, ambivalente et utilitariste. La communication est premièrement médiatrice, car celui qui communique le message via son poste de radio n’est pas qu’un émetteur : il adopte un rôle de traducteur, voire d’expert, entre le divin et l’auditeur. Deuxièmement, cette communication est communautaire puisque les institutions emploient le média radiophonique dans une visée d’influence sociale. La logique de la communication médiatique religieuse repose donc sur un partenariat entre une institution religieuse et sa communauté. Troisièmement, la communication est ambivalente, au sens où elle peut être autant spirituelle que temporelle[7]; temporelle, car elle aborde des aspects profanes en s’intéressant au développement humain. Dernièrement, elle est utilitariste, car la promotion humaine et les changements sociaux proposés sont des réponses qu’offre la religion aux problèmes de la société. En résumé, la communication religieuse est une « évangélisation/da’wa » où tous les aspects de la vie humaine sont abordés dans le but de susciter le dialogue et la participation sociale à travers le message religieux.

Pour rendre compte du contexte religieux, l’auteur postule que la communication radiophonique fait ressortir des indicateurs sur la situation religieuse des sociétés africaines. Parmi ces indicateurs, nommons, entre autres, le regain d’activisme religieux, l’émergence de nouveaux mouvements religieux chrétiens et le maintien du lien symbolique entre les communautés diasporiques et celle d’origine médié par la communication religieuse. L’auteur ne situe pas ces deux premiers indicateurs à des évènements précis.

De plus, l’auteur souligne le rôle des radios religieuses chrétiennes dans la vie politique, où la communication religieuse est employée afin de susciter un changement social et de promouvoir le développement socioéconomique. « Femme en marche » et « Place aux femmes » sont des exemples d’émissions ayant participé à la prise de conscience de la condition féminine dans certaines régions (non précisées dans l’ouvrage, p. 265). Par la communication dite « temporelle », ces radios deviennent ainsi communautaires, car la responsabilité sociale y est considérée comme un de leur devoir. Damome souligne le rôle de catalyseur qu’ont les radios religieuses dans l’autonomisation des communautés africaines. Les radios conscientisent la population des milieux où elles sont implantées[8] aux problèmes sociétaux, tout en endossant le rôle de prescripteur moral envers les décideurs ou de contre-pouvoir face au politique. Par exemple, l’émission « La cité » diffusée par RIC[9] au Bénin donne la parole au public pour traiter et débattre de sujets tels que la paix civile et la justice sociale (p. 256). Damome ajoute qu’au Burkina Faso, les institutions musulmanes tentent d’utiliser davantage la radio pour mener des actions sociales. Toutefois, dans les pays où cette religion est minoritaire, la programmation est davantage orientée vers l’avancement de la religion.

À terme, l’auteur atteint son objectif. L’ouvrage se présente bel et bien comme une revue de la programmation, du contenu, du public et des stratégies de communication employées par les radios religieuses des quatre pays étudiés. Des radios d’autres pays font aussi partie de l’échantillon étudié menant à une généralisation des résultats au continent africain. Cependant, l’analyse est limitée du fait qu’elle n’aborde pas toutes les catégories d’institutions religieuses établies en Afrique avec la même profondeur.

En effet, l’ouvrage dresse un portrait détaillé des spécificités des médias radiophoniques protestants et catholiques, alors que celui des radios de confession musulmane est survolé et, trop souvent, seulement mis en contraste avec les radios chrétiennes. Il peut dans ce contexte être difficile de saisir en quoi cette analyse est généralisable à l’ensemble de l’Afrique. D’ailleurs, ceci porte parfois à confusion, puisqu’on référera tantôt aux radios religieuses subsahariennes tantôt à celles de l’Afrique en général, sans pour autant permettre au lecteur de distinguer ce qui est généralisé au continent ou spécifique à un pays donné. Cette critique s’applique tout autant au regard porté sur les religions traditionnelles, lesquelles ne sont traitées que très brièvement. Précisons en outre que l’ouvrage ne décrit pas explicitement ce que sont ces religions traditionnelles et ne mentionne qu’au passage le vaudouisme. Ainsi, il aurait été pertinent de définir l’appellation « religions traditionnelles » pour une meilleure compréhension de leur nature et de leur rôle, notamment parce que l’auteur affirme qu’elles occupent une place importante dans la communication religieuse publique et qu’elles sont pratiquées par la majorité de la population au Bénin et au Togo.

Pour finir, Radios et religions en Afrique subsaharienne est un ouvrage cohérent qui permet une description intéressante de la logique d’opération des radios religieuses, principalement de quatre pays de la zone subsaharienne. Dans l’ensemble, l’ouvrage est rédigé dans un style accessible qui permet aux non-initiés de suivre l’analyse de l’auteur. À la lumière de l’analyse concernant la dimension horizontale (sociale) de la communication religieuse et du devoir de promotion sociale que se donnent ces radios, il serait intéressant de se demander si la communication religieuse et communautaire permet une appropriation des projets de développement des sociétés africaines par les communautés. Si oui, de quelle manière et avec quels résultats?