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Champ de recherche et d’intervention : communication pour la santé

Depuis plus de 30 ans, les recherches alliant la communication et la santé se sont multipliées, amenant le développement d’un champ de recherche et d’intervention appelé « communication pour la santé » ( Health Communication ). Renaud et Rico de Sotelo (2007) définissent ce champ comme l’étude et l’utilisation de stratégies de communications interpersonnelles, organisationnelles et médiatiques visant à informer et à influencer les décisions individuelles et collectives propices à l’amélioration de la santé. La communication pour la santé s’exerce dans des contextes multiples et constitue un champ vaste et morcelé, rassemblant des chercheur.se.s s’inscrivant dans des approches épistémologiques et des disciplines variées (santé publique, psychologie, sociologie, communication, études féministes, sciences politiques, etc.) (Babrow et Mattson, 2003). Elle implique plusieurs catégories d’acteurs (populations, patients, soignants, gestionnaires, etc.), se déploie dans différents contextes sociaux et culturels (foyers, hôpitaux, écoles, milieux professionnels) et se joue dans divers types d’interactions (entre personnes, groupes, organisations, sociétés) (Kreps, 2003). Ce qui caractérise la recherche en communication pour la santé est qu’elle est axée sur la résolution de problèmes (Kreps, 2011). La recherche en communication vise aussi à développer et à valider de nouveaux concepts et modèles théoriques permettant de mieux saisir la complexité des enjeux communicationnels en santé et de concevoir des interventions efficaces pour le bien-être de la population.

La communication pour la santé constitue l’une des six grandes stratégies d’intervention habituellement associées à la promotion de la santé, dont l’objet porte, de façon plus globale, sur la capacité à contribuer à l’amélioration de la santé par des activités visant le changement planifié des comportements individuels et des modifications d’environnement physique, économique et social, pour lesquels des approches multidisciplinaires alliant particulièrement des théories psychosociales à théories sociopolitiques sont interpelées (Renaud, 2020). Outre la communication, le domaine de la promotion de la santé inclut des stratégies relatives à l’éducation à la santé, au marketing social, à l’action politique (advocacy) et au développement organisationnel (Caron-Bouchard et Renaud, 2001). La communication pour la santé est un processus transversal et spécifique qui ne peut donc pas, à lui seul, régler les problèmes sociaux liés à la santé. La communication pour la santé peut toutefois contribuer de façon importante à améliorer la santé des individus et des populations, dans la mesure où une stratégie de communication efficace peut amener les individus, les organisations et les communautés à mieux comprendre leurs besoins et à modifier leur environnement pour mieux y répondre.

Par ailleurs, en regard des autres domaines d’études et de recherche en communication, la spécificité de la communication pour la santé réside principalement dans la dimension affective et existentielle qu’elle comporte (Bontemps et al ., 1998), dimension liée à l’importance qu’accordent les individus à leur santé et aux maladies susceptibles de la menacer. Comme le rappellent Brashers et Babrow (1996) dans leur article «  Theorizing communication and Health  » :

Communication in health and illness constitutes the most vital of human experiences. No other human phenomenon is more elemental than health and illness, none connects us more viscerally with our aspirations, or confronts us more palpably with our limitations. Moreover, given the dynamics of these elemental experiences, and especially given that they are constituted in the communicative interweaving of body, mind, and society, health communication represents among the most complex, challenging, and potentially rewarding areas for scholarly inquiry (p. 39).

La communication pour la santé se distingue également par les objectifs et les publics qu’elle vise. En effet, la communication pour la santé vise non seulement à informer, mais aussi à sensibiliser les individus, les organisations et les communautés aux questions relatives à la santé. Surtout, elle devrait être interactive et participative afin d’engendrer un dialogue favorisant les changements de comportements et d’environnements qui permettront d’améliorer la santé de ces derniers et celle de la population en général. La communication pour la santé s’exerce donc dans des contextes multiples : relation patient-prestataire de services ; recherche d’information sur la santé par un individu ou un groupe ; adhésion d’un individu ou d’un groupe à un traitement ou à des recommandations spécifiques ; élaboration de campagnes de sensibilisation destinées au grand public ; communication de risques pour la santé associés à des pratiques ou à des comportements spécifiques ; diffusion dans la population d’une certaine image de la santé ; diffusion de l’information relative à l’accessibilité aux soins de santé ; etc. (Renaud, 2007, 2010.) Selon ces différents contextes, la communication pour la santé peut dès lors s’adresser à différents publics : professionnel.le.s de la santé, gestionnaires, prestataires de soins de santé, patient.e.s, grand public, professionnel.le.s des médias d’information, décideur.se.s politiques, membres d’organismes liés au milieu de la santé publique, etc.

Contexte du développement de la communication pour la santé à l’UQAM

L’analyse du contexte du développement de la communication pour la santé à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) repose sur deux axes : l’état de la recherche de ce champ et les préoccupations de pratique du Département de communication sociale et publique. Les publications, les centres de recherche et la vision du Département ont influencé les orientations du Centre de recherche sur la communication et la santé (ComSanté) que nous développerons dans la section 3.

État de la recherche

Au cours des trois dernières décennies, les recherches menées en communication pour la santé ont donné lieu à de nombreux ouvrages qui ont posé les jalons de ce domaine de recherche et d’intervention, tels que Thompson et al. (2003, 2010), avec le Handbook of Health Communication, Piotrow et al., (1997), avec Health Communication, Schiavo, (2014), avec Health Communication: From Theory to Practice, Northouse et Northouse (1997), avec Health Communication: Strategies for Health Professionals, Maibach et Parrott (1995), avec Designing Health Messages, et Ray et Donohew (1990), avec Communication and Health: Systems and Applications. Plusieurs articles scientifiques ont été publiés dans des revues spécialisées, dont le Journal o Health Communication ou Health Communication, le Journal of Medical Internet Research, ainsi que sur des sites internet spécialisés comme Promosanté, Health Communication et Reviews of Health Promotion & Education On-line.

La publication de ces ouvrages et de ces articles scientifiques découle en partie de la multiplication, au cours de ces décennies, des centres et des groupes de recherche consacrés à la promotion de la santé et à la communication. Au Québec, seul le Centre de recherche sur la communication et la santé (ComSanté) de l’UQAM, fondé en 2003, étudie spécifiquement la communication pour la santé comme axe central de recherche. Les autres groupes et centres ne mettent pas au cœur de leur démarche de recherche la communication pour la santé. Leurs recherches portent davantage sur l’éducation à la santé ou sur la promotion de la santé au Québec, au Canada ou ailleurs. Pour n’en nommer que quelques-uns :

  • Au Québec, le Réseau de recherche en santé des populations, créé en 2002, possède un regroupement sur les technologies de l’information et de la communication (TIC) et la santé s’intéressant à l’exploration des usages et de la création des TIC en rapport avec le domaine de la santé ;

  • En Ontario, l’une des cinq unités internes du Centre for Health Promotion de l’Université de Toronto porte spécifiquement sur la communication pour la santé. Le Health Communication Unit a en effet pour mandat d’augmenter les capacités de la communauté et des agences de santé publique à planifier, à gérer et à évaluer des stratégies communicationnelles en matière de santé ;

  • Aux États-Unis, les centres et les groupes de recherche sur la promotion de la santé sont nombreux, tant au sein des universités que des agences gouvernementales et des organismes privés. Deux d’entre eux accordent une place importante aux recherches menées dans le domaine spécifique de la communication pour la santé. C’est le cas du Stanford Prevention Research Center de l’Université Stanford et du Center for Communication Programs de l’Université Johns Hopkins de Baltimore, qui sont reconnus pour leurs recherches dans le domaine de la santé publique en matière de communication stratégique ;

  • À l’échelle internationale, sans être exhaustif, signalons que plusieurs organismes réalisent de la recherche autour de la promotion de la santé et intègrent la communication comme un axe de recherche et d’intervention. Plus particulièrement, ComSanté a travaillé avec Question-Santé de Belgique, Santé publique France et ComSaude du Brésil. Question-Santé est une association à but non lucratif dont la mission est de gérer le service « communication-médias » confié par la communauté française de Belgique. Santé publique France, qui a intégré l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé, se déploie autour de l’information sur la santé basée sur des pratiques exemplaires. Pour sa part, ComSaude, fondé en 2009, est un centre de recherche et d’intervention basé à l’université de Brasilia s’intéressant spécifiquement à la recherche sur la communication médiatique et l’internet en matière de santé.

Les publications scientifiques et les centres ont permis de démontrer que la communication pour la santé, surtout lorsqu’elle est associée à d’autres stratégies de promotion de la santé, peut avoir un impact significatif sur l’efficacité des politiques et des programmes gouvernementaux de santé publique. La communication est un processus transversal et spécifique qui repose sur une connaissance des fondements épistémologiques, théoriques et méthodologiques de la communication en général et de la communication pour la santé en particulier. Elle se fonde également sur l’examen de pratiques exemplaires et sur la capacité à transférer les caractéristiques de ces pratiques exemplaires dans l’élaboration de stratégies originales de communication interpersonnelle, organisationnelle ou médiatique qui répondent à des problématiques précises en fonction de contextes particuliers.

Intérêts de l’UQAM et du Département de communication sociale et publique

Le développement de ComSanté est né dans un contexte de déploiement de la santé à l’UQAM d’une part et, d’autre part, des perspectives de développement du Département de communication sociale et publique valorisant la pratique et l’intervention.

Depuis trente ans, l’UQAM est considérée comme un pilier important et bien positionné dans le domaine de la santé, dans la mesure où la santé tant biologique que sociale est un axe d’enseignement et de recherche au sein de son institution, ce que démontrent les quelque deux cents cours offerts par l’UQAM dans le domaine de la santé à travers des programmes de cycles supérieurs tant en sciences humaines, qu’en arts, en communication, en sciences biologiques, chimiques et de la gestion. Pour ne nommer qu’un regroupement majeur de recherche, l’Institut Santé et société (ISS)1, créé en 2002, regroupe près d’une centaine de professeur.e.s dispersé.e.s dans 23 départements de l’UQAM. La mission de l’ISS vise non seulement l’avancement des connaissances, mais également leur transfert vers la société par l’intermédiaire d’activités de formation et de programmes d’études, dont un doctorat en santé et société. En outre, l’ISS publie une collection d’ouvrages aux Presses de l’Université du Québec – la collection « Santé et Société2 » – destinée à favoriser la diffusion des connaissances sur les divers sujets liés aux multiples aspects de la santé dans notre société.

Le Département de communication sociale et publique, pour sa part, s’intéresse aux pratiques et aux interventions en communication. Il met de l’avant une vision transversale et multidisciplinaire de la communication. Plusieurs professeur.e.s ont réalisé ou réalisent des recherches dans le domaine de la santé, qu’ils s’agissent de communication interpersonnelle, organisationnelle, médiatique/internet. De plus, la revue Communiquer, fondée par le Département en 2009, a permis de publier plusieurs articles en rapport à la communication et à la santé. Enfin, lors de la création de ComSanté, deux centres de recherche collaboraient déjà avec le département : Cinbiose3 et METISS4.

Issu du Groupe de recherche-action en biologie du travail créé en 1985, le Centre de recherche interdisciplinaire sur le bien-être, la santé, la société et l’environnement (Cinbiose) œuvre particulièrement dans le domaine de la santé au travail et de la santé environnementale dans une approche écosystémique. Cinbiose 5 participe à la recherche transdisciplinaire visant à intégrer de façon systématique les préoccupations en matière de santé et d’environnement à la planification du développement, aux changements à apporter aux politiques et aux incitations à l’action, grâce à de l’information d’ordre scientifique, social et politique.

Fondée en 1993 et issue d’une équipe intégrée dans le Centre de recherche et de formation du CLSC Côte-des-Neiges dont la recherche portait sur les services de santé et les services sociaux de première ligne en milieu pluriethnique, METISS (Migration et ethnicité dans les interventions en santé et en services sociaux) est une équipe de recherche logée à UQAM et travaille en partenariat avec le CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Ile-de-Montréal. Cette équipe6 réalise avec différents milieux de pratique des recherches portant sur les enjeux spécifiques au processus d’immigration en rapport avec les services de santé et les services sociaux.

C’est dans ce contexte du développement de la recherche en santé à l’UQAM que ComSanté s’est déployé à partir de 2003. Pour ComSanté, la communication est un processus transversal, participatif. De plus, la communication est particulière et spécifique lorsqu’elle est examinée à travers la santé.

ComSanté : son évolution et ses champs de recherche

L’appellation Groupe de recherche sur les médias et la santé est le nom initial de ComSanté 7 , Centre de recherche sur la communication et la santé. Créé en 2003, ce centre a intégré plusieurs lignes de recherche, commençant d’abord par l’axe communication médiatique. Au fil des ans, il a incorporé l’axe « internet », puis les axes de la communication interpersonnelle ainsi qu’organisationnelle. Selon la philosophie et les orientations de ComSanté, la communication pour la santé est un processus transversal, participatif nécessitant des approches multidisciplinaires. De cette façon, la participation des citoyens ainsi que celle des milieux de santé et des médias sont au cœur de la démarche conceptuelle et méthodologique de ce centre.

Dix ans avant la création de ComSanté (1993 à 2003), je réalisais déjà de la recherche autour des effets des médias sur la santé et, plus particulièrement, j’effectuais des évaluations des campagnes médiatiques opérées par les gouvernements et les communautés locales. Mes recherches s’intéressaient à leur conception et à leur efficacité à engendrer des changements d’attitudes et de comportement sur le plan individuel.

Pour pallier au manque de circulation de connaissances, ainsi qu’à un non-dialogue entre les acteurs des milieux de la santé et ceux du milieu médiatique, j’ai obtenu une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) en 2004 pour amorcer une programmation de recherche autour des médias et de leurs effets sur le processus de changement individuel et collectif et de mobilisation. Cette subvention a été capitale, car elle a permis, pendant un an, de contacter les acteurs de terrain et les chercheur.se.s intéressé.e.s par la problématisation de la communication pour la santé. Dès le départ, le partenariat avec les deux milieux (santé et média) a été partie prenante de la démarche afin qu’ils puissent générer une appropriation des résultats dans leur milieu respectif. De plus, une vingtaine de chercheur.se.s issu.e.s de diverses disciplines (communication, psychologie, sociologie, santé publique, sciences politiques, etc.) ont contribué aux questionnements et à l’analyse des diverses recherches en communication pour la santé.

Depuis 2005, et ce, jusqu’à ce jour, ComSanté jouit de financements extérieurs majeurs provenant du Fonds de recherche du Québec (Santé ainsi que Société et culture) et de l’UQAM (centre institutionnel). L’intérêt de ComSanté est d’examiner la construction des normes sociales en matière de santé à travers les médias et les communications. Dans cette recherche de compréhension du processus d’influence des médias sur les normes sociales, Renaud (2007, 2010) constate que les agents de changement tels que les leaders d’opinion, les industriels et les politiciens exercent un rôle capital dans l’émergence et le renforcement de la norme et peuvent influencer l’effet des médias sur les normes sociales en matière de santé. Ces émetteurs de normes (dépositaires d’enjeux) sont nécessaires pour faire émerger et circuler les nouvelles normes et idées. Ils sont en interaction avec leurs propres organisations et sont liés à plusieurs réseaux familiaux, communautaires, etc. Ils dictent des façons de faire soit avec des médias, soit avec des communications interpersonnelles, et ce, dans un contexte culturel particulier. Les receveurs de ces messages (c’est-à-dire des groupes de personnes inscrites au travail, en famille ou en communauté) s’approprient et interprètent les normes transmises en fonction de leur contexte de vie et de leur état de santé. Il est important de noter que les médias, dont les outils électroniques (internet, dossier patient, etc.), ne constituent qu’une des forces, néanmoins importante, d’intégration de la norme.

Les médias contribuent à structurer les environnements sociaux et physiques, et cela, de multiples façons. Par exemple, les entreprises de différentes échelles (du régional à l’international) déterminent la disponibilité et la demande des produits en tenant compte de l’impact des médias (plus particulièrement la publicité) et des autres activités de marketing sur le grand public. Ainsi, les médias nationaux et régionaux influencent la popularité des produits importés et manufacturés ainsi que la consommation individuelle et collective dans les divers milieux de vie (travail, école, famille, loisirs, etc.) (Kumayika, 2001). Par le choix de diverses imageries, les médias s’adressent aux désirs et aux besoins humains en attribuant au produit une certaine image ayant un attrait significatif particulier, voire séduisant. Ces messages influent sur les normes sociales, c’est-à-dire sur ce qui est collectivement acceptable et valorisé par un groupe (Cohen, Scribner et Farley, 2000 ; Opp, 2001).

Les médias peuvent avoir un effet sur le processus de changement individuel et collectif, et de mobilisation (Renaud, 2007, 2010). Celui-ci se manifestera de trois façons : 1) en influençant directement les croyances et les attitudes individuelles (Nunez-Smith et al ., 2008) ; 2) en recadrant le débat d’une perspective individuelle à une perspective sociopolitique, cela par le concours des leaders d’opinions et d’autres dirigeants sociaux clés ( advocacy ) (Seale, 2002 ; Wallack et al ., 1993 ; Wise, 2001) ; et 3) en modelant les normes sociales (Hornik, 2002).

ComSanté fait partie de rares centres de recherche qui ont analysé le façonnement médiatique des normes sociales spécifiquement liées à la santé et au bien-être (Alcalay et Bell, 2001), notamment l’effet des prises de décision des différents agents sociaux (industriels, politiciens, leaders d’opinion, etc.) sur la transmission des messages et, à l’inverse, la façon dont les médias influencent ces agents. Ces patterns d’influence réciproque (Caron-Bouchard et Renaud, 2010), leurs effets sur la nature des messages émis et reçus ainsi que sur les normes de santé ont été au cœur des recherches du centre depuis 2005. La contribution spécifique de ComSanté à la recherche est de comprendre les mécanismes médiatiques comme un des éléments façonnant les normes.

À partir de 2012, pour répondre aux besoins communicationnels des partenaires et afin d’explorer les multiples facettes de la communication et santé, ComSanté a exploré trois axes de recherche : la communication médiatique (en mettant l’accent, ces dernières années, sur internet et les technologies numériques), la communication organisationnelle et la communication interpersonnelle/interculturelle, qui font l’objet d’une analyse communicationnelle transversale et participative.

Les trois axes de recherche (communication médiatique, organisationnelle et interpersonnelle/interculturelle) sont des champs distincts en matière d’objets de recherche, de théories et de méthodologies. L’examen des problématiques abordées par les chercheur.se.s et les partenaires de ComSanté met toutefois en évidence des préoccupations communes qui semblent constitutives du champ de la communication pour la santé et forment des angles transversaux d’intégration des axes. Citons certains de leurs travaux.

Axe communication médiatique

La communication médiatique, axe original et encore principal de ComSanté, vise essentiellement à cerner en quoi les communications médiatiques permettent de moduler les normes sociales et, par ricochet, les comportements individuels de santé d’une collectivité. Une partie des travaux concerne l’analyse des représentations relatives aux objets de santé (représentations de l’alimentation, de l’activité physique, de la sexualité, de la santé mentale, des médicaments, etc.) qui circulent dans les médias d’actualité et de divertissement (Baillargeon et al ., 2017 ; Marchand et Cliche, 2017 ; Niquette, Fournier et Coutant, 2020), certains adoptant une posture d’analyse critique du discours (Niquette, 2010). Afin de cerner le processus de façonnement des normes de santé, les chercheur.se.s s’intéressent aussi aux étapes de production, de circulation et de réception des informations médiatiques relatives à la santé (Bélanger-Gravel et al. , 2016 ; Renaud, 2007, 2010).

Avec le développement d’internet et des technologies mobiles, un nombre croissant de personnes ont recours au web pour rechercher de l’information sur la santé (Fox et Gilbert, 2015). Les médias socionumériques, notamment les réseaux sociaux (Coutant, 2016 ; Thoër, 2012), constituent des espaces de travail, d’interaction avec les pairs et les professionnel.le.s de la santé (Richard et Lussier, 2016), ou encore de divertissement, où circulent et se construisent des représentations relatives à la santé. Internet contribue aussi à la revalorisation du rôle joué par les individus dans la production de l’information liée à la santé et offre l’occasion, grâce à l’analyse des espaces d’échange en ligne, de mieux cerner l’expérience des problématiques psychosociales et de santé. Les usages d’internet varient selon ces problématiques, le parcours de soins et les publics (âge, genre, scolarité, origine ethnique) pouvant contribuer à accroître les inégalités de santé (Renahy, 2012 ; Wyatt et al. , 2005). Ces facteurs de variation ont été documentés par ComSanté. Les usages de l’internet santé doivent être contextualisés (Fontaine, 2012 ; Kivits, 2012) et mis en rapport avec les autres pratiques de recherche d’information sur la santé auprès de l’entourage, des médias traditionnels et des professionnel.le.s de la santé (Richard et Lussier, 2016 ; Renaud et al ., 2018).

Les interventions médiatiques de promotion de la santé constituent un autre volet de la communication médiatique. L’identification des critères d’efficacité des campagnes de promotion de la santé est au centre des travaux qui soulignent l’importance d’inscrire la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des campagnes dans des cadres théoriques et de développer des modalités d’évaluation portant tant sur les processus que les résultats (Lepage et al ., 2014 ; Lepage et al ., 2015 ; Sauvé et al ., 2017). De par leur popularité, internet et les technologies mobiles sont de plus en plus mobilisés par les organisations de santé pour intervenir auprès de leurs publics cibles (Thoër et al ., 2015). Toutefois, les théories sur les médias traditionnels ne sont pas totalement transférables aux médias socionumériques (Renaud, 2012). Par exemple, sur internet, le processus de recherche d’information sur la santé est initié par les individus. De plus, les technologies mobiles permettent une recherche et une production d’information plus près des symptômes. Enfin, les dispositifs techniques permettent l’offre d’activités interactives et plus participatives avec des pairs et des professionnel.le.s. Les évaluations disponibles indiquent que les effets sur la santé individuelle et la santé collective varient grandement selon les contextes et les publics (Gaudet et al ., 2016 ; Renaud, 2012). La recherche sur les façons d’accroître l’efficacité des interventions en ligne doit être poursuivie, d’autant plus que les usages santé d’internet et les dispositifs techniques ne cessent d’évoluer. Il est ainsi nécessaire de mener de nouvelles recherches empiriques sur le sujet, dans différents contextes de santé et avec des publics diversifiés, afin de développer des cadres théoriques adaptés à l’intervention en ligne. Enfin, l’évaluation des interventions en ligne soulève des enjeux éthiques et méthodologiques spécifiques qui ont été peu analysés (Bull et McFarlane, 2011), mais qui ont été examinés par ComSanté (Renaud, 2007, 2010).

Axe communication organisationnelle

Les organisations de santé et de bien-être jouent un rôle charnière dans le façonnement des normes en matière de santé, étant à la fois émettrices de normes à destination du grand public et de leur personnel et responsables de la mise en place des conditions structurant l’appropriation des normes dans leurs milieux. De plus, en tant que structures médiatrices sur le plan mésoscopique, les milieux organisés sont des territoires de diffusion et d’appropriation des connaissances et des comportements relatifs à la santé (Cherba et Vásquez, 2014 ; Gesit-Martin et Scarduzio, 2011).

Dans les trois dernières décennies, et plus particulièrement les dernières années, le milieu de la santé a subi de multiples transformations : restructuration, nouvelles démarches de gestion, nouvelles formes de normalisation, nouveaux standards, nouveaux acteurs, nouvelles maladies (Cordelier et Tine, 2010 ; Fox et Gilbert, 2015 ; Vásquez, 2012). Internet et les technologies numériques sont par ailleurs devenus incontournables pour faciliter la gestion des soins et de l’information clinique (dossier médical électronique), ainsi que les relations entre les administrations responsables de la santé et les populations. Ces transformations affectent les réalités individuelles, organisationnelles et sociétales, nous amenant à nous interroger sur les processus communicationnels. L’axe communication organisationnelle et santé vise donc à saisir les dynamiques communicationnelles à l’œuvre dans l’interopérabilité des systèmes de santé – le partage d’information et de savoirs dans un contexte où les soins sont assurés par différentes catégories de personnes soignantes qui relèvent parfois de plusieurs organisations et autorités administratives –, dans la coordination et la négociation du travail et dans la redéfinition de la mission de ces organisations.

Un regard centré sur la communication et l’organisation permet d’explorer les thématiques suivantes  1) la coordination, la collaboration et les normes au travail ; 2) les reconfigurations communicationnelles et organisationnelles de la santé ; 3) la gouvernance et la rationalisation des organisations de santé ; et 4) la numérisation des pratiques de gestion des soins et internet (Cordelier et Tine, 2010 ; Vásquez, Groleau et Brummans, 2012).

Axe communication interpersonnelle/interculturelle

L’objectif de la communication interpersonnelle pour la santé est de cerner la dynamique relationnelle dans différentes situations de communication en santé, tant dans la famille et la communauté que dans le rapport des individus avec les professionnel.le.s de la santé (Laquerre, 2015). Les travaux portant sur la relation patient/intervenant/professionnel de la santé ont porté sur les représentations différenciées que chacun apporte à la rencontre professionnelle au sujet de la santé et du bien-être, de la prévention ou encore des pratiques s’y rapportant qui façonnent la relation de soins. Ils visent aussi à identifier des stratégies pour améliorer le processus communicationnel, notamment en s’appuyant sur des modèles qui encouragent sa participation à la décision et lui reconnaissent un droit à l’information (Richard et Lussier, 2016 ). Ils soulignent aussi l’importance de tenir compte des contextes (culturel, médiatique, juridique et organisationnel) de la relation de soins ( Laquerre, 2015  ; Montgomery, 2016 ; Sercia, Girard et Boucher, 2018).

En effet, les facteurs culturels déterminent en partie les représentations et le sens des messages et des contextes d’interaction et peuvent désavantager les groupes ethnoculturels dans la délivrance des services de santé et l’accès aux soins. La diversification des composantes ethnoculturelles, notamment à Montréal, a rendu nécessaire et urgent de porter une attention soutenue à la culture liée à la communication et santé. En effet, le quart de la population immigrante au Québec présente un taux de littératie en santé ne lui permettant pas de s’approprier l’information santé (Richard et Lussier, 2016 ; Rootman et Gordon-El-Bihbety, 2008). De plus, le recours, par certains groupes ethnoculturels, à d’autres sources d’information sur la santé (réseaux de soutien, consultations dans le pays d’origine, médecines traditionnelles, etc.) semble influer sur leur appropriation des messages de santé véhiculés par les personnes soignantes et la santé publique (Xenocostas et al ., 2014). Toutefois, la façon dont les différences culturelles modulent la perception de la santé et des actions de prévention/promotion qui s’y rapportent ainsi que les normes sociales des diverses communautés ethnoculturelles sont encore peu étudiées pour ces populations (Laquerre, 2015).

Le développement des usages santé d’internet transforme aussi l’interaction entre les personnes soignantes et les personnes soignées (Thoër, 2013). Les études sur les interactions entre les professionnel.le.s de santé et les patient.e.s informé.e.s sont peu nombreuses et surtout centrées sur la perspective des médecins (Richard et Lussier, 2016). Or ces patient.e.s informé.e.s sont appelé.e.s à se multiplier. De plus, grâce aux applications mobiles de santé, la ou le patient.e peut lui-même produire une multitude de données médicales personnelles qu’elle ou il pourra croiser et transmettre aux professionnel.le.s de la santé (Thoër, 2013 ; Thoër et al. , 2015) . ComSanté a tenté de comprendre comment et à quelles étapes du parcours de soins la population recherche de l’information sur la santé en ligne, comment ces pratiques reconfigurent la communication et la relation patient/professionnel de la santé et comment internet peut être intégré à la pratique de soins pour améliorer la communication.

Contribution théorique de ComSanté

Dès le départ, ComSanté a développé ses recherches autour d’un modèle explicatif du développement de la norme par les communications médiatiques. Bien qu’imparfait, le modèle (Figure 1) a pour but de rendre compte de la présence des dimensions qui interagissent entre elles : émetteurs de normes (à gauche), acteurs-relais (médias) (au centre) et récepteurs de normes (à droite). Ce modèle amorçait une discussion avec les chercheur.se.s et les acteurs de terrain afin de cerner si la nouvelle recherche, devant se faire, cadrait ou non avec les orientations du centre. En 17 ans d’existence, le modèle a largement évolué. Nous vous présentons ici le dernier modèle qui a fait consensus auprès des partenaires et des chercheur.se.s (Renaud, 2007, 2010). Ce modèle se veut par ailleurs un modèle de communication dynamique et intégratif des axes de recherche et d’intervention.

Figure  1

Modèle intégrateur : les mécanismes du façonnement des normes par la sphère médiatique

Modèle intégrateur : les mécanismes du façonnement des normes par la sphère médiatique

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Ce modèle se veut en outre une tentative de compréhension et d’explication du processus de façonnement des normes en matière de santé, notamment par les médias et les communications entre les acteurs et les organisations, et ce, dans des contextes culturels particuliers. Il peut rendre compte de la diversité des acteurs sociaux en cause (organisations, réseaux, individus, etc.), du rôle qu’ils y jouent ainsi que de la multiplicité des relations et des interactions qui les caractérisent. Cette approche théorique traduit aussi la dynamique de l’information circulant à l’intérieur d’une organisation ou d’une organisation à l’autre, l’effet rebond de la communication et le phénomène de porosité, en plus de renseigner sur l’existence des réseaux. Il sert également à cerner la façon dont les intervenant.e.s en santé peuvent influencer le processus de façonnement de la norme à travers les médias pour atteindre les publics cibles (récepteurs de normes).

Ce modèle d’analyse favorise une compréhension de la réalité complexe et sans cesse fluctuante de la norme santé dans l’environnement médiatique et du rôle des organisations en scène, et ce, dans divers contextes culturels. Ce modèle innove aussi en permettant une analyse approfondie de l’émergence de la norme à travers les interactions et le mode de communication des divers acteurs sociaux en cause et de leurs organisations et en mettant en lumière le rôle prépondérant joué par la sphère médiatique.

Recherche partenariale

ComSanté a toujours été financée par les organismes subventionnaires comme « une équipe en partenariat ». Ceci signifie que les chercheur.se.s travaillent avec et pour les acteurs de terrain (partenaires médiatiques et de santé) à la mise en commun de leurs spécialisations pour la création d’un projet en vue d’atteindre leurs buts respectifs. La recherche partenariale se réalise autour de problématiques d’ordre pratique pour produire des réponses aux besoins et aux intérêts mutuels des partenaires (Renaud, à paraître). Une grande partie des projets de recherche provient ainsi directement des questionnements des partenaires et est repositionnée sur notre modèle.

De plus, la recherche partenariale appelle à l’utilisation d’une méthodologie parfois quantitative, parfois qualitative ou mixte. Cette méthodologie est adaptée à l’objet de recherche et aux interrogations des actrices et acteurs de terrain afin d’obtenir les meilleures données pour la pratique. La recherche partenariale permet d’agir collectivement en se partageant des ressources humaines, matérielles ou financières afin de développer et de maintenir une nouvelle pratique, voire de favoriser l’innovation sociale.

Enfin, l’agent de mobilisation est un élément central de la recherche partenariale. Il fait le pont entre les divers univers culturel et organisationnel des partenaires médiatiques et de santé. Il offre une démarche systématique des connaissances acquises. Il met l’accent sur l’appropriation des données de recherche et l’intégration de celles-ci dans les organisations. Sur ce point, ComSanté a développé plusieurs outils de dissémination de connaissances (Elissalde, Gaudet et Renaud, 2010) : les faits saillants sont des résumés vulgarisés de résultats de recherche portant sur la santé. Ils sont d’abord destinés aux médias et à nos partenaires, mais rejoignent un public large et varié :

  • Le site internet de ComSanté ( www.comsante\uqam.ca ) présente les activités avec les partenaires et les publications ;

  • Le « portail internet et santé » se veut un espace de veille, d’échange et de partage s’adressant aux intervenant.e.s de santé ;

  • Le blogue C’est malade ( http://blogsgrms.com/cestmalade/ ) est destiné aux professionnel.le.s des médias jeunesse, à qui il offre des informations tirées de références de qualité sous forme de textes et de témoignages d’experts, de même qu’un espace de diffusion pour les productions médiatiques ;

  • Un service de mentorat et d’expertise-conseil est offert à nos partenaires, qui ont sollicité notre aide pour bonifier leurs propositions d’intervention et de recherche, développer des outils d’évaluation, tester des grilles d’analyse, diffuser des connaissances auprès de l’ensemble de leurs organisations et, parfois, contribuer à faire cheminer de nouvelles visions et méthodes au sein de leur organisation.

Un regard rétrospectif

Les recherches menées depuis plus de 20 ans, notamment par ComSanté, ont contribué à améliorer la recherche et la pratique de la communication pour la santé, qu’il s’agisse de communication médiatique internet ou interpersonnelle, de normes sociales de santé ou d’intervention au sein des milieux organisés et interculturels. Toutefois, le champ demande à être exploré davantage : dans sa dimension sociale , pour tenir compte des différents contextes de vie ; dans sa dimension technologique , pour cerner les transformations associées au développement des usages des technologies numériques par les individus et les organisations ; et dans sa dimension théorique , qui doit être explorée afin d’élaborer de nouveaux cadres permettant de mieux cerner les processus de façonnement des normes sociales, les transformations associées à la diffusion des technologies numériques en santé et de réaliser des interventions efficaces.

Enfin, la recherche en communication pour la santé implique une réflexion sur le plan des méthodologies de la recherche et du transfert de connaissances afin que les données produites soient utiles aux différentes actrices et différents acteurs, et ce, pour chacun des axes de la communication et santé. De plus, les chercheur.se.s relèvent la nécessité de faire converger les axes de communication pour la santé en une recherche transversale et globale. Il y a donc actuellement place pour la recherche interdisciplinaire et pour des études compréhensives et intégratives favorisant une meilleure compréhension des processus communicationnels en matière de santé.

L’impact de la recherche en communication auprès des intervenant.e.s communautaires, des producteur.trice.s médiatiques, des décideur.se.s et des gestionnaires serait d’autant plus important si un cadre de référence théorique et pratique permettant d’élaborer des stratégies de communication efficaces, basées sur des résultats de recherche fondés et éprouvés, était offert. Il s’avère donc indispensable d’ancrer les recherches en communication pour la santé dans les milieux mêmes, là où la communication se réalise, afin de favoriser une meilleure gestion, tant économique que psychosociale, en vue d’améliorer et de maintenir le bien-être individuel et collectif. ComSanté vise à relever le défi d’une collaboration réussie entre chercheur.se.s et partenaires développant de nouvelles analyses et théories susceptibles de modeler la communication pour la santé.