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Introduction

Dans cette étude, nous discutons des résultats préliminaires d’une recherche-intervention réalisée au sein d’une entreprise d’exploitation de minerai de fer située dans la région nord du Brésil, dans l’une des principales réserves minérales du monde. Avec le but de maximiser le niveau de productivité de ce site, l’entreprise y a implanté un nouveau système d’extraction minérale nommé truckless. Le but est d’éliminer l’usage des camions, désormais remplacés par des tapis qui transportent le matériau extrait jusqu’à l’usine de traitement final, d’où il part en train à destination des terminaux maritimes en vue de l’exportation vers d’autres pays.

Ce système complexe de production est presque entièrement automatisé, ce qui a entraîné la fermeture de centaines de postes de travail. L’une des rares activités non automatisées est celle des opérateurs d’excavatrices à câble dont la fonction est l’extraction du minerai du terrain. L’entreprise a créé un « Programme d’Opérateurs à haute performance » pour ces professionnels, dont l’objectif consistait à mettre en avant un programme global de développement des opérateurs, comprenant les aspects physiques, psychologiques, cognitifs et techniques, apportant également des bénéfices à la qualité de vie de la personne.

Il convient de rappeler que l’expression « haute performance » est normalement appliquée aux athlètes professionnels qui doivent atteindre ou dépasser leurs limites dans le cadre des grandes compétitions sportives nationales et internationales (Samulski, 2009). Dans le vocabulaire de la gestion néolibérale, l’expression « athlète corporatif » est utilisée dans un sens instrumental : il s’agit d’extraire du travailleur-athlète son rendement maximal. Dans ce sens, Ehrenberg (2010) se reporte à un culte de la performance en l’associant à un « sport en dehors du sport ». Il n’est pas difficile de retrouver dans la liturgie managériale des discours relatifs à un « devenir athlétique », typique de la société contemporaine « malade du temps » dans laquelle prédomine le « culte de l’urgence » (Aubert et Gaulejac, 1991 ; Aubert, 2003 ; Gaulejac, 2005).

Si notre travail a été conçu dans sa double face de recherche et d’intervention, son déroulement comprenait un processus formel et informel de communication entre l’équipe de chercheurs/intervenants et l’organisation. En fait, il nous fallait communiquer indirectement et informellement à l’entreprise à travers nos actions, quelque chose d’inattendu. En ce sens, nos stratégies de collecte de données (instruction au sosie, auto-confrontation simple et croisée, l’écriture des livres par les familles, entre autres) impliquaient déjà une participation effective des travailleurs, comme si nous disions aux gestionnaires : voilà, vos employés existent non seulement comme ressources pour la production, mais aussi comme sujets de pensée, de désir, de décision, de créativité. Ici, on pense à dépasser la pure compréhension technique de l’activité communicationnelle pour accéder, selon Duportail (1999), à sa portée originaire de participation à une œuvre commune.

Dans le but de soutenir scientifiquement ce projet, l’organisation a établi des « Accords de coopération technique : avec des chercheurs de différentes universités et domaines de connaissance (psychologie, médecine, statistiques, neurosciences, sciences de l’informatique, entre autres). Les chercheurs recrutés ont composé quatre groupes d’action : le Groupe cognitif, le Groupe clinico-physique, le Groupe technique et le Groupe psychosocial ; cet article concerne les actions de ce dernier.

Lors des contacts préliminaires avec l’entreprise – et là il s’agissait d’une communication directe et formelle entre notre équipe et l’organisation –, certains critères préalables ont été négociés pour bien encadrer la recherche : 1) il s’agissait d’une recherche appliquée : le projet devait avoir une dimension empirique ne pouvant pas se limiter à une investigation théorique ; 2) il devait y avoir un caractère interdisciplinaire de dialogue entre les différents domaines de connaissance liés aux groupes de recherche mentionnés ci-dessus ; 3) il devait se centrer essentiellement sur les aspects psychosociaux portant atteinte à la performance des Opérateurs des excavatrices à câble, considérés comme le cœur de l’investigation.

Ces critères encadraient la commande de l’organisation (nous allons discuter plus loin de la distinction entre commande et demande) visant la promotion continue du rendement maximal des Opérateurs. Cet objectif, cependant, confrontait depuis le début notre perspective de travail critique et clinique, fondée sur les approches cliniques du travail (Clot, 2007, 2010, 2010a ; Schwartz, 2000 ; 2011 ; Lhuilier, 2014 ; Gaulejac, 2007).

Ainsi nous avons dû faire face à la question suivante : serait-il possible de mener la recherche et d’intervenir suivant l’optique des cliniques du travail au sein d’une organisation dont le principal objectif est celui d’assurer l’augmentation de la productivité ? Et ce, en prenant en compte la dimension collective du travail, la variabilité associée aux situations réelles de travail, les valeurs, les savoirs et les expériences des travailleurs ? En d’autres termes, la commande supposait-elle une intervention établie préalablement par l’entreprise ou comporterait-elle des alternatives non attendues telles que la valorisation des savoirs des travailleurs et des dimensions collectives de l’activité de travail, avec des répercussions sur les formes d’organisation et sur la gestion du travail ainsi que sur la santé et la sécurité des opérateurs ?

Nous avons misé sur la possibilité qu’au cours de l’intervention d’autres lectures du travail puissent être construites au-delà du projet initial de l’organisation qui visait notamment l’augmentation de la productivité.

À notre grande surprise, le projet soumis à l’entreprise privilégiant les dimensions collectives de l’activité de travail ainsi que la participation active des travailleurs a été accepté en 2017. Cependant, cette proposition a dû être remodelée à plusieurs reprises au cours des années suivantes de manière à répondre aux nouvelles demandes aussi bien des travailleurs que de l’organisation elle-même, comme nous le montrerons tout au long du texte. En effet, nous nous trouvions face à des intérêts antagoniques entre ceux de l’entreprise et ceux des travailleurs. Cela voulait dire que notre participation impliquait divers risques parmi lesquels la cooptation et l’instrumentalisation de la science au service des intérêts de l’entreprise exclusivement. Nous pensions cependant que ces risques pourraient se transformer en opportunités de changement, quoique limitées ou non planifiées, dans le sens attribué par la psychosociologie (Rhéaume, 2002).

Dans cet article nous allons exposer et discuter des résultats préliminaires de cette investigation. Dans la première partie, nous présenterons le contexte institutionnel de la recherche-intervention réalisée, les références théoriques et l’approche méthodologique adoptées. Ensuite, nous évaluerons les résultats obtenus jusqu’au moment présent en indiquant leurs contributions et leurs futurs enjeux, ainsi que les limites de notre recherche dans le champ des approches cliniques du travail.

Contexte institutionnel de la recherche-intervention

L’organisation dans laquelle la recherche-intervention a eu lieu a été créée par le Gouvernement fédéral brésilien dans la première moitié du XXe siècle pour opérer dans le domaine de l’extraction minérale. Au cours de la période de la dictature militaire du Brésil (1964-1985), sa croissance a connu un rythme accéléré faisant augmenter l’écoulement de sa production vers d’autres pays.

En 1997, pendant le gouvernement néo-libéral de Fernando Henrique Cardoso, cette entreprise a été privatisée dans le cadre d’une procédure marquée par des contestations concernant la concession de son exploitation publique au capital privé et le fait que la valeur potentielle des réserves en fer du pays n’ait pas été considérée dans le passage aux mains de la compagnie privée. Une fois conclue la privatisation, la concession a coûté à l’entreprise un prix infime et lui a permis d’avoir d’extraordinaires gains de capital.

En 2016, elle a inauguré une unité de production dans le sud-est de l’État du Pará, dans le nord du pays, en annonçant qu’elle y installerait le plus grand projet d’exploitation minérale au monde. L’une de ses nouveautés technologiques a été justement le remplacement des camions par des tapis de transport, réduisant de pratiquement 70 % la consommation de diesel dans le processus d’extraction et du transport du minerai. D’où le nom de système « truckless ». Dans le système traditionnel, le matériau est extrait de la terre et versé dans des camions qui le transportent vers un broyeur. Dans le système truckless, le minerai extrait par l’excavatrice à câble est jeté directement sur un broyeur mobile placé à côté de l’excavatrice, et ensuite, il part sur des tapis de transport de longue distance à destination de l’usine (Pinheiro, Oliveira et Mesquita, 2016 ; Palmeira, 2013 ; Mesquita et al., 2011).

L’excavatrice à câble est une machine sophistiquée d’extraction de minerai, produite sur commande pour ce projet et manœuvrée par des Opérateurs spécialement entraînés pour l’exécution. C’est justement pour ces Opérateurs, considérés « à haute performance », que l’entreprise a créé un programme spécifique d’accompagnement, gestion et entraînement, convoquant pour cela, les groupes d’action. Il revenait à notre Groupe psychosocial, dans ce modèle, d’étudier les variables psychosociales ayant rapport à la performance des Opérateurs.

Nous pensions que le projet de développement de la haute performance des Opérateurs, en les faisant travailler à un rythme intense et accéléré, ne faisait que répéter et sophistiquer les principes classiques du taylorisme, dans le sens où il segmentait l’exécution et la planification des tâches. Il en adoptait cependant une version contemporaine de la comparaison des travailleurs aux athlètes de haut niveau, en exigeant d’eux un constant dépassement de leurs limites individuelles.

L’unité de production minérale analysée ici présente des caractéristiques spécifiques qu’il convient de détailler, pour en comprendre son contexte organisationnel, à savoir :

  • il s’agit de l’un des plus grands greenfields (ceux qui ne comptent aucune structure physique préalable) de l’histoire de l’exploitation de minerai de fer ;

  • lors de son implantation et de sa construction (mine, usine, chemin de fer et port), environ 40 000 emplois ont été créés dans la région, la plupart des travailleurs étaient issus des états du Pará et du Maranhão (état voisin) ;

  • le moment le plus intense de ces travaux a eu lieu en décembre 2016, lorsque l’unité a commencé à opérer. Par la suite, un « Plan de mobilisation a été mis en œuvre, par l’entreprise et les agents publics, comme la mairie locale, visant à renvoyer les travailleurs vers leurs villes d’origine. Cela a entraîné le dépeuplement de la ville, construite artificiellement autour du nouveau système d’exploitation minière, avec de graves problèmes sociaux, économiques et écologiques ainsi que dans les domaines du commerce, de l’éducation, de la santé et du loisir ;

  • l’entreprise compte environ 70 000 salariés partout dans le monde. Son objectif pour l’unité de production en question est de fonctionner avec près de 2000 salariés, dont le groupe d’Opérateurs d’excavatrices à câble qui compte trente-six individus touchant un salaire mensuel qui varie de 1500 à 3800 R[1], l’équivalent à un revenu approximatif de 365 à 826 USD, soit un salaire assez précaire pour un opérateur censé être un athlète de haut niveau ;

  • tous les Opérateurs sont de sexe masculin, âgés de 25 à 51 ans, mariés pour la plupart (54 %), ayant un temps d’ancienneté dans l’entreprise variant de 2 à 14 ans (beaucoup d’entre eux travaillaient préalablement dans d’autres unités de l’entreprise) ;

  • l’entreprise compte produire annuellement 90 millions de tonnes dans cette unité, profitant de la haute teneur en fer (66,7 %) du minerai extrait et de la facilité de son exploitation en superficie, dite « à ciel ouvert ».

Les approches cliniques du travail et leurs contributions pour la lecture critique et la transformation de la commande organisationnelle

Le projet de recherche-intervention que nous avons présenté à l’entreprise est fondé sur les approches cliniques du travail, ayant spécialement recours à la clinique de l’activité, l’ergologie et la psychosociologie du travail.

Avec l’objectif d’étudier et d’intervenir dans le cadre des vécus de mal-être et de souffrance au travail, ces approches adoptent une vision critique et compréhensive des rapports entre travail, pouvoir, organisation, subjectivité et santé (Bendassoli et Soboll, 2011 ; Lima, 2011). Pour ce faire, elles font appel, entre autres éléments théoriques, à des savoirs indispensables produits par l’ergonomie de l’activité, telle la reconnaissance de la distance inéluctable entre le travail prescrit et le travail réel ainsi qu’aux variabilités présentes dans les situations réelles de travail et à la gestion de ces variabilités par les travailleurs.

Si ces approches présentent, certes, une diversité épistémologique, méthodologique et théorique, nous remarquons qu’elles « essayent toujours de déchiffrer la manière par laquelle la subjectivité et l’activité s’articulent » (Lima, 2011, p. 228)[2]. En tant que cliniques et héritières de la psychologie du travail francophone, ces approches ont un projet de scientificité distinct des paradigmes positivistes (centrés sur la prévision et le contrôle), se tournant vers une étude compréhensive des phénomènes dans une confrontation dialogique à la réalité (Bendassolli et Soboll, 2011). Pour ces auteurs, le tandem compréhension versus contrôle est présent dans la psychologie scientifique et définit les méthodologies (qualitatives ou quantitatives) et les usages dont nous faisons des éléments théoriques et des instruments. Dans certains cas, le choix de l’un de ces champs peut même modifier la posture éthique et politique assumée par le chercheur.

Toutefois, les principes positivistes de généralisation, justification, neutralité et universalité de lois et de modèles rencontrent des limites dans le développement des sciences humaines et sociales. En fin de compte, pour les sciences humaines, « expliquer l’action revient à en élucider le sens, ce qui demande une activité herméneutique, interprétative » (Bendassolli et Gondim, 2014, p.17) à l’intérieur de laquelle les théories sont constituées et, dans un même temps, constituantes de la réalité sociale. Un tel argument postule que les données empiriques ne sont pas seulement quelque chose en attente de dévoilement mais aussi quelque chose de construit. Ici, on élimine la notion d’une recherche aseptisée à travers laquelle il serait possible et idéal d’entrer et de sortir du terrain en laissant intacts les chercheurs et les sujets de la recherche. En outre, selon Bendassolli et Gondim (2014), cette conception requiert que la connaissance se produise dans l’interaction, dans l’intersubjectivité de sujets chercheurs et de sujets objet de la recherche, en marquant une différence importante par rapport au projet de scientificité positiviste.

À partir de là, la notion de neutralité est rompue et fait place à la prémisse de l’implication du chercheur en tant qu’acteur social sur le terrain et dans la pratique de recherche. Ici, nous cherchons à récupérer et à réaffirmer les principes de la centralité du travail et des conditions concrètes d’existence pour une compréhension effective de la réalité. Nous pensons que c’est sous cette perspective critique que les approches cliniques du travail se situent et nous guident dans le cadre des recherches auprès des travailleurs et des institutions, ainsi que dans la construction de la connaissance scientifique.

Nous allons maintenant relever certains éléments théorico-méthodologiques concernant les approches cliniques du travail sur lesquelles nous nous appuyons.

Tout d’abord, nous citons la clinique de l’activité, discipline formulée par le professeur et chercheur français Yves Clot (2007) et autres chercheurs du domaine au cours des quatre dernières décennies. Influencé surtout par le médecin du travail Ivar Oddone, par la psychologie socio-historique de Vygotsky, Leontiev et Luria ainsi que par certaines contributions du linguiste Mikhail Bakhtine, cette discipline prétend être un instrument de transformation des contextes de travail (Lima, 2007) par le biais de la co-analyse de l’activité de travail (Fonseca et al, 2019 ; Batista et Rabelo, 2013).

Dans cette discipline, nous soulignons la notion de genre professionnel et de style, ce qui revient à dire qu’entre ce qui est prescrit et l’activité individuelle du sujet, il existe un travail de réorganisation de l’activité par les collectifs professionnels qui prend le nom de genre professionnel ou genre de l’activité, une certaine prescription informelle partagée par un certain milieu professionnel située transitoirement dans l’histoire et dans le temps (Clot et Faita, 2016 ; Clot, 2010). En d’autres termes, c’est lors du contact du sujet avec le genre de l’activité qu’il construit son style personnel, c’est-à-dire, son appropriation et sa transformation du genre. Suivant cette perspective, le genre est en constante métamorphose, offrant aussi bien des restrictions que des ressources pour les travailleurs et étant sans cesse retouché par les styles singuliers.

Un autre élément est le suivant : si l’activité individuelle est toujours rattachée à une histoire construite collectivement, cela implique deux aspects. D’un côté, il y a le principe selon lequel « tout travail est une activité dirigée, en même temps, par le sujet, par la tâche et pour les autres » (Clot, 2010, p.144). De ce fait, même si le travailleur est seul, « toute activité professionnelle est considérée une coactivité, une contre-activité, dans le sens où il s’agit toujours d’une réponse à l’activité des autres » (Santos, 2006, p.35), pas nécessairement dans le sens d’opposition, mais médiée et médiatrice dans l’univers du travail des autres. D’un autre côté, il y a la conception selon laquelle l’activité de travail est, comme l’indique Clot (2007), simultanément personnelle, interpersonnelle, trans-personnelle et impersonnelle. Elle est personnelle par l’immanquable singularité du sujet qui travaille. Elle est interpersonnelle parce qu’elle est toujours dirigée vers les autres. Elle est trans-personnelle parce que non seulement elle est traversée par l’histoire collective du métier, mais aussi parce qu’elle mobilise et traverse cette même histoire. Et finalement, elle est impersonnelle par la prescription externe issue de l’organisation du travail, de ce qui est attribué et doit être fait. Ainsi, en ce qui concerne les notions théoriques de la clinique de l’activité, nous pensons l’activité de travail comme étant une instance fondamentalement collective et dont la perspective méthodologique est d’investir la dimension collective de l’activité. Après tout, l’affaiblissement des collectifs est quelque chose de récurrent dans des situations de précarisation des conditions de travail et de sous-traitance et, comme le souligne Clot (2010), l’absence, la défaillance ou la perte de la posture symbolique et collective de l’action individuelle sont à l’origine de la plupart des expériences pénibles dans le monde du travail.

Deuxièmement, nous avons recours à l’ergologie, dont le principal concepteur est le professeur français Yves Schwartz (2011). Cette discipline peut être considérée comme

« une méthode d’investigation pluridisciplinaire en fonction du fait que l’activité humaine est très complexe à comprendre et à analyser à partir d’une discipline unique, quelle qu’elle soit » (Trinquet, 2010, p.94). Cette posture prend en compte les divers savoirs rattachés à la maîtrise de l’activité humaine, particulièrement dans l’activité humaine du travail, ce qui met en perspective le savoir constitué (formel et académique) et le savoir investi (acquis dans l’expérience réelle du travail) en cherchant une troisième voie fondée, elle, sur la rencontre de ces deux savoirs, constructrice de nouvelles connaissances et de transformation dans les situations de travail (Trinquet, 2010).

Pour Trinquet (2010, p.107), « travailler n’est jamais simplement appliquer, mais toujours s’adapter aux variabilités organisationnelles, matérielles, environnementales et humaines, en temps réel ». En tenant compte de l’imprévisibilité des situations de travail et du vide de normes à remplir par le travailleur dans l’activité réalisée, Schwartz (2011), ainsi que Clot (2010), renforcent l’importance du collectif une fois que, face aux normes préalables, « le traitement des vides de normes comporte toujours, plus ou moins, une gestion collective » (Schwartz, 2011, p.139). En d’autres termes, la mémoire individuelle et collective présente dans l’exécution de l’activité et des gestes est ce qui assure que le travail soit exécuté. Sous cette optique il ne serait pas possible de concevoir la performance ou la productivité comme étant un fruit ou un attribut individuel puisqu’il s’agit de quelque chose de produit collectivement.

Pour conclure, nous nous servons de la psychosociologie qui, comme l’indiquent Amado et Enriquez (2014, p.101), « ne s’appuie pas sur une seule “théorie sociale forte”, mais sur plusieurs d’entre elles ». Il s’agit d’une approche qui vise à investiguer les réciprocités entre l’individuel et le collectif, le psychique et le social, en articulant différentes perspectives et auteurs qui contemplent, parmi d’autres domaines, la sociologie française (Mauss), la psychanalyse freudienne ou l’interactionnisme symbolique (Mead), en se ramifiant dans plusieurs groupes et écoles, selon les pays (Barus-Michel, Enriquez et Levy, 2005).

En ce qui concerne les instruments, Mata-Machado (2010, p.176) présente une synthèse :

[...] des relevés d’information sur l’histoire et la vie de l’organisation faits par le moyen d’entretiens et de discussions individuelles et en groupe [...], insérés dans des rapports plus importants et présentés lors des réunions ; l’examen de documents, l’analyse des personnes dans l’exercice de leurs rôles, l’observation [...], le compte-rendu systématique d’informations dans les assemblées et les réunions habituelles de travail, donnant aux membres l’occasion d’échanger [...], des théorisations sur l’organisation sociale concernant les nouveaux relevés d’information, les observations et les analyses.

Il est à remarquer la convergence de ces instruments avec ceux autres approches cliniques mentionnées ci-dessus. En outre, la psychosociologie fournit les matrices des processus d’intervention qui étayent le travail rapporté ici, par le biais de notions essentielles à la compréhension de l’activité telles que le sens de la demande (Barus-Michel, 2004) ou la notion de changement (Rhéaume, 2002), entre autres.

C’est exactement ce référentiel théorique qui nous a permis d’avancer dans la conduite de la recherche-intervention en délimitant la distinction entre commande et demande. Référant à la perspective psychosociologique, Amado et Lhuilier (2012) ainsi que Carreteiro et Barros (2014), précisent que la commande est faite par ceux qui occupent les positions de pouvoir, alors que la demande exige, dans sa formulation, des interrogations et des questionnements. La commande concerne le service à faire alors que la demande se rattache à un processus de construction dans l’interaction. Dans la même perspective, Barus-Michel (2001) rappelle que le questionnement du changement attendu doit intégrer l’analyse de la demande, ce qui présuppose les questions suivantes : changer, pourquoi faire, à travers qui et pour qui ?

Suivant la perspective de l’ergonomie de l’activité, Guérin et al. (2001, p. 40) soulignent le besoin de reformulation des problèmes initialement posés en ayant comme référence « le point de vue de l’activité de travail ». L’analyse de la demande se constitue, ainsi comme une action obligatoire, un prérequis au diagnostic et, en même temps, un point de départ pour l’intervention.

Selon Bendassolli (2015), l’élucidation de la demande est un enjeu pour les approches cliniques du travail. En faisant la distinction entre « demande » et « commande », l’auteur affirme que la demande peut être implicite ou explicite et consiste en une requête plus ou moins formalisée, qui, lorsqu’elle est adressée au psychologue, suppose un travail de co-analyse qui exige l’intégration de toutes les personnes concernées, y compris des gestionnaires. La commande, à son tour, concerne une demande formulée, d’habitude, par celui qui détient le plus grand pouvoir dans l’organisation et qui en général fait preuve d’être « plutôt intéressé à la récupération de la performance des travailleurs et à l’efficacité du travail qu’aux questions du travail réel » (Bendassolli, 2015, p.168).

Sur la base de ces approches, nous pensons qu’une recherche-intervention vise à renforcer les collectifs professionnels et à induire des processus de changement de la réalité du travail, avec l’objectif de prévenir des accidents et des processus entraînant des maladies ainsi que de faire du travail un producteur de santé, une activité créatrice et non pas une simple adaptation au milieu et à l’obéissance aveugle aux normes (Canguilhem, 2009). C’est dans ce sens que nous avons mis en question la commande initiale de l’entreprise.

Dans la prochaine rubrique, nous décrirons les principes méthodologiques et les instruments utilisés lors de notre intervention.

Méthodologie

Afin d’atteindre les objectifs de cette étude, nous avons présupposé l’indissociabilité entre la recherche et l’action en la caractérisant comme une recherche qualitative du type étude de cas, en examinant la réalité sous la perspective de sa spécificité et singularité (Thiollent, 2008 ; Sévigny, 2001).

En consonance avec notre référentiel théorique, nous avons envisagé des actions qui mettaient en évidence le point de vue des travailleurs (Clot, 2008 ; Schwartz, 2011 ; Lhuilier, 2014) ainsi que la communication et le compte-rendu systématique d’informations donnant aux participants l’occasion d’échanger (Mata-Machado, 2010), malgré le risque de se voir imposer certaines contraintes par l’organisation à notre proposition. Ici la recherche-intervention s’associe aux processus de communication entre notre équipe, les travailleurs et les gestionnaires, à travers l’ensemble d’actions qui ont constitué l’intervention. À notre avis, dans le contexte de changement organisationnel, la finalité majeure en était proche de ce que Mahy (2008) appelle un « processus de création collective de sens ».

Nous avons privilégié l’usage de dispositifs convoquant les travailleurs eux-mêmes à réfléchir sur leurs pratiques. Ainsi, le projet de recherche-intervention présenté à l’entreprise était centré sur l’approche collective et non pas individuelle, en utilisant des méthodes qui incluaient non seulement les Opérateurs – objectif initial de l’institution – mais également d’autres membres de l’équipe, la hiérarchie immédiate et les familles.

En outre, au lieu d’adopter un paradigme de contrôle, nous avons été guidés par une approche compréhensive, une fois que nous cherchions « l’augmentation du pouvoir d’agir des sujets, une coproduction de connaissance-action rattachée aux situations réelles et aux vécus des sujets (Bendassolli et Soboll, 2011, p.68).

En ce sens, nous avons remis en question la commande de l’institution qui n’avait requis qu’une étude des facteurs psychosociaux affectant directement la performance des Opérateurs, visant à les « dresser » individuellement pour en tirer la performance maximale. Or notre projet était de développer des actions distinctes de cet objectif instrumental de modeler les Opérateurs et de les adapter aux exigences d’une plus grande production.

Il nous fallait adopter, toutefois, une stratégie capable de satisfaire une partie de la commande de l’institution afin de pouvoir développer notre projet. Ce dernier a été présenté vers la fin 2017, étant reformulé au cours des mois suivants, en s’organisant, finalement, sur quatre Lignes d’action : 1) la cartographie psychologique, qui impliquait l’application de tests individuels aux Opérateurs ; 2) les actions auprès des familles des Opérateurs ; 3) l’analyse de l’activité, considérée comme l’axe central de la recherche-intervention ; 4) le développement managérial, à partir d’une demande de la hiérarchie immédiate des Opérateurs.

Cette proposition visait à comprendre en profondeur le travail dans l’organisation, en proposant la triangulation de méthodes et en considérant que chaque dispositif utilisé contribuait à notre propos (Flick, 2009). Ci-dessous, nous résumons le développement de chaque ligne d’action, sans en épuiser les résultats.

La cartographie psychologique (Ligne d’action 1) répondait à la commande organisationnelle, puisqu’elle concernait les différences individuelles entre les Opérateurs, ce qui, pour la gérance, pourrait porter atteinte à leur productivité. Cette ligne d’action a réuni les instruments et les présupposés du domaine de l’évaluation psychologique en élaborant spécialement les concepts d’insertion écologique et de validité prédictive (De Christo et Alchieri, 2010 ; Prati et al., 2008).

Dans la pratique, cette activité comportait deux moments : la première étape, réalisée en mars 2018, utilisait les instruments suivants (cités selon l’ordre d’application) : Test palographique ; Batterie psychologique pour l’évaluation de l’attention (BPA) ; Test d’intelligence générale - Non verbale (TIG-NV) et Inventaire factoriel de personnalité (IFP). L’ensemble des évaluations psychologiques a été appliqué sur 32 (trente-deux) des 36 Opérateurs.

La deuxième étape, réalisée tout le long de l’année 2019, avec l’application du Test de personnalité MAPA - Méthode d’évaluation de personnes (Duarte, 2011), cherchait à enrichir le processus préalable et a inclus 17 (dix-sept) Opérateurs, soit 11 (onze) de l’équipe du jour et 6 (six) de l’équipe de nuit. Outre le test, nous avons réalisé un entretien individuel semi-structuré avec chaque participant.

Les Actions auprès des familles des Opérateurs (Ligne d’action 2) étaient absentes de la commande originale de l’organisation. Nous les avons introduites après en avoir constaté le besoin à partir des visites de terrain. En effet, nous avons remarqué que les rapports familiaux avaient un fort impact sur la performance au travail (Barham et Vanalli, 2012 ; Mioto, 2015 ; OIT, 2011).

L’intervention auprès des familles, étayée sur des présupposés de l’analyse institutionnelle et de la psychologie sociale (Osório Silva, 2016), a été structurée sur deux moments. Le premier, réalisé au cours de l’année 2018, a eu comme origine un conflit entre les Opérateurs et l’organisation. Cette dernière avait promis un logement aux salariés et à leurs familles lors de leur recrutement et sélection. Cependant, après presque deux ans à l’emploi, la promesse n’avait toujours pas été tenue, ce qui a entraîné une énorme insatisfaction chez les Opérateurs. Nous avons alors réalisé deux rencontres en groupe avec les épouses des Opérateurs en plus de quatre visites à domicile pour des entretiens informels avec quinze épouses visant à créer avec elles un espace d’expression et de partage d’expériences, ainsi qu’à renforcer l’attachement entre l’équipe de recherche et les familles des Opérateurs.

Parallèlement, nous avons appliqué un questionnaire, répondu par 22 (vingt-deux) des 36 (trente-six) Opérateurs, en exploitant des variables telles que : les conditions de travail, les relations interpersonnelles au travail et en famille, le rapport travail-famille, le soutien psychosocial. Les résultats de ce questionnaire ont dégagé la demande d’un renforcement des liens entre les collègues de travail (Opérateurs) et, ensuite, entre leurs familles, ainsi que la sollicitation d’un soutien de l’entreprise à cette Ligne d’action. Pour plus d’analyse sur cette phase, voir Mendes, Fonseca et Silva (2018) qui ont discuté certains des résultats alors obtenus.

Dans un deuxième temps, en 2019, nous avons réalisé des ateliers visant à renforcer les liens inter et intrafamiliaux, avec la participation de neuf familles. Lors de ces ateliers étaient présents les Opérateurs, leurs épouses et leurs enfants, nous avons développé l’écriture d’un livre basé sur la méthodologie de « l’histoire de vie » et sur des méthodes narratives (Nogueira, Barros, Araújo et Pimenta, 2017). Ce livre a été intitulé le « Livre de la vie », les auteurs étant les familles elles-mêmes. En utilisant l’écriture et le dessin, chaque famille a été invitée à raconter son histoire à partir de ses mémoires et au travers les événements qu’elle jugeait les plus significatifs. De là sont issus neuf « livres », chacun écrit par une famille différente. Leurs récits comprenaient des thèmes tels que la migration, la perte du lien communautaire et le manque de reconnaissance sociale. Tremblay (2012) évoque, à ce sujet, le thème freudien du roman familial, repris par Vincent de Gaulejac, Jacques Rhéaume et, en particulier, par Catherine Montgomery qui s’intéresse au parcours migratoire des familles. En effet, la migration à l’intérieur du territoire brésilien concerne toutes les familles autrices des « livres », obligées d’habiter différentes villes, selon les projets de l’entreprise minière ici étudiée. Les « livres » sont la concrétisation des récits de vie et représentent, selon Mahy (2008), des véhicules individuels et sociaux de communication en même temps rationnels et sensibles. Ce travail a permis de libérer partiellement les familles du douloureux sentiment d’invisibilité sociale. Ces ateliers ont par la suite rendu possible la constitution d’un Comité d’accueil des familles, duquel nous parlerons lors de la discussion des résultats.

La troisième Ligne d’action, tournée vers l’analyse de l’activité de travail des Opérateurs, a comporté les dispositifs suivants : 12 (douze) entretiens individuels semi-structurés (Flick, 2009) ; un Atelier d’analyse psychosociale du travail, élaboré par l’équipe de recherche et inspiré par la méthode des focus groups (Kind, 2004 ; Osório Silva, 2014) et basé sur l’idée de problématisation (Berbel, 1998) ; sept instructions au sosie[3], méthode créée par Oddone (1986) et reprise par la clinique de l’activité (Yves Clot, 2007) ; 12 (douze) auto-confrontations[4] simples et cinq croisées (Clot, 2011 ; Osório-Silva, 2014) ; et, pour conclure, l’observation dialogante (Dujarier, 2016) sur les lieux de travail. Selon Clot (2010), cette observation produit de la connaissance seulement pour celui qui observe, elle génère également un dialogue interne chez l’observé, il occupe alors la place d’analyste de sa propre activité. En d’autres termes, il se dégage de la place d’objet de l’observation. Certains des résultats de cette Ligne d’action ont eux aussi été publiés (voir Fonseca et al., 2019) ou sont en voie de publication par notre équipe de recherche.

Pour finir, dans le cadre d’une quatrième Ligne d’action, nous avons réalisé des activités de développement managérial dédiées aux chefs immédiats des Opérateurs (dits Techniciens) et à leurs Superviseurs immédiats. Exécutée pendant les seconds semestres 2018 et 2019, cette étape du travail a eu un caractère exploratoire et elle est également issue d’une demande non prévue du projet initial. Cette action a inclus 22 (vingt-deux) Techniciens de mine et de géologie, par le biais de la réalisation de : neuf entretiens individuels ouverts (Boni et Quaresma, 2005) ; deux ateliers d’analyse psychosociale du travail, élaborés par notre équipe selon le modèle des groupes de rencontre avec les familles ; et l’observation dialogante sur les lieux de travail de ces techniciens. Les résultats obtenus avec cette ligne ont été détaillés et discutés par une thèse de master (voir Mendes, 2020).

Nous présentons maintenant les apports spécifiques de l’intervention, mettant en évidence les impasses que nous avons rencontrées et les stratégies adoptées pour les surpasser.

Résultats de la démarche et discussion

Nous rappelons que cet article a été élaboré avant la conclusion de notre recherche-intervention. Il s’agit donc de résultats préliminaires d’un travail appuyé sur une perspective critique et clinique dans le contexte d’une entreprise privée multinationale, et qui examine notamment le processus communicationnel opérant tout au long de la démarche de recherche. Nous allons discuter ici certains éléments qui ont attiré l’attention, selon le modus operandi de l’organisation étudiée.

Nous avons déjà dit que la proposition initiale de l’entreprise était d’intervenir auprès des Opérateurs d’excavatrices, mais nous l’avons étendue aux autres travailleurs une fois qu’ils étaient tous impliqués dans le processus de production. Au-delà de la commande initiale de l’entreprise, nous avons décidé par ailleurs de réaliser un travail auprès des familles (femmes et enfants) des Opérateurs, afin de comprendre la totalité de leurs conditions de vie dans leur poste de travail et ailleurs.

Nos activités ont débuté en janvier 2018 par plusieurs visites sur le terrain et l’établissement de voies de communication (y compris à distance), à intervalles variables, avec le gérant local et le collectif des travailleurs. Nous avons remarqué, depuis le début, les difficultés à développer une approche clinique de l’intervention dans le cadre d’une gestion néo-libérale marquée par des rapports hiérarchiques verticalisés et rigides. Cependant, nous avons maintenu l’objectif d’aller au-delà de la commande initiale en cherchant à donner lieu à une demande du collectif de travailleurs, favorisant entre autres l’émergence de la solidarité entre eux.

Il ne nous suffisait donc pas de nous borner à relever les facteurs psychosociaux concernant la performance des Opérateurs dans le but d’obtenir par la suite leur rendement maximal. Au lieu des procédures quantitatives et de contrôle, nous nous sommes appuyés sur un paradigme compréhensif. Ainsi, l’émergence des demandes a eu lieu par le biais de l’interaction de l’équipe de recherche avec le terrain et avec les travailleurs.

Dans la poursuite de toutes les Lignes d’action, des interventions politico-gestionnaires se sont manifestées. À plusieurs reprises, les gestionnaires du projet nous ont présenté des sollicitations non prévues ou prenaient des décisions contraires à notre proposition initiale. En conséquence, il nous a fallu réagir avec des réponses précises et rapides visant à réaffirmer le contrat engagé. Heureusement, ces impasses n’ont pas empêché le développement de nos travaux. La preuve en est que l’entreprise a confirmé la continuité du projet à son terme, prévu pour 2020.

Cela dit, nous allons maintenant discuter les résultats de chaque Ligne d’action, à partir de quatre catégories d’analyse : a) la gestion que nous qualifions comme quantophrénique et les tentatives de captation de la subjectivité des travailleurs ; b) les risques d’encadrement de la recherche-intervention à dominance quantitative ; c) le prescrit et le réel de la recherche ; et d) la communication en tant qu’élément spécifique de l’intervention.

Panorama général

En ce qui concerne la cartographie psychologique (Ligne d’action 1), les résultats démontrent que, d’une manière générale, le groupe d’Opérateurs avait des caractéristiques intrapsychiques compatibles avec une exécution satisfaisante du travail, y compris sur la dimension des rapports interpersonnels. Cela nous a menés à proposer un compte-rendu à chaque Opérateur des résultats de leur propre cartographie psychologique.

Cette Ligne d’action s’est rattachée, comme nous l’avons dit, plus directement aux demandes de la gestion avide d’informations à court terme, afin de mieux sélectionner et contrôler les Opérateurs selon la matrice positiviste de la psychologie industrielle classique. Nous avons ensuite affirmé notre éthique professionnelle par rapport aux résultats en les présentant à l’entreprise sous le format d’un portrait du groupe. Nous n’avons donc pas cédé à leur sollicitation de fournir les résultats individuels et nominatifs des Opérateurs. En outre, nous avons élaboré des recommandations générales, soulignant l’importance des actions de valorisation de l’équipe, d’un dialogue plus effectif entre les salariés d’un côté, et entre salariés et gestionnaires de l’autre. Par ailleurs, nous avons remarqué qu’au-delà des caractéristiques individuelles concernant la performance, il fallait poursuivre l’analyse des conditions et de l’organisation du travail. Ces dernières conditionnent la performance individuelle avec des répercussions directes sur le développement de l’activité et, bien entendu, sur le rendement de chaque travailleur.

Quant aux actions avec les familles (ligne d’action 2), il était évident que les problèmes vécus en famille impactaient négativement le rapport au travail. Les Opérateurs se plaignaient des problèmes concernant le logement et l’incertitude par rapport à l’aide financière pour faire face aux dépenses des enfants qui suivaient des études supérieures. Lors de l’écriture des livres, quand les épouses ont exposé leurs angoisses en parlant des histoires familiales, elles ont mis en évidence les questions jusqu’alors négligées par l’entreprise. Or cet accès à la parole et à l’écriture a eu des effets très positifs puisqu’il a réveillé chez les gestionnaires l’intérêt de valoriser ces témoignages, y compris en soutenant le lancement des livres dans des événements institutionnels.

Un autre résultat important tient au fait que l’organisation ait accepté l’implantation – toujours en phase de consolidation – du « Comité d’accueil », c’est-à-dire, d’un groupe composé par des membres de famille des Opérateurs et des chercheurs pour discuter et mettre en œuvre des actions d’intérêt collectif sur le lieu de travail et sur d’autres espaces sociaux de vie.

En ce qui concerne l’analyse de l’activité (Ligne d’action 3) et le développement managérial (Ligne d’action 4), nous soulignons que, curieusement, la première a présenté des résultats très convergents avec la cartographie psychologique (Ligne d’action 1) : le groupe d’opérateurs a fait preuve d’une compréhension critique élevée de sa propre activité, en se rendant compte de leur faible participation à l’organisation du travail.

Une autre donnée positive de l’intervention concerne le développement managérial (Ligne d’action 4) des Techniciens, soit les chefs immédiats des opérateurs. Dans un premier temps, ils avaient été ignorés par l’organisation, mais ils ont progressivement été incorporés grâce à l’initiative de notre équipe. À partir de là, nous avons même suggéré que le programme remplace le mot « Opérateurs » par « Équipes » prenant la dénomination de « Programme d’équipes à haute performance » de manière à mettre en évidence la dimension collective du travail.

Du point de vue théorique, il était avéré que les Opérateurs et les Techniciens constituaient un groupe qui recréait le genre professionnel dans leurs constantes interactions, dans le cadre du quotidien du tout nouveau système truckless. Cela impliquait non seulement la solution créative des problèmes internes liés à l’exploitation du minerai, mais dynamisait l’ensemble des représentations en tant que salariés de la « grande entreprise multinationale », dans une ville créée artificiellement pour la production et l’exportation du minerai.

D’un autre côté, il a été possible de relever l’influence négative ou positive de l’organisation du travail selon certaines variables telles que : la division du travail en équipe jour et nuit ; le travail en duo dans les excavatrices ; les objectifs, les normes et les exigences de production ; l’évaluation de la performance dans laquelle la gérance négligeait les variabilités ; et les imprévisibilités du milieu dans le processus du travail ainsi que les relations hiérarchiques marquées par les décisions unilatérales des gestionnaires, tout cela révélant la précarité de la participation des travailleurs. Ces questions ont été discutées plus longuement par Fonseca et al. (2019).

Le résultat le plus expressif de notre intervention, à partir des actions de l’analyse de l’activité (Ligne d’action 3) et du développement managérial (Ligne d’action 4) a été l’accord de la gérance concernant l’implantation d’un « Comité de pilotage », c’est-à-dire, d’un forum permanent formé par des opérateurs, des Techniciens, des gestionnaires et des chercheurs, afin de discuter et formuler des propositions d’action, à partir des demandes issues du quotidien du travail (nous y reviendrons ci-dessous).

Gestion « quantophrénique » et tentatives de captation de la subjectivité des travailleurs

Au début de cette recherche, une donnée a attiré notre attention : en nous présentant le système d’exploitation minière truckless, un gestionnaire comptabilisait les avantages financiers issus du gain d’à peine une seconde sur chaque va-et-vient de l’excavatrice à câble (mouvement de prendre le minerai de fer et le jeter sur le broyeur).

Cette exposition dévoile la logique de gestion de l’organisation. Le calcul méticuleux et économiciste adopte une prémisse d’« asepsie » du réel qui écarte les imprévisibilités du travail. Suivant cette obsession de la gestion par les chiffres et par le calcul mathématique, c’est-à-dire la quantophrénie comme la nomme Gaulejac (2007), les accidents, les risques, les hasards et les vicissitudes inhérentes au réel de l’activité ne sont pas pris en compte. Par ailleurs, cette logique néglige les conflits concernant les rapports hiérarchiques, les relations interpersonnelles, la faible rémunération des ouvriers, leurs attentes frustrées et les conditions de vie précaires. En ce sens, l’accent sur la production et sur le retour financier met en second plan les autres questions relatives à la vie des travailleurs et de leurs familles.

La quantophrénie ou la maladie de la mesure repose, selon Gaulejac (2007), sur la croyance selon laquelle l’objectivité consiste à traduire la réalité en termes mathématiques. Les « calculocrates », écrit l’auteur, offrent une illusion d’emprise sur le monde et de certitude face à une réalité pleine d’incertitudes.

L’exposition mathématique montrée par le gestionnaire, vue comme certaine et incontestable, s’est répétée à plusieurs reprises, renforcée par l’analogie à l’activité des équipes de Formule 1, pendant le pit-stop, qui requiert une grande agilité et précision. Le sport devient donc la référence pour la gestion de la force de travail, l’idée de « haut niveau » intègre le discours séducteur de la motivation.

Nous remarquons que cette insistance sur la performance comme promesse de retour financier et visant l’implication affective des travailleurs et de leurs familles est naturalisée dans le discours managérial. L’argument central voudrait que la croissance de la production résulte toujours en avantages individuels, raison pour laquelle chaque travailleur se doit de donner sa meilleure contribution.

La résistance de notre recherche-intervention à la visée quantitative

Comme mentionné ci-dessus, notre Groupe psychosocial devait agir de manière articulée avec les autres groupes qui s’appuient, essentiellement, sur des méthodes quantitatives visant à atteindre des résultats passibles de vérification métrique. Ils analysent, par exemple, les niveaux suffisants ou insuffisants de vitamines spécifiques dans l’organisme des travailleurs ; ou le rapport de l’intensité des connexions neuronales avec la réalisation plus ou moins rapide de l’activité.

Cependant, ces groupes sont aussi critiques par rapport à l’usage purement instrumental du résultat de leurs études. Selon eux, il ne suffit pas que l’organisme soit bien nourri ou cognitivement bien entraîné pour certaines activités, pour maintenir leur performance s’il y a une intensification du travail pouvant provoquer des dommages physiques et mentaux, en plus de l’insatisfaction des travailleurs. Cependant, l’entreprise insistait pour se concentrer sur l’augmentation de la productivité, laissant en marge le débat sur les réelles améliorations des conditions de vie et de travail des Opérateurs.

Dans une réunion avec les autres groupes, nous avons montré que notre analyse de l’activité n’est pas insérée dans les matrices quantitativiste et organiciste, et que notre proposition de travail est celle d’interpréter l’activité située et son sens pour les travailleurs. Nous avons souligné que malgré l’importance des facteurs physiques et biologiques, l’analyse de l’activité située dévoile les significations des conduites et l’intentionnalité des acteurs. Cette analyse est toujours basée sur les conditions concrètes lorsqu’on analyse les phénomènes du travail. Nous soutenons également que la recherche qualitative n’est pas prisonnière des pièges de la « subjectivité » et de leurs biais, et que la recherche statistique ou quantitative n’est pas la « pure et fidèle description des vérités » concernant la nature humano-sociétaire, comme le démontre bien Besson (1995). Selon cet auteur, les statistiques ne sont pas une photographie, mais une modélisation de la réalité à travers laquelle le chercheur lui impose des filtres afin de les convertir en chiffres. Dans ce processus, effectivement, interagissent des aspects qualitatifs et quantitatifs. L’observation statistique ne peut donc pas être réduite à une procédure neutre. Le « fétichisme statistique » (Besson, 1995) peut nous mener à confondre ses indices avec la réalité.

Il ne s’agit pas ici d’opposer les perspectives qualitatives aux quantitatives, mais de les articuler, le cas échéant, et d’attribuer leur valeur propre à chacune, à la bonne place. Lorsque nous utilisons les approches métriques, comme dans le cas des tests, nous jugeons que ces derniers pourraient nous fournir certaines pistes utiles qui, stratégiquement – puisque l’entreprise est avide de chiffres ou de « données concrètes » – ont ouvert la voie aux méthodologies compréhensives qui nous intéressaient particulièrement.

Le prescrit et le réel de la recherche

Dans cette recherche, il a été très clair que l’Accord de coopération établi entre l’entreprise et l’université représentait pour nous ce que l’ergonomie a nommé un travail prescrit. Dans l’exécution de notre travail de terrain, ce prescrit se heurtait au travail « réel » pour des raisons logistiques ou même politiques. Outre les impondérables de chaque situation concrète, nous avons rencontré des difficultés à réaliser certaines actions, telles que l’observation systématique et le filmage de l’activité des opérateurs ainsi que la réalisation des auto-confrontations simples et/ou croisées. Plusieurs difficultés ont surgi, concernant l’approche collective des travailleurs et l’ouverture d’espaces de débat sur leur quotidien de travail.

L’entreprise a aussi limité notre accès à des informations importantes telles que : les accidents du travail, les données sur la santé et la sécurité des Opérateurs, les évaluations de performance et les données historiques concernant la productivité.

D’autres imprévus ont aussi démontré que le réel de l’activité de recherche échappe à ce qui a été prévu. Par exemple : lors de l’une des visites sur le terrain, notre chronogramme prévoyait la réalisation d’entretiens semi-structurés, de filmages des activités des Opérateurs, une auto-confrontation directe et une auto-confrontation croisée, avec au moins quatre travailleurs (Ligne d’action 3). Cependant, dans la semaine qui a précédé notre visite, nous avons appris qu’un superviseur avait utilisé les codes de la carte de crédit corporative des Opérateurs pour des pratiques illicites, en affirmant, faussement, avoir reçu pour ce faire l’autorisation de ses supérieurs hiérarchiques. Toutefois, les Opérateurs ayant fourni leurs codes ont été obligés de signer un procès-verbal d’avertissement qui reconnaissait leur culpabilité dans l’affaire. Dans le code de conduite de l’entreprise, il leur est interdit de fournir ces codes à qui que ce soit. En fait, ils ont cédé à la sollicitation du superviseur auquel ils étaient soumis sur le plan hiérarchique. Devant le malaise engendré par cet épisode, au lieu des actions prévues, notre équipe a ouvert aux Opérateurs un espace d’écoute privilégié, ce qui est rare dans le contexte de l’exploitation minière. Ils étaient victimes d’une injustice. Ce dispositif a fonctionné comme un réducteur de tension en accueillant leurs plaintes et les demandes de mesures à prendre en leur faveur. Dans cette affaire, le gestionnaire local a reconnu que la solution du cas a eu lieu grâce à notre intervention qui n’était pas prévue.

Les Techniciens (qui supervisent les Opérateurs) avaient également des plaintes concernant les décisions unilatérales des gestionnaires. Ils ont relevé, par exemple, qu’on leur avait enlevé, sans les consulter, le véhicule nécessaire au déplacement dans la zone d’exploitation minérale sous l’allégation que ce dernier était utilisé de manière abusive, engendrant ainsi un gâchis de ressources. C’est à ce moment-là que nous avons négocié avec l’entreprise l’expansion de nos actions afin d’écouter ces techniciens et de mieux comprendre leur réalité de travail. Cet épisode a donné naissance à la Ligne d’action 4 mentionnée ci-dessus.

La communication en tant qu’élément spécifique de l’intervention

Tout au long de deux années, nous avons vu que certaines impasses entre la gestion locale du système et notre équipe de recherche avaient trouvé leur solution grâce à un effort permanent visant à raffiner nos communications et à présenter de manière consistante les résultats obtenus jusqu’alors. En fait, dans un contexte d’intervention organisationnelle, nous avons mis à disposition des travailleurs et des gestionnaires un ensemble d’actions visant une interlocution effective entre eux et les chercheurs. Avec les gérants, cela s’est traduit par de nombreuses réunions en présence ou à distance, via les réseaux internet. Avec les travailleurs et leurs familles, cela a passé par des entretiens individuels, observations dialoguantes, ateliers d’analyse de l’activité (focus group), instruction au sosie, auto-confrontation simple et croisée, outre les ateliers d’écriture des « livres ». Puis, avec travailleurs et gestionnaires réunis, se sont déroulées plusieurs réunions en présence des chercheurs. Ainsi, nous avons mis en marche plusieurs « vecteurs d’expression et de mobilisation » (Mahy, 2008).

Il convient de remarquer que depuis le début de la recherche, le gestionnaire réclamait des résultats tangibles justifiant l’efficacité de notre intervention. Si d’un côté nous avions - sur les Lignes d’action 1 (l’Évaluation psychologique) et 2 (les Familles) - des résultats assez concrets, matérialisés respectivement dans la synthèse des ressources psychologiques du collectif de travail (les tests) et dans les productions textuelles (les livres produits par les familles), d’un autre côté, le gestionnaire n’était pas convaincu que la Ligne d’action 3 (l’Analyse de l’activité) était vraiment importante et efficace. Effectivement, un processus n’a pas la même visibilité qu’un produit écrit. Cependant, nous avons maintenu auprès du gestionnaire une communication transparente et toujours fondée sur l’analyse du travail réel. Il a fini par comprendre que les effets de nos interventions destinées à renforcer les collectifs de travail pourraient améliorer l’ambiance organisationnelle, le degré de satisfaction et participation des travailleurs tout en améliorant la qualité du travail.

À vrai dire, il y a eu plusieurs situations dans lesquelles la communication a été décisive pour surmonter les impasses issues du mode de gestion et de l’organisation du travail. Prenons l’exemple de nos pondérations auprès du gestionnaire concernant la décision unilatérale de retirer le véhicule. Nos argumentations étaient risquées et délicates, car elles pouvaient engendrer des résistances de la part de celui qui occupe une position d’autorité. À un autre moment, nous avons analysé avec lui deux autres changements, sans consultation préalable avec les intéressés : le premier était l’échange des duos d’Opérateurs travaillant sur les excavatrices ; le deuxième, l’altération de leurs grilles (jours et horaires) de travail. Nos analyses, dans ces cas, concernaient non seulement le mal-être des Opérateurs, mais l’éventuelle baisse de la production (argument plus facilement assimilé par la gestion). Or, au moins à ces moment-là, nos discussions ont favorisé une réflexion jusqu’alors absente concernant les décisions unilatérales imposées aux travailleurs. C’est une dimension de notre intervention que de miser sur la communication comme un instrument de transformation des relations de travail.

Il est à remarquer que ce processus fructueux de communication avec le gestionnaire en question s’est poursuivi à distance suite à notre dernière visite sur le terrain. Nous avons également gardé le contact avec les travailleurs malgré les difficultés dictées par la distance. Ils reconnaissent que nos actions ont poussé l’entreprise à se rendre compte, du moins partiellement, du besoin de leur bien-être sur les plans individuel, collectif et familial.

De plus, ils se perçoivent comme participants, comme nos partenaires dans la recherche-intervention, car ils continuent à discuter les actions et les propositions dans les différentes Lignes d’action.

Le projet se trouve actuellement en phase de discussion et de consolidation suivant trois mesures principales : a) l’implantation d’un Comité de pilotage formé par des chercheurs, des opérateurs et des techniciens, tourné prioritairement vers la discussion de l’organisation du travail ; b) l’implantation d’un Comité d’accueil formé par des chercheurs et des membres des familles ; et c) la conclusion du processus d’évaluation psychologique débuté en 2019.

Les récents contacts avec le gestionnaire démontrent que l’effort pour développer notre communication par le biais de discussions spécifiques concernant des questions ponctuelles s’est avéré positif. Cela est traduit par sa proposition de continuer notre travail avec un accent sur l’intervention. À ce sujet, un nouveau projet a été présenté aux travailleurs et à la gérance et a reçu leur appui. Pour la prochaine étape, nous visons à mettre en place des ateliers afin de consolider les Comités de pilotage et le Comité d’accueil avec des réunions ultérieures d’évaluation et d’accompagnement de chaque atelier.

Il est à noter que la proposition d’implantation du Comité de pilotage renvoie à l’idée de valorisation des savoirs des travailleurs, inspirée du Modèle ouvrier italien (MOI) d’Oddone (1986). Ce dispositif propose un dialogue moins hiérarchisé et permanent, réalimenté par les chercheurs et les travailleurs visant au développement de l’activité tout en résonance avec les approches cliniques du travail.

Considérations finales

Le développement du projet discuté ci-dessus a montré qu’en acceptant la commande initiale de l’entreprise, notre équipe ferait face à des contradictions macrosociales liées à une organisation multinationale. Une organisation dont les politiques de gestion sont définies en fonction de la production croissante et accélérée de sa marchandise, indépendamment de ses effets nocifs chez les travailleurs et pour l’environnement.

Lors de nos discussions internes, nous n’avons pas pu échapper au classique débat idéologique concernant les possibles destinataires de nos travaux, c’est-à-dire : « à qui voulons-nous servir ? » En d’autres termes, en acceptant cette commande de l’organisation, même avec des intentions de la subvertir, est-ce qu’il sera possible de l’orienter vers une demande des travailleurs » ? Accepter la commande telle quelle n’impliquerait-il pas une complicité avec ce modèle d’expropriation de l’homme et de la nature ? Une chose était claire : notre proposition de travail ne visait pas à contester ouvertement ni d’agir pour changer directement la macrostructure de ce puissant système soutenu, par ailleurs, grâce à une complicité séculaire des représentants du pouvoir public.

Que pourrions-nous donc proposer et faire alors ? Nous avons misé sur des actions destinées, à partir de l’expérience concrète des travailleurs, à leur permettre, du moins partiellement, d’exercer le pouvoir de la parole et de décisions, ce qui ne figure pas dans les principes de la gestion néo-libérale.

D’un autre côté, ayant entre les mains une commande, et non pas une demande, nous ne savions pas si notre projet, basé sur des approches cliniques du travail, serait accueilli ou pas par l’entreprise dont le souci était de développer les habiletés techniques et l’intensification de la production des Opérateurs. De toute manière, nous avons réussi à reformuler la commande initiale et à étendre à plus tard l’intervention auprès des autres travailleurs, c’est-à-dire le personnel d’appui à la préparation du terrain, les techniciens et leurs superviseurs ainsi que les familles (épouses et enfants). En cela, nous avons répondu à une demande d’action collective plus créatrice.

Il convient d’ajouter que notre intervention a réussi à fournir aux familles un objet matériel – leurs romans – « un objet familial, comme un album de photos, qui leur rappelle leurs souvenirs et leur histoire » (Michèle Vatz-Laaroussi, citée par Tremblay, 2012). Par ailleurs, nous avons créé d’autres objets institutionnels concrets, tel que le comité de pilotage, à être conduit conjointement par travailleurs, gestionnaires et chercheurs. En un sens proche, nous avons fait en sorte que les produits de notre recherche soient « utilisables ou appréciés par différents publics » (Catherine Montgomery, citée par Tremblay, 2012). Selon cette autrice, lors de la divulgation de leurs activités, les chercheurs ciblent rarement les populations engagées dans la recherche : « on ne pense pas souvent à redonner », dit-elle.

La richesse des vécus et des situations expérimentées, au long de cette étude, a favorisé l’innovation par les caractéristiques singulières qui s’y sont présentées parmi lesquelles l’articulation entre l’évaluation psychologique et les approches cliniques du travail. La multiplicité des phénomènes abordés est encore loin d’être saisie par notre équipe. Il faudra encore longtemps pour traiter la diversité des éléments découlant de cette recherche-intervention.