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Introduction

La plupart des pays développés font face à des enjeux démographiques semblables : le vieillissement et le ralentissement de la croissance démographique. La faible fécondité observée depuis plus de trois décennies a entraîné un ralentissement de la croissance démographique déjà observable et prévisible pour le moyen terme. Ainsi, certains pays affichent déjà des taux de croissance négatifs. En même temps que la fécondité faiblit, on observe des gains continus en ce qui a trait à la mortalité. Si, initialement, ces gains étaient surtout redevables aux jeunes et favorisaient un rajeunissement des populations, avec le temps, la chute des taux de mortalité est devenue de plus en plus attribuable aux causes de décès survenant aux âges élevés, contribuant inéluctablement à l’accélération du vieillissement démographique.

Les conséquences du vieillissement démographique ou de la décroissance interpellent nombre d’analystes des politiques dans les pays économiquement développés. À des degrés divers, ces pays ont connu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, soixante ans auparavant, une hausse du nombre des naissances. Or, les baby-boomers arrivent maintenant à l’âge de la retraite. Simultanément, les cohortes d’entrants sur le marché du travail rapetissent ou, au mieux, se maintiennent en nombre. La taille même de la population en âge de travailler et la question du financement futur des programmes de santé ou des régimes de retraite suscitent donc de nombreuses inquiétudes parmi les pays industrialisés. Face à ces défis, ceux-ci ont réagi en mettant en place des politiques de population qui visent à favoriser les composantes de la croissance démographique : la natalité et l’immigration.

Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant que l’on s’interroge sur les niveaux optimaux d’immigration ou encore sur les conséquences de divers niveaux d’immigration. C’est à ce dernier thème qu’a été consacrée l’étude des Nations unies intitulée « Replacement migrations : Is it a solution to declining and aging population ? » (2000). Au moyen de simulations prospectives, cette étude établit le solde migratoire nécessaire pour répondre à trois objectifs démographiques différents, soit le maintien de la population totale, le maintien de la population en âge de travailler et le maintien du rapport de dépendance des actifs aux personnes âgées (rapport de la population âgée de 65 ans ou plus à celle âgée entre 15 et 64 ans). L’étude porte sur huit pays ayant des niveaux et des historiques de fécondité et d’immigration variés (France, Italie, Allemagne, Japon, Corée du Sud, Fédération de Russie, Royaume-Uni et États-Unis) ainsi que deux blocs régionaux (Europe et Union européenne à 15). Le Canada ne faisait pas partie des pays sélectionnés par l’organisme international pour son étude, limitée à quelques exemples, mais ce sont certainement là des questions d’intérêt pour le pays.

L’objectif principal de cet article est d’analyser les résultats de ces projections non seulement au niveau national, mais aussi, compte tenu de la répartition géographique inégale des nouveaux arrivants sur le territoire canadien, au niveau des provinces et territoires. La première section résume les faits saillants du rapport des Nations unies et offre une courte revue des réactions, critiques et commentaires qu’il a suscités. Elle est suivie d’une présentation détaillée des hypothèses des simulations réalisées pour le Canada et de l’analyse démographique des résultats au niveau provincial. Finalement, dans la dernière section, nous discutons des implications de ces résultats dans le contexte canadien.

Les faits saillants du rapport des nations unies

Avec 1,5 enfant par femme en 2007, le Canada se situe en position intermédiaire par rapport aux huit pays étudiés : la fécondité y est plus faible qu’au Royaume-Uni (1,8), en France (2,0) et aux États-Unis (2,1), mais elle dépasse celle des cinq autres pays (la plupart se situant autour de 1,3). Le niveau de la mortalité au Canada se situe également dans l’éventail des autres pays : la population canadienne pouvait espérer vivre 80 ans en 2007, seuil qui n’est dépassé là encore que par trois pays (Japon, France, Italie). Par contre, en ce qui a trait à l’immigration, aucun des pays sélectionnés ne s’approche des niveaux canadiens. À sept pour mille, le taux de migration net du Canada est près du double de celui des États-Unis et de l’Italie (4 pour mille). Le taux de migration nette est même négatif pour la Corée (-2 pour mille).

Tableau 1

Principaux indicateurs démographiques des pays de l’étude des Nations unies en comparaison avec ceux du Canada, 2007

Principaux indicateurs démographiques des pays de l’étude des Nations unies en comparaison avec ceux du Canada, 2007
Source : Population Reference Bureau, 2007.

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La proportion de personnes âgées qui est de 13 % au Canada varie entre 10 % et 21 % parmi les pays sélectionnés, la Corée du Sud ayant la population la plus jeune et le Japon la plus vieille. Tous les pays présentent une proportion de personnes âgées plus élevée que celle du Canada, à l’exception de la Corée et des États-Unis. Dans le cas de la Corée, bien que la fécondité soit actuellement très faible, la baisse s’est produite plus récemment que dans les autres pays et la structure de la population y est encore relativement jeune. On peut déjà anticiper que le vieillissement démographique futur de la population de ce pays sera exacerbé par la rapidité et l’ampleur de la chute de la fécondité. Les États-Unis, favorisés par une plus forte fécondité, présentent un pourcentage de personnes âgées relativement faible et la plus forte proportion de jeunes âgés de moins de 15 ans. À l’opposé, le Japon et l’Italie présentent les structures les plus vieilles avec 14 % de personnes de moins de 15 ans et respectivement 21 et 20 % de personnes âgées de 65 ans ou plus. La principale différence entre ces deux pays à très faible fécondité et espérance de vie élevée se situe au niveau du solde migratoire. L’Italie a un taux net d’immigration de quatre pour mille, du même ordre que les États-Unis et le Royaume-Uni, alors que le Japon a depuis longtemps choisi de ne pas compter sur l’immigration.

Le tableau 2 compare le solde migratoire du scénario moyen des projections des Nations unies à celui que chacun des pays devrait avoir au cours de la période 1995-2050 pour répondre aux trois objectifs démographiques indiqués plus haut. Dans tous les cas, on remarque que, sauf pour les États-Unis où la fécondité est plus élevée, le solde migratoire nécessaire au maintien des effectifs nationaux de population est supérieur à celui du scénario moyen. Dans ces pays, en l’absence d’immigration ou en maintenant les tendances récentes (scénario moyen), la population serait appelée à décroître d’ici 2050. Aux États-Unis, au contraire, les niveaux de fécondité et d’immigration projetés selon le scénario moyen sont plus que suffisants pour assurer la croissance démographique.

Tableau 2

Nombre d’immigrants (,000) nécessaire à la réalisation des divers scénarios, pays sélectionnés, 1995-2050

Nombre d’immigrants (,000) nécessaire à la réalisation des divers scénarios, pays sélectionnés, 1995-2050
Source : Nations unies, Population Division, 2000.

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Par ailleurs, étant donné que les baby-boomers étaient encore en âge actif au point de départ des projections (en 1995), ils ont inévitablement gonflé les effectifs de ce groupe d’âge. De plus, pour tous les pays soumis à l’étude, un solde migratoire plus élevé que celui permettant de maintenir la population totale s’est révélé nécessaire pour maintenir la population en âge de travailler à son maximum. Il s’ensuit qu’au Japon et en Russie, plus de trente millions d’immigrants seraient requis pour maintenir les effectifs en âge actif au cours de la période de projection, suggérant des niveaux d’immigration particulièrement élevés quand on considère leurs tendances historiques. Au Japon, en particulier, cela exigerait un changement de politique difficilement imaginable aujourd’hui. La situation des États-Unis, encore une fois, est bien différente de celle des autres pays étudiés, car moins de la moitié des immigrants projetés selon le scénario moyen seraient nécessaires pour maintenir la taille de la population en âge de travailler.

Par contre, dans tous les pays, y compris les États-Unis pourtant favorisés par une plus forte fécondité, le solde migratoire nécessaire pour maintenir le rapport de la population en âge de travailler à celle des personnes âgées apparaît inatteignable. L’immigration, à elle seule, ne peut être une solution viable au vieillissement démographique. Dans le cas le plus extrême, celui de la Corée, plus de cinq milliards d’immigrants, un nombre qui s’approche de celui de la population de la planète entière, seraient nécessaires pour assurer le maintien du rapport de dépendance des personnes âgées. Cela résulte de la structure particulièrement jeune de la population coréenne et de sa faible fécondité. En effet, si l’indice synthétique de fécondité n’est que de 1,1 enfant par femme, la structure par âge de la Corée en 1995 était encore très jeune et particulièrement favorable à l’activité puisque ce pays comptait alors 12,6 personnes en âge actif pour chaque personne âgée de 65 ans ou plus. Il s’agit d’une situation temporaire résultant de la transition démographique rapide de ce pays. Il est impossible de maintenir bien longtemps un tel ratio. Ce cas est un exemple des plus probants de l’impossibilité de recourir à l’immigration seule pour empêcher le vieillissement futur d’une population qui a vu sa fécondité décliner. C’est aussi une façon d’illustrer les conséquences à moyen terme de ce qu’il est convenu d’appeler la « fenêtre d’opportunité démographique » et de montrer combien celle-ci peut être brève.

L’étude des Nations unies illustre donc d’une façon originale ce que les études plus savantes avaient depuis longtemps établi au moyen de modèles fondés sur la théorie des populations stables. Une population sujette à des taux constants de fécondité, de mortalité et d’immigration atteint à terme un état d’équilibre à partir duquel le taux de croissance et la structure par âge demeurent constants (Pollard, 1973 ; Mitra, 1983). Toute population dont la fécondité est inférieure au seuil de remplacement et qui tenterait de maintenir sa taille au moyen de l’immigration finirait par être entièrement composée d’immigrants et de leurs descendants (Espenshade et al., 1982 ; Coleman, 2002). Si une population sujette à un niveau de fécondité n’assurant pas le remplacement des générations peut donc, en théorie, suppléer au manque de naissances par l’immigration, elle subirait une transformation complète de sa composition ethnique, culturelle et linguistique (Espenshade, 1986). L’étude des Nations unies a, par contre, l’avantage d’utiliser une métrique simple, soit le solde migratoire nécessaire pour atteindre différents objectifs démographiques et d’illustrer la dynamique de ces transformations sur un horizon plus court que celui où la population atteint la stabilité.

Les nombres totaux d’immigrants nécessaires pour atteindre les différents objectifs démographiques présentés au tableau 2 sont pour une période de cinquante-cinq ans et il peut être difficile de bien juger de leur signification. Le tableau 3 présente les mêmes résultats, mais en terme annuel et en proportion de la population de chacun des pays en 2007. Ce rapport est de 2,5 dans le scénario moyen pour les États-Unis. Si l’on considère que l’immigration canadienne est en terme relatif à peu près deux fois plus forte que dans ce pays, on peut penser que des rapports de l’ordre de 5,0 sont soutenables, du moins sur une certaine période. On peut en conclure que l’immigration pourrait permettre à tous les pays de l’étude de maintenir leurs populations totales. Pour ce qui est du maintien de la population en âge de travailler, là encore, des niveaux d’immigration réalistes pourraient permettre d’atteindre cet objectif. Par contre, l’apport de l’immigration ne permettrait à aucun des pays de maintenir le rapport des personnes en âge actif aux personnes âgées de 65 ans.

Tableau 3

Nombre annuel d’immigrants pour 1 000 habitants de chacun des pays en 2007 nécessaire à la réalisation des divers scénarios, pays sélectionnés, 1995-2050

Nombre annuel d’immigrants pour 1 000 habitants de chacun des pays en 2007 nécessaire à la réalisation des divers scénarios, pays sélectionnés, 1995-2050
Source : Nations unies, Population Division, 2000.

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Le rapport des Nations unies a rapidement suscité un intérêt marqué dans les médias et la communauté scientifique. En fait, avant même sa publication, les grands quotidiens en rapportaient certains résultats. Teitelbaum (2004) relate comment les médias se sont non seulement emparés des résultats de cet exercice de simulation pour en faire des manchettes alarmistes, tout en laissant croire que les Nations unies suggéraient aux pays européens d’accroître massivement leur niveau d’immigration, mais auraient également forcé celles-ci à réaliser l’étude, alors que les calculs effectués n’avaient à l’origine pour objectif que de préparer des réponses en vue d’éventuelles questions qui auraient pu être posées à l’Assemblée générale de l’été 1999. Compte tenu de l’attention médiatique soulevée par la publication de ces calculs, pourtant provisoires et informels, l’organisme aurait réagi en diffusant un communiqué de presse et en préparant rapidement le rapport complet. Évidemment, l’étude des Nations unies ne suggère aucunement un quelconque niveau d’immigration aux pays membres. Néanmoins, la diffusion du rapport complet a de nouveau entraîné la parution d’articles, souvent alarmistes, forçant les milieux politiques et même diplomatiques à réagir (Teitelbaum, 2004).

Le milieu universitaire a également été prompt à réagir et parfois avec davantage de passion que ce à quoi les revues scientifiques nous avaient habitués. Dans un premier temps, plusieurs résumés plus factuels que critiques apparaissent. La revue Population and Development Review (Anonyme, 2000), par exemple, publie dans son numéro de juin 2000 un résumé des faits saillants de l’étude. Hollander (2000) dans un article intitulé « Large Immigration Flows Could Help Offset Declines in Developed Population » et Bermingham (2001) dans un autre intitulé « Immigration : Not a Solution to Problems of Population Decline and Aging » résument aussi les principaux résultats de l’étude. S’ils demeurent tous deux plutôt factuels, les titres de leurs articles respectifs donnent une idée des réactions que l’étude originale a provoquées selon que l’auteur est plus ou moins favorable à l’immigration.

Le rapport a aussi fait l’objet de nombreux articles scientifiques souvent critiques de l’approche choisie par les Nations unies pour illustrer comment l’immigration peut ou non contribuer à relever les défis démographiques des pays développés. Premièrement, plusieurs auteurs remarquent que le rapport des Nations unies présente l’éventualité d’une décroissance démographique et du vieillissement comme étant des problèmes qu’il faudrait chercher à éviter (Abernethy, 2001 ; Meyerson, 2001 ; Keely, 2001) ou, tout au moins, suggère fortement qu’ils constituent des problèmes (Espenshade, 2001). Le rapport, purement démographique, ne tient pas compte de l’abondante littérature économique ou des sciences sociales existante. Ainsi, pour certains auteurs, l’ouvrage aurait été plus nuancé si les conséquences économiques et environnementales positives qui peuvent résulter d’une population moins nombreuse avaient été entrevues : réduction des dépenses d’infrastructure, telle que routes et écoles, ralentissement de la consommation des ressources naturelles et des sources d’énergie fossile, réduction des émissions de gaz à effet de serre (Grant, 2001 ; Meyerson, 2001). Pour d’autres, une diminution de la population des pays développés aurait des conséquences bénéfiques sur l’environnement global (Abernethy, 2001 ; Meyerson, 2001) et pourrait ne pas être dommageable économiquement.

Deuxièmement, l’étude traite l’immigration comme si elle était le seul outil disponible pour faire face au déclin et au vieillissement démographiques et n’évalue pas l’effet d’une hausse possible de la fécondité sur les résultats (Grant, 2001) ou de la fécondité généralement plus élevée des immigrantes. L’aspect purement démographique du rapport est là aussi contesté par plusieurs auteurs, en particulier, en ce qui concerne le choix d’un scénario maintenant constant le rapport de dépendance des personnes âgées (Espenshade, 2001 ; Grant, 2001 ; Keely, 2001). Toutes les personnes âgées de 15 à 64 ans ne sont pas nécessairement actives, tout comme les personnes âgées de 65 et plus ne sont pas toutes inactives ; sans compter qu’utiliser un tel ratio des personnes âgées de 65 ans et plus aux personnes âgées de 15 à 64 ans fait abstraction du fait que la proportion des 0-14 ans diminue dans plusieurs pays, contribuant à réduire le fardeau supporté par les actifs (Abernethy, 2001). L’étude ne tient pas compte du fait que les taux de participation, notamment chez les femmes, pourraient s’élever, tout comme l’âge à la retraite chez les deux sexes, et ainsi atténuer les effets économiques du vieillissement démographique (Keely, 2001). Les taux de chômage de plusieurs pays développés se sont élevés alors que la proportion de la population âgée de 15 à 64 ans culminait. On pourrait envisager une diminution du chômage et une augmentation des taux de participation chez les plus âgées des personnes en âge de travailler si la main-d’oeuvre devait se raréfier (Grant, 2001). Utiliser un rapport de dépendance économique qui tienne compte des taux d’activité ou, mieux encore, des taux d’emploi et de leur évolution plutôt que le rapport de dépendance démographique aurait été préférable (Coleman, 2002) et aurait eu pour effet d’atténuer le côté alarmiste que certains auteurs ont perçu. Pour Bouvier (2001), par contre, l’étude présente différents scénarios qui ne sont que des projections illustrant les marges de manoeuvre possibles de l’immigration pour contrer les défis économiques du vieillissement démographique, ce ne sont ni des prédictions, ni des recommandations visant à hausser l’immigration.

La méthodologie a aussi été fortement critiquée. Les hypothèses apparaissent simplistes (Meyerson, 2001) et les cibles arbitraires (Espenshades, 2001). Par exemple, dans le scénario extrême où est estimé le solde migratoire nécessaire pour contrer le vieillissement démographique, les auteurs désapprouvent l’utilisation des niveaux actuels du rapport d’actifs potentiels aux personnes âgées, ceux-ci étant anormalement ou historiquement élevés par le gonflement du groupe d’âge des 15-64 ans provoqué par la présence des baby-boomers. En outre, l’horizon de cinquante ans est trop long selon Keely (2001), personne ne peut prévoir le niveau de la fécondité sur une si longue période. Coleman (2002) de même que Lutz et Scherbov (2003) désapprouvent l’approche par scénario fixant des cibles et toutes les composantes du changement démographique, à l’exception des niveaux d’immigration. Ils proposent plutôt l’approche plus traditionnelle en démographie qui consiste à réaliser plusieurs scénarios où la fécondité et l’immigration peuvent varier dans des limites « raisonnables » et ensuite analyser leurs effets sur la croissance ou le vieillissement.

Les hypothèses des nouvelles simulations[1]

Dans la présente étude, en plus d’appliquer la méthodologie à la population canadienne et de reprendre les cibles visées par les Nations unies, nous répondons à certaines de ces critiques en ajoutant des simulations où la fécondité (simulation de la fécondité à 2,1) où l’immigration augmenterait (simulation de la migration à 10 pour mille) à des « niveaux raisonnables ». Suivant une procédure similaire à celle des Nations unies, les niveaux annuels d’immigrants sont ajustés pour atteindre les différents objectifs, alors que les hypothèses des autres composantes du changement démographique sont maintenues identiques à l’hypothèse du scénario moyen. Il convient dans un premier temps de décrire les hypothèses sous-jacentes aux scénarios de projections.

Le scénario moyen est celui identifié comme tel par Statistique Canada dans la publication intitulée « Projections de la population pour le Canada, les provinces et les territoires, 2005-2031 » (Bélanger et al., 2005). Dans ce scénario, la fécondité de chacune des provinces est maintenue constante par rapport au niveau observé en 2002. Au niveau national, la fécondité a peu varié depuis une dizaine d’années, oscillant autour de 1,5 enfant par femme. En revanche, selon ce scénario, elle varie d’une province à l’autre entre un minimum de 1,3 enfant par femme à Terre-Neuve-et-Labrador et 2,73 enfants par femme au Nunavut (en 2031). Contrairement à la fécondité, l’espérance de vie de la population canadienne continue de s’élever à un rythme soutenu et il est davantage plausible de poursuivre cette tendance que de maintenir les taux de mortalité constants par rapport à ceux observés récemment. L’évolution future de la mortalité a été projetée en appliquant le modèle proposé par Li et Lee (2005) qui permet de suivre l’évolution par âge et sexe au niveau des provinces, tout en préservant la relation qui existe entre l’évolution observée dans les différentes provinces et l’évolution au niveau national. En 2002, l’espérance de vie des Canadiens atteignait 77,2 ans et celle des Canadiennes 82,1 ans. Selon le scénario moyen, elle atteindrait 81,9 ans et 86,0 ans en 2031 et 85,0 ans et 88,6 ans en 2056 pour les hommes et les femmes respectivement. Tant pour les hommes que pour les femmes, l’espérance de vie la plus élevée est observée en Colombie-Britannique et la plus faible au Nunavut.

Dans le cadre de ces projections, les hypothèses sur l’immigration ont été basées sur des taux d’immigration plutôt que sur les nombres d’immigrants. Ainsi, le nombre d’immigrants projeté augmente automatiquement d’une année à l’autre en fonction de la croissance démographique. Le taux d’immigration du scénario moyen est fixé à sept pour mille jusqu’en 2031. Après cette date, la taille de la population en âge de travailler fluctuera beaucoup moins puisque les baby-boomers auront tous atteint 65 ans ou plus et que le nombre d’immigrants projeté pour cette année-là est maintenu constant jusqu’à l’horizon 2056. Dans le cas du scénario moyen, le nombre d’immigrants passe d’environ 225 000 immigrants au début de la période de projection à environ 280 000 en 2031. La répartition régionale des immigrants est projetée sur la base des taux d’immigration observés en 2003-2004 et est maintenue constante tout au long de la période de projection. Il est donc projeté que près de 90 % des immigrants s’établiront dans une des trois provinces, soit l’Ontario, le Québec ou la Colombie-Britannique, reflétant les tendances observées au cours des deux dernières décennies. Cette hypothèse a une importance considérable pour la croissance démographique des régions.

Les taux d’émigration par âge, sexe et province sont eux aussi maintenus constants. Le taux global fluctue légèrement au cours de la période projetée en fonction de l’évolution de la structure par âge de chacune des provinces. Le taux d’émigration projeté est d’environ 1,5 pour mille pour le Canada, variant entre un minimum de 0,4 pour mille à Terre-Neuve-et-Labrador et un maximum de 2,0 pour mille pour la Colombie-Britannique. Bien que le modèle projette séparément l’immigration et l’émigration, les résultats présentés dans les tableaux qui suivent sont des soldes migratoires internationaux.

Finalement, l’hypothèse de migration interne du scénario moyen correspond à la moyenne des hypothèses de tendances récentes — c’est-à-dire reflétant les tendances les plus récentes disponibles (soit la période 2000-2003) plus favorables aux provinces de l’Atlantique et au Québec et à celle de la Côte ouest basée sur la période 1988-1996, très favorable à la Colombie-Britannique et à l’Alberta. Pour la majorité des provinces et territoires, l’hypothèse moyenne est véritablement l’hypothèse moyenne, au sens où elle génère des soldes interprovinciaux se situant entre les minimums et maximums des autres hypothèses.

Une première simulation a été créée en utilisant les hypothèses du scénario moyen, mais sans aucune migration internationale (zéro migration). Les simulations créées pour correspondre aux objectifs de l’étude des Nations unies, soit celle assurant le maintien de la population totale à son maximum et celle assurant le maintien de la population en âge de travailler, sont fondées sur la population ou la sous-population (en âge actif) maximale atteinte dans le scénario zéro migration. En 2005, le rapport de la population en âge de travailler à celui des personnes âgées était de 5,3. La simulation assurant le maintien de ce rapport fixe, ici à 5,0, permet une variation de plus ou moins 0,1. Cet assouplissement de la contrainte permettait une convergence plus rapide sans altérer l’utilité des résultats obtenus. Le fait de fixer ce rapport à 5,0 plutôt qu’à 5,3 ne modifie pas substantivement les conclusions de l’étude. Les trois simulations ont les mêmes hypothèses de fécondité, de mortalité et de migration interne que le scénario moyen. Notons aussi que la répartition régionale des immigrants est, elle aussi, identique à celle de ce scénario moyen, ce qui a évidemment un grand impact sur les résultats obtenus au niveau régional. Seul le nombre annuel d’immigrants varie pour assurer l’atteinte de l’objectif de chacune des simulations.

À ces trois simulations, deux autres ont été ajoutées, en partie en réponse aux critiques à l’endroit du rapport original. Dans une simulation, toutes les composantes de la croissance démographique, y compris les taux de migrations internationales, évoluent comme dans le scénario moyen, à l’exception de la fécondité qui s’élève graduellement au seuil de remplacement des générations pour permettre l’analyse des effets d’une éventuelle (forte) hausse de la fécondité sur les effectifs futurs de la population canadienne et sa structure par âge. Dans une autre, toutes les hypothèses du scénario moyen sont maintenues, sauf le taux d’immigration qui est à la hausse et atteindrait 1,0 % en 2010 pour s’y maintenir jusqu’en 2031. Par la suite, le nombre d’immigrants atteint en 2031 est maintenu constant jusqu’à l’horizon 2056, comme dans le cas du scénario moyen.

Analyse des résultats pour le Canada, les provinces et les territoires

Contrairement à la situation de plusieurs pays dans l’étude des Nations unies, aucun des scénarios des projections diffusés par Statistique Canada en 2005 (Bélanger et al., 2005), pas même le scénario de faible croissance (données non présentées), où la fécondité diminue jusqu’à 1,3 enfant par femme (niveau du Japon, de l’Allemagne et de la Russie) et où le taux d’immigration passe de 7,0 pour mille à 5,5 pour mille, ne prévoit des effectifs de population à l’horizon 2056 inférieurs à la population estimée en 2005. Cela résulte des niveaux d’immigration relativement élevés observés historiquement au Canada et plus particulièrement depuis 1990. Par contre, l’accroissement naturel devient négatif avant l’horizon 2056. Dans le cas du scénario moyen, le nombre de décès surpasse le nombre annuel des naissances à partir de 2030. C’est qu’avec l’arrivée des cohortes nombreuses du baby-boom aux âges avancés, le nombre annuel de décès est appelé à augmenter même si l’espérance de vie augmente. L’accroissement naturel pourrait donc être négatif dès 2030 et on entend dire souvent que le solde migratoire serait alors la seule source de croissance démographique. Si cela demeure vrai, il faut se garder d’interpréter cette conclusion d’une manière trop alarmiste. Comme le signalait Beaujot (2003) avec justesse, cela ne signifie pas que l’immigration sera la seule source de croissance. Si, certes, le nombre des naissances sera inférieur à celui des décès, les naissances demeureront de l’ordre de 350 000 par an, un effectif supérieur à celui des cohortes annuelles d’immigrants. Sur l’ensemble de la période des projections, le nombre annuel moyen des naissances est estimé à 351 000 dans le scénario moyen, alors que le nombre annuel moyen d’immigrants serait de 267 000. Les naissances représenteront ainsi 57 % du total des deux sources de la croissance démographique. À la différence des pays sélectionnés dans le rapport des Nations unies, la question migratoire se pose moins en termes d’apport numérique pour assurer un équilibre de population, étant donné que le niveau de l’immigration y est déjà élevé, que de conséquences futures de l’immigration sur la répartition de la population sur le territoire.

Le tableau 4 présente les soldes migratoires nécessaires à l’atteinte des divers objectifs des simulations. En l’absence de migrations internationales, la population canadienne culminerait à 33,2 millions en 2023 et déclinerait par la suite pour atteindre 29,0 millions en 2056. Pour maintenir les effectifs démographiques au maximum atteint en l’absence de migrations internationales, il faudrait relancer l’immigration à partir de 2023 pour compenser l’apparition à cette date d’une croissance naturelle négative. En moyenne, de 2005 à 2056, un solde migratoire de 75 000 personnes par an serait suffisant pour parvenir à cet objectif, soit un niveau bien moindre que celui du scénario moyen. En moyenne, cette simulation implique qu’il n’y aurait presque aucun immigrant sur la première période de vingt-cinq ans et presque 150 000 par année sur la seconde période. Pour éviter une reprise subite de l’immigration, il serait sans doute préférable de fixer un objectif plus durable, soit un solde de l’ordre de 75 000 personnes par an, lequel permettrait de maintenir la population à son plus haut point. Ce volume migratoire est près de trois fois moindre que celui projeté dans le scénario moyen de Statistique Canada (solde annuel moyen de 211 000 immigrants pour la période 2005-2056) qui suit les tendances récentes.

Tableau 4

Solde migratoire (en milliers) nécessaire à la réalisation des divers scénarios, Canada 2005-2056

Solde migratoire (en milliers) nécessaire à la réalisation des divers scénarios, Canada 2005-2056
Sources : projections spéciales réalisées par la Division de la démographie de Statistique Canada.

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Un nombre d’immigrants plus élevé que pour maintenir la population à son maximum serait nécessaire pour stabiliser les effectifs de la population âgée de 15 à 64 ans. Cela résulte de la sortie prochaine des baby-boomers de cette catégorie d’âge et de l’arrivée de classes moins nombreuses à l’entrée de celle-ci. Néanmoins, les jeunes générations qui arrivent à l’âge de 15 ans sont pour quelques années encore supérieures en nombre à celles qui atteignent 65 ans et cela demeurera vrai d’ici à ce que les premiers baby-boomers nés en 1946 atteignent cet âge, soit en 2011-2012. Là encore, les effectifs d’immigrants que devrait recevoir le Canada pour atteindre cet objectif ne sont pas plus élevés que ceux observés depuis 1989 ou que ceux projetés dans le scénario moyen. En effet, un solde migratoire international annuel moyen de 161 000 personnes sur les cinquante prochaines années permettrait au Canada de maintenir la taille de sa population en âge de travailler. Ce solde est près de 25 % inférieur à celui projeté dans le scénario moyen. En fait, au cours du prochain demi-siècle, il n’y a que quelques années (entre 2022 et 2029 ainsi qu’après 2048) où le solde migratoire nécessaire pour assurer que la taille de la population âgée de 15 à 64 ans ne diminue pas devrait être supérieur à celui de l’année correspondante dans le scénario moyen. Le nombre d’immigrants du scénario moyen étant basé sur une projection des tendances des quinze dernières années, nous pouvons affirmer que les niveaux actuels, s’ils étaient maintenus dans le futur, seraient suffisants pour assurer, non seulement que les effectifs de travailleurs potentiels se maintiennent, mais aussi que ceux-ci augmentent. Si à cette conclusion purement démographique, on ajoute celle de l’étude de Martel et al. (2007) qui montre que les taux d’activité augmentent depuis longtemps chez les femmes et depuis au moins l’an 2000 chez les hommes, on peut conclure que des taux d’immigration de l’ordre de ceux que connaît le Canada sont amplement suffisants pour assurer une croissance du nombre des actifs dans ce pays.

Par contre, l’immigration ne saurait être une solution au processus de vieillissement démographique inéluctable dans lequel le pays est déjà engagé. En effet, assurer le maintien du rapport de cinq personnes en âge actif pour une personne âgée de 65 ans ou plus nécessiterait un solde migratoire annuel moyen de 3,4 millions de personnes. La population canadienne se multiplierait par sept sur cinquante ans atteignant 220,7 millions de personnes en 2056, alors que le scénario moyen ne prévoit qu’une croissance d’environ 30 % de la population durant cette période. En fait, un tel objectif crée un effet de spirale infinie, les immigrants vieillissent eux aussi, de ce fait, ils entraînent dans le futur un apport encore plus grand de nouveaux arrivants nécessaires au maintien du rapport de dépendance fixe. Ainsi, selon cette simulation, le solde migratoire nécessaire au maintien du rapport de dépendance atteindrait un million dès 2011, il dépasserait les deux millions en 2020 pour atteindre 2,6 millions par an en 2025. Ce solde décroît légèrement entre 2025 et 2031 sous l’effet de l’accroissement du nombre de décès chez les 65 ans ou plus, les premières générations de baby-boomers atteignant alors 80 ans et devenant sujettes à des taux de mortalité de plus en plus élevés, le ratio se maintient durant cette période sans que le solde migratoire n’ait à augmenter. Après 2031, l’augmentation du solde migratoire nécessaire au maintien du rapport de dépendance s’accélère à nouveau, de 2,0 millions en 2032, ce solde devrait passer à 3,0 en 2038, 4,0 millions en 2041, 5,0 millions en 2043 et augmente d’un million tous les trois ans pour dépasser les 9,0 millions par an en 2056 !

Par ailleurs, si le taux d’immigration augmentait à 1 %, le solde migratoire annuel moyen serait de 340 000 personnes pour les cinquante prochaines années, tandis que la population du pays atteindrait cinquante millions en 2056. Dans un tel scénario, la population projetée atteindrait 42,3 millions en 2031, puis 50,3 millions en 2056, les effectifs âgés de 15 à 64 ans passeraient quant à eux de 22,6 millions en 2005 à 26,7 millions en 2031 et à 30,7 millions en 2056.

Une augmentation de la fécondité à 2,1 enfants par femme ferait aussi automatiquement augmenter le nombre d’immigrants dans cette simulation puisque le modèle suppose un taux d’immigration constant et que la population croîtrait plus rapidement que dans le scénario moyen. Néanmoins, les soldes migratoires demeureraient inférieurs à ceux projetés dans la simulation à 1 %. Selon la simulation où la fécondité serait de 2,1 enfants par femme, la population atteindrait 42,4 millions en 2031 et 52,1 millions en 2056 et serait légèrement supérieure à celle atteinte selon la simulation de l’immigration à 1 %. La population âgée de 15 à 64 ans augmenterait de son côté pour atteindre 25,5 millions en 2031 et 30,9 millions en 2056. De la comparaison de ces deux simulations, nous pouvons conclure qu’à moyen et long terme une hausse de la fécondité qui atteindrait le seuil de remplacement des générations aurait à peu près le même effet, tant sur les effectifs totaux que sur les effectifs en âge de travailler, qu’une augmentation des taux d’immigration au niveau de 1 % par an. Cela pose donc une véritable alternative en matière de politique de population : intensifier encore les flux d’immigration ou inverser la basse fécondité canadienne.

Résultats au niveau provincial et territorial

Les tableaux de cette section présentent le solde migratoire (tableau 5) qu’impliquerait l’atteinte de ces divers objectifs et les résultats en termes de population totale et de sa répartition régionale (tableau 6), de population en âge de travailler (tableau 7) et de ratio des actifs aux personnes âgées (tableau 8) pour les provinces et territoires. Ces résultats sont présentés pour l’ensemble de la période de projections ou pour les années 2031 et 2056, selon le cas. Une période de cinquante ans permet d’amplifier les conséquences démographiques des différentes simulations, mais un demi-siècle est bien long, même pour des projections démographiques. C’est pourquoi il est apparu utile d’analyser les résultats sur deux périodes de vingt-cinq ans séparément.

Les conclusions émises pour l’ensemble canadien dans la section précédente se répètent pour tous les territoires et les provinces : les soldes migratoires à l’horizon 2056 nécessaires au maintien de la population totale ou au maintien de la population en âge de travailler atteignent dans toutes les provinces des niveaux qui apparaissent raisonnables, en comparaison avec les niveaux observés en 2005 ou ceux projetés selon le scénario moyen (tableau 5).

Tableau 5

Solde migratoire (en milliers) annuel moyen 2005-2056 selon divers scénarios, Canada, provinces et territoires, 2005, 2031 et 2056

Solde migratoire annuel moyen

Solde migratoire annuel moyen

Solde migratoire 2031

Solde migratoire 2031

Solde migratoire 2056

Solde migratoire 2056

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L’Ontario, province qui reçoit la plus grande proportion des immigrants admis au pays (Citoyenneté et Immigration Canada, 2007), verrait sa population croître plus rapidement que les autres provinces si l’immigration devait augmenter et que toutes les autres hypothèses du changement démographique demeuraient inchangées. En 2005, cette province comptait 38,9 % de la population canadienne. Cette proportion augmente selon toutes les simulations à l’exception de celle où l’on ne suppose aucune migration internationale. Selon le scénario moyen, l’Ontario compterait 41,3 % et 43,2 % de la population canadienne en 2031 et 2056 respectivement. À l’horizon 2056, tout comme pour 2031, cette proportion serait inférieure à ce niveau dans le cas des simulations ayant pour objectif de maintenir la population totale ou la population en âge de travailler, mais atteindrait 46,7 % et 49,4 % en 2031 et 2056 respectivement dans le cas de la simulation ayant pour objectif de maintenir le rapport de dépendance. Selon cette dernière simulation, la population de cette province atteindrait quelque 110 millions de personnes en 2056. Les 12,5 millions de personnes qu’elle comptait en 2005 seraient multipliées par un facteur de 8,7 sur cinquante ans.

La Colombie-Britannique profite surtout de gains importants au niveau de la migration interprovinciale et, par rapport à 2005, son poids démographique augmenterait selon toutes les simulations, y compris la simulation sans aucune immigration. Sa croissance démographique serait modérément favorisée par une augmentation de l’immigration, de même son poids démographique augmenterait légèrement avec les niveaux d’immigrants projetés. En 2005, cette province comptait 13,2 % de l’ensemble canadien. Ce pourcentage augmenterait à un maximum de 15,3 % en 2056 selon la simulation ayant pour objectif de maintenir le rapport de dépendance et serait d’environ 14 % dans tous les autres cas.

Le Québec est, selon les années, la province qui reçoit le deuxième ou troisième plus important groupe d’immigrants au Canada. Par contre, le Québec a historiquement reçu et continue à recevoir une part de l’ensemble des immigrants inférieure à son poids démographique au sein de la Confédération. Il s’ensuit que plus l’immigration canadienne augmente plus le poids démographique du Québec diminue. En 2005, 23,5 % de la population canadienne habitait la province de Québec. De toutes les simulations présentées au tableau 6, cette proportion atteindrait un minimum si l’immigration devait augmenter au niveau requis pour assurer le maintien du rapport de dépendance des personnes âgées. À l’opposé, son poids démographique est supérieur à celui atteint dans le scénario moyen dans toutes les simulations où les niveaux d’immigration sont plus faibles. Néanmoins, le poids démographique de cette province diminue par rapport à celui de 2005 dans toutes les simulations, y compris celles où le nombre d’immigrants est inférieur à celui du scénario moyen, les autres composantes démographiques jouant, elles aussi, un rôle dans la diminution du poids démographique du Québec. Les hypothèses du scénario moyen ont été établies à partir des tendances observées avant 2005 alors que la fécondité du Québec était depuis longtemps inférieure à celle du reste du pays, que l’espérance de vie y était légèrement plus faible et que le solde migratoire interne était négatif. Les projections génèrent donc proportionnellement moins de naissances et plus de décès au Québec qu’ailleurs au Canada, ainsi qu’un solde migratoire interprovincial négatif. Le Québec n’est pas la seule province dans laquelle le poids démographique diminue par rapport à 2005. Dans toutes les simulations, à l’exception du scénario prévoyant une fécondité à 2,1 enfants par femme pour le Manitoba, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut, les poids démographiques des provinces atlantiques, du Manitoba, de la Saskatchewan et des trois territoires sont plus faibles à l’horizon 2056 qu’en 2005. Ces régions présentent généralement des soldes migratoires interprovinciaux négatifs.

Tableau 6

Population (en milliers) selon divers scénarios, Canada, provinces et territoires, 2005, 2031 et 2056

2031

2031

2056

2056

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Le poids démographique de l’Alberta dans l’ensemble canadien augmente par rapport à 2005 dans toutes les simulations à l’exception de la simulation où l’objectif est de maintenir le rapport de dépendance. Malgré des flux migratoires interprovinciaux qui lui sont favorables et une fécondité plus forte que la moyenne canadienne, les niveaux d’immigration projetés dans cette simulation, associés à la concentration des nouveaux arrivants en Ontario et en Colombie-Britannique font en sorte que la croissance démographique est plus forte dans ces deux provinces qu’en Alberta. On remarque aussi que la simulation qui se traduit par la plus forte proportion de la population canadienne habitant l’Alberta à l’horizon 2056 est celle où la migration internationale est nulle. Ceci illustre bien que la croissance démographique de cette province résulte davantage d’une fécondité plus élevée et, surtout, d’un solde migratoire interprovincial favorable que de ses gains au niveau de l’immigration internationale.

Les variations des niveaux d’immigration affectent moins la structure par âge d’une population que la taille de celle-ci, mais ne sont pas sans générer des vitesses de vieillissement différentielles. Près de la moitié des immigrants reçus chaque année sont âgés entre 25 et 44 ans (Citoyenneté et Immigration Canada, 2007). La forte proportion des nouveaux arrivants qui sont en âge actif favorise donc dès leur arrivée au Canada la croissance de la population en âge de travailler. Par rapport aux effectifs de 2006, le scénario moyen des projections démographiques laisse entrevoir une diminution de la taille de la population en âge de travailler dans toutes les provinces à l’est de l’Ontario, en Saskatchewan et au Yukon (tableau 7). À l’horizon 2056, les diminutions seraient de près de 20 % ou plus dans les provinces atlantiques et en Saskatchewan. Terre-Neuve-et- Labrador serait la province la plus affectée avec une diminution de 28 % de la taille de sa population en âge de travailler. Au Québec, la diminution serait de 7 % et au Yukon de 5 %. Selon ce scénario, la population en âge de travailler serait en 2056 supérieure à celle de 2006 en Ontario (26 %), en Colombie-Britannique (23 %) en Alberta (17 %) au Manitoba (8 %) et dans les deux autres territoires.

Tableau 7

Population en âge de travailler (,000) selon divers scénarios, Canada, provinces et territoires, 2006, 2031 et 2056

2031

2031

2056

2056

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Sans migration internationale, toutes les provinces et tous les territoires verraient leurs effectifs de population en âge de travailler décliner d’ici 2056. La chute serait de l’ordre de 30 % ou plus dans toutes les provinces, sauf en Colombie-Britannique (? 23 %) et en Alberta (? 16 %), les deux provinces les plus favorisées par la migration interne. Des niveaux d’immigration suffisants pour empêcher le déclin démographique à l’échelle nationale se traduiraient par une diminution des effectifs de la population en âge de travailler dans toutes les provinces et au Yukon d’ici 2031. Une immigration suffisante pour maintenir la taille de la population en âge de travailler au niveau national se traduirait par une diminution de celle-ci dans une majorité de provinces. Dans un tel scénario, seuls la Colombie-Britannique, l’Ontario et l’Alberta ainsi que deux des trois territoires verraient leur population âgée de 15 à 64 ans s’accroître entre 2006 et 2031. Cette conclusion demeure vraie à plus long terme (2056). Si la répartition des nouveaux immigrants demeurait inchangée, un taux d’immigration de 1 % permettrait d’augmenter la population en âge de travailler dans cinq des dix provinces, alors qu’une augmentation de la fécondité au niveau du seuil de remplacement des générations entraînerait partout une augmentation de la population en âge de travailler entre 2006 et 2056, sauf à Terre-Neuve-et-Labrador où celle-ci déclinerait de 9 % et au Nouveau-Brunswick où la variation serait, à toutes fins pratiques, nulle.

Le tableau 8 compare les rapports de la population en âge de travailler aux personnes âgées de 65 ou plus pour 2031 et 2056 selon les divers scénarios. En 2006, ce rapport était de 5,3 pour le Canada et variait dans les provinces entre 4,8 en Nouvelle-Écosse et 6,6 en Alberta. Les territoires ont une population plus jeune et ce rapport y est plus élevé que dans les provinces, dépassant le 10 pour un dans les trois territoires et atteignant même 47 pour un au Nunavut. Selon le scénario moyen, ce rapport s’établirait à 2,6 et à 2,2 au Canada en 2031 et en 2056, respectivement. Il diminuerait ensuite partout et serait, en 2031, inférieur à trois travailleurs potentiels pour chaque personne âgée dans toutes les provinces. À l’horizon 2056, il varierait entre 1,7 à Terre-Neuve-et-Labrador et 2,3 en Alberta, si on fait abstraction des territoires. Dans toutes les simulations, sauf la simulation ayant pour objectif de maintenir ce rapport au niveau de 2006, toutes les provinces verraient ce rapport diminuer de manière importante entre 2006 et 2031, et encore plus à l’horizon 2056. Une augmentation ou une diminution des niveaux d’immigration pour atteindre les différents objectifs des simulations ne ferait varier de façon substantielle le rapport démographique des actifs potentiels aux personnes âgées dans aucune province ou territoire. Que le solde migratoire du Canada se situe à 75 000 personnes par an en moyenne pour les cinquante prochaines années (simulation permettant de maintenir les effectifs de la population totale) ou que ce solde soit multiplié par un facteur de 4,5 pour atteindre 340 000 immigrants par an en moyenne (simulation de l’immigration à 1 %), le rapport des effectifs d’actifs potentiels aux effectifs de personnes âgées de 65 ans ou plus diminuerait partout d’au moins de moitié entre 2006 et 2056.

Tableau 8

Rapport de la population en âge de travailler (15-64 ans) à la population âgée (65 +) selon divers scénarios, Canada, provinces et territoires, 2006, 2031 et 2056

2031

2031

2056

2056

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Discussion

La comparaison des résultats du scénario moyen à ceux des simulations estimant le solde migratoire nécessaire pour assurer que la population totale ou que la population en âge de travailler ne diminue pas montre que les niveaux d’immigration que connaît le Canada depuis près de vingt ans sont suffisants pour assurer la croissance démographique et même la croissance de la population en âge de travailler à court, moyen et même long terme. Contrairement à plusieurs pays européens, les hypothèses du scénario moyen des dernières projections démographiques canadiennes ne se traduisent pas par un déclin démographique. Cela est vrai au niveau national et pour une majorité de provinces et de territoires. La population du Canada pourrait augmenter de 20 % d’ici 2031 et d’un peu plus de 30 % d’ici 2056, si les hypothèses du scénario moyen devaient se concrétiser. Les croissances projetées de la population de l’Ontario, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique seraient encore plus élevées. Si quelques provinces pouvaient voir leur population culminer au cours du prochain demi-siècle, seules celles de Terre-Neuve-et-Labrador et de la Saskatchewan pourraient voir la leur diminuer en 2031 à un niveau inférieur à celui de 2005. Même pour ces provinces, le déclin serait de moins de 2 % sur vingt-cinq ans. À l’horizon 2056, le Nouveau-Brunswick s’ajouterait à ces deux provinces et le déclin de la population totale serait respectivement de 8 %, 4 % et 3 % sur cinquante ans par rapport à 2005 pour Terre-Neuve-et-Labrador, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick. Même dans le cas de Terre-Neuve-et-Labrador, les conséquences économiques qui résulteraient d’une population affichant une diminution de cet ordre de grandeur seraient gérables et pourraient être positives (Grant, 2001 ; Meyerson, 2001).

Si l’immigration internationale peut permettre au pays dans son ensemble de maintenir la croissance de sa main-d’oeuvre en dépit d’une fécondité insuffisante pour assurer le remplacement des générations, elle ne saurait l’assurer au niveau des provinces et des régions sans que la répartition géographique des immigrants se diversifie. Dans le cas de Terre-Neuve-et-Labrador, une des provinces vieillissant le plus rapidement mais aussi une de celles les moins favorisées par la répartition géographique des nouveaux arrivants, les actifs potentiels y diminueraient de 32 % d’ici 2056 même si au niveau national l’immigration était suffisante pour maintenir la taille de la population en âge de travailler. Les autres provinces atlantiques verraient leur population en âge de travailler diminuer de 16 à 26 %, la baisse serait de 21 % en Saskatchewan et de 13 % au Québec. Clairement, pour un ensemble de provinces et de territoires, la répartition géographique des nouveaux arrivants a des conséquences plus grandes sur la croissance future de leur population en âge de travailler que la taille de la cohorte admise chaque année. Le fait d’accroître les niveaux d’immigration sans modifier la répartition géographique des immigrants contribuerait à accélérer la croissance de certaines régions, en particulier les grands centres métropolitains, mais aurait peu d’effet sur les régions qui attirent peu d’immigrants. Les résultats des simulations analysées dans la présente étude corroborent ceux de Matthews (2006) à ce sujet.

La diversification de la répartition géographique des immigrants est possible, d’autant qu’elle peut bénéficier des dispositions existantes de la Loi sur l’immigration. Ainsi, le nombre de résidents permanents reçus à titre de candidat dans les provinces ou les territoires a augmenté rapidement depuis 2001, passant de 1 275 à 22 418 en 2008 (Citoyenneté et Immigration Canada, 2009). Au cours de cette période, la proportion des résidents permanents s’établissant en Ontario passait de 59,3 % à 45,0 %. Alors que le nombre d’immigrants s’installant dans la province centrale du pays diminuait, il augmentait dans toutes les autres provinces. Le nombre de ceux qui choisissaient de s’installer au Manitoba, par exemple, a plus que doublé passant de quelque 4 600 personnes en 2001 à plus de 11 200 en 2008. Il semble donc que la concentration des immigrants pourrait s’atténuer avec le temps.

Par ailleurs, une hausse possible de la fécondité pourrait aussi contribuer à alléger les conséquences du départ à la retraite des cohortes nombreuses du baby-boom sur la population active. Cependant, à 1,5 enfant par femme, la fécondité des Canadiennes est à un seuil critique en deçà duquel certains auteurs considèrent qu’une hausse de la fécondité devient de moins en moins envisageable (Lutz et Skirbekk, 2005 ; Rindfuss et al., 2004). En comparaison, les indices de fécondité de plusieurs pays européens ainsi que des États-Unis sont plus élevés que l’indice canadien, mais plusieurs de ces indices se sont relevés après avoir connu des niveaux semblables à celui du Canada. De plus, l’indice synthétique de fécondité est influencé à la baisse par un changement de calendrier, par exemple la tendance à reporter la naissance d’un enfant qu’occasionne l’allongement des études. Tôt ou tard, l’âge moyen à la maternité cessera d’augmenter, il n’est donc pas impossible de voir la fécondité se redresser. Des politiques favorables à la conciliation famille-travail pourraient aussi agir en ce sens. Ainsi, la fécondité s’est fortement redressée au Québec à la suite de l’instauration d’un programme de congés parentaux plus généreux haussant l’indice synthétique de fécondité du Québec à 1,74 enfant par femme en 2008. Il dépasserait donc maintenant l’indice des autres provinces du Canada, alors qu’il était le plus faible depuis 1960. Rappelons qu’au niveau national, une hausse de la fécondité à 2,1 enfants par femme produirait des résultats similaires à une hausse de 1 % du taux d’immigration, que ce soit en termes de population totale ou de population en âge de travailler. Par contre, au niveau provincial, une hausse de la fécondité, plutôt qu’une augmentation de l’immigration sans modification de la répartition géographique des nouveaux arrivants, permettrait d’accroître la population totale et la population en âge de travailler dans un plus grand nombre de provinces.

L’arrivée imminente des générations nombreuses du baby-boom à l’âge de 65 ans ralentira la croissance des effectifs en âge de travailler, sans pour autant créer une décroissance de ceux-ci. Si le scénario moyen projette que le segment de la population en âge de travailler pourrait être en 2031 supérieur de 7 % à ses effectifs estimés en 2005, cette croissance serait inférieure à celle de la population totale et surtout à celle de la population âgée de plus de 65 ans où se retrouveront, à cette date, les baby-boomers. La population âgée de 65 ans ou plus pourrait, en effet, plus que doubler au cours de la même période.

Une partie des effets des changements démographiques sur les futurs effectifs d’actifs pourrait être amenuisée par la hausse des taux d’activité. Au Canada, ces taux augmentent depuis l’an 2000 chez les hommes de cinquante ans ou plus, tandis qu’ils augmentent depuis trente ans chez les femmes pour presque tous les groupes d’âge. Cette dernière augmentation s’explique par le fait que les jeunes générations féminines ont un comportement sur le marché du travail différent de celles qui les ont précédées. Une continuation de cette tendance apparaît plausible à moyen terme surtout étant donné que l’évolution démographique devrait créer une rareté relative de la main-d’oeuvre par rapport aux années 1980 ou 1990. Cette rareté relative pourrait influencer à la hausse les salaires et ainsi inciter un plus grand nombre de personnes en fin de carrière à demeurer actives quelques années de plus (Keely, 2001 ; Grant 2001). Les projections de la population active (Martel et al., 2007) montrent que si les taux d’activité continuaient d’augmenter au même rythme qu’au cours des dernières années, et ce, pendant encore cinq ans, la population active[2] augmenterait de 16 % entre 2005 et 2031. Le nombre d’actifs pourrait donc augmenter à un rythme plus de deux fois plus rapide que le nombre de personnes en âge de travailler, illustrant l’importance de considérer d’autres facteurs que les seuls facteurs démographiques dans l’analyse des conséquences du vieillissement sur l’offre de main-d’oeuvre.

Finalement, notons que toutes ces simulations sont réalisées à partir d’hypothèses spécifiques faites au niveau provincial, elles ne tiennent pas compte des comportements différentiels des immigrants et de leurs descendants. La fécondité des immigrantes est plus élevée, mais converge rapidement vers celle des non-immigrantes (Ng et Nault, 1997 ; Bélanger et Gilbert, 2007). Les immigrants ont aussi une plus faible mortalité (Chen et al., 1996), au moins dans les premières années suivant leur arrivée. Ils sont plus mobiles que les Canadiens de naissance, mais tendent à migrer vers les régions où ils sont déjà nombreux, favorisant actuellement l’Ontario et la Colombie-Britannique (Newbold, 1996 ; Bélanger, 1993). En somme, les comportements démographiques des immigrants tendent à accroître leur concentration géographique. La migration interne est la composante démographique la plus importante à ce niveau, toutefois, la direction de ces flux peut changer rapidement sous l’effet des conditions économiques et du marché de l’emploi de chaque province. Il serait utile de mettre à jour et d’élargir les études sur le sujet à l’aide des données des recensements récents qui permettent l’analyse des comportements migratoires de la seconde génération d’immigrants.

Conclusion

Le vieillissement démographique est inéluctable. Il est déjà inscrit dans la structure par âge de la population. Le passage des cohortes nombreuses du baby-boom au-delà de 65 ans ralentira la croissance des effectifs d’actifs potentiels et, corollairement, accélérera celle de la population âgée de 65 ans ou plus. Le rapport des personnes âgées aux personnes d’âge actif déclinera au Canada et dans toutes ses provinces, même si les niveaux d’immigration augmentaient substantiellement. L’immigration à elle seule ne peut permettre de maintenir ce rapport au niveau actuel, par ailleurs historiquement élevé. En revanche, le Canada est dans une situation favorable par rapport à plusieurs pays européens. Comme les États-Unis, le Canada a déjà des niveaux d’immigration qui lui permettent d’assurer sa croissance démographique future et même une croissance de sa population active, quoiqu’à un rythme plus modeste que par le passé.

L’immigration fait partie d’un ensemble de mesures qui permettront de faire face aux défis résultant de l’évolution démographique. Plusieurs autres mesures doivent aussi être envisagées de concert avec la planification des niveaux d’immigration et le développement d’initiatives permettant une répartition spatiale plus diversifiée des nouveaux arrivants : intégration des immigrants au marché du travail, mais aussi des natifs traditionnellement exclus de celui-ci (bénéficiaires de l’aide sociale, autochtones, décrocheurs scolaires) ; politiques permettant une meilleure conciliation entre les obligations du travail et celles de la famille ; augmentation de la productivité par des investissements en capital et en capital humain (éducation, formation permanente et perfectionnement). De telles mesures sont non seulement souhaitables mais s’avèrent nécessaires pour assurer que la population canadienne continue de jouir du niveau de vie élevé qu’elle connaît.