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Qui est autochtone au Canada ? La réponse à cette question conditionne les activités de dénombrement, d’analyse et de suivi de ces populations et de leurs caractéristiques. Le mot Autochtone[1] désigne tantôt toutes les personnes d’origine indienne, métisse ou inuite, tantôt seulement celles ayant le statut légal d’Indien. Il peut être question de personnes d’identité indienne, métisse ou inuite, de membres des Premières nations, ou encore des résidents des réserves indiennes, des établissements métis ou des communautés inuites. Aucune définition des populations autochtones ne fait l’unanimité au Canada (Siggner et coll., 2001).

Les Autochtones se définissent eux-mêmes de plusieurs façons. Un point est clair cependant. Ils rejettent l’idée qu’ils forment un seul groupe ethnique homogène. Ils se définissent Inuit, Métis ou Indiens (Premières nations). Et chez ces derniers, l’appartenance à une nation spécifique — par exemple, Cri, Mohawk, Algonquin — est plus qu’une simple précision de nature anthropologique : il s’agit de leur identité culturelle et sociale. Il existe au Canada entre 60 et 80 nations autochtones (CRPA, 1996, vol. 2, partie I, chap. 3, sect. 2.2), dont dix Premières nations et une nation inuite en territoire québécois.

En théorie, le choix d’une définition des populations autochtones pour une analyse démographique devrait être soumis à toutes sortes de considérations d’ordre historique, légal, géographique, politique et culturel. Dans la pratique cependant, ce choix s’effectue généralement à l’intérieur des limites fixées par les sources de données disponibles. Dès lors, il devient essentiel avant d’entreprendre une analyse démographique des populations autochtones du Canada de bien saisir la signification des concepts utilisés dans la statistique canadienne, de comprendre comment ils sont liés les uns aux autres, et surtout de réaliser comment la préférence pour un concept plutôt qu’un autre a un impact sur les résultats de l’analyse elle-même.

L’objectif de cet article est triple. Il consiste d’abord à passer en revue les principaux indicateurs d’appartenance autochtone susceptibles d’être utilisées dans le cadre d’une analyse démographique : (a) l’origine ethnique, (b) l’identité ethnique, (c) le statut légal d’Indien et (d) l’appartenance à une bande indienne ou Première nation. Cette revue est suivie d’une analyse comparative des effectifs de population en fonction de ces définitions — la plupart étant prises en compte dans le recensement canadien — puis d’une discussion, avec chiffres à l’appui, des effets du choix d’une définition sur l’analyse de caractéristiques démographiques et de conditions socioéconomiques.

Revue des définitions et concepts

Définition basée sur l’origine

L’origine ethnique a été jusqu’au début des années 1990 la caractéristique ethnoculturelle utilisée au Canada pour définir les groupes autochtones, en estimer la population et en évaluer les conditions de vie. Cette notion renvoie au passé des individus, à leurs ancêtres. Intuitivement, on pourrait définir les Autochtones comme tous les descendants des populations qui habitaient l’Amérique à l’arrivée des premiers Européens aux xvie et xviie siècles (Robitaille et Choinière, 1987). Intéressante sur le plan conceptuel, cette définition a toutefois peu d’intérêt dans le cadre d’une étude démographique. La généalogie complète de l’ensemble de la population canadienne n’est pas disponible et les déclarations d’origine recueillies lors de recensement et d’enquête sont le reflet des compétences généalogiques et des préférences des répondants, lesquelles varient d’une personne à l’autre et même parfois d’un recensement à l’autre pour une même personne.

Dans les faits, toute question sur l’origine ethnique peut aussi être interprétée de trois autres façons (Lieberson et Waters, 1988) :

  • D’après cette personne, quelles sont ses origines ?

  • À quelle(s) origine(s) cette personne s’identifie-t-elle ?

  • Quelle(s) origine(s) les autres (p. ex., personne, communauté, nation, État) attribuent-elles à cette personne ?

La première de ces trois interprétations renvoie toujours aux origines ancestrales de la personne, même si elle n’a pas la même objectivité que l’interprétation précédente. Toutefois, avec les deux dernières interprétations, on voit poindre un tout autre concept : l’identité ethnique. Ainsi, l’information disponible sur l’origine ethnique combine et confond deux concepts : certaines personnes présentent leurs origines ancestrales lorsqu’elles sont interrogées à propos de leur origine ethnique, d’autres donnent plutôt leur identité ethnique (Alba, 1990 ; Kralt, 1990 ; DeVries, 1985, 1990).

Il faut donc être conscient qu’en utilisant l’origine ethnique pour définir l’appartenance aux groupes autochtones, on obtient un amalgame :

  • ceux qui déclarent une origine autochtone (p. ex., Indien) et qui s’identifient à ce groupe autochtone ;

  • ceux qui déclarent une origine autochtone mais qui s’identifient à un autre groupe autochtone (p. ex., origines mixtes indienne et non autochtone jumelées à une identité métisse) ;

  • ceux qui déclarent des origines autochtones, mais qui ne s’identifient pas à un groupe autochtone ;

  • ceux sans origine autochtone, mais qui s’identifient à un groupe autochtone.

De cet univers se trouvent exclus les gens qui, volontairement ou non, ne déclarent pas d’origine autochtone malgré l’existence d’ancêtre(s) autochtone(s).

Exception faite de 1891, tous les recensements canadiens depuis 1871 ont dénombré les populations autochtones du Canada par l’entremise d’une question sur l’origine ethnique. On constate à la lecture des questionnaires de recensement et des instructions aux agents recenseurs et aux répondants que le mode de détermination de l’origine autochtone a, au fil des années, beaucoup évolué (Guimond, 2009 ; Goldmann, 1993 ; Kralt, 1990 ; Demers, 1979). Ces changements ont été presque aussi réguliers que l’exercice du recensement et ont porté très souvent sur plus d’un aspect à la fois : (a) la terminologie employée pour désigner le concept d’origine ; (b) la terminologie désignant les groupes autochtones ; (c) les critères utilisés pour déterminer l’origine autochtone et (d) la formulation de la question. Le tableau I en annexe présente un résumé de ces changements.

Tous ces éléments de rupture ne sont évidemment pas sans conséquence pour l’analyse démographique des populations autochtones définies selon l’origine. Ainsi, pour l’origine indienne de l’Amérique du Nord, on dispose de quatre séries distinctes de données comparables : 1871-1881, 1911-1931, 1951-1971 et 1986-2006. Pour les Inuit, les données sont comparables sur trois périodes : 1921-1931, 1951-1971 et 1986-2006. Enfin, pour les Métis, on ne dispose que d’une seule série de données comparables, celle de 1986-2006 (Guimond, 2009). En dépit des nombreux changements au mode détermination de l’appartenance autochtone dans le recensement canadien, les données de population semblent cohérentes (figure 1). En 2006, 1 678 235 personnes ont déclaré au moins une origine autochtone au Canada, dont 264 195 (15,7 %) au Québec.

Figure 1

Population d’origine autochtone, Canada, 1871-2000

Population d’origine autochtone, Canada, 1871-2000

Note : Les losanges, triangles, carrés et cercles représentent les quatre périodes pour lesquelles les données sont comparables.

Source : Statistique Canada, recensements de la population de 1871 à 2001

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Définition basée sur l’identité

L’identité ethnique, ou plus précisément l’auto-identification à un groupe ethnique peut aussi être employée pour définir l’appartenance aux groupes autochtones. L’identité ethnique est un indicateur subjectif de l’appartenance ethnique d’un individu. Compte tenu de l’inefficacité des indicateurs objectifs d’appartenance pour cause d’acculturation et de métissage, l’identité ethnique constituerait un des meilleurs indicateurs d’appartenance ethnique disponibles (Alba, 1990 ; Barth, 1969). Autant ce concept se révèle être d’une grande pertinence pour définir l’appartenance ethnique et, plus particulièrement dans le cas présent l’appartenance aux groupes autochtones, autant les organismes nationaux de statistiques sont hésitants à l’employer, en raison de son caractère subjectif (Lieberson 1993).

Une première tentative de saisie de cette information a eu lieu lors du recensement de la population de 1986, l’objectif ayant été d’améliorer le dénombrement des populations autochtones du Canada (Statistique Canada, 1989, 39). Ces premières données sur l’identité autochtone n’ont jamais fait l’objet d’une diffusion officielle. Des évaluations de la qualité des données ont révélé une mauvaise compréhension de l’objectif de la question, ainsi qu’une méconnaissance de la terminologie, en particulier du terme Inuit (Crégheur, 1988). Une question revue et corrigée sur l’identité autochtone a été réintroduite lors du recensement de 1996, et répétée lors des deux exercices suivants. En 2006, 1 146 025 personnes au Canada se sont identifiées comme indiennes de l’Amérique du Nord, métisses et/ou inuites, 104 975 (9,2 %) au Québec. Il est à noter que l’effectif officiel de la population d’identité autochtone au recensement de 2006 publié par Statistique Canada s’élève à 1 172 790 personnes. Ce chiffre est basé sur une définition « hybride » de l’identité autochtone qui comprend également les répondants qui ne se sont pas identifiés à un groupe autochtone, mais ont déclaré soit être Indien inscrit conformément à la Loi sur les Indiens du Canada, soit être membre d’une bande indienne ou d’une Première nation (Statistique Canada, 2007).

Définition basée sur le statut légal d’Indien

Au Canada, comme dans d’autres pays où habite une population autochtone (Lee, 1990), l’État cherche à circonscrire par voie légale le concept d’Autochtone. Cette législation a modelé les rapports qu’entretiennent les Autochtones avec le reste de la société canadienne et, en fin de compte, a modifié la manière dont les Autochtones se définissent eux-mêmes.

L’article 35 de la Loi constitutionnelle du Canada de 1982 reconnaît pour l’ensemble du territoire canadien trois peuples autochtones, les Indiens, les Métis et les Inuit, sans pour autant les définir précisément. La Loi sur les Indiens définit explicitement un sous-ensemble particulier, les Indiens avec statut (aussi appelés Indiens inscrits[2]), c’est-à-dire les personnes admissibles à l’inscription au Registre des Indiens[3]. Les Indiens sans statut sont de ce fait les personnes qui s’identifient comme indiennes, mais qui ne sont pas admissibles à l’inscription au Registre en vertu de la Loi sur les Indiens. Pour les Métis[4] et les Inuit, il n’existe pas d’équivalent à la Loi sur les Indiens du Canada qui les définisse explicitement.

La Loi sur les Indiens définit certaines obligations du gouvernement fédéral et établit les paramètres liés à la gestion des terres réservées pour les bandes indiennes (c.-à-d., les réserves indiennes), à l’argent des Indiens inscrits et à d’autres ressources. Elle stipule notamment que le ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada est chargé d’administrer les terres indiennes et certains fonds qui appartiennent aux Indiens inscrits, et qu’il est responsable d’approuver ou de révoquer les règlements administratifs établis par les conseils de bande (http://www.ainc-inac.gc.ca/ap/tln-fra.asp, consulté le 6 avril 2009). La première version de la Loi sur les Indiens de l’ère confédérative date de 1876 (Savard et Proulx, 1982). Depuis, le gouvernement fédéral y a apporté plusieurs modifications[5], mais pour certains observateurs l’objectif initial de cette loi n’a pas changé et demeure l’assimilation des Premières nations (Dickason, 1996, 283). Les derniers amendements majeurs à la Loi sur les Indiens ont eu lieu en 1985. Contrairement aux amendements précédents, ceux effectués en 1985, également connus sous le nom de projet de loi C-31, ont eu pour but d’éliminer plusieurs règles d’exclusion discriminatoires des précédents textes de la Loi sur les Indiens, plus particulièrement celles fondées sur le sexe[6]. Depuis le 16 avril 1985, les personnes répondant à l’un ou l’autre des critères énumérés aux paragraphes 6(1) et 6(2) de la loi[7], résumés ci-dessous, sont éligibles à l’inscription au Registre des Indiens.

  • Paragraphe 6(1)

    1. Toute personne avec le statut d’Indien ou ayant droit à ce statut avant le 17 avril 1985 ;

    2. Toute personne faisant partie d’une bande nouvellement reconnue ;

    3. Toute personne : (i) ayant perdu son statut d’Indienne par son mariage à un non-Indien ; (ii) ayant perdu son statut d’Indien par suite du mariage de sa mère avec un non-Indien ; (iii) rayée du Registre des Indiens à la suite de contestations à propos du statut de son père ; (iv) rayée du registre sur la base de l’article de la double mère ;

    4. Toute personne ayant volontairement abdiqué son droit à l’inscription au Registre des Indiens ;

    5. Toute personne qui, avant l’entrée en vigueur de la Loi sur les Indiens de 1951, avait perdu son statut d’Indien (i) parce qu’elle avait vécu à l’extérieur du Canada plus de cinq années, ou (ii) pour cause de profession ou d’éducation libérale ;

    6. Toute personne dont le père et la mère sont inscrits au Registre des Indiens ou en droit de l’être.

  • Paragraphe 6(2)

    Toute personne dont le père ou la mère est inscrit au registre ou en droit de l’être selon les termes du paragraphe 6(1).

La conséquence immédiate de ces dispositions de la loi a été d’accorder le statut d’Indien(ne) : (1) aux femmes qui l’avaient perdu par leur mariage à un non-Indien, (2) aux personnes ayant perdu leur statut pour cause d’émancipation[8], (3) aux personnes exclues du registre en raison de toute autre disposition discriminatoire et (4) à leurs enfants. De 1985 à 2005, 115 551 individus[9] ont été (ré)inscrits au Registre des Indiens à la suite des modifications apportées à la Loi sur les Indiens. En abandonnant la règle de la patrilinéarité, les législateurs reconnaissent que la transmission du statut est indépendante du sexe du parent détenteur du statut. Elle est désormais dépendante du type de statut des deux parents.

La conséquence à long terme des amendements de 1985 est de rendre l’existence même de la population indienne avec statut davantage dépendante qu’elle ne l’était auparavant de la tendance des gens à se marier entre eux (AINC, 1997). Pour les générations nées après le 16 avril 1985 (figure 2), les enfants de mère et de père avec statut légal d’Indien sont en droit d’être inscrits selon les termes du paragraphe 6(1) de la Loi sur les Indiens, qu’importe la nature de l’éligibilité des parents (6(1) ou 6(2)). Les enfants dont un parent est inscrit (ou en droit de l’être) selon le paragraphe 6(1) et l’autre est sans statut légal d’Indien sont en droit d’être inscrits selon les termes du paragraphe 6(2). Enfin, les enfants dont un parent est inscrit (ou en droit de l’être) selon le paragraphe 6(2) et l’autre est sans statut légal d’Indien n’ont pas droit au statut légal d’Indien. Par conséquent, selon ces règles de transmission du statut d’Indien, deux générations successives d’unions exogames éteignent le droit à transmettre le statut légal d’Indien. Si l’édition 1985 de la Loi sur les Indiens s’est démarquée des précédentes par l’élimination de plusieurs règles d’exclusion discriminatoires, elle s’inscrit malgré tout dans la foulée des éditions précédentes sur un aspect : elle ne reconnaît pas tous les descendants de la population indienne avec statut. Parmi tous les enfants nés entre le 17 avril 1985 et le 31 décembre 2004 et dont au moins un des parents a le statut légal d’Indien, 12 % n’ont aucun statut légal (Clatworthy, 2008).

Figure 2

Règles de transmission du statut légal d’Indien, Loi sur les Indiens du Canada, 1985

Règles de transmission du statut légal d’Indien, Loi sur les Indiens du Canada, 1985

6(1) : Personne éligible à l’inscription au Registre des Indiens selon les termes du paragraphe 6(1) de la Loi sur les Indiens.

6(2) : Personne éligible à l’inscription au Registre des Indiens selon les termes du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens.

N : Personne non éligible à l’inscription au Registre des Indiens.

Source : Clatworthy et Smith (1992)

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Revenons maintenant aux populations à définir. Il est clair que la formulation actuelle de la Loi sur les Indiens, tout comme les formulations passées, ne définit que partiellement la notion d’Autochtone. Tout d’abord, ainsi que nous l’avons mentionné en début de section, la Loi sur les Indiens ne reconnaît pas l’ensemble des groupes autochtones, c’est-à-dire tous les Indiens, les Métis et les Inuit. Ensuite, cette loi établit une distinction légale sans égard à l’identité ethnoculturelle autodéclarée des individus. Toujours est-il que d’après le recensement de la population de 2006, la population indienne inscrite est de 623 780 personnes au Canada. Au Québec, elle se chiffre à 55 960 personnes, soit 9,0 % de l’ensemble de la population indienne inscrite du Canada (tableau 1).

Tableau 1

Population d’origine autochtone, d’identité autochtone, indienne inscrite et appartenant à une bande indienne ou Première nation, Canada et Québec, 1981-2006

Population d’origine autochtone, d’identité autochtone, indienne inscrite et appartenant à une bande indienne ou Première nation, Canada et Québec, 1981-2006
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Inclut seulement les personnes ayant déclaré appartenir à au moins un groupe autochtone, c’est-à-dire Indien de l’Amérique du Nord, Métis ou Inuit. Des données sur l’identité autochtone pour les années 1986 et 1991 sont disponibles pour la population d’origine autochtone seulement (Guimond, 2009).

Source : Statistique Canada, recensements de la population de 1981 à 2006, totalisations spéciales produites par Affaires indiennes et du Nord Canada

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Cependant, en plus du recensement de la population, nous disposons pour la population indienne inscrite d’une seconde source de données démographiques : le Registre des Indiens, maintenu par le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada. Les effectifs de la population indienne du Registre des Indiens ont toujours été supérieurs à ceux du recensement, l’écart entre ces deux estimations variant d’une année de recensement à l’autre (tableau 1). Le plus faible écart relatif a été enregistré en 1981 (+ 1 % par rapport à l’effectif du recensement), et le plus fort en 1986 (+ 47 %). En 2006, l’effectif des Indiens inscrits du registre se chiffrait à 763 555 personnes, soit un écart de 139 775 personnes (+ 22 %) par rapport à l’effectif recensé (623 780).

Globalement, cet écart s’explique par des objectifs et des méthodes de collecte de données différents. Le recensement est une enquête tenue tous les cinq ans qui permet de dresser un portrait démographique et socioéconomique de la population canadienne à un moment précis, alors que le Registre des Indiens est un fichier administratif permanent fondé sur l’enregistrement continu de personnes éligibles à l’inscription selon les termes de la Loi sur les Indiens. Dans le détail, les chiffres du recensement :

  • excluent les Indiens inscrits vivant dans des établissements institutionnels au moment du recensement (p. ex., les hôpitaux, les résidences pour personnes âgées, les prisons, les refuges) ;

  • excluent les Indiens inscrits vivant à l’extérieur du pays le jour du recensement ;

  • sont affectés par le sous-dénombrement des Indiens inscrits vivant dans les réserves indiennes partiellement dénombrées où le recensement n’est pas autorisé ou a été interrompu avant d’être terminé[10] ;

  • sont touchés par le sous-dénombrement des Indiens inscrits vivant dans les réserves indiennes ayant participé au recensement ;

  • sont affectés par le sous-dénombrement des Indiens inscrits vivant hors réserve.

Les chiffres du Registre des Indiens sont affectés par :

  • la déclaration tardive des naissances et des décès ;

  • la sous-déclaration des naissances et des décès ;

  • une information incomplète concernant le lieu de résidence.

L’imprécision du Registre des Indiens a été largement documentée au fil des années[11]. D’après le plus récent exercice de projection de la population indienne inscrite (Clatworthy, 2008), la sous-estimation de l’effectif de la population du Registre des Indiens en 2006 résultant de la déclaration tardive et de la sous-déclaration des naissances et des décès serait de 28 575 personnes. L’effectif rajusté de la population indienne inscrite au Canada serait donc de 792 130 personnes en 2006.

Du côté du recensement, seuls sont quantifiés les sous-dénombrements dans les réserves indiennes partiellement dénombrées et les réserves participantes. Dans le premier cas, on estime à 40 115 personnes la population manquée en 2006, alors que dans le second cas, l’effectif manquant aurait été de 40 623 personnes, pour un taux de sous-dénombrement de 10,6 % (Statistique Canada, 2008a). Le recensement produit une estimation de la population indienne inscrite moins précise que celle du Registre des Indiens, mais demeure l’unique source de données permettant de dresser un portrait démographique et socioéconomique de tous les groupes autochtones.

Définition basée sur l’appartenance à une bande indienne

Avant l’adoption du projet de loi C-31 en 1985 modifiant la Loi sur les Indiens, les notions de « statut d’Indien inscrit » et « d’appartenance à une bande » étaient pratiquement interchangeables ; tous les membres d’une bande indienne étaient inscrits au Registre des Indiens et tous les Indiens inscrits étaient membres d’une bande. À la suite des modifications apportées en 1985, de nombreuses bandes indiennes ont exercé leur droit d’établir leurs propres règles d’appartenance, différentes de celles contenues dans la Loi sur les Indiens, faisant en sorte qu’il n’est plus nécessaire d’être un Indien inscrit pour être membre d’une bande, et vice-versa. Ainsi, depuis 1985, pour bon nombre de Premières nations, la population faisant partie d’une bande est différente de celle ayant le droit d’être inscrite au Registre des Indiens.

La distinction entre l’inscription au registre et l’appartenance à la bande est importante puisque les droits conférés et services offerts ne sont pas les mêmes dans les deux cas (Clatworthy, 2005). Par exemple, un Indien inscrit n’a pas à payer de taxes ou d’impôts s’il est résident d’une réserve indienne, et il a accès à des services de santé offerts par le gouvernement fédéral. L’appartenance à la bande confère certains droits politiques, comme le droit de voter lors de l’élection du conseil de bande et de poser sa candidature au conseil, et est dans certains cas une condition pour l’accès aux programmes et services administrés par la Première nation. D’après Clatworthy et Smith (1992), une telle distinction risque de créer des « classes de citoyens » avec des droits et services différents, ce qui conduit à des inégalités sociales.

Le concept d’appartenance à une bande indienne ou Première nation a été utilisé pour la première fois dans le recensement de la population canadienne de 1991, à titre de sous-composante de la question sur le statut légal d’Indien. Depuis, une question directe sert à recueillir des données sur cette appartenance (Statistique Canada, 2008). En 2006, 620 345 personnes ont déclaré appartenir à une bande indienne ou Première nation au Canada, parmi lesquelles 27 655 (4,5 %) n’ont pas déclaré être Indien inscrit[12]. Au Québec, 54 550 personnes appartenaient à une bande indienne ou Première nation en 2006. Jusqu’ici, on a très peu vu ce concept d’appartenance dans la littérature démographique. Il est généralement utilisé comme complément aux concepts d’identité autochtone et d’Indien inscrit pour l’établissement de définition hybride de la population autochtone.

Analyse comparative des effectifs de population

Le tableau 1 détaille les effectifs des populations d’origine autochtone, d’identité autochtone, indienne inscrite et appartenant à une Première nation au Canada et au Québec, de 1981 à 2006. Les effectifs détaillés selon l’origine autochtone depuis 1901 sont documentés aux annexes 2 et 3. La population d’origine autochtone présente toujours l’effectif le plus élevé, suivie dans l’ordre des populations d’identité autochtone, indienne inscrite et appartenant à une Première nation. Qu’importe l’indicateur d’appartenance, tous les effectifs ont enregistré un bond impressionnant : l’accroissement relatif des populations d’origine autochtone, d’identité autochtone et indienne inscrite sur l’ensemble de la période 1996-2006 varie de 19 % à 86 %, comparativement à 9 % pour l’ensemble de la population canadienne.

En 2006, la population d’origine autochtone au Canada est 1,6 et 2,7 fois plus élevée que celles d’identité autochtone et indienne inscrite. Au Québec, ces écarts sont plus grands encore, comme en témoignent les rapports origine/identité (2,8) et origine/statut légal (4,7).

Intuitivement, on serait porté à croire qu’il existe une structure hiérarchique à ces concepts d’autochtonéité, en particulier les trois plus anciens dans la statistique canadienne : la population avec le statut légal d’Indien pourrait être un sous-ensemble de la population d’identité autochtone, qui pourrait à son tour être un sous-ensemble de la population d’origine autochtone. Même si cette vision du monde peut sembler logique et pratique, les données révèlent en fait une réalité beaucoup plus complexe : les populations définies par ces trois concepts se chevauchent en partie. Ensemble, les concepts d’origine autochtone, d’identité autochtone et de statut légal d’Indien définissent sept sous-ensembles de tailles différentes dont l’effectif total en 2006 est de 1,8 million de personnes au Canada (figure 3). À l’échelle nationale, les deux sous-ensembles les plus importants en termes d’effectif de population sont composés d’individus qui déclarent une origine autochtone, une identité autochtone et un statut légal d’Indien (572 140), et d’individus qui ne déclarent qu’une origine autochtone (632 760). Les deux autres sous-ensembles « unidimensionnels » — l’identité autochtone seulement et le statut légal d’Indien seulement — comprennent respectivement 80 735 et 9 810 personnes. Au Québec (figure 4), la prise en compte des trois concepts simultanément mène à un effectif total de 276 535 personnes en 2006. On y constate que le poids démographique de la population d’origine autochtone seulement (61 %) est plus marqué que dans le reste du Canada (35 %), et que, conséquemment, celui de la population avec origine, identité et statut légal y est beaucoup plus faible (19 % contre 32 %). Bien que déjà complexes, ces deux illustrations simplifient néanmoins encore la réalité. L’annexe IV offre une description plus détaillée de cette réalité suivant l’origine et l’identité autochtone (Indien de l’Amérique du Nord, Métis, Inuit), présentant cette fois 79 « façons différentes » d’être autochtone au Canada.

Figure 3

Trois dimensions du concept d’autochtonéité au Canada en 2006 : origine autochtone, identité autochtone et statut légal d’Indien

Trois dimensions du concept d’autochtonéité au Canada en 2006 : origine autochtone, identité autochtone et statut légal d’Indien
Source : Statistique Canada, recensement de la population de 2006, totalisations spéciales produites par Affaires indiennes et du Nord Canada

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Figure 4

Trois dimensions du concept d’autochtonéité au Québec en 2006 : origine autochtone, identité autochtone et statut légal d’Indien

Trois dimensions du concept d’autochtonéité au Québec en 2006 : origine autochtone, identité autochtone et statut légal d’Indien
Source : Statistique Canada, recensement de la population de 2006, totalisations spéciales produites par Affaires indiennes et du Nord Canada

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La présence de certaines sous-catégories sur les figures 3 et 4 peut de prime abord surprendre. Prenons par exemple la population avec statut légal d’Indien sans origine ni identité autochtones (9 810 personnes au Canada en 2006). Comment un individu peut-il avoir le statut légal d’Indien sans qu’aucun de ses parents et grands-parents n’ait ce statut ? Comment l’État peut-il accorder le statut légal d’Indien à un individu, alors que ce dernier ne s’identifie pas lui-même comme Indien ? Une telle combinaison d’origine, d’identité et de statut semble défier la logique, mais elle existe bel et bien : avant les amendements à la Loi sur les Indiens en 1985, une femme d’origine et d’identité non indienne qui épousait un Indien inscrit devenait éligible à l’inscription au Registre des Indiens. Depuis 1985, il n’est plus possible d’acquérir (ou de perdre) le statut légal d’Indien par voie de mariage.

Un deuxième exemple — origine et statut sans identité (11 010 personnes au Canada en 2006) — trouve également son explication dans l’analyse de l’évolution de la Loi sur les Indiens. En plus de redonner le statut d’Indien inscrit aux personnes radiées du Registre des Indiens et d’établir de nouvelles règles de transmission intergénérationnelle du statut, la Loi sur les Indiens donne depuis 1985 à chaque Première nation la possibilité d’établir ses propres règles d’appartenance à une bande, indépendamment de celles contenues dans la Loi sur les Indiens[13]. Depuis, des individus d’origine indienne avec statut légal d’Indien se voient refuser le droit d’être membre de la communauté de leur(s) parent(s) et grand(s)-parent(s), ce qui peut entraîner dans certains cas l’abandon de l’identité indienne. Cette dynamique entre identité et appartenance à une bande a été soulignée dans le cadre de travaux postcensitaires menés sur les données relatives à l’identité autochtone collectées au recensement de 1986 (Crégheur, 1989).

Cinq points se dégagent de cette courte revue des effectifs de population associés aux définitions les plus courantes des populations autochtones. Premièrement, au Canada, le mot Autochtone identifie plus d’un groupe ethnoculturel. Qu’il soit employé comme substantif — les Autochtones — ou comme adjectif — les populations autochtones —, il désigne les groupes ethnoculturels qui étaient sur place avant l’arrivée des explorateurs et conquérants étrangers, de même que ceux nés de cette rencontre avec ces nouveaux arrivants. Une définition du concept d’Autochtone doit absolument refléter l’hétérogénéité ethnoculturelle des populations faisant partie de cet ensemble.

Deuxièmement, le concept d’Autochtone est multidimensionnel. Il comporte des dimensions objectives comme l’origine ethnique et le statut légal d’Indien. Il présente aussi une dimension subjective en ce qu’il renvoie à une identité, un sentiment d’appartenance.

Troisièmement, si l’ensemble des dimensions envisagées pour définir un Autochtone sont prises en compte, il ressort clairement de l’analyse des figures 3 et 4 que tous ceux qui se réclament d’une appartenance autochtone n’appartiennent pas nécessairement de la même façon à cet ensemble appelé « les Autochtones ». La notion d’Autochtone varie d’un individu à l’autre.

Quatrièmement, si les unions exogames n’existaient pas, si parents et enfants avaient automatiquement les mêmes origine et identité ethniques et, dans le cas des Indiens, le même statut légal, on obtiendrait alors toujours le même décompte d’individus, peu importe la caractéristique utilisée pour définir la notion d’Autochtone. Or, comme l’atteste la figure 3, il n’en est rien. L’appartenance à un groupe n’est ni permanente, ni automatiquement transmise de génération en génération. La Loi sur les Indiens en vigueur depuis 1985 constitue un exemple éloquent de variation de l’appartenance autochtone : elle a permis à 115 551 individus de recouvrer le statut légal d’Indien entre 1985 et 2005. Il est primordial de faire une place à cette mobilité ethnique dans l’analyse démographique des populations autochtones.

C’est d’ailleurs la mobilité ethnique qui explique une large part de la croissance parfois stupéfiante de l’effectif des populations autochtones, observable surtout chez les Métis depuis le milieu des années 1980 (Guimond, 2009, 2003). La mobilité ethnique a également été reconnue comme une composante importante de la croissance démographique des populations autochtones des États-Unis (Passel, 1996 ; Eschbach, 1993 ; Eschbach, Supple et Snipp, 1998) et de l’Australie (Ross, 1996). Négliger d’inclure cette composante empêche de bien comprendre l’évolution de la population et de ses caractéristiques démographiques et socio-économiques.

Effet du choix d’une définition sur l’analyse

Une bonne compréhension des concepts et définitions des populations autochtones au Canada est donc essentielle : servant de point de départ, la définition de la population à l’étude aura un effet sur l’analyse proprement dite et ses résultats. Nous allons voir que mal définir la population dont il est question conduit à des imprécisions, voire des erreurs d’interprétation. L’exemple que nous avons choisi concerne la répartition selon le lieu de résidence de populations autochtones (figures 5 et 6).

Figure 5

Répartition selon le lieu de résidence pour diverses définitions des populations autochtones, Canada, 2006

Répartition selon le lieu de résidence pour diverses définitions des populations autochtones, Canada, 2006
Source : Statistique Canada, recensement de la population de 2006, totalisations spéciales produites par Affaires indiennes et du Nord Canada

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Figure 6

Répartition de la population autochtone selon le lieu de résidence, par identité autochtone et statut légal d’Indien, Canada, 2006

Répartition de la population autochtone selon le lieu de résidence, par identité autochtone et statut légal d’Indien, Canada, 2006
Source : Statistique Canada, recensement de la population de 2006, totalisations spéciales produites par Affaires indiennes et du Nord Canada

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Le jour de la diffusion des données du recensement de la population de 2006 sur les populations autochtones du Canada, on a annoncé que 40 % des Premières nations vivaient dans les réserves indiennes, et donc 60 % hors des réserves (Statistique Canada, 2008b). Plusieurs médias ont largement fait écho à cette statistique, la présentant comme une nouvelle tendance de la population autochtone, et ce parfois maladroitement en confondant « hors réserve » et « urbain ». La définition retenue a contribué à focaliser l’attention publique et politique sur la population autochtone en milieu urbain. Plusieurs points sont à préciser ou rectifier à ce sujet.

Premièrement, plusieurs intervenants et commentateurs utilisent de manière interchangeable les concepts d’Autochtone et d’Indien (Premières nations), ignorant que le premier couvre les trois groupes autochtones, c’est-à-dire les Indiens, les Métis et les Inuit. L’erreur est courante et ne se limite pas aux médias.

Deuxièmement, les Indiens sans statut ont été inclus dans la définition des Premières nations retenue pour la diffusion des données selon le lieu de résidence (dans/hors réserve) du recensement de la population de 2006. L’idée de regrouper l’ensemble des Premières nations, c’est-à-dire les Indiens avec et sans statut, se justifie d’un point de vue culturel, mais ne respecte pas les caractères historique et légal des réserves indiennes. Le concept de statut légal d’Indien a été mis en place dès la première formulation de la Loi sur les Indiens en 1876 pour déterminer le droit à la résidence dans les réserves indiennes (Savard et Proulx, 1982). Une réserve indienne est un territoire administré par le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada, réservé à l’usage exclusif d’une bande indienne, territoire et bande étant tous deux soumis à la Loi sur les Indiens. L’analyse de la population amérindienne dans les réserves devrait donc au minimum distinguer Indiens avec et sans statut. En 2006, 48 % des Indiens avec statut (Indiens inscrits) étaient résidents d’une réserve indienne, alors que pour les Indiens sans statut cette proportion est inférieure à 4 % (figure 6). Incorporer les Indiens sans statut dans l’analyse de la population dans/hors réserve gonfle démesurément la proportion hors des réserves indiennes (figure 5) : 57 % de la population d’identité indienne habite à l’extérieur des réserves en 2006, comparativement à 52 % de la population indienne inscrite[14]. L’interprétation des commentateurs sur la place publique aurait été fort différente si le message officiel lors de la diffusion des données du recensement de 2006 avait tenu compte de cette réalité historique et légale des réserves indiennes.

Troisièmement, une majorité des commentaires journalistiques qui ont suivi la diffusion de ces données du recensement de la population de 2006 contenait un propos centré sur l’explication de cette « majorité urbaine ». Essentiellement, les commentateurs ont privilégié l’explication « exode des réserves », niant au passage deux faits démographiques. Les analyses de la mobilité géographique indiquent que le solde migratoire des réserves indiennes est positif depuis plusieurs décennies (Norris et coll., 2004). La croissance de la population autochtone en milieu urbain est largement tributaire de l’explosion de la population métisse (Guimond, 2009), ce qui ne peut de toute évidence être expliqué par la migration des Indiens depuis les réserves.

Le choix d’une définition « large » de la population indienne pour la diffusion des données selon le lieu de résidence du recensement de la population de 2006 a donc eu pour effet d’attirer de façon disproportionnée l’attention des milieux public et politique sur les questions autochtones en milieu urbain, au détriment des populations des communautés des Premières nations et inuites où les conditions socioéconomiques sont notoirement modestes (p. ex., éducation, activité, revenu, logement). Si la diffusion des données du recensement de 2006 avait été fondée sur une définition des populations autochtones tenant explicitement compte des distinctions légales et culturelles, la spécificité de chaque groupe en regard du phénomène d’urbanisation aurait été mise en lumière (figure 6) : environ la moitié (48 %) de la population indienne inscrite habite dans les réserves indiennes, alors que la majorité des Indiens sans statut (74 %) et Métis (69 %) résident en milieu urbain et que les Inuit sont surtout localisés dans les communautés rurales du Nord (63 %).

Conclusion

Qui est autochtone au Canada ? Cette revue des principales définitions en usage aura à tous le moins permis d’en identifier certaines propriétés.

Tout d’abord, l’expression « Autochtone » désigne plus d’un groupe. C’est un amalgame. Il est donc nécessaire de tenir compte de cet aspect dans l’analyse, ce qui n’est pas toujours le cas actuellement dans les littératures grise et scientifique.

En deuxième lieu, le concept d’Autochtone comporte plusieurs dimensions, certaines objectives, d’autres subjectives. Le recensement canadien, la principale source de données concernant les populations autochtones du Canada, mesure plusieurs de ces dimensions : origine, identité, statut légal d’Indien et appartenance à une bande indienne ou Première nation. Depuis la Commission royale sur les peuples autochtones, on insiste cependant sur l’importance de la dimension subjective :

[...] une nation autochtone ne saurait être identifiée mécaniquement en fonction d’une série détaillée de critères objectifs. Le concept comporte un volet psychosocial de taille, soit l’idée que se fait un peuple de lui-même, de ses origines et de son développement futur. Des facteurs historiques et culturels, comme la langue, les coutumes et la conscience politique communes, joueront un rôle de premier plan dans la plupart des cas, mais ils ne l’emporteront pas nécessairement sur l’idée qu’un peuple peut se faire de son avenir et des avantages à se joindre à d’autres dans une entreprise commune. Les nations autochtones, comme n’importe quelle autre nation, ont évolué et changé dans le passé ; elles continueront d’évoluer à l’avenir.

CRPA, 1996, vol. 2, partie I, chap. 3, sect. 2.2

Troisièmement, conformément à ce qui est cité précédemment, l’idée de ce qu’est un Autochtone a évolué à travers le temps comme en témoigne l’évolution des concepts et questions dans le recensement canadien. C’est donc une notion dynamique.

Quatrièmement, l’appartenance autochtone n’est pas automatiquement transmise d’une génération à l’autre, et ni forcément permanente pour une même personne. Elle n’est donc pas nécessairement héréditaire.

Cinquièmement, qu’importe l’indicateur d’appartenance autochtone, les effectifs de population augmentent très rapidement depuis le milieu des années 1980, au-delà même de ce qu’il est possible via l’accroissement naturel. Des changements d’appartenance — la mobilité ethnique — seraient derrière l’explosion démographique des deux dernières décennies. S’il est important de considérer la mobilité ethnique comme une composante de l’accroissement démographique des populations autochtones, elle devrait aussi l’être dans l’analyse de l’évolution des caractéristiques sociodémographiques de ces populations.

Enfin, le choix d’une définition des populations autochtones plutôt qu’une autre aura un effet sur l’analyse proprement dite et ses résultats. Comme nous l’avons illustré à l’aide des données de population selon le lieu de résidence, l’usage d’une définition trop « inclusive » a eu pour effet de masquer la spécificité de chaque groupe autochtone vis-à-vis du phénomène d’urbanisation. À chaque définition ou dimension sont associés des effectifs et des caractéristiques de populations spécifiques.