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Introduction

Les statistiques sociales sont innovantes lorsqu’elles créent des connexions entre les domaines et font ressortir des tendances, ce qui conduit à une vision en syntonie des sciences humaines. Cette approche est indispensable à l’étude de la migration internationale. Une migration internationale touche par définition les frontières d’au moins deux pays, le pays d’origine et le pays de destination, et elle dépend des conditions économiques, politiques et sociales globales. L’absence de sources conçues et systématiquement développées pour permettre la prise en compte simultanée de ces aspects accroît la difficulté de l’étude du phénomène : les enquêtes basées sur des accords internationaux sont plutôt rares tandis que les enquêtes concernant un seul pays, pays d’origine ou pays de destination, sont souvent liées à des logiques nationales. Nous proposons une méthode pour rendre comparables et complémentaires deux perspectives d’analyse à première vue incompatibles, celle du pays d’origine et celle du pays de destination, dans le but d’expliquer le comportement migratoire du retour d’une population immigrée. Notre étude porte sur la population italienne résidant au Canada.

L’analyse se développe en cinq sections. Selon les lignes tracées par l’UNECE (2006), la première section aborde la question de l’utilisation optimale des sources disponibles (recensements, registres administratifs et registres de la population) pour permettre une lecture croisée origine-destination des données. À partir d’une perspective démographique, la deuxième section conceptualise la migration de retour et définit l’approche méthodologique adoptée. La troisième section examine les aspects juridico-institutionnels liés au contexte spécifique de la recherche. La quatrième section détaille le modèle multirégional d’analyse, tandis que la dernière section discute et synthétise les principaux résultats obtenus.

Les sources de données

L’ensemble des sources officielles d’information statistique produites dans un pays constitue son système statistique. L’organisation et les programmes d’un système statistique national, ainsi que les paramètres de collecte de données et les règles de tenue des fichiers, reflètent donc le cadre juridique, politique et social du pays. Nous allons d’abord présenter les sources de données du pays d’origine, l’Italie, pour passer ensuite aux sources du pays de destination, en l’occurrence le Canada. Après une revue rapide de la philosophie des deux systèmes nationaux, nous sélectionnons pour chacun les sources sur la base de deux critères : leur accessibilité et leur capacité à suivre la dynamique migratoire.

Les sources italiennes

Le système statistique italien, tout comme le système statistique européen en matière de migration (R.C.E. n0 862/2007), adopte pour identifier une population le critère de la citoyenneté, statut de légitimité juridique et d’appartenance à l’État. Les principales sources italiennes de données en matière de migration sont de nature administrative : nous les analysons à partir des dispositions législatives régissant la résidence d’un citoyen italien à l’étranger.

Comme la plupart des pays européens, l’Italie possède une tradition de tenue de registres de la population[1]. Pour les Italiens résidant à l’étranger, les consulats ont la responsabilité de la tenue des registres consulaires et de la mise à jour du Registre des Italiens résidant à l’étranger. La législation italienne prévoit qu’un citoyen italien demeurant à l’étranger pour une période supérieure à 12 mois doit se présenter au consulat italien le plus proche de sa résidence pour son inscription dans le Registre des Italiens résidant à l’étranger, géré au niveau central par le ministère de l’Intérieur pour assurer l’exercice du droit de vote des Italiens demeurant en dehors du pays. Cette inscription entraîne le changement de résidence de la dernière municipalité italienne vers la circonscription étrangère, changement enregistré dans le Registre de la population de la municipalité concernée[2]. Le citoyen italien qui n’accomplit pas ce devoir ne pourra pas exercer son droit de vote à l’étranger et restera sujet à toutes les impositions du régime fiscal italien, dont les impôts sur la résidence. La loi italienne prévoit aussi qu’un citoyen italien demeurant à l’étranger pour une période supérieure à 12 mois et ayant un enfant à l’étranger est obligé de communiquer cette naissance au consulat italien le plus proche de sa résidence pour que le nouveau-né obtienne la citoyenneté italienne (et par conséquent soit inscrit dans le Registre des Italiens résidant à l’étranger). En agissant ainsi, le citoyen italien pourra exercer son droit (ius sanguinis) de transmission de la citoyenneté italienne à sa descendance.

Le ministère de l’Intérieur, en qualité de responsable et administrateur central du Registre des Italiens résidant à l’étranger, protège cette base de données en interdisant en principe sa consultation : cette recherche n’a été possible que grâce à une autorisation accordée à titre exceptionnel et personnel et réservant l’accès à des données individuelles non sensibles[3] du registre.

La critique la plus fréquente touchant les sources administratives est que ces dernières reflètent trop l’architecture pesante de la bureaucratie. Dans notre cas, le nombre d’acteurs impliqués (le citoyen italien, le consul, la municipalité) dans le processus de mise à jour de ces fichiers augmente inévitablement le nombre de passages administratifs et accroît les délais entre la manifestation réelle des événements et leur enregistrement. Cette considération et la fréquence des échéances électorales ont fait naître l’exigence d’une action centralisée visant à améliorer la qualité des informations collectées et l’efficience de la tenue du Registre des Italiens résidant à l’étranger. Dans ce but, le ministère de l’Intérieur a mis sur pied deux projets. Le premier a pour objectif d’assurer la cohérence entre les registres consulaires, le Registre des Italiens résidant à l’étranger et les registres des municipalités italiennes. Cet effort d’harmonisation des registres, qui prévoit aussi la création d’un comité permanent pour la coordination et le monitorat[4], a dès à présent permis de réels progrès en termes d’alignement des archives[5]. Le second projet, plus général, vise l’implémentation d’un système unique de données touchant la population italienne, à travers l’interconnexion des réseaux informatiques de l’administration publique, dans le but de mettre en réseau les activités de tous les organismes décentrés[6].

Les sources canadiennes

Le multiculturalisme canadien, qui reconnaît à chaque groupe ethnique une place dans la mosaïque de la société, respecte la préservation du patrimoine culturel d’origine d’une population immigrée tout en favorisant sa naturalisation. Dans quelle mesure le système statistique canadien est-il issu de cette perspective ? Le Canada ne dispose pas d’un registre de la population. Le recensement devient alors la source primaire des données pour dénombrer les effectifs résidant habituellement dans le pays (population de droit). Le recensement canadien opère une classification de la population selon l’origine ethnique, mais fondée sur la perception personnelle de chaque répondant relativement à son ascendance ethnique. Pour les exigences de cette analyse, nous avons recours à des critères plus objectifs, également prévus par le recensement canadien pour l’identification d’une population : la citoyenneté et le lieu de naissance. Les données désagrégées selon ces deux derniers critères sont disponibles par le biais du projet Public Use Microdata Files.

Les renseignements relatifs aux flux des immigrants admis au Canada[7] sont publiés par la Division de la gestion de l’information électronique du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration. Ces données administratives sont ventilées selon le pays de naissance, le pays de citoyenneté et le pays de dernière résidence permanente, mais pour les périodes les plus récentes leur accessibilité présente des restrictions.

Certains facteurs, comme les erreurs de déclaration et de couverture, peuvent altérer la qualité des informations tirées du recensement. À ces lacunes s’ajoutent les problèmes liés à la composition et la représentativité des échantillons constituant les fichiers des micro-données (par exemple, le taux de sous-dénombrement et la taille de l’échantillon peuvent varier d’un recensement à l’autre). Cependant, une neutralisation partielle des erreurs peut se produire par compensation. De plus, une évaluation stricte de ces effets, qui demeure difficile à déterminer, n’est pas le but de notre analyse. Sachant que notre étude vise plutôt à dégager une tendance, nous estimons que ces effets demeurent dans des limites tolérables (à propos de l’impact produit par ces facteurs, voir Ghio, 2009 : 302).

Les bases de la comparaison

Pour jumeler entièrement la source italienne et la source canadienne, nous aurions besoin de repérer chaque individu à l’aide d’un code unique, ce qui présuppose une identification personnelle que les législations en vigueur tant en Italie qu’au Canada interdisent. Nous avons donc plutôt identifié des critères communs entre ces deux sources pour établir une corrélation entre les données, ce qui assure la cohérence et la comparabilité entre les informations tirées du Registre des Italiens résidant à l’étranger et celles dérivées du recensement canadien. Cette méthode comparative (données administratives/données censitaires) permet également de tester si la source administrative — le Registre des Italiens résidant à l’étranger est en mesure de représenter les phénomènes et les circonstances de la période de manière similaire à celle de la source censitaire — le recensement canadien.

La conceptualisation de la migration de retour dans une perspective démographique : définitions et approches méthodologiques

Les rares études démographiques ayant traité de la migration de retour en adoptant des approches quantitatives relèvent de quatre conceptualisations : (1) le retour est une étape de l’itinéraire migratoire d’un individu pendant son cycle de vie ; (2) le retour est la résultante de deux forces opposées ; (3) le retour est une composante du régime démographique d’une population ; (4) le retour est une expérience migratoire vécue à la retraite. Nous allons brosser un bref portrait de chacune de ces conceptualisations, en indiquant leurs principales implications méthodologiques sur notre analyse.

  1. La première conceptualisation voit la migration d’une façon circulaire (Rallu, 2003) : le milieu choisi est une étape d’un parcours bien loin d’être définitif, puisque souvent l’individu revient au même endroit plusieurs fois. Ce processus de déplacement peut répondre à une stratégie de transition où le passage d’une situation socio-économique à une autre représente une forme d’investissement ou de mobilisation des ressources humaines et financières, individuelles ou familiales. Cependant, pour définir la circularité des migrations, nous devons connaître le rang de chaque mouvement migratoire.

  2. L’argumentation principale de la deuxième conceptualisation repose sur la constatation empirique que de hauts degrés d’intégration réduisent la tendance au retour tandis que de fortes liaisons au pays d’origine augmentent la possibilité d’y retourner (Waldorf, 1995). La migration de retour reflète ainsi une interaction entre l’individu et la collectivité : un sentiment d’attachement lie l’individu à sa propre communauté d’origine et une volonté d’intégration le pousse vers la nouvelle communauté d’accueil. L’attachement au pays d’origine peut se réduire pendant la première phase d’installation dans la société d’accueil ; à l’opposé, il peut s’accroître pendant la phase initiale d’intégration en réponse à la sensation de la perte d’identité culturelle puisque le pays d’origine marque le processus cumulatif d’apprentissage et d’éducation de l’individu. De cette façon, la durée de séjour devient une variable de substitution pour estimer le niveau d’intégration d’un immigrant dans le pays d’accueil.

  3. La troisième conceptualisation considère le retour dans une perspective spatialisée, comme l’expression de l’interaction spatio-temporelle entre les trois phénomènes démographiques (fécondité, mortalité et migration) qui varie selon l’âge et la région observée (Rogers, 1990). La reconstruction d’un système multirégional où ces trois phénomènes démographiques interagissent simultanément permet de capturer les conséquences qui se produisent et qui sont capables de modifier les déterminants des phénomènes eux-mêmes, en leur donnant une signification en termes de transformations du régime démographique. La condition sine qua non à satisfaire pour l’adoption de cette approche est évidemment la connaissance de tous les événements démographiques pour chaque région du système spatial observé.

  4. Un cliché classique associe le retour à la retraite en le justifiant par les liens affectifs et culturels à la terre natale, jamais rompus pendant le séjour à l’étranger. L’analyse de Michalowsky et Tran (2008 : 37) en voit un exemple typique dans la migration du Canada vers l’Italie pour la période 2001-2006 : « c’est peut-être le désir de se replonger dans les souvenirs d’enfance qui a incité ces migrants plus âgés à retourner vivre en Italie ». Ainsi formulée, cette conceptualisation consacre le binôme retour-retraite, en ignorant la prise en compte de la citoyenneté d’origine et le rôle que sa conservation joue dans le processus migratoire du retour.

En prenant en compte que le retour est un événement démographique renouvelable (1re conceptualisation), notre paradigme révise la dichotomie intégration-attachement élaborée par Waldorf (2e conceptualisation). L’intégration est un processus complexe et multidimensionnel, culturel, économique, linguistique, et social, dont la naturalisation[8] est une étape. En marquant le passage juridique de l’État d’origine à l’État d’accueil, l’acquisition de la citoyenneté[9] du pays d’accueil et la perte éventuelle de la citoyenneté du pays d’origine ont cependant des implications politiques certaines, dans la mesure où la citoyenneté permet d’exercer les droits de vote et de participer activement à la gestion publique. D’après cette perspective politico-institutionnelle, nous pouvons définir la citoyenneté du pays d’origine comme une variable de substitution de l’enracinement des immigrants à leur pays d’origine. Dans le but de dégager la relation existant entre la migration de retour et la citoyenneté, nous étudions la migration de retour des immigrants italiens résidant au Canada pour vérifier dans quelle mesure elle est corrélée au maintien de la citoyenneté italienne. Sur la base des données disponibles, l’analyse applique la méthodologie multirégionale de Rogers (3e conceptualisation), d’abord pour démontrer l’inconsistance du binôme retour-retraite (4 e conceptualisation), ensuite pour satisfaire la question de recherche[10].

Cadre d’analyse : 40 ans de relations migratoires Italie-Canada

Cette section vise à reconstruire le cadre historique du retour de la migration italienne au Canada entre 1966 et 2006 en croisant les données de stock avec les données de flux provenant des sources canadiennes et italiennes. L’adoption de cette logique comparative[11], qui conduit à une représentation systématique du retour par période (tableau 1) nous permet aussi de tester la faisabilité des informations collectées par le Registre des Italiens résidant à l’étranger concernant les Italiens immigrés au Canada.

Tableau 1

La dynamique du retour de la population italienne immigrée au Canada entre 1966 et 2006

La dynamique du retour de la population italienne immigrée au Canada entre 1966 et 2006

Tableau 1 (continuation)

La dynamique du retour de la population italienne immigrée au Canada entre 1966 et 2006

Les nombres sont divisés par 100 ; les arrondis peuvent entraîner des différences arithmétiques ; * indique une valeur inférieure à 100

Légende

A. Immigrants nés en Italie et résidants au Canada

B. Italiens arrivés au Canada pendant la période

C. Italiens retournés en Italie pendant la période

α STATCAN : Recensement– Échantillon 1 % en 1971 ; 2 % en 1981 et 1986 ; 3 % en 1991 ; 2,8 % en 1996 ; 2,7% en 2001 ; 20 % en 2006

β Ministère de l’Immigration – Canada – Flux selon le pays de la dernière permanence et estimation des flux sur la base de l’année 1996

t Année du recensement

ε Ministère des Affaires étrangères – Italie – Registre des Italiens résidant à l’étranger

δ Estimation des mouvements de la population (ISTAT)

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Construction des données

L’analyse s’appuie sur la segmentation des recensements canadiens ; pour chaque période intercensitaire, les micro-données sont sélectionnées par pays de naissance (Italie) et citoyenneté, nos deux critères de contact entre les sources canadiennes et italiennes. Chaque intervalle intercensitaire représente une ligne du tableau 1, qui doit être interprétée selon l’équation générale d’identité ci-dessous qui intègre tous les éléments devant être quantifiés pour dresser les effectifs d’une population d’une période censitaire à la suivante :

Pt = la population recensée à la fin de la période ; Pt −5 = la population recensée au début de la période ; N(t −5;t) = le nombre de naissances entre les dates t-5 et t ; D(t −5;t) = le nombre de décès entre les dates t-5 et t ; I(t −5;t) = le nombre d’immigrants entre les dates t-5 et t ; E(t −5;t) = le nombre d’émigrants entre les dates t-5 et t.

Le nombre de naissances n’est pas pris en compte parce que nous étudions les immigrants italiens qui sont nés en Italie et qui ont immigré au Canada, notamment la première génération d’immigrants. La raison principale de cette exclusion relève des paramètres de collecte des données des recensements canadiens, qui ne distinguent pas (sauf quelques exceptions) la population immigrée par génération, puisque les descendants des immigrants, citoyens canadiens par le droit du sol (ius soli), font partie des effectifs de la population de citoyenneté canadienne.

Devant l’absence de données fiables provenant de l’état civil, nous avons estimé les décès de la population italienne résidant au Canada en formulant l’hypothèse que la citoyenneté détermine le régime démographique d’une population. De cette façon, pour chaque période observée, nous avons appliqué aux immigrants italiens de citoyenneté canadienne la table de mortalité de la population canadienne et aux immigrants italiens qui ont gardé la citoyenneté italienne la table de mortalité de la population italienne[12].

Le nombre d’immigrants et d’émigrants est reconstruit selon les critères énoncés (pays de naissance et citoyenneté) en distinguant : a) les mouvements vers les pays étrangers à l’exclusion de l’Italie ; b) les mouvements en provenance de l’Italie ; c) les mouvements à destination de l’Italie.

Nous indiquons, pour chaque composante de la population recensée à la fin de la période et présentée dans la colonne A du tableau 1, la source de données utilisée :

  1. colonne B : migration internationale : estimation tirée de la source italienne (Registre des Italiens résidant à l’étranger) ;

  2. colonne C : flux d’entrée au Canada des immigrants nés en Italie selon la source canadienne (ministère de l’Immigration) ;

  3. colonne D : flux de retour des immigrants nés en Italie et résidant au Canada selon la source italienne (Registre des Italiens résidant à l’étranger) ; il faut préciser que cette colonne inclut le retour des citoyens italiens nés au Canada (explicité dans la dernière colonne à droite), qui ont acquis la citoyenneté italienne par droit du sang (ius sanguinis) et la citoyenneté canadienne par droit du sol (ius soli).

À chaque période intercensitaire, l’effectif de la population italienne résidant au Canada (colonne A) est donc égal à l’effectif observé à la période précédente augmenté des nouveaux immigrants et réduit des décès et des émigrants.

Nous proposons deux clés de lecture de cette reconstitution historique : d’une part le retour et sa relation avec le maintien de la citoyenneté italienne, d’autre part la corrélation entre les sources canadiennes et italiennes.

Retour et maintien de la citoyenneté canadienne

L’évolution du retour ressortant de cette analyse, qui synthétise en quelque sorte 40 ans de relations migratoires entre l’Italie et le Canada, est tout à fait cohérente avec la conceptualisation de Waldorf : la migration de retour décroît au fur et à mesure que la durée de séjour augmente. Cependant, il est évident que la migration de retour est une expérience qui concerne la population italienne gardant la citoyenneté italienne : à l’exception des chiffres obtenus pour 1971 et 1996, le retour de la population italienne de citoyenneté canadienne est presque inexistant. La justification de ces deux exceptions exige une réflexion plus approfondie sur la spécificité du profil migratoire italien : en 1976, la seconde vague migratoire italienne au Canada peut être considérée comme achevée (l’appellation de seconde vague est utilisée pour la distinguer de la première vague migratoire italienne du début du xxe siècle). Cette situation représente un cas d’étude difficilement renouvelable parce qu’elle permet d’observer les comportements de la population italienne immigrée au Canada jusqu’en 1971 sans les perturbations dues aux migrations ultérieures très importantes. En fait, l’année 1971 marque le début d’une période de transition qui conduira l’Italie à devenir — à partir des années 1990 — un pays d’immigration. En ce qui concerne l’année 1996, le cycle productif de la plupart des immigrants italiens est alors terminé et le retour observé, tout en restant un phénomène quantitativement très limité, peut être associé à la retraite.

L’année 1996 marque donc la fin d’un cycle migratoire et le début d’une nouvelle phase migratoire, d’une ampleur cependant bien différente de celle de la précédente : en effet, la population de citoyenneté italienne démontre une croissance après 25 ans de déclin. Suivant cette interprétation, nous pouvons déduire que le retour des périodes 1996-2001 et 2001-2006 correspond au retour relatif à la première phase du processus d’intégration tel que le conçoit Waldorf.

Corrélation entre les sources : la période 2001-2006

Le stock de la population italienne née en Italie de citoyenneté italienne et résidant au Canada, stock tiré du recensement canadien en 2006, diverge du stock de la population italienne née en Italie de citoyenneté italienne tiré de la source italienne (Registre des Italiens résidant à l’étranger). Pour expliquer cette différence, nous avons distingué, en les dérivant du même recensement canadien, le total des immigrants italiens ayant seulement la citoyenneté canadienne et le total des immigrants italiens ayant aussi la citoyenneté canadienne. D’après cette répartition, nous soustrayons le premier (le nombre des immigrants d’origine italienne ayant exclusivement la citoyenneté canadienne) et nous ajoutons le second (le nombre des immigrants d’origine italienne ayant la citoyenneté canadienne et italienne) à la population italienne totale recensée. L’effectif ainsi obtenu représente la population italienne ayant la citoyenneté italienne, en incluant la population italo-canadienne (ou de double citoyenneté). De la sorte, la divergence entre l’effectif de source canadienne et son correspondant de source italienne est fortement réduite.

Notre contribution méthodologique n’a pas la présomption d’être la solution infaillible à une question aussi complexe que la standardisation des procédures statistiques nationales : la coïncidence entre la source canadienne et la source italienne n’est pas parfaite et devrait être vérifiée plus en profondeur, au moins par classe d’âge, avant de pouvoir tirer des règles de codification. Cependant, l’écart obtenu est suffisamment réduit pour démontrer — dans le cas des Italiens immigrés au Canada — la robustesse des informations collectées par le Registre des Italiens résidant à l’étranger et il est acceptable étant donné le but de notre analyse, qui n’est pas le dénombrement exact de la population italienne résidant au Canada, mais plutôt l’élaboration d’une relation logique entre des données dérivant des deux systèmes statistiques.

La différence de critère entre les deux sources a une signification politique claire lorsqu’il s’agit de la population ayant la double citoyenneté italo-canadienne : si la tendance amorcée en 1996 se maintient, cette population pourrait être caractéristique la nouvelle migration italienne au Canada, ce qui implique l’existence d’un nouveau profil démographique, celui de la population italo-canadienne[13].

Retour et citoyenneté : une approche multirégionale

La mise en perspective de la section précédente nous a permis de lier le retour avec le départ qui l’a précédé, de façon à retracer le cycle de vie des flux migratoires italiens vers le Canada. Pour vérifier la validité de relation retour-citoyenneté, nous examinerons d’abord l’hypothèse de Michalowsky et Tran (2008), qui est axée sur le binôme retour-retraite et ignore l’incidence du critère de la citoyenneté dans l’analyse. Cette section présente le modèle d’analyse et les phases opérationnelles de sa modélisation.

Présentation du modèle

Nous avons adopté le modèle multirégional de Rogers (1995) pour développer notre analyse transversale en utilisant les événements démographiques ventilés par région de résidence, population et classe d’âge, pour situer la migration de retour dans son contexte démographique. Une identité élémentaire est définie comme un groupe ou une population ayant des caractéristiques univoques permettant de le distinguer de l’ensemble. Le fruit de l’interaction, et pas simplement de l’agrégation, entre deux ou plusieurs identités élémentaires constitue un système.

Le modèle multirégional capture cette interaction entre les trois phénomènes démographiques (fécondité, mortalité et migration) par le biais d’une représentation matricielle. En la simplifiant, cette conceptualisation peut être formulée ainsi :

G est l’opérateur de croissance qui, sous une forme matricielle, exprime les comportements démographiques observés pendant la période (t, t+n) et désagrégés par classe d’âge et localisation spatiale ; Pti est le vecteur recréant la structure par âge et la distribution territoriale d’une population résidant dans la région i au moment initial de la période d’observation (au temps t) ; Pt+ni est le vecteur de la population à la fin de la période d’observation (au temps t+n).

En appliquant cette relation à toutes les populations observées, nous obtenons un système dans lequel l’espace et le temps deviennent des dimensions opérationnelles d’analyse, plutôt que de simples coordonnées de référence. Dans cet espace unifié, la migration de retour n’est plus un phénomène isolé : sa lecture est encadrée dans la perspective systémique des relations entre le régime démographique d’origine et celui de destination des flux migratoires. Si la matrice G, exprimant ce régime démographique, est projetée à l’infini, l’expression (1) se modifie de la façon suivante :

P*i est la population stable.

La population multirégionale stable permet de distinguer les effets de structure des effets de comportement[14]. Cette population asymptotiquement exponentielle évolue notamment selon un taux de croissance constant et avec une répartition par âge et par région invariable et indépendante de la structure par âge et par région de la population initiale. Le taux d’accroissement ainsi déterminé est dit intrinsèque parce qu’il dérive des virtualités de croissance implicites dans les conditions de fécondité, mortalité et migration observées par classe d’âge et région.

Passons maintenant à la modélisation du système démographique selon les paramètres de notre sujet d’étude, la population italienne immigrée au Canada, pour laquelle nous voulons faire ressortir trois phases du processus migratoire : le départ de l’Italie, le séjour au Canada, le retour en Italie.

Deux simulations : avec et sans prise en compte de la citoyenneté

Nous présentons deux simulations du système démographique Italie-Canada : la première formulée à partir de l’étude effectuée par Michalowski et Tran (2008), qui ne prend pas en compte le critère de citoyenneté ; la seconde, formulée pour réaliser les objectifs de notre recherche, qui utilise le critère de citoyenneté. Les composantes de chacune sont décrites en annexe.

Dans la première modélisation (sans le critère de citoyenneté), la population italienne immigrée au Canada est supposée adopter le comportement démographique de la population canadienne d’accueil, conforment à l’hypothèse markovienne qui soutient que la région de résidence détermine le régime démographique de la population résidante. Les composantes de ce système sont : (a) la population italienne résidant en Italie ; (b) la population canadienne résidant en Italie ; (c) la population italienne résidant au Canada. Plus précisément, la population (a) est la population susceptible d’émigrer au Canada ; la population (b) est la population immigrée au Canada et revenue en Italie ; la population (c) est la population susceptible de retourner en Italie. Le tableau 2 présente la structure par âge des trois populations au début de la période d’observation.

Tableau 2

Le système Italie-Canada reconstruit sans le critère de citoyenneté, année 2001

Le système Italie-Canada reconstruit sans le critère de citoyenneté, année 2001

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La seconde modélisation reflète notre hypothèse de recherche : elle utilise le critère de citoyenneté pour identifier les comportements démographiques d’une population. Les composantes de ce système sont : (a) la population de citoyenneté italienne résidant en Italie ; (b) la population de citoyenneté canadienne résidant en Italie ; (c) la population née en Italie de citoyenneté italienne résidant au Canada ; (d) la population née en Italie de citoyenneté canadienne résidant au Canada. Le tableau 3 présente la structure par âge des quatre populations au début de la période d’observation.

Tableau 3

Le système Italie-Canada reconstruit avec le critère de citoyenneté, année 2001

Le système Italie-Canada reconstruit avec le critère de citoyenneté, année 2001

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Résultats de l’analyse

L’examen des résultats est effectué en trois étapes : l’analyse des mouvements migratoires, l’analyse spatialisée de l’espérance de vie et l’analyse de l’état stable. À chaque fois, nous comparons les principaux résultats obtenus par les deux modélisations dans le but de déterminer leur capacité de représenter la dynamique démographique Italie-Canada pour la période 2001-2006.

Mouvements migratoires

Nous utilisons deux indicateurs pour illustrer les comportements migratoires des populations : l’indice synthétique de migration et l’âge moyen à la migration. L’indice synthétique de migration est la somme sur tous les groupes d’âge des taux annuels d’émigration par classe d’âge[15]. Cet indice définit le niveau général d’émigration de la population observée de la région de résidence vers la région de destination. Le tableau 4 montre les estimations obtenues pour le premier système.

Tableau 4

Le système Italie-Canada reconstruit sans le critère de citoyenneté — Mouvements migratoires 2001-2006

Le système Italie-Canada reconstruit sans le critère de citoyenneté — Mouvements migratoires 2001-2006

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Nous pouvons noter une première incongruité : l’indice synthétique de migration marque une faible émigration de l’Italie vers le Canada à l’âge moyen de 35 ans et un niveau de retour assez élevé en Italie à l’âge moyen de 24 ans, ce qui contraste clairement avec les conclusions de l’étude Michalowski et Tran (2008) envisageant une migration de retour de la population italienne immigrée au Canada à la retraite. Au contraire, cette hypothèse semble valable pour la population canadienne résidant en Italie, qui enregistre un niveau d’émigration vers le Canada plutôt élevé à l’âge moyen de 52 ans. Le tableau 5 illustre les résultats obtenus pour le second système.

Tableau 5

Le système Italie-Canada reconstruit avec le critère de citoyenneté — Mouvements migratoires, 2001-2006

Le système Italie-Canada reconstruit avec le critère de citoyenneté — Mouvements migratoires, 2001-2006

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La population de citoyenneté italienne émigre au Canada à l’âge moyen de 30 ans et y revient à l’âge moyen de 45 ans ; l’indice synthétique de migration exprime un très faible niveau d’émigration de l’Italie vers le Canada et un niveau plus soutenu du mouvement de retour. En revanche, la population née en Italie résidant au Canada et de citoyenneté canadienne enregistre un indice synthétique de retour moins élevé et un âge moyen de 38 ans au retour. Une fois en Italie, cette dernière population fait partie de la population de citoyenneté canadienne résidant en Italie ; cette dernière population présente l’âge à l’émigration et l’indice synthétique de migration les plus élevés de toutes les composantes du système.

Cependant, l’introduction de la citoyenneté ajoute à cette modélisation une nouvelle dimension à l’analyse, la dimension juridique. Les relations entre les populations prennent alors une configuration différente : en plus des relations migratoires, nous devons considérer le changement de statut juridique dû à l’acquisition d’une nouvelle citoyenneté. Pour estimer cette relation supplémentaire, nous utilisons deux indicateurs de synthèse : l’indice synthétique de naturalisation et l’âge moyen à la naturalisation. Tout comme l’indice synthétique de migration, l’indice synthétique définit le niveau général (somme sur tous les âges) d’acquisition de la citoyenneté étrangère par une population immigrée. Le tableau 6 illustre ces résultats.

Tableau 6

Le système Italie-Canada reconstruit avec le critère de citoyenneté — Naturalisation, 2001-2006

Le système Italie-Canada reconstruit avec le critère de citoyenneté — Naturalisation, 2001-2006

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La population italienne immigrée au Canada acquiert la citoyenneté canadienne à un âge moyen de 35 ans et montre un niveau relativement élevé de naturalisation. Nous pouvons constater la cohérence de ces résultats avec notre hypothèse de recherche : le niveau du retour de la population italienne immigrée au Canada de citoyenneté italienne est plus élevé que le niveau de la population italienne naturalisée. L’âge moyen d’émigration vers l’Italie est très bas, ce qui exclut une migration de retour après la retraite et laisse plutôt envisager un profil de circularité de l’expérience migratoire des deux populations.

Espérance de vie spatialisée

Une façon particulièrement significative d’évaluer les relations entre les composantes d’un système démographique est l’espérance de vie spatialisée. Alors que l’espérance de vie résume les conditions de mortalité d’une population fermée, au contraire l’espérance de vie spatialisée est une mesure des comportements conjoints de mortalité et de migration dans le cas de la première modélisation, et des comportements de mortalité, de migration et de citoyenneté dans la seconde. Un nouveau-né d’une population du premier système sera soumis à chaque âge au régime démographique de la région où il séjourne, alors qu’un nouveau-né d’une population du second système sera soumis à chaque âge au régime démographique de la population dont il a la citoyenneté. Nous estimons aussi pour chaque population l’espérance de vie spatialisée à 60 ans, qui correspond généralement à l’âge à la retraite (tableau 7).

Tableau 7

Le système Italie-Canada reconstruit sans le critère de citoyenneté — Espérance de vie spatialisée par région, 2001-2006

Le système Italie-Canada reconstruit sans le critère de citoyenneté — Espérance de vie spatialisée par région, 2001-2006

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D’après la première modélisation, l’espérance de vie d’un Italien n’est aucunement touchée par la migration vers le Canada. Par contre, à sa naissance, un nouveau-né d’origine canadienne résidant en Italie peut s’attendre à vivre 15 ans de son existence au Canada ; à 60 ans, encore 2 ans au Canada. À sa naissance, un nouveau-né d’origine italienne résidant au Canada vivra en moyenne 36 ans (45 % de sa vie) en Italie ; l’âge de 60 ans atteint, l’Italie ne jouera plus aucun rôle dans son projet de vie.

Le tableau 8 montre les résultats obtenus par la seconde modélisation. En moyenne, un nouveau-né de citoyenneté italienne résidant en Italie n’a aucune chance de demeurer au Canada. À sa naissance, un nouveau-né citoyen canadien résidant en Italie peut s’attendre vivre au Canada 9 ans au cours de sa vie en gardant la citoyenneté canadienne ; à 60 ans, son espérance de vie au Canada n’est plus que d’un an. À sa naissance, un nouveau-né résidant au Canada qui est citoyen italien par ius sanguinis et citoyen canadien par ius soli peut s’attendre à vivre 21 ans de son existence au Canada. Il vivra 2 ans de son existence en Italie en gardant la citoyenneté italienne, et il vivra 70 % de sa vie (56 ans) au Canada en gardant le statut juridique de citoyen canadien. À 60 ans, il peut s’attendre à vivre 18 ans de son existence au Canada ; son espérance de vie en Italie devient alors nulle. À sa naissance, un nouveau-né d’origine italienne résidant au Canada et ayant la citoyenneté canadienne peut s’attendre à vivre 77 ans au Canada et 2 ans en Italie comme citoyen canadien. À 60 ans, son espérance de vie en Italie est nulle.

Tableau 8

Le système Italie-Canada reconstruit avec le critère de citoyenneté — Espérance de vie spatialisée par région, 2001-2006

Le système Italie-Canada reconstruit avec le critère de citoyenneté — Espérance de vie spatialisée par région, 2001-2006

Abréviations : it. : italienne ; can. : canadienne

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La lecture comparée des tableaux 7 et 8 permet de conclure clairement que le retour n’est une expérience migratoire liée à l’âge de la retraite pour aucune population des deux systèmes. De même, la prise en compte de la citoyenneté de la population d’origine italienne résidant au Canada permet d’atteindre un meilleur degré d’approximation de l’analyse, qui mériterait évidemment être perfectionné en introduisant d’autres dimensions, telles que la langue, le niveau de scolarité et l’emploi.

Analyse multirégionale stable

Quelle est l’incidence du passé sur les résultats obtenus jusqu’ici ? Cette dernière sous-section essaie de répondre à cette question en ayant recours à l’analyse de la population multirégionale stable. Cette méthodologie élimine l’effet dû à la structure de la population initiale, en faisant ressortir l’effet dû aux comportements de la période. Un système multirégional stable est vu comme une entité indéfiniment soumise aux lois constantes de fécondité, de mortalité et de migration observées pendant l’intervalle d’observation. Étant donné qu’à l’intérieur du système l’immigration et l’émigration se compensent, le taux intrinsèque de croissance du système coïncide avec son taux intrinsèque d’accroissement naturel. Le nombre d’itérations nécessaires pour rejoindre l’état de stabilité permet d’évaluer la vitesse absolue du système : un nombre élevé indique une forte hétérogénéité entre les composantes du système.

Le système multirégional stable dérivé de la première modélisation est présenté dans le tableau 9. Sa vitesse absolue est très élevée ; pour faire ressortir les fortes disparités entre les composantes, nous devons analyser la vitesse relative de chacune. Pour la population italienne, le taux intrinsèque de croissance correspond au taux de Lotka (le taux d’accroissement naturel) car l’impact de la migration est nul. Au contraire, pour la population canadienne, le taux intrinsèque d’émigration accroît le déficit produit par le taux intrinsèque de mortalité, qui, à son tour, pour la population italienne résidant au Canada, est partiellement compensé par le taux intrinsèque d’immigration. La composante la plus rapide du système est la population canadienne résidant en Italie qui représente 68 % du système stable ; mais ce résultat est tout à fait incohérent avec le poids initial de cette population (tableau 2).

Tableau 9

Le système Italie-Canada reconstruit sans le critère de citoyenneté — Stabilité des comportements, 2001-2006

Le système Italie-Canada reconstruit sans le critère de citoyenneté — Stabilité des comportements, 2001-2006

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Le système multirégional stable issu de la seconde modélisation (tableau 10) apparaît généralement plus homogène que le précédent. En ce qui concerne la population de citoyenneté italienne résidant en Italie, nous pouvons interpréter la différence entre le taux de retour observé et le taux intrinsèque de retour comme la résultante de la différence entre l’âge moyen au retour des citoyens italiens provenant du Canada et l’âge moyen de la population de citoyenneté italienne résidant en Italie. La population de citoyenneté canadienne résidant en Italie a une vitesse relative bien différente de celle obtenue par la première modélisation (sans prise en compte de la citoyenneté) : elle est essentiellement produite par le taux intrinsèque d’accroissement naturel (le taux intrinsèque d’immigration compense le taux intrinsèque d’émigration). La population de citoyenneté italienne résidant au Canada a un âge moyen de 36 ans et une dynamique migratoire assez intense. De cette lecture se dégage un comportement des Italiens immigrés au Canada pendant la période 2001-2006 contrastant avec celui plus traditionnel de l’après-guerre. L’importance de la population italienne résidant au Canada et de citoyenneté canadienne est considérable : elle compte pour 84 % de la population stable totale en rejoignant la vitesse du système d’une façon quasi-autonome : le taux intrinsèque d’immigration est très proche du taux intrinsèque d’émigration ; par conséquent, le taux intrinsèque de croissance pour cette composante du système est presque égal au taux intrinsèque d’accroissement naturel. Enfin, le pourcentage nul de la population de citoyenneté italienne en Italie et de la population italienne résidant au Canada ayant gardé la citoyenneté italienne ne doit pas surprendre : les comportements impliquent une tendance structurelle au vieillissement et à la disparition.

Tableau 10

Le système Italie-Canada reconstruit avec le critère de citoyenneté — Stabilité des comportements, 2001-2006

Le système Italie-Canada reconstruit avec le critère de citoyenneté — Stabilité des comportements, 2001-2006

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L’analyse comparative des résultats produits par les deux modélisations amène à écarter le premier système. Ce dernier, qui a été reconstruit suivant l’approche alternative suggérée par Michalowsky et Tran (2008), souffre d’une distorsion initiale. L’analyse de la migration de retour à partir du seul dénombrement de la population canadienne recensée en Italie est exagérément réductrice d’un point de vue macro et peu plausible d’un point de vue micro : un individu rationnel qui a l’intention de faire un retour maintient, en gardant sa citoyenneté, le lien d’appartenance à son pays d’origine. La conclusion qui se dégage atteste donc pour la période 2001-2006 l’existence d’une corrélation positive entre le comportement migratoire de retour des immigrants italiens au Canada et la conservation du statut de citoyen italien ; à cette corrélation correspond une relation négative entre le comportement migratoire de retour des immigrants italiens au Canada et la perte de la citoyenneté italienne associée à la naturalisation canadienne.

Synthèse et conclusion

Nous avons structuré l’analyse de la migration italienne de retour du Canada selon une perspective combinée origine-destination, ce qui a d’abord nécessité une analyse critique des sources des deux pays. La reconstruction historique du cadre juridique des relations entre l’Italie et le Canada nous a permis de concentrer notre attention sur la période 2001-2006. Notre analyse transversale a suivi une argumentation dialectique, c’est-à-dire que nous avons modélisé le système démographique Italie-Canada suivant deux approches : l’approche traditionnelle, qui considère le binôme retour-retraite, et notre approche, qui propose la corrélation retour-citoyenneté.

La première conclusion concerne les sources de données. Notre étude a démontré que les sources administratives peuvent apporter leur contribution à l’analyse des phénomènes sociaux, à condition que leur fiabilité puisse être vérifiée. Dans notre étude, nous avons pu valider les données tirées du Registre des Italiens résidant à l’étranger par les données dérivées du recensement canadien. Le niveau de corrélation atteint entre les deux sources a démontré que le Registre des Italiens résidant à l’étranger offre des perspectives d’étude qui méritent d’être développées.

La seconde conclusion concerne le choix de la dimension institutionnelle. La définition de cette dimension a permis de faire ressortir une tendance spécifique au retour de la population italienne immigrée au Canada ayant maintenu sa citoyenneté italienne. Cet aspect pourrait à notre avis inspirer la recherche future : quel est le rôle que nous pouvons attribuer à l’intégration via la naturalisation, par rapport à l’ensemble du processus d’intégration, qui inclut une pluralité d’aspects sociaux, démographiques, linguistiques, économiques et autres ?

Dans cette perspective, l’étude du cas italien se révèle particulièrement instructive en raison de la transformation de l’Italie d’un pays d’émigration à un pays d’immigration. L’analyse comparative du retour de la population italienne immigrée dans des pays différents peut représenter une première étape pour comprendre l’impact que les politiques migratoires des pays de destination ont exercé sur l’intégration et sur la propension au retour de la population italienne immigrée. Dans cette optique, nous soutenons que la recherche devra tenir compte de nouvelles formes de citoyenneté (la double citoyenneté ou la citoyenneté européenne) pour comprendre si ces dernières configurations juridiques mènent à la définition de nouvelles identités politiques et démographiques.