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Mise en contexte

Le Québec vieillit. D’ici vingt-cinq ans, la proportion des Québécois de 65 ans et plus aura doublé. En contrepartie, le poids démographique des adultes plus jeunes et des enfants va diminuer. La croissance économique du Québec va ralentir et la pression sur les finances publiques s’intensifier.

La présente étude vise à quantifier les conséquences probables du choc démographique sur les finances publiques du Québec à l’horizon de 2051. L’éclairage obtenu permettra ensuite d’examiner avec plus de précision les divers moyens pour garantir aux générations futures le même niveau de services publics qu’aux générations actuelles sans alourdissement progressif de leur fardeau fiscal. Nous ne cachons pas, au départ, que nous attachons une grande importance à l’objectif d’équité intergénérationnelle que nous définissons ainsi : assurer le bien-être des générations d’aujourd’hui sans compromettre celui des générations de demain. Cet objectif n’est rien d’autre que celui du développement durable appliqué aux finances publiques.

La mesure du changement démographique attendu et ses conséquences

Le Québec vieillit

Selon le scénario démographique de référence actuel de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ, 2004), la population québécoise âgée de 65 ans et plus passera de 965 000 personnes en 2001 à 2 325 000 en 2051. Il est aussi prévu que la population totale commencera à diminuer en 2031. La proportion de personnes âgées au sein de la population totale passerait de 13 % à compter de 2001 à 27 % en 2031 et à près de 30 % en 2051.

Pendant ce temps, la population des 15 à 64 ans, qui forme le bassin principal des travailleurs potentiels, atteindrait un sommet dès 2011 pour diminuer ensuite de 900 000 personnes en 2051. Le rapport de la population des 15 à 64 ans à la population des 65 ans et plus, qui est l’inverse du rapport de dépendance des personnes âgées et que nous appellerons pour simplifier le nombre de travailleurs par retraité, passera d’un peu plus de cinq travailleurs pour un retraité en 2001 à deux travailleurs pour un retraité en 2051. L’âge médian de la population passerait quant à lui de 39 ans en 2001 à 49 ans en 2051. Ainsi, en 2051, presque la moitié de la population du Québec serait âgée de plus de 50 ans.

Tableau 1

Mesures du vieillissement de la population, Québec, 2001 à 2051

Mesures du vieillissement de la population, Québec, 2001 à 2051
Source : ISQ (2004)

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Il nous faut reconnaître que le vieillissement de la population n’est pas un phénomène isolé au Québec, mais constitue plutôt une tendance mondiale qui s’est manifestée tardivement au Québec. Toutefois, ce phénomène se produira avec une telle vitesse qu’en 2051 la population du Québec sera parmi les plus vieilles du monde. Le tableau 2 indique qu’actuellement les populations du Québec et du Canada hors Québec sont légèrement plus vieilles que celle des États-Unis, mais plus jeunes que celles des autres pays du Groupe des Sept (G7). Cependant, d’ici 2051, la population du Québec vieillira plus vite qu’ailleurs. À cette date, seuls deux pays du G7, le Japon et l’Italie, auront une population plus vieille que celle du Québec.

Tableau 2

Pourcentage de la population âgée de 65 ans et plus dans les pays du G7 en 2005 (chiffres réels) et en 2050 (projections)

Pourcentage de la population âgée de 65 ans et plus dans les pays du G7 en 2005 (chiffres réels) et en 2050 (projections)
Sources : ONU (2005), ISQ (2004).

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Les conséquences du changement démographique sur la croissance économique et les finances publiques

Le scénario démographique de référence de l’ISQ de 2004 prévoit que la population de 15 à 64 ans, principale source de l’emploi et de l’activité économique, atteindra un sommet en 2011 et perdra ensuite 900 000 personnes en quarante ans. La croissance économique et les finances publiques en seront lourdement affectées.

La croissance économique des vingt-cinq dernières années au Québec peut se décomposer en quatre sources canoniques : la population en âge de travailler (c’est-à-dire de 15 ans et plus (A), le taux d’emploi de cette population (E), le nombre annuel moyen d’heures travaillées par personne employée (H) et la production réelle par heure travaillée (c’est-à-dire la productivité horaire, Q). Formellement, la décomposition du produit intérieur brut réel (Y) s’écrit :

Le tableau 3 exprime donc le taux de croissance annuel moyen de Y (moyenne des variations logarithmiques annuelles) en somme exacte des taux de croissance annuels moyens de la population de 15 ans et plus, de son taux d’emploi, de ses heures annuelles par employé et de sa productivité. Cette façon de faire nous permet de voir l’effet attendu du vieillissement de la population et de l’évolution du marché du travail sur la croissance économique. On constate immédiatement que la croissance de la population de 15 ans et plus marque un apport de 0,86 % au taux de croissance annuel moyen de 2,08 % du PIB réel pour la période de 1981 à 2006. En d’autres mots, la croissance économique des vingt-cinq dernières années doit, grosso modo, quarante pour cent de son essor à la simple évolution démographique[1].

Tableau 3

Sources de la croissance économique au Québec de 1981 à 2006 (taux de croissance annuels moyens en pourcentage)

Sources de la croissance économique au Québec de 1981 à 2006 (taux de croissance annuels moyens en pourcentage)
Source : calculs des auteurs à partir des données de Statistique Canada

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Dans les décennies à venir, l’évolution démographique agira négativement sur le taux de croissance économique. D’une part, la croissance de la population de 15 ans et plus va ralentir, puis s’inverser. Selon le scénario de référence de l’ISQ, elle croîtrait d’abord de 0,38 % par année en moyenne de 2006 à 2031, puis diminuerait de 0,10 % par année en moyenne de 2031 à 2051. D’autre part, à taux d’emploi par âge inchangés, le déplacement de la population vers les âges avancés, dont la propension à travailler est faible ou nulle, va en lui-même réduire le taux d’emploi global de la population de 15 ans et plus. Nous calculons que, si le scénario de référence de l’ISQ s’applique, ce dernier changement ferait diminuer le taux d’emploi global en moyenne de 0,67 % par année de 2006 à 2031 et de 0,18 % par année de 2031 à 2051. En clair, le changement démographique apporterait une contribution négative de 0,29 % à la croissance économique annuelle entre 2006 et 2031 et de - 0,28 % pour la période allant de 2031 à 2051.

Bref, dans les décennies à venir, l’effet de la démographie sur la croissance économique va s’inverser complètement. La chute du taux de croissance économique qui va s’ensuivre pour des raisons démographiques pures et que nous allons chiffrer plus loin pourra être atténuée (mais certainement pas empêchée) si les taux d’emploi des divers groupes d’âge augmentent, si l’âge moyen de la retraite est retardé, si le nombre d’heures travaillées par personne employée cesse de diminuer ou augmente et si la production par heure travaillée (la productivité) s’accélère pour des raisons autres que démographiques.

Du côté des finances publiques, deux conséquences principales vont découler du changement démographique. La première est que les revenus de l’État vont subir un ralentissement semblable à celui de la croissance économique, ces revenus étant à peu près proportionnels au PIB (inflation comprise). La seconde conséquence est que la forte hausse du nombre et du poids démographique des aînés va entraîner une progression des dépenses dans le domaine de la santé et des services sociaux beaucoup plus rapide que celle du PIB et des revenus budgétaires.

Le tableau 4 montre en effet qu’en comparaison de la catégorie des 45-64 ans, les dépenses de santé (services sociaux exclus) par habitant sont trois fois plus élevées pour le groupe de 65-74 ans et cinq fois plus élevées pour celui des 75-84 ans. Il s’ensuit qu’à dépenses par âge par habitant constantes, une population vieillissante va voir ses dépenses totales de santé par habitant augmenter automatiquement, par pur effet démographique.

Tableau 4

Dépenses moyennes de santé par habitant selon le groupe d’âge — Québec, 2004 (en dollars)

Dépenses moyennes de santé par habitant selon le groupe d’âge — Québec, 2004 (en dollars)
Source : ICIS (2006)

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Le tableau 5 donne une idée de l’ordre de grandeur du changement impliqué pendant la période de passage des baby-boomers à la retraite. Il indique le coût des soins de santé pour 100 Québécois répartis selon la pyramide des âges du scénario de référence de l’ISQ en 2004 et en 2031, si les dépenses par âge et par habitant demeurent inchangées d’une date à l’autre. En lui-même, le déplacement de la pyramide des âges de 2004 à 2031 aurait pour effet de faire augmenter la dépense totale par habitant (ou par 100 habitants) de 45 %. La règle de trois qui est appliquée ici simplifie évidemment la réalité, mais elle illustre bien l’ordre de grandeur de l’impact financier du vieillissement sur le coût de la santé, toutes choses égales d’ailleurs.

Tableau 5

Coût des soins de santé pour 100 personnes au Québec en 2004 et en 2031 (en dollars)

Coût des soins de santé pour 100 personnes au Québec en 2004 et en 2031 (en dollars)
Sources : ICIS (2006), ISQ (2004), calcul des auteurs

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Les conséquences attendues du changement démographique sur les autres dépenses varient. La baisse du nombre de jeunes va entraîner un certain ralentissement des dépenses en matière d’éducation et de services de garde. Mais, comme on peut le voir au tableau 5, la baisse du poids démographique des jeunes sera plus faible que l’augmentation du poids des aînés. Le ralentissement des dépenses d’origine purement démographique sera donc moindre par rapport à la hausse des dépenses de santé. Comme facteur autre que démographique, il faut sans doute prévoir que la nécessité, généralement ressentie, d’augmenter l’investissement dans le capital humain fera croître les dépenses par enfant, par élève et par étudiant.

Il est naturel de supposer que les dépenses dans les secteurs autres que la santé et l’éducation suivent le rythme de croissance de l’économie. Or, ces dépenses ne peuvent être continuellement comprimées étant donné les besoins criants qui ne cessent d’émerger, notamment en matière d’infrastructure. Avec les revenus de l’État qui progresseront plus lentement et des dépenses publiques qui feront l’objet de pressions accrues, principalement liées aux coûts de la santé et des services sociaux, il est inévitable que, si rien n’est fait pour contrer ou absorber ces tendances, le budget du Québec recommencera à accuser des déficits chroniques dans les décennies à venir.

Le caractère spécifique de la présente étude

L’objectif de la présente analyse est d’examiner le défi de l’équité intergénérationnelle soit, assurer le bien-être des générations d’aujourd’hui sans compromettre celui des générations de demain.

Nous ne sommes pas les premiers à étudier les conséquences du vieillissement de la population sur l’économie et les finances publiques. Plusieurs chercheurs canadiens et étrangers l’ont fait avant nous. Au Canada, Oreopoulos et Vaillancourt (1998) ont démontré que les générations futures seront durement atteintes, à moins que les gouvernements ne fassent une priorité du remboursement de la dette publique. Le Conference Board du Canada[2] (2002) a calculé que le gouvernement fédéral s’acheminera rapidement vers des surplus à répétition et les gouvernements provinciaux, vers une série de déficits. Mérette (2002) a souligné que divers mécanismes (scolarisation accrue, taux d’emploi plus élevé, immigration en hausse, changements technologiques, imposition des régimes de retraite) vont atténuer l’effet du vieillissement sur l’économie et les finances publiques. Robson (2006) a estimé que les répercussions des changements démographiques prévus d’ici 2055 sur les secteurs de la santé et de l’éducation équivaudront à un passif net de 82 % du PIB pour le Québec et de 57 % pour les autres provinces canadiennes.

Notre analyse se démarque de celles de ces prédécesseurs par rapport à quatre principaux éléments. Premièrement, elle porte exclusivement sur le Québec, pour lequel elle se veut plus complète et plus détaillée. Deuxièmement, elle présente une nouvelle méthode de calcul de l’imposition nette des régimes de retraite. Troisièmement, elle est délibérément optimiste dans ses hypothèses sur l’avenir de l’économie et des finances publiques. Quatrièmement, elle cherche à quantifier les difficultés financières engendrées par le vieillissement, soit quantifier le montant de la « facture démographique » : cette facture étant l’effet du vieillissement de la population sur les finances publiques calculé en maintenant inchangées l’offre de services publics actuelle et la structure fiscale servant à la financer. Nous proposons également à travers cette analyse divers moyens d’intervention pour réduire cette facture et introduire la plus grande mesure d’équité intergénérationnelle possible. Ce qui est recherché avant tout, c’est le développement durable des services publics.

La projection des finances publiques et l’impasse budgétaire appréhendée

Afin de parvenir à une appréciation quantitative des conséquences du changement de la structure démographique au Québec, nous proposons une méthode et des hypothèses permettant de construire une projection des finances publiques. Nous parlons ici d’une projection et non d’une prédiction. La différence est de taille, car d’entrée de jeu, nous ne pouvons dire si les résultats présentés dans cette étude vont se concrétiser. En effet, nous projetons dans le futur les finances publiques québécoises en supposant une même offre de services publics, un niveau de taxation comparable et une absence d’actions face aux résultats année après année. Pour que ces résultats se concrétisent, il faudrait supposer que les gouvernements n’entreprennent aucune action pour infléchir les tendances escomptées. Or, cette situation est improbable. Autrement dit, l’objectif du présent exercice est d’établir des prévisions pour l’évolution future, hypothétique, de la population et non de prédire l’avenir.

Néanmoins, l’exercice reste tout à fait pertinent. Il permet d’illustrer l’ampleur de l’incidence qu’auront les changements démographiques sur les finances publiques, afin que tous saisissent bien le défi qui attend le Québec à l’aube du vieillissement de sa population. Même si dans un tel contexte, toute projection comporte nécessairement une part d’incertitude, elle ne saurait remettre en cause ce type d’exercice. En outre, il est régulièrement effectué pour prévoir le financement nécessaire à des activités de long terme, comme celles des régimes de retraite, par exemple.

Pour cette raison, nous croyons à l’utilité des projections à long terme, notamment en ce qui concerne les effets du vieillissement de la population sur les finances publiques. À ce sujet, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, 2006) a déjà écrit :

Pratiquement tous les pays de l’OCDE sont confrontés aux pressions du vieillissement — non pas seulement à cause des évolutions démographiques mais parce que les individus vivent plus longtemps. [...] Mais la composante démographique des dépenses futures au titre de la santé et des soins aux personnes âgées dépendantes aura un impact considérable sur la situation budgétaire globale dans le long terme. Les dépenses de santé futures dépendront aussi des autres pressions des coûts qui se sont révélées difficilement maîtrisables pendant un laps de temps prolongé. Afin de surveiller et de gérer ces pressions, le Canada devrait prendre exemple sur d’autres pays de l’OCDE et mettre en place un mécanisme officiel crédible pour le suivi des perspectives budgétaires à long terme (sur un horizon de 10 à 40 ans)[3].

L’OCDE recommande donc la publication d’un rapport d’évaluation de longue portée sur les implications budgétaires des changements démographiques. C’est exactement le genre d’exercice que nous faisons.

Hypothèses en rapport aux variables économiques et budgétaires

En vue de projeter les équilibres financiers du gouvernement pour les années futures, nous avons posé certaines hypothèses économiques et budgétaires, auxquelles nous avons voulu imposer un caractère d’« optimisme prudent ».

Hypothèses économiques

  • Population : nous utilisons les données sur la population québécoise et la pyramide des âges telles qu’établies dans le scénario de référence démographique de l’ISQ. Dans ce scénario de référence A de l’ISQ, la fécondité est de 1,46 enfant par femme en 2001 et augmente à 1,5 enfant en 2003-2004. Le solde migratoire se stabilise à 19 000 personnes en 2006-2007[4]. Au regard des récentes données, notamment celles de la fécondité et du solde migratoire, ce scénario ne semble déjà plus être réaliste. Les résultats obtenus s’apparentent davantage aux hypothèses du scénario fort de l’ISQ. Malgré tout, le scénario A étant celui choisi par le gouvernement comme scénario de référence, c’est celui que nous avons utilisé. Par contre, nous comparerons plus loin les résultats obtenus avec ceux découlant du scénario fort de l’ISQ.

  • Taux d’emploi : du côté du marché du travail, nous faisons croître les taux d’emploi de tous les groupes d’âge. Il nous a semblé assez clair, en effet, que les taux d’emploi des groupes âgés de 15 à 64 ans, de 65 à 69 ans et même de 70 ans et plus sont encore en mode de rattrapage au Québec. Les points de départ sont les données réelles des taux par âge de 2005 que nous faisons croître de façon linéaire jusqu’en 2031. Les taux atteints en 2031 sont égaux aux taux observés en Ontario en 2005. Ces taux sont ensuite maintenus constants jusqu’à la fin de la période en 2051. Le tableau 6 donne la description de ces hypothèses. La dernière ligne indique le taux d’emploi global (pondéré) de la population de 15 ans et plus. On constate que, malgré les hausses des taux d’emploi supposées pour toutes les catégories d’âge, le vieillissement de la population fait diminuer le taux d’emploi global tout au long de la période de projection.

Tableau 6

Hypothèses sur l’évolution des taux d’emploi par catégorie d’âge et du taux d’emploi global au Québec, 2006, 2031 et 2051

Hypothèses sur l’évolution des taux d’emploi par catégorie d’âge et du taux d’emploi global au Québec, 2006, 2031 et 2051
Sources : Statistique Canada, tableau 282-0002, ISQ (2004), calcul des auteurs

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  • Heures travaillées : nous supposons a priori que le nombre d’heures effectivement travaillées par personne occupée au Québec, qui a diminué de 8 % de 1976 à 2005, va cesser de diminuer et se stabiliser au niveau atteint en 2006, soit 1 690 heures par année.

  • Taux d’inflation : nous utilisons un taux d’inflation de 2 %, soit la cible actuelle de la Banque du Canada.

  • Productivité : le taux de croissance annuel de la production par heure travaillée au Québec n’a été que de 1 % entre 2000 et 2005. Nous le faisons augmenter linéairement à partir du niveau de 1 % en 2005 à celui de 1,5 % en 2031, puis nous maintenons la progression annuelle constante à ce rythme jusqu’en 2051. Une hypothèse implicite est que la productivité ne souffrira pas du vieillissement de la population active.

Suivant ces hypothèses, le taux de croissance du PIB réel (hors inflation) du Québec passe de 1,8 % par année en 2005-2011 à 1,1 % en 2041-2051. En ajoutant le taux d’inflation de 2 %, le taux de croissance du PIB nominal passe de 3,8 % en 2005-2011 à 3,1 % en 2041-2051.

Hypothèses budgétaires

  • Santé : pour la projection des dépenses publiques de santé, nous appliquons la prévision de l’évolution démographique aux dépenses par habitant par groupe d’âge et par sexe observées dans le passé récent, puis soumettons le résultat à un taux d’augmentation annuel uniforme de la dépense réelle par habitant de 1,5 % (évolution des technologies et de la demande). Cette dernière hypothèse représente à nos yeux une estimation conservatrice raisonnable basée sur l’observation des dépenses réelles de santé par habitant hors vieillissement de la période 1996-2005[5]. Selon ces hypothèses, la croissance annuelle des dépenses de santé est supérieure à celle du PIB nominal pendant toute la période de projection, mais connaît une décélération passant d’un taux de 5,4 % en 2005-2011 à un taux de 3,8 % en 2041-2051. En fait, la croissance des dépenses de santé émanant de nos hypothèses est inférieure à celle qui a été observée durant la période 1996-2005. Néanmoins, le poids de ces dépenses dans le PIB du Québec s’alourdit, passant de 8 % du PIB en 2005 à 15 % en 2051.

  • Éducation et services de garde : la méthode de projection des dépenses dans l’éducation et les services de garde est semblable à celle employée pour les dépenses de santé. La prévision de l’évolution de la population des jeunes est appliquée aux dépenses par enfant, par élève et par étudiant récemment enregistrées, puis le résultat est augmenté d’une estimation de la croissance annuelle de la dépense réelle par habitant variant selon le groupe. Les taux de croissance utilisés s’appuient notamment sur l’évolution des dépenses par élève (ou par étudiant) par secteur d’enseignement de 1989 à 2003. Ces hypothèses maintiennent la croissance des dépenses de garde et d’éducation autour de 2,2 % par année de 2005 à 2051.

  • Autres dépenses : pour les autres dépenses budgétaires, l’hypothèse retenue est qu’elles vont progresser au même rythme que le PIB nominal (inflation comprise).

  • Dette : les règles comptables permettent au gouvernement du Québec de s’endetter afin d’acquérir des éléments d’actif (immobilisations, placements dans les sociétés d’État, etc.). Nous appelons la dette ainsi contractée la dette primaire du gouvernement. Depuis 1998, c’est un montant annuel moyen d’environ 1 % du PIB qui a été consacré à ces acquisitions d’actif. Nous conservons ce taux d’accroissement de l’endettement jusqu’en 2051 et lui appliquons un taux d’intérêt annuel moyen de 6,3 %[6]. Comme ce fut le cas au cours des années récentes, la dette primaire continue de diminuer lentement en pourcentage du PIB, passant de 43 % en 2005 à 35 % en 2051.

  • Transferts fédéraux et revenus autonomes : la croissance des transferts fédéraux et des revenus autonomes du gouvernement (impôts, taxes, tarifs et revenus des sociétés d’État) est aussi calquée sur celle du PIB nominal, sauf dans le cas particulier des régimes de retraite.

  • Régimes de retraite : l’imposition nette des régimes de retraite est le solde des impôts prélevés sur les retraits des Régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER) et des Régimes de pension agréés (RPA) moins les déductions fiscales associées aux cotisations à ces régimes. Nous tenons compte explicitement du fait que le vieillissement à venir de la population fera augmenter les retraits beaucoup plus rapidement que les cotisations. Selon la projection obtenue, l’imposition nette des régimes de retraite passerait d’un solde négatif de 400 millions de dollars en 2005 à un solde positif, mais (relativement) modeste, de 6,9 milliards de dollars en 2051.

Les résultats de la projection économique et financière

Dans l’ensemble, nos hypothèses font preuve d’un certain optimisme. La productivité s’accélère peu à peu, le nombre d’heures travaillées par personne employée cesse de diminuer, les taux d’emploi augmentent pour toutes les catégories d’âge, les dépenses dans le domaine de la santé croissent moins vite que durant la période 1996-2005, les dépenses dans l’éducation et les services de garde croissent moins vite que le PIB, les autres dépenses courantes et les immobilisations demeurent stables en pourcentage du PIB, tandis que le rapport entre la dette primaire et le PIB continue de diminuer lentement.

Néanmoins, la croissance économique subit un ralentissement marqué, comme l’indiquent les résultats du tableau 7 pour le PIB (nominal). De 2011 à 2051, la croissance du PIB nominal oscille entre 3,1 % et 3,3 % par année selon la sous-période considérée. La croissance du PIB réel, retranchée du taux d’inflation annuel de 2 %, varie de son côté entre 1,1 % et 1,3 %, alors qu’elle a été de 2,1 % par année en moyenne de 1981 à 2006 (voir plus haut tableau 3).

L’ensemble des hypothèses économiques et budgétaires qui forme notre scénario permet de projeter le budget du Québec jusqu’en 2051. Cette projection, présentée dans le tableau 7, révèle deux caractéristiques essentielles. La première est que le poids des dépenses de santé s’alourdit continuellement. La santé accapare 35 % du total des dépenses budgétaires (y compris le service de la dette) en 2005 et 56 % en 2051. Toutes les autres dépenses perdent de l’importance : l’éducation et les services de garde passent de 22 % à 11 % du total, le service de la dette primaire, de 13 % à 8 %, et les autres dépenses, de 30 % à 24 %.

La seconde caractéristique de la projection est qu’à partir de 2013 (date où les premiers baby-boomers atteindront 65 ans) elle fait apparaître des déficits primaires[7] persistants et de plus en plus importants avec le temps. Ces déficits seraient de 17 milliards de dollars en 2031 et de 54 milliards en 2051.

Tableau 7

Projection du budget du Québec, 2005-2051 (millions de dollars)

Projection du budget du Québec, 2005-2051 (millions de dollars)

Note 1 : les données utilisées pour l’exercice financier 2005 et pour nos projections ne se limitent pas aux dépenses et aux revenus budgétaires du gouvernement du Québec. Nous avons utilisé le périmètre comptable du gouvernement qui comprend a) en vertu de la méthode de consolidation intégrale, non seulement les ministères, mais également les organismes consolidés et les fonds spéciaux; et b) en vertu de la méthode modifiée de comptabilisation à la valeur de consolidation, le résultat net des entreprises du gouvernement. Indiquons à titre d’exemple qu’Investissement Québec est un organisme consolidé alors qu’Hydro-Québec est une entreprise du gouvernement.

Note 2 : le poste « impôts nets des régimes de retraite » est le solde des impôts perçus sur les retraits des REER et des RPA moins les impôts reportés sur les cotisations à ces régimes.

Note 3 : le service de la dette rapporté ici est le service de la dette primaire. Il est égal aux charges d’intérêts sur la dette contractée pour acquérir des éléments d’actif (immobilisations, placements dans les sociétés d’État, etc.) seulement. Cela exclut les intérêts à verser sur la dette qui s’accumuleraient en raison des déficits chroniques prévus à partir de 2013, si le scénario de référence se matérialisait.

Note 4 : conformément à la définition du service de la dette primaire indiquée à la note 3, le solde budgétaire rapporté ici est le solde budgétaire primaire. Il omet d’inclure les intérêts à verser sur la dette qui s’accumuleraient en raison des déficits chroniques prévus à partir de 2013, si le scénario de référence se matérialisait.

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Deux scénarios alternatifs

Afin de mieux saisir les propriétés de notre projection, nous la comparons ci-dessous à deux autres projections. La première suppose inchangées les hypothèses économiques concernant la productivité et les taux d’emploi par âge. La seconde adopte le scénario démographique fort de l’ISQ plutôt que le scénario de référence de cet organisme.

Un scénario « stationnaire »

Nous appellerons « stationnaire » le premier scénario alternatif. Il mesure l’ampleur du défi économique et financier qui attend le Québec en l’absence d’adaptation des facteurs économiques. Si, contrairement aux hypothèses retenues dans notre scénario, la productivité québécoise ne s’accélérait pas et que les taux d’emploi par âge n’augmentaient pas, quelles seraient les conséquences sur le PIB, le nombre de travailleurs et les soldes budgétaires projetés?

Tableau 8

Comparaison des hypothèses sur la productivité et les taux d’emploi

Comparaison des hypothèses sur la productivité et les taux d’emploi
Source : calcul des auteurs

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La figure 1 répond à ces questions. Du fait de la construction même, le PIB réel croît plus rapidement dans notre scénario que dans le scénario stationnaire. Toutefois, la partie gauche du graphique montre que, malgré l’accélération de la productivité et la hausse des taux d’emploi par âge qu’il incorpore, notre scénario ne peut empêcher les changements démographiques de ralentir considérablement la croissance du PIB réel, qui a été de 2,1 % par année en moyenne de 1981 à 2006.

La partie droite du graphique confirme qu’étant donné les différences faites dans les hypothèses sur les taux d’emploi par âge, le scénario stationnaire se caractérise par une plus forte diminution du nombre de travailleurs (moins 450 000) que dans notre scénario (moins 219 000) entre la période 2006-2010 et la décennie 2041-2050. La hausse des taux d’emploi qui est inhérente à notre scénario ne peut néanmoins empêcher les changements démographiques de réduire le nombre de travailleurs.

Figure 1

Comparaison de la croissance économique et de l’emploi projetés dans le scénario stationnaire et notre scénario, Québec, 2006-2051

Comparaison de la croissance économique et de l’emploi projetés dans le scénario stationnaire et notre scénario, Québec, 2006-2051
Source : calcul des auteurs

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La figure 2 compare les soldes budgétaires projetés selon les deux scénarios. On y constate que, si la productivité québécoise ne s’accélérait pas et que les taux d’emploi par âge n’augmentaient pas, le déficit budgétaire primaire atteindrait 30 milliards de dollars en 2031 et 92 milliards en 2051, plutôt que 17 milliards et 54 milliards, respectivement. Cet exercice montre bien l’importance des hypothèses « optimistes » formulées sur l’évolution de la productivité et des taux d’emploi par âge.

Figure 2

Comparaison du solde budgétaire primaire projeté du gouvernement du Québec dans le scénario stationnaire et notre scénario, 2005-2051 (milliards de dollars)

Comparaison du solde budgétaire primaire projeté du gouvernement du Québec dans le scénario stationnaire et notre scénario, 2005-2051 (milliards de dollars)
Source : calcul des auteurs

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Le scénario fort de l’ISQ

Dans le premier scénario alternatif, dit « stationnaire », les hypothèses économiques favorables à la croissance ont été supprimées tandis que toutes les autres hypothèses sont demeurées inchangées. Le second scénario envisagé remplace la projection démographique de référence de l’ISQ, que nous avons employée jusqu’ici, par le scénario démographique dit « fort » publié par cet organisme, toutes les autres hypothèses restant inchangées. L’intérêt de cet exercice vient du fait que les données réelles de 2006 ressemblent aux hypothèses de ce scénario fort de l’ISQ. Ce dernier suppose un indice synthétique de fécondité plus élevé (1,65 enfant par femme plutôt que 1,5) et un solde migratoire également plus élevé (31 800 personnes au lieu de 19 700) (tableau 9). Avec une fécondité et une immigration nette plus fortes, ce scénario fait passer la population totale du Québec à 9,0 millions en 2051 plutôt qu’à 7,8 millions.

Tableau 9

Principales hypothèses des trois scénarios démographiques de l’ISQ pour la période 2001-2051

Principales hypothèses des trois scénarios démographiques de l’ISQ pour la période 2001-2051
Source : ISQ (2004)

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Dans la figure 3, les soldes budgétaires projetés sont comparés selon le scénario fort et le scénario de référence de l’ISQ. Le fait remarquable dans ce graphique est que la projection des finances publiques n’est pas très différente d’un scénario à l’autre. Le déficit budgétaire atteindrait à peu près le même niveau dans les deux scénarios en 2031, soit 17 milliards de dollars. En 2051, le déficit est à peine plus faible selon le scénario fort (50 milliards) comparativement au scénario de référence (54 milliards). Cela confirme l’intuition voulant que l’effet du vieillissement sur les finances publiques, qui découle principalement du changement dans la composition par âge de la population adulte, ne peut être renversé par une fécondité et une immigration nette plus fortes, lesquelles modifient peu cette composition, du moins dans un horizon de quarante-cinq ans. Cela ne signifie nullement qu’une hausse de la fécondité et de l’immigration n’est pas souhaitable, mais simplement qu’une telle évolution ne peut constituer une solution unique au problème des finances publiques dans l’horizon envisagé. En effet, l’utilisation du scénario fort de l’ISQ, dont la concrétisation n’est pas entièrement assurée pour le moment, ne corrige que 10 % du déficit projeté en 2051.

Figure 3

Comparaison du solde budgétaire primaire projeté du gouvernement du Québec entre le scénario démographique fort et le scénario démographique de référence de l’ISQ, 2005-2051 (milliards de dollars)

Comparaison du solde budgétaire primaire projeté du gouvernement du Québec entre le scénario démographique fort et le scénario démographique de référence de l’ISQ, 2005-2051 (milliards de dollars)
Source : calcul des auteurs

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Les réactions possibles du gouvernement du Québec

À supposer que l’avenir des finances publiques ressemble à celui qui découle de notre projection de référence (tableau 7), comment le gouvernement du Québec pourrait-il réagir? Trois sortes de réactions seraient possibles : repousser la facture en s’endettant, absorber la facture en coupant dans les services publics ou payer la facture en augmentant les impôts, taxes et tarifs. Une combinaison de ces trois réactions serait envisageable, mais pour simplifier la présentation, nous allons nous concentrer sur ces trois cas d’espèce.

Repousser la facture en s’endettant

La première des trois options consisterait à maintenir les services publics et le fardeau fiscal selon la trajectoire prévue et à emprunter chaque année l’argent qui manque pour financer le déficit. Pour illustrer l’effet de cette option, la figure 4 montre la dette totale qui en résulterait. Cette dette totale additionne la dette primaire contractée annuellement pour acquérir des éléments d’actifs, plus tous les déficits primaires annuels encourus à partir de 2013, plus les intérêts à verser sur cet endettement supplémentaire.

Cette option mènerait le gouvernement du Québec tout droit à la faillite. Dans les hypothèses même les plus optimistes, sa dette totale emprunterait une trajectoire explosive et insoutenable, atteignant 2 200 milliards de dollars, ou 185 % du PIB, en 2051 alors qu’à la fin de l’exercice 2005-2006, la dette du gouvernement du Québec s’élevait à 188,2 milliards de dollars, ou 43 % du PIB.

Figure 4

Projection de la dette totale du Québec si la facture du « choc démographique » est financée par endettement, 2005-2051 (en milliards de dollars et en pourcentage du PIB)

Projection de la dette totale du Québec si la facture du « choc démographique » est financée par endettement, 2005-2051 (en milliards de dollars et en pourcentage du PIB)
Source : calcul des auteurs

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Il est clair que cette option n’est pas imaginable et qu’elle entraînerait une profonde iniquité intergénérationnelle.

Absorber la facture en coupant dans les services publics

La deuxième option viserait au contraire à absorber la totalité des déficits primaires de façon à les empêcher de faire augmenter la dette d’une année à l’autre. On atteindrait cet objectif en réduisant les services publics de manière à équilibrer le budget chaque année, tout en laissant le fardeau fiscal inchangé selon la trajectoire de notre scénario de référence.

Pour illustrer les conséquences de cette option, le tableau 10 indique le pourcentage dont il faudrait amputer à cette fin les dépenses budgétaires autres que la santé et l’éducation (supposées incompressibles). Les compressions nécessaires des « autres dépenses » seraient de 14 % en 2021, grimperaient rapidement à 41 % en 2031 et atteindraient 69 % en 2051.

Tableau 10

Pourcentage de réduction des « autres dépenses » budgétaires nécessaire pour équilibrer le budget chaque année, tout en maintenant le fardeau fiscal inchangé, Québec, 2005-2051

Pourcentage de réduction des « autres dépenses » budgétaires nécessaire pour équilibrer le budget chaque année, tout en maintenant le fardeau fiscal inchangé, Québec, 2005-2051
Source : calcul des auteurs

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Il est clair que cette option serait invivable et qu’elle impliquerait, elle aussi, une profonde iniquité intergénérationnelle.

Payer la facture en augmentant les impôts, taxes et tarifs

La troisième option viserait le même objectif : absorber la totalité des déficits primaires de façon à les empêcher de faire augmenter la dette d’une année à l’autre. Mais, cette fois-ci, ce seraient les impôts qui seraient augmentés de manière à équilibrer le budget chaque année, tandis que le niveau des services publics resterait inchangé suivant la trajectoire de notre scénario de référence.

Le tableau 11 indique que la hausse des impôts, taxes et tarifs qui permettrait d’atteindre cet objectif serait de 15 % en 2031 et de 25 % en 2051.

Tableau 11

Pourcentage d’augmentation des impôts, taxes et tarifs nécessaire pour équilibrer le budget chaque année, tout en maintenant le niveau des services publics inchangé, Québec, 2005-2051

Pourcentage d’augmentation des impôts, taxes et tarifs nécessaire pour équilibrer le budget chaque année, tout en maintenant le niveau des services publics inchangé, Québec, 2005-2051
Source : calcul des auteurs

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Encore une fois, agir de la sorte est impensable et entraînerait une profonde iniquité intergénérationnelle.

Créer une « caisse démographique »

L’approche que nous privilégions vise à restaurer l’équité intergénérationnelle. Elle consisterait à augmenter à partir d’aujourd’hui les impôts, taxes et tarifs d’un pourcentage uniforme et constant du PIB jusqu’en 2051. Ces nouvelles recettes fiscales seraient mises de côté et s’accumuleraient dans un fonds (avec les intérêts) pendant un certain temps, puis seraient ultérieurement dépensées au profit des générations futures. L’idée d’une telle « caisse démographique » est proche de celle du Fonds des générations lancé par le gouvernement du Québec en 2006. La différence est que notre caisse démographique serait un fonds réversible, dont les modalités de décaissement seraient fonction de paramètres démographiques préétablis.

La caractéristique fondamentale d’une telle mesure serait qu’elle égaliserait la charge fiscale entre les générations. Elle permettrait d’éviter des augmentations d’impôts, taxes et tarifs de plus en plus lourdes pour les générations de 2025 à 2050, comme l’illustre le tableau 11. Pendant les deux prochaines décennies, par exemple, la caisse démographique engrangerait des fonds. Par la suite, les fonds accumulés seraient décaissés et ajoutés au financement des services publics offerts aux générations de 2025 à 2050. C’est de cette façon que l’équité intergénérationnelle serait assurée.

Notre projection permet de calculer la hausse de recettes fiscales qui serait nécessaire pour appliquer cette stratégie. Elle équivaudrait à 1,5 % du PIB. En 2007, cela voudrait dire 4,5 milliards de dollars de plus en impôts, taxes et tarifs, soit une augmentation de 8,7 % des revenus autonomes du gouvernement. Il s’agit évidemment d’un montant considérable. Deux questions se posent immédiatement : premièrement, où trouver cet argent? Et deuxièmement, est-ce que les générations actuelles accepteraient de restreindre ainsi leur niveau de vie afin de protéger le bien-être de leurs descendants? Une chose est cependant certaine : plus on tarde à égaliser les charges fiscales entre les générations et plus les générations futures devront subir d’importantes hausses d’impôts, taxes et tarifs.

Conclusion

Les résultats principaux de l’étude sont que le vieillissement de la population va entraîner :

  • une chute du poids des travailleurs dans la population totale et ce, même si le taux d’emploi de chacun des groupes d’âge augmente;

  • un ralentissement de la croissance du PIB et des recettes fiscales et ce, même si la productivité par heure travaillée s’accroît;

  • une pression accrue sur les dépenses de santé et les dépenses totales de l’État et ce, même si les populations plus âgées seront en meilleure santé.

Ces modifications aux paramètres économiques engendrées par le vieillissement de la population constitueront un énorme défi pour les finances publiques.

Compte tenu des coûts économiques et humains impliqués, il va de soi qu’une stratégie ne serait pas complète si le gouvernement ne cherchait pas par tous les moyens à diminuer au préalable la facture démographique. Un certain nombre d’avenues sont à privilégier : promouvoir la natalité et l’immigration nette; encourager le développement économique en maximisant la croissance de la productivité par l’investissement dans le capital humain, le capital matériel, le capital technologique et les infrastructures; s’assurer que les régimes de retraite et la fiscalité n’encouragent pas indûment des retraites hâtives; poursuivre une gestion serrée des dépenses gouvernementales en réorganisant la santé; accroître les recettes gouvernementales en combattant l’évasion et les paradis fiscaux, en réglant l’épineuse question du déséquilibre fiscal et en tarifant mieux les services publics.

Quoi qu’il en soit, nous sommes d’avis que, dans l’état actuel de la situation, le gouvernement du Québec n’est pas en mesure de garantir l’application du principe d’équité entre les générations. Malgré des hypothèses que nous n’avons pas hésité à qualifier d’optimistes et de prudentes, les résultats de notre projection font apparaître à compter de 2013 des déficits chroniques qui augmentent avec le temps, atteignant 17 milliards de dollars en 2031 et 54 milliards en 2051.

Si nous voulons éviter que le gouvernement n’ait d’autre choix que d’apporter d’importantes restrictions aux budgets de toutes ses missions, sauf dans ceux de la santé et de l’éducation, de se désengager d’une multitude de programmes, de recourir au déficit chronique ou encore d’augmenter de manière démesurée le fardeau fiscal des générations futures simplement pour maintenir les services publics actuellement offerts, il n’y a guère d’autre stratégie possible que de mettre en place une caisse démographique dont le financement doit débuter immédiatement. C’est à cette seule condition que le gouvernement du Québec réussira à assurer à la fois la pérennité des services publics et l’équité entre les générations.

Nous convenons que cette tâche collective est colossale. Mais nous observons en même temps que, plus la solution sera faible et tardive, plus les problèmes à régler prendront de l’ampleur, plus les sacrifices seront douloureux et les solutions, déplaisantes.