Article body

L‘un des changements démographiques les plus importants des dernières décennies est sans doute le vieillissement de la population, qui touche aussi bien les pays à économie en émergence (PEE), ceux d’Afrique notamment, en raison de hauts niveaux de fécondité dans un contexte de déclin de la mortalité infantile, que les pays économiquement avancés. De plus en plus, le maintien et la promotion de la santé et du bien-être des personnes âgées sont devenus une préoccupation de la communauté internationale et des gouvernements nationaux (Gendreau et al., 2002; US National Academy of Sciences, 2004). Les recommandations envisagées dans les forums internationaux en ce qui concerne les personnes âgées comprennent : 1) la réduction des risques de maladie et d’incapacité ainsi que de la dépendance qui peut en résulter; 2) l’élaboration de politiques de prévention des troubles de la santé; 3) l’accès de toutes à une alimentation et à une nutrition adéquates; 4) l’élimination des inégalités sociales et économiques fondées sur l’âge, le sexe ou tout autre motif afin qu’elles bénéficient d’un accès équitable et universel aux soins de santé; et 5) le développement et le renforcement des services de soins de santé primaires afin de répondre à leurs besoins et de promouvoir leur participation au développement économique et social.

Ces recommandations tiennent compte du fait que l’état de santé est l’un des indicateurs les plus importants du bien-être et qu’il « prédit » une large proportion des dépenses de la société en santé et services sociaux. Réciproquement, l’état de santé est influencé par les politiques et programmes sociaux. Durant le dernier siècle, il y a eu des changements importants dans les niveaux et tendances de l’état de santé et de la survie des populations. Les pays à économie en émergence, en Afrique et ailleurs, demeurent en retard sur les pays économiquement avancés (PEA) pour le déclin de la mortalité et la transition épidémiologique, marquée par le passage d’une prépondérance des maladies infectieuses et parasitaires à une prédominance des maladies chroniques et dégénératives. D’autre part, au cours des dernières décennies, la caractérisation de l’état de santé des populations a beaucoup progressé, du fait surtout que les données de mortalité ont été complétées par des mesures des signes et symptômes cliniques personnels ainsi que des maladies et des incapacités fonctionnelles. Ces types de données ont nettement amélioré l’arsenal des outils quantitatifs qui servent aux politiques et à la planification en matière de santé dans les pays à économie avancée, surtout dans le cas des personnes âgées, dont les taux de morbidité et d’incapacité dépassent ceux des autres tranches d’âge adulte.

On a très peu de données sur la morbidité et l’incapacité chez les personnes âgées en Afrique et sur le fardeau qu’elles peuvent représenter pour les systèmes de soins de santé, notamment dans le cas des maladies chroniques ou des incapacités débilitantes. Selon certains, la gravité des incapacités devrait diminuer, avec la compression de la morbidité dans un court intervalle (hausse de l’âge où commence l’incapacité et décès à un moment fixe) (Fries, 1980); pour Fries, il est inévitable que décès et incapacité surviennent de façon plus tardive. Le monde connaît une transition démographique, épidémiologique et nutritionnelle sans précédent. La population mondiale vieillit, mais l’ampleur et l’intensité du vieillissement varient énormément d’une société à l’autre, si bien que seules des études spécifiques peuvent permettre de mieux cibler les actions et de définir les stratégies d’intervention les plus susceptibles de réussir à moindre coût. L’état des connaissances sur les questions de santé aux âges avancés en Afrique reste rudimentaire, particulièrement en ce qui concerne la santé et l’incapacité chez les personnes âgées.

Cette étude a trois objectifs. D’abord, elle présente le portrait démographique et socioéconomique, les modes de vie et l’environnement des personnes âgées dans un contexte africain. Ensuite, elle évalue le rôle du statut socioéconomique et des conditions de vie familiale dans la manifestation des différences dans l’état de santé perçu et les limitations d’activité chez les personnes âgées dans ce contexte africain. Enfin, elle cerne les effets des facteurs associés à la santé et à la capacité fonctionnelle des personnes âgées dans ce contexte, de manière à cibler les interventions de promotion de la santé les plus susceptibles d’avoir des impacts multiples pour cette tranche de la population.

Nous utilisons les données d’une enquête menée dans 75 villages et villes de l’ouest du Cameroun pour éclairer les facteurs associés à l’état de santé perçu et aux limitations d’activité chez les personnes de 50 ans et plus. Nous testons les hypothèses suivantes : dans cette population de personnes âgées, 1) l’état de santé perçu et les limitations d’activité varient selon le sexe et l’âge; 2) à mesure que diminue le statut socioéconomique, l’état de santé perçu est moins bon et l’incapacité fonctionnelle plus grande; 3) il y a un lien entre modes de vie (d’une part) et santé perçue et capacité fonctionnelle; 4) il y a une association entre comportement préventif (d’une part) et santé perçue et capacité fonctionnelle; et 5) l’environnement socioéconomique et sanitaire joue un rôle dans la santé perçue et la capacité fonctionnelle.

Contexte du vieillissement des populations en Afrique

À Vienne, en 1982, lors de sa première Assemblée mondiale sur le vieillissement, l’ONU a abordé pour la première fois le phénomène du vieillissement de façon globale, et adopté 62 recommandations pour améliorer la situation des personnes âgées et leur prise en compte dans les recherches et initiatives touchant la santé, la nutrition, la consommation, le logement, l’environnement, la famille, le bien-être social, la sécurité du revenu, l’emploi et l’éducation.

Plus tard, en 1991, l’ONU a défini certains principes que devraient respecter les gouvernements. L’indépendance des personnes âgées est l’un d’eux; celles-ci doivent par exemple avoir accès en suffisance aux vivres, à l’eau, au logement, aux vêtements et aux soins de santé, pouvoir travailler et décider du moment de leur retraite, avoir accès à des programmes d’enseignement et de formation, vivre dans un environnement sécuritaire adapté à leurs goûts et capacités. La participation des personnes âgées est un autre principe; elles doivent être partie prenante de la société, participer à la définition des politiques les concernant, partager leurs connaissances et leur savoir-faire avec les jeunes générations, pouvoir rendre service à la collectivité selon leurs intérêts et capacités et se regrouper en association. En ce qui concerne la santé des personnes âgées, il importe de faciliter leur maintien dans leur famille, de leur assurer un accès à des soins de santé et à des services hospitaliers pour prévenir ou retarder la maladie, de leur fournir des services sociaux et juridiques pour protéger leurs droits, et de les faire profiter pleinement des droits de l’homme lorsqu’elles sont dans des établissements de traitement, en assurant le respect de leur dignité, de leurs croyances et de leurs besoins. Au chapitre de l’épanouissement personnel et de la dignité, les personnes âgées doivent pouvoir développer pleinement leurs possibilités, avoir accès à l’éducation, à la culture et aux loisirs, vivre dans la dignité sans être exploitées ni subir de sévices mentaux ou physiques, être traitées avec justice et sans discrimination.

Le plan d’action de la deuxième Assemblée mondiale sur le vieillissement organisée par l’ONU à Madrid, en 2002, inscrit le phénomène du vieillissement dans un contexte global de développement et vise à permettre aux personnes âgées de vieillir dans la sécurité et la dignité et de participer à la vie économique et socioculturelle de leur communauté. Ce plan d’action repose notamment sur la promotion de la santé et du bien-être des personnes âgées.

Au moment où la population africaine vieillit, les systèmes traditionnels (à base familiale ou communautaire) de soutien et d’assistance aux personnes âgées s’affaiblissent. Il en va de même pour les systèmes de migration (sélective selon l’âge) des zones rurales, où vit la grande majorité de la population, y compris les personnes âgées. Rares sont les pays africains dotés d’un système étatique de sécurité sociale bien développé; l’Afrique du Sud est une exception (Case et Deaton, 1998; Sagner et Mtati, 1999). Par conséquent, en l’absence de revenu garanti ou de soutien de l’État, la famille élargie, la solidarité communautaire et les transferts intergénérationnels restent les principaux cadres et mécanismes de prise en charge des personnes âgées (Weinreb, 2002; Grimard et Hamilton, 1999; Gendreau et al., 2002). Ces cadres et mécanismes obéissent aux normes et coutumes assimilées par tous dès l’enfance; ils sont transmis de génération en génération et constituent une force pour la cohésion sociale en Afrique. Les responsabilités intergénérationnelles partagées qui les sous-tendent sont supposées être respectées par tous les membres de la société.

Or, selon United Nations (2005), de 2005 à 2025 puis à 2050, l’effectif de la population africaine de 65 ans et plus devrait passer de 30 767 000 personnes (3,4 % de la population totale) à 56 869 000 (4,2 % de la population totale) puis à 106 371 000 (5,8 %). Dans un contexte de rareté des ressources, compte tenu des défis que pose une population africaine encore relativement jeune, les structures de prise en charge des personnes âgées, même renforcées par de vastes programmes d’appoint ciblés et par des infrastructures de services, ne pourront assurer les soins et les services multiformes dont les personnes âgées auront besoin. En effet, rurales ou urbaines, les sociétés africaines évoluent dans un contexte de pauvreté et de précarité économique; leur population, souvent très jeune, est aux prises avec le VIH-sida et avec des endémies comme le paludisme, qui reste l’une des principales causes de décès (tous âges confondus) dans la plupart des pays africains.

Les changements démographiques, épidémiologiques et socioéconomiques auxquels sont soumis les pays du monde épousent des rythmes, niveaux et moments différents. Il y a vieillissement quand la proportion de personnes âgées dépasse irréversiblement un certain seuil. À partir de quand est-on une personne âgée ? La plupart des études menées dans les pays économiquement avancés situent l’âge de la retraite à 60 ou 65 ans, et cet âge est censé marquer l’entrée dans la vieillesse. Dans les pays à économie en émergence, la retraite survient plus tôt et le vieillissement sociobiologique s’amorce dans la cinquantaine (Kuate-Defo, 2004). En Afrique, l’âge à partir duquel on est « âgé » n’est pas uniquement d’ordre chronologique ou professionnel, il est aussi d’ordre social et culturel. On est « vieux » dès qu’on a une lignée d’au moins deux générations. Or, avec des âges médians au premier mariage et à la première maternité généralement inférieurs à 18 ans pour les femmes et à 25 ans pour les hommes, la descendance d’un Africain de 50 ans atteint facilement deux générations. Quant à la rapidité du vieillissement biologique en Afrique, elle est liée aux conditions économiques, à la malnutrition, à la récurrence de maladies mal (ou non) soignées et à la dureté du travail manuel, qui persiste, spécialement en agriculture, compte tenu du faible niveau d’industrialisation et de mécanisation. Moins de 5 % de la population africaine est âgée de 60 ou 65 ans et plus et, sur le plan biosocial, les personnes de plus de 50 ans sont habituellement considérées comme des vieillards en Afrique (notamment dans les milieux ruraux); mais ces personnes demeurent les parents pauvres des recherches sur le vieillissement (National Research Council, 2001), bien qu’elles soient dépositaires des traditions, coutumes et cultures.

Étant donné que les personnes âgées sont moins portées à migrer et que la plupart vivent à la campagne, où l’agriculture demeure basée sur une force de travail principalement familiale, les réseaux traditionnels d’assistance aux personnes âgées sont fragilisés par la migration vers les villes de jeunes en quête d’opportunités socioéconomiques. Les personnes âgées, dont l’agriculture continue d’assurer la subsistance et de satisfaire les besoins essentiels, perdent ainsi soutien et assistance. Même lorsque les jeunes trouvent du travail et effectuent des transferts d’argent et de biens et services vers leurs parents restés dans l’arrière-pays, étant donné le faible développement des infrastructures socioéconomiques et sanitaires, les choix limités sur le plan de la disponibilité alimentaire et l’inexistence ou l’inaccessibilité des programmes et services sociaux et de santé, les personnes âgées vivent souvent dans des conditions défavorables à leur santé, et le rendement de leur travail agricole ne satisfait pas leurs besoins essentiels.

L’augmentation de la proportion des personnes âgées en Afrique va accroître le fardeau des familles, des systèmes de santé et des services sociaux. Or, faute d’études spécifiques, la plupart des discours sur les personnes âgées en Afrique tendent à refléter des situations moyennes et à masquer les écarts selon l’âge, le sexe, le statut socioéconomique, les modes de vie, le comportement en matière de prévention des maladies et des risques d’incapacité, et l’environnement social (Kuate-Defo, 2004). On sait que, quelle que soit la définition, une proportion plus importante de personnes d’âge avancé que de personnes moins âgées souffre d’incapacités et de problèmes de santé, mais que la plupart des personnes âgées ne souffrent pas d’incapacités (National Research Council, 2001). De même, plusieurs études menées dans les pays industrialisés ont constaté qu’il existe parmi les personnes âgées des « gradients socioéconomiques » qui demandent explication et nécessitent une réponse en termes de politiques de santé (Bobak et al., 1998; Kawachi, Kennedy et Glass, 1999; Ostrove et al., 2000; Kuate-Defo, 2004). Les déterminants de la santé et de l’incapacité sont complexes et multifactoriels, variant entre les individus, les familles, les communautés, les régions et les pays. En Afrique, l’évolution de la fécondité et le déclin sans précédent de la mortalité depuis les années 1950 (Kuate-Defo, 1998a) ont fait entrer la population dans le processus de vieillissement. Les maladies contagieuses prédominent toujours, mais les maladies non contagieuses et les maladies cardio-vasculaires, notamment l’hypertension artérielle (Steyn et al., 2001), et la cécité (Adeoti, 2004) sont en hausse, comme ailleurs dans le monde (WHO, 2002).

Parmi les dimensions de l’épidémiologie sociale du vieillissement, l’état de santé perçu et l’incapacité fonctionnelle retiennent l’attention des chercheurs, notamment dans les environnements typiques des pays à économie en émergence (National Research Council, 2001). Nous posons que ces dimensions varient selon le sexe et l’âge, le statut socioéconomique, les modes de vie, le comportement de prévention des problèmes de santé et des incapacités, et l’environnement socioéconomique et sanitaire.

Variables liées à la santé perçue et aux limitations d’activité chez les personnes âgées

Sexe

Selon certaines études américaines et britanniques sur les variations de l’état de santé selon le sexe, indépendamment de la formulation des questions, les femmes ont plus que les hommes tendance à porter un jugement négatif sur leur santé et sur leur capacité fonctionnelle (Verbrugge, 1984; Nathanson, 1975; Rahman et al., 1994; Tudor-Locke et al., 2003). Des travaux plus récents, dont certains menés au Canada, ont cependant fait ressortir que ces résultats dépendent des indicateurs utilisés dans les comparaisons et que, au moins en Grande-Bretagne et au Canada, les différences se sont amenuisées ces dernières années (MacIntyre et al., 1996; Arber et Cooper, 1999; McDonough et Walters, 2001; Denton et al., 2004).

Dans les conditions normales, à tous les âges, les taux de mortalité sont plus élevés pour les hommes que pour les femmes, si bien que la surnatalité des garçons par rapport aux filles à la naissance est perdue vers l’âge de 35 ans dans les pays économiquement avancés, et vers 60 ans dans les pays à économie en émergence (Siegel et Hoover, 1982; Rahman et al., 1994). Les populations âgées diffèrent des groupes d’âge jeunes par le fait que les femmes y constituent la majorité dans presque tous les pays du monde; la proportion de femmes dans cette population âgée augmente avec l’âge et la prématurité des décès masculins, et on peut penser que les écarts de vieillissement et d’état de santé selon le sexe pourraient s’élargir avec l’âge. Ce déséquilibre en faveur des femmes se reflète dans plusieurs aspects des populations vieillissantes, des incapacités à l’état matrimonial et aux autres formes de mode de vie. Dans le contexte africain, ces différences selon le sexe relèveraient de raisons multiples, parmi lesquelles on trouverait le veuvage et les conditions d’héritage (souvent désavantageuses pour les femmes, surtout en milieu rural), l’espérance de vie supérieure des femmes, la migration rurale-urbaine des femmes âgées (qui se retrouvent plus souvent que les hommes âgés dans la famille de leurs enfants ou petits-enfants adultes, où on leur confie la garde des enfants) et le statut social des femmes, souvent inférieur à celui des hommes à tous les âges, malgré les améliorations récentes (Kuate-Defo, 1997).

Âge

Même s’il est possible que le vieillissement de la population ne fasse pas augmenter les proportions de personnes âgées en mauvaise santé ou souffrant de limitations d’activité dans la vie quotidienne, nous considérons que ces proportions augmentent avec l’âge dans la plupart des environnements africains. C’est ce que montrent les études existantes pour la plupart des pays (Goldman et al., 2004; Baron-Epel et Kaplan, 2001; Singer et Ryff, 1999). L’âge de la vieillesse retenu ici est 50 ans, parce que, jusqu’à une date relativement récente, l’âge à la retraite au Cameroun dans la plupart des secteurs d’activité salariée se situait autour de 50-55 ans. Sur le plan socioculturel, la plupart des personnes de 50 ans et plus, surtout en milieu rural ou semi-rural africain, sont considérées comme des personnes âgées.

En général, un changement d’état de santé et de capacité fonctionnelle accompagne l’avance en âge. Mais les études sur la relation entre l’âge et l’état de santé ou l’incapacité ne sont pas concluantes (voir la recension de Bjorner et al., 1996). La situation des personnes âgées est variable, en Afrique comme ailleurs. Elle dépend de divers facteurs : santé, mode de vie, degré de responsabilité et d’intégration, vie familiale et sociale, expériences, ressources, cohorte de naissance. Il y a plusieurs raisons de s’attendre à une différence selon l’âge dans l’état de santé perçu et la capacité fonctionnelle des personnes âgées en milieu africain. Ainsi, « l’état de santé perçu » basé sur la comparaison que fait le répondant entre lui-même et les gens de sa génération peut changer avec l’âge. Au fur et à mesure qu’ils vieillissent, constatant la mauvaise santé d’une grande partie de leurs congénères, les gens peuvent, malgré leurs propres malaises, juger leur santé assez bonne par comparaison (Idler, 1993). L’incapacité fonctionnelle est supposée augmenter avec l’âge, comme l’ont établi d’autres études (Jagger et al., 1993; Kaplan et al., 1993; National Research Council, 2001), et nous nous attendons à ce que les taux soient plus élevés chez les femmes que chez les hommes, conformément aux conclusions d’autres chercheurs (Heikkinen et al., 1983).

Statut socioéconomique

Le statut socioéconomique est la variable démographique qui a reçu le plus d’attention dans les recherches sur la santé des personnes âgées (Kuate-Defo, 2004). Un statut social élevé est directement relié à plusieurs comportements de promotion de la santé (Coburn et Pope, 1974; Slater et al., 1985). Dans toutes les sociétés, la santé et la capacité fonctionnelle varient selon la situation socioéconomique. L’ampleur de ces différences et leurs causes varient dans le temps, tant à l’intérieur d’un même pays qu’entre pays. Le fondement théorique des mesures utilisées est souvent explicite, plus souvent implicite, et souvent inexistant. Les mesures basées sur l’éducation, le revenu, l’occupation ou une combinaison de ces variables sont courantes.

Dans cette étude, nous avons retenu l’instruction et l’activité économique comme variables clés du statut socioéconomique, étant donné les difficultés inhérentes à la collecte d’informations fiables sur le revenu des individus dans des enquêtes comme la nôtre. Du reste, plusieurs études ont constaté, dans divers contextes, des différences marquées dans l’état de santé et l’incapacité des personnes âgées selon le niveau d’instruction et la profession (Zimmer et al., 1998; Robert, 1999). Selon Coburn et Pope (1974), de toutes les variables qui caractérisent le statut socioéconomique, c’est habituellement le niveau d’instruction qui présente la plus forte corrélation avec les comportements de santé, devant la profession et le revenu. La population africaine âgée vit majoritairement en milieu rural, son activité économique est surtout rurale et elle travaille dans l’agriculture tant que sa force physique le lui permet ou qu’elle peut partager son expérience agricole avec ses enfants et avec les jeunes générations en général. Il est évident toutefois que les personnes ayant des incapacités ou des problèmes de santé ne peuvent pas s’adonner à certaines activités et que, dans ces conditions, la corrélation entre santé perçue ou fonctionnelle et activité économique peut être un effet de sélection. Nous considérons que l’association entre le niveau d’instruction, l’activité économique et la santé perçue et la capacité fonctionnelle des personnes âgées est positive dans l’environnement typique des pays africains, comme c’est généralement le cas entre les indicateurs de statut socioéconomique et la santé dans les tranches d’âge plus jeunes dans ce contexte.

Modes de vie familial et social

La situation matrimoniale et le type d’union sont des indicateurs importants du mode de vie familial en Afrique et sont indéniablement associés à la santé et à la capacité fonctionnelle des personnes âgées. Le fait d’être marié est traditionnellement associé au maintien en bonne santé, sinon à l’amélioration de la santé et des chances de survie (les effets de l’endogénéité et de l’hétérogénéité non observée étant isolés) (Pratt, 1974). Dans la plupart des environnements africains, l’instabilité matrimoniale et la polygamie sont supposées influencer différemment la santé et le niveau d’incapacité des hommes par rapport aux femmes, en fonction de l’accessibilité aux ressources économiques, au soutien social et aux services de santé. D’autre part, une femme âgée célibataire peut être instable au plan émotif, éprouver des difficultés familiales, être stigmatisée par le fait de ne pas avoir d’enfants ou de ne pas vivre avec des enfants confiés. Le veuvage est aussi un facteur de risque de mauvaise santé dans l’environnement socioéconomique de l’Afrique, surtout dans un contexte de polygamie où la compétition pour les ressources reste vive, et a des répercussions sur la capacité des personnes âgées de se prendre en charge financièrement et socialement. Toutes choses égales par ailleurs, nous supposons que les personnes mariées ont en général une meilleure santé et une meilleure capacité fonctionnelle que les personnes célibataires, divorcées ou veuves, comme l’ont constaté les études antérieures (Pratt, 1974; Hahn, 1993).

Dans la plupart des environnements africains, la pratique religieuse offre un cadre de socialisation et d’organisation sociale qui permet plusieurs formes d’aide et de soutien social, grâce aux activités communautaires et aux modes d’assistance en cas de maladie et de deuil. Par exemple, la plupart des rites des religions traditionnelles visent à apaiser les dieux; on leur offre des sacrifices (viandes et huiles) pour solliciter leur protection contre les maladies ou obtenir des guérisons. Dans maints contextes sociaux africains, les individus se préoccupent de leurs funérailles et ont conscience de la nécessité d’être assistés et de recevoir des visites de réconfort moral en cas de malheur et de problèmes de santé, si bien que plus les personnes avancent en âge, plus elles tendent à se rapprocher des pratiques religieuses (traditionnelles ou modernes), surtout dans l’ouest du Cameroun, où cette recherche a été menée. Plusieurs études ont aussi montré que la croyance religieuse est souvent associée à la santé et à la guérison en cas de maladie ou d’infirmité (Levin, 1994; Idler, 1995; Takyi, 2003). Au cours de la dernière décennie, on a établi une relation entre religion et santé des populations. Bien qu’il n’y ait pas encore de consensus sur l’ampleur et la direction de cette relation, la majorité des études attestent l’existence d’une relation positive entre l’affiliation religieuse d’une part et la santé et la capacité fonctionnelle des personnes âgées d’autre part (voir la recension de Kelly-Moore et Ferraro, 2001). Mais il peut y avoir un effet de sélection : les personnes âgées qui participent aux services religieux peuvent le faire précisément parce qu’elles sont en bonne santé ou se déplacent sans difficulté, alors que les personnes souffrant d’incapacités ou de problèmes de santé qui les confinent à leur lieu de résidence ou leur enlèvent le désir de bouger sont incapables de participer aux activités religieuses. Dans ce cas, une corrélation entre religion et santé fonctionnelle pourrait refléter plutôt la corrélation entre état de santé et capacité fonctionnelle. Par contre, les personnes qui vont aux services religieux ou adhèrent à une religion peuvent percevoir leur état de santé et leur santé fonctionnelle comme bons en raison de leurs convictions religieuses (voir à ce propos Ellison, 1991; Idler, 1995). Par conséquent, selon la nature des pratiques religieuses au sein de la population étudiée, l’association entre une religion donnée et l’état de santé perçu ou la capacité fonctionnelle pourrait être positive ou négative.

Comportement préventif

Plusieurs études ont établi, pour les hommes comme pour les femmes âgés, un lien étroit entre comportement de prévention et d’utilisation des services de santé et santé et capacité fonctionnelle (Wolinksky et al., 1995; Carlson, 2001; Stamatakis et al., 2003). Dans cette étude, l’utilisation des services de santé modernes ou traditionnels à titre préventif (pour un bilan de santé) est supposée associée à la santé perçue et à la capacité fonctionnelle. Les personnes âgées qui ont des incapacités sont aussi portées à faire beaucoup d’efforts pour se maintenir en santé, à se sentir moins heureuses que les autres et à adopter des comportements moins favorables à la santé comme l’inactivité physique et la consommation d’alcool et de tabac. En l’absence de registre et de source de validation externe, il pourrait y avoir une certaine circularité de la relation entre utilisation des services de santé, même à titre préventif, et santé perçue ou fonctionnelle des populations en Afrique, d’autant plus que l’utilisation des services de santé pourrait résulter d’un état pathologique ayant nécessité une consultation ou une hospitalisation en milieu de santé moderne, comme on l’a constaté ailleurs (Mor et al., 1994). Par conséquent, nous examinons dans cette étude l’association entre bilan de santé à titre préventif (signalé lors de l’enquête), d’une part, et santé perçue et incapacité aux âges avancés d’autre part, et non des schémas de relation à connotation causale implicite ou explicite.

Communauté résidentielle

Une impressionnante littérature sur la santé dans le cycle de vie a établi que l’environnement physique et socio-sanitaire peut constituer un facteur de risque ou de protection vis-à-vis des problèmes de santé, d’incapacité fonctionnelle et de mortalité (voir les recensions critiques de Robert, 1999; Kobetz et al., 2003; Patel et al., 2003; Oakes, 2004; Diez Roux, 2004; Subramanian, 2004). Des recherches antérieures basées sur des données transversales et des études écologiques sur des pays économiquement avancés tendent à montrer que l’environnement socioéconomique et sanitaire et les caractéristiques socioéconomiques du lieu de résidence influencent l’état de santé et la santé fonctionnelle aux âges avancés (Stuck et al., 1999; Robert, 1999; Balfour et Kaplan, 2002). Mais aucune étude n’existe à notre connaissance sur les liens entre communauté résidentielle et santé perçue ou fonctionnelle des personnes âgées en Afrique. Compte tenu de la diversité des contextes socio-sanitaires et économiques des localités analysées dans cette étude, nous nous attendons à ce que les facteurs d’exposition aux risques ou de protection contre des problèmes de santé physique ou fonctionnelle soient associés à des différences dans les états de santé perçus et les limitations d’activité des personnes âgées. En effet, les infrastructures de développement socioéconomique et les services de santé ne sont pas disponibles uniformément dans les 75 localités étudiées, et cela se traduit probablement par l’inaccessibilité à ces services et par un isolement social encore plus marqué pour les personnes frappées d’incapacité vivant dans les communautés enclavées et difficiles d’accès.

Méthodologie

Source des données

Les données sont issues de l’Enquête sur la famille et la santé au Cameroun (EFSC), menée dans ce pays entre décembre 1996 et mars 1997. Cette enquête est la première des enquêtes similaires menées en 1996-1997, 2002 et 2003 dans 135 villages et villes de l’ouest (province francophone) et du nord-ouest (province anglophone) du Cameroun, auprès d’échantillons probabilistes représentatifs des personnes de 10 ans et plus. Ces données font partie de l’Observatoire en épidémiologie sociale — Population Observatory in Social Epidemiology (POSE) — que nous avons mis sur pied au Cameroun depuis 1995 dans le cadre de nos recherches en santé publique. Nous recueillons des informations sur les attributs individuels et familiaux, les modes de vie des individus, les caractéristiques socioéconomiques et infrastructurelles des ménages, quartiers et villages ou villes, les histoires médicales et les signes cliniques, notamment la tension artérielle et le rythme cardiaque, étant donné la forte susceptibilité des individus d’origine africaine à l’hypertension artérielle, bien établie dans les études épidémiologiques.

Comme le programme de recherche et d’intervention qui a permis de constituer la base de données utilisée pour cette étude vise à développer et à mettre en place des structures et services socio-sanitaires en vue de promouvoir la santé en milieu communautaire, nous avons regroupé les 75 localités étudiées selon leur proximité par rapport à un ou plusieurs centres de santé situés dans un quartier de référence (ou quartier focal). Ce regroupement en 12 régions socio-sanitaires tenait aussi compte des caractéristiques socioéconomiques et de l’offre de services de santé. Cette étude porte sur les personnes résidant dans les 75 localités urbaines et rurales de la préfecture de Bandjoun, dans l’ouest du Cameroun, et repose sur l’enquête de 1996-1997, qui a recueilli le plus d’informations sur les questions de recherche énoncées.

La préfecture de Bandjoun est à environ 300 kilomètres de la capitale économique (Douala) et de la capitale politique (Yaoundé) du Cameroun. Depuis les années 1940, Bandjoun a connu un développement constant de ses infrastructures socio-sanitaires. Au niveau des infrastructures routières, la route transnationale bitumée Douala-Bandjoun-Bafoussam a été faite avant 1960, et la route transnationale bitumée Yaoundé-Bandjoun-Bafoussam a été faite en 1983. Le territoire de Bandjoun s’étend sur une superficie d’environ 275 kilomètres carrés. La population de Bandjoun était estimée à environ 30 000 habitants vers la fin des années 1930. Au recensement de 1987, ce territoire avait une population de plus de 66 000 habitants. Bandjoun a une forte densité de population : 240 habitants au kilomètre carré en 1987. En raison du développement des infrastructures socio-sanitaires, de l’immigration vers Bandjoun, du maintien d’un niveau de fécondité élevé allant de pair avec une baisse constante des niveaux de mortalité, sa population est estimée à près de 91 000 habitants en 1999, soit une densité de 330 habitants au kilomètre carré. Elle compte de nos jours une population d’environ 100 000 habitants. La société bandjounaise, dans le pays bamiléké, se caractérise par son organisation bicéphale, à la fois traditionnelle (par exemple, présence d’un chef supérieur, incarnation de l’ordre ancestral et des chefs et autres autorités traditionnelles) et moderne (présence d’un préfet, d’un sous-préfet, d’un chef de district, des maires, des services départementaux de l’administration publique, des entreprises et établissements étatiques et privés, de plusieurs hôpitaux et formations sanitaires, d’une institution universitaire, et des services socioculturels et religieux). Les 75 villages et villes de la préfecture de Bandjoun sont pourvus d’une formation sanitaire où sont prodigués des soins intégrés, curatifs, préventifs et promotionnels. Trois hôpitaux (dont un hôpital de district public et deux hôpitaux privés, soit l’hôpital Ad Lucem et l’hôpital protestant) jouent le rôle d’hôpitaux de référence à tous les centres de santé satellites. Comme le système national, le système de santé de Bandjoun souffre d’une insuffisance chronique de personnel qualifié. Les soins maternels et infantiles occupent une place importante et prioritaire dans le programme d’activités des personnels de santé. La région bamiléké que forment l’ouest et, pratiquement, le nord-ouest du Cameroun est appelée région des hauts plateaux; l’altitude y varie de près de 1100 mètres à Bafang à 1500 mètres à Bandjoun et à plus de 1600 mètres à Bafoussam. Le territoire de Bandjoun occupe tout un plateau montagneux d’environ 16 000 kilomètres carrés dans la partie occidentale du Cameroun. Les coutumes et croyances à Bandjoun sont, à plusieurs égards, similaires à celles de tout le groupe bamiléké, aussi bien du Cameroun français que de la zone anglaise du Cameroun (Kuate-Defo, 1998b).

Dans chacune des localités (villes ou villages), tous les ménages comptant des membres de 10 ans et plus avaient une chance non nulle d’être retenus, de manière à fournir des estimations comparables au niveau local pour la population de 10 ans et plus. Le nombre d’individus à choisir a été déterminé proportionnellement à la taille de la population cible, et la taille de l’échantillon dans un niveau de strate a été déterminée proportionnellement à la taille de la population dans ce niveau de strate dans la base de sondage. Pour l’identification des répondants, chaque région socio-sanitaire était balayée systématiquement jusqu’à ce que soit atteinte la taille d’échantillon représentative de trois groupes d’âge (10-19 ans, 20-49 ans et 50 ans et plus) et du sexe. Le choix des répondants se faisait à l’intérieur des ménages privés, sélectionnés de manière aléatoire au sein d’une localité donnée. Le nombre de répondants à choisir par région socio-sanitaire et par localité était établi selon la taille finale de l’échantillon et la précision recherchée. Dans notre stratégie de tirage des individus au sein d’un ménage dans une région socio-sanitaire donnée, la localité était identifiée d’abord, et l’on tirait ensuite au hasard le ménage au sein duquel un individu de 10 ans et plus était tiré au hasard, jusqu’à ce que la taille de l’échantillon selon le sexe et l’âge pour cette localité soit atteinte.

D’autres détails concernant l’échantillonnage et la collecte des données sont contenus dans Kuate-Defo et Lepage (1997) et dans Kuate-Defo (1998b). Des entrevues ont été menées avec 2381 personnes de 10 ans et plus, dont 631 personnes de 50 ans et plus. Les indicateurs de santé mesurés pour ces dernières sont la tension artérielle et le rythme cardiaque, l’incapacité fonctionnelle et l’état de santé perçu, qui capte l’état général de santé sur une échelle de 5 (santé excellente) à 1 (mauvaise). Comme la taille de l’échantillon était déterminée proportionnellement à la population cible, nos analyses sont faites directement, sans pondération.

Mesure de l’état de santé et de la capacité fonctionnelle

Il importe d’avoir des mesures permettant de connaître l’évolution de la santé pour être à même de prévoir les besoins en soins et d’élaborer des politiques. Cependant, la définition de la santé ou de l’état de santé reste malaisée. Plusieurs points de vue peuvent servir à les caractériser. Par exemple, la santé personnelle peut être évaluée par une déclaration subjective de l’individu, par une mesure physiologique ou biochimique, ou par des indicateurs normalisés de la présence de maladies et incapacités. L’état de santé peut aussi être caractérisé selon les principaux domaines, telles la santé physique (exemple : la fonction cardiaque ou pulmonaire), la santé mentale (exemple : la présence d’une humeur dépressive) et la santé physique et socio-fonctionnelle (exemple : la capacité de faire des déplacements ou d’effectuer certaines activités). On peut aussi retenir la dimension temporelle, ou longitudinale : comment l’état de santé évolue-t-il, y a-t-il eu décès ? Bien qu’il n’y ait pas d’approches standardisées communément retenues, il existe plusieurs stratégies appropriées pour mesurer et décrire la santé individuelle d’une personne âgée (National Research Council, 2001). Les mesures de l’état de santé habituelles dans les enquêtes et les registres administratifs de collecte de données sur la santé peuvent être regroupées en sept catégories : 1) les symptômes, signes et syndromes cliniques; 2) la morbidité (discrètement définie comme les « conditions médicales »); 3) la santé déclarée; 4) le statut fonctionnel et l’incapacité; 5) les mesures physiologiques et pathologiques; 6) les données de mortalité et les mesures dérivées; et 7) le vieillissement et la santé mentale. Durant les trois dernières décennies, le développement de la recherche a permis d’établir qu’indépendamment des pays et communautés étudiés, de la formulation des questionnaires, des méthodologies et mesures de la santé et des techniques utilisées pour tester les associations dans les analyses multivariées, la santé auto-évaluée (SAE) ou l’état de santé perçu reste sans équivoque un puissant prédicteur de la maladie subséquente, de l’incapacité et de la mortalité (Idler et Benyamini, 1997; Goldman et al., 2004; Kuate-Defo, 2004).

Dans cette étude, l’état de santé perçu a été évalué chez les personnes âgées à l’aide de la question suivante : « Comparativement à d’autres personnes de votre âge, diriez-vous que votre santé est en général : excellente, très bonne, bonne, moyenne, mauvaise ? ». À partir des réponses, nous avons créé une variable dépendante dichotomique (mauvais = 1; excellent, très bon, bon ou moyen = 0). Cette mesure dichotomisée est l’une des mesures de l’état de santé les plus fréquemment utilisées dans les recherches épidémiologiques à base populationnelle et elle s’est révélée très puissante pour prédire la morbidité et la mortalité au sein des populations humaines. Il est établi que sa fiabilité pour mesurer la santé des populations est tout aussi bonne sinon meilleure que celle de toute autre mesure générale et subjective de l’état de santé et que, en tant qu’indicateur de l’état global de santé, elle a une valeur prédictive élevée pour la mortalité, indépendamment des autres facteurs de risque relevant des dimensions médicales, comportementales et psychologiques (Idler et Benyamini, 1997; Goldman et al., 2004). On a aussi démontré sa valeur prédictive pour la mortalité, indépendamment des facteurs de risque cliniques (voir la recension de Goldman et al., 2004).

Incapacité physique ou fonctionnelle et limitations d’activité sont utilisées ici de façon interchangeable. L’activité fonctionnelle est généralement mesurée par des indices des activités de la vie quotidienne (Mor et al., 1994; Grand et al., 1988; Kaplan et al., 1993; Jagger et al., 1993). Nos questions sur les limitations d’activité chez les personnes âgées portaient sur l’exercice de leurs activités et sur leurs déplacements. Encore ici, nous avons créé à partir des réponses une variable dépendante dichotomique codée 1 si l’individu avait une incapacité fonctionnelle quelconque (c’est-à-dire une limitation dans ses activités à la maison, au travail, dans ses déplacements ou loisirs, ou ailleurs) et 0 dans le cas contraire. Bien que la plupart des personnes âgées soient capables de vivre de façon autonome, une proportion non négligeable, en hausse à chaque âge, devient fragile. Dans les pays économiquement avancés, le soutien et les soins qui deviennent nécessaires sont prodigués en institution ou à la maison; dans la majorité des sociétés d’Afrique, où la prise en charge des personnes âgées demeure l’affaire des familles et ne relève presque pas de l’État, l’assistance des membres de la famille élargie et du réseau social conserve son importance.

Pour tester nos cinq hypothèses, nous avons analysé deux variables dépendantes dichotomiques : mauvais état de santé perçu et limitation d’activité. Nous avons exclu de l’analyse 18 individus pour lesquels l’information sur l’état de santé perçu ou sur la capacité fonctionnelle était manquante, si bien que l’échantillon final sur lequel portent les résultats présentés ci-dessous est de 613 personnes de 50 ans et plus. Nos variables explicatives sont le sexe et l’âge (hypothèse 1), l’éducation (hypothèse 2), l’état matrimonial selon le type d’union et la religion (hypothèse 3), le comportement préventif (hypothèse 4) et la région socio-sanitaire (hypothèse 5).

Mesure des variables exogènes

La détermination du sexe et de l’âge lors des enquêtes populationnelles ne pose pas de problèmes particuliers, mais il est nécessaire de préciser comment les autres variables exogènes ont été mesurées.

Éducation et situation d’activité actuelle

Le niveau d’instruction a été mesuré par une question sur le plus haut niveau d’études atteint (aucun niveau, coranique, primaire, secondaire général, secondaire technique, supérieur). À partir des réponses, nous avons spécifié une variable mesurant le niveau d’instruction en trois catégories : sans instruction (« aucun niveau » et « coranique »), primaire, et secondaire et plus (« secondaire général », « secondaire technique » et « -supérieur »).

Les réponses possibles à la question sur la situation d’activité actuelle étaient : études, chômage, au foyer, retraite, travail rémunéré, travail non rémunéré, autre. Comme aucune personne de 50 ans et plus n’était encore aux études, nous avons défini six catégories : chômage, au foyer, retraite, travail rémunéré, travail non rémunéré et autre.

État matrimonial et type d’union

Cinq questions ont servi à déterminer l’état matrimonial, selon le type d’union. La première question était : « Vous êtes-vous déjà marié(e) ? (Oui, non) ». Dans l’affirmative, les questions suivantes étaient : « Quel âge aviez-vous à votre premier mariage ? (Âge) »; « Quel âge avait votre conjoint(e) ? (Âge) »; « Quelle est votre situation matrimoniale légale actuelle ? (Célibataire, marié[e] monogame, marié[e] polygame, divorcé[e], veuf/veuve, séparé[e]) ». Enfin, indépendamment de la réponse à la première question, nous avons vérifié si d’autres formes d’union avaient été nouées en posant la question « Avez-vous présentement un(e) partenaire en union libre (union sans lien de mariage) ? (Oui, Non) ». Si oui, nous posions la question « Si vous êtes marié(e) ou en union sans lien de mariage, votre partenaire vit-il/elle avec vous ? (Vit avec vous, vit ailleurs) ». À partir de ces questions sur les unions possibles, nous avons créé la variable « type d’état matrimonial », qui compte quatre catégories : célibataire, divorcé, séparé; marié monogame; marié polygame; et veuf.

Religion

L’affiliation religieuse était mesurée à partir de la question : « Quelle est votre religion ? (Musulman, chrétien, religions traditionnelles, animistes, autres) ». Étant donné la prédominance de la religion chrétienne dans cette partie du Cameroun, nous avons spécifié une variable dichotomique d’affiliation religieuse, codée 1 si la religion est chrétienne et 0 sinon.

Comportement préventif

Bien que plusieurs informations sur le comportement préventif et curatif en matière de santé et de nutrition aient été collectées lors de l’enquête, après les analyses exploratoires et en raison des problèmes d’endogénéité du comportement d’utilisation des services de santé en relation avec la santé perçue et les limitations d’activité, nous avons retenu une seule variable.

Communauté de résidence

Nous avons retenu les 12 régions socio-sanitaires de la préfecture de Bandjoun comme unité de résidence communautaire, pour évaluer la relation entre environnement socioéconomique et sanitaire et santé perçue ou santé fonctionnelle des personnes âgées. Dans un premier temps, nous avons fait le recensement de tous les centres de santé publics et privés de Bandjoun (hôpitaux, dispensaires, cases de santé, et centres de santé développés). Ensuite, nous avons fait le recensement des infrastructures sociales dans les différents quartiers, en particulier dans le quartier focal. Ainsi, nous avons dressé une liste exhaustive des établissements d’enseignement préscolaire, primaire, secondaire et supérieur; des lieux de culte catholiques, protestants et autres; des centres et places de marché; des hôpitaux, dispensaires, cases de santé et centres de santé développés. Compte tenu de la position géographique des localités étudiées par rapport à ces centres et de la distance moyenne à parcourir pour utiliser les services offerts dans les centres de santé, nous avons cerné 12 régions socio-sanitaires. Par conséquent, dans cette étude, les 75 localités sont regroupées en 12 régions socio-sanitaires. Chaque région socio-sanitaire est une aire géographique comportant au moins une infrastructure sanitaire et ayant une population totale d’au moins 5000 habitants au dernier recensement (de 1987) ayant précédé notre enquête.

Méthode d’analyse

Nous commençons par les analyses descriptives permettant de dégager le portrait des personnes âgées (tableau 1). Suivent les analyses bivariées des associations entre les variables explicatives de l’état de santé et des limitations d’activité chez les personnes âgées, stratifiées selon l’âge, avec tests des différences (tableau 2). Enfin, les analyses multivariées (modèles de régressions logistiques) font ressortir les associations entre les variables explicatives et chacune des variables dépendantes (tableaux 3 et 4). Le modèle général de régression logistique est formulé comme suit :

Yi est la valeur de l’individu i sur la variable dépendante Y. Les deux variables dépendantes étant dichotomiques, la quantité Yi est égale au logit (ou log-odds); α est la constante du modèle; Xi représente les valeurs des variables démographiques (sexe et âge) et β le vecteur des effets du sexe et de l’âge; Zi capte les valeurs de l’indicateur du statut socioéconomique et λ le vecteur des effets du statut socioéconomique; Vi est le vecteur des variables de modes de vie et η le vecteur des paramètres associés; Wi est le vecteur des variables de comportement préventif et ϑ le vecteur des paramètres estimés du comportement préventif; Ui capte les valeurs des variables d’environnement ou de communauté de vie et ξ le vecteur des effets de l’environnement.

Nous traitons ces variables comme exogènes, c’est-à-dire non corrélées avec le terme d’erreur dans les équations de régression. Comme nous l’avons signalé, le comportement de certaines d’entre elles en rapport avec les variables réponses est potentiellement endogène, et les méthodes statistiques actuelles ne règlent pas la question de l’endogénéité de façon satisfaisante (Bound et al., 1995; Greenland, 2000). Une solution simple a consisté à estimer nos modèles de régression avec et sans ces variables potentiellement endogènes; elle laisse intactes les effets des autres variables, ainsi que nos conclusions.

Les résultats sont présentés sous forme de rapports de cote (RC) : un RC inférieur à l’unité signifie que les personnes âgées qui se trouvent dans la catégorie estimée de la variable ont une propension à subir l’événement étudié (mauvaise santé, limitation d’activité) moins forte que les personnes de la catégorie de référence (RC = 1); un RC supérieur à l’unité renvoie à une propension plus forte. Étant donné la taille de l’échantillon, nous avons aussi estimé des intervalles de confiance à 95 % pour les RC, exprimés par la formule générale exp(ĉ ± 1,96sĉ), où ĉ et sĉ sont respectivement les coefficients et les écarts types des paramètres estimés de (1) pour des variables exogènes binaires. Les variables sexe et âge ont servi à tester la première hypothèse selon laquelle la santé perçue et les limitations d’activité chez les personnes âgées dépendent du sexe et de l’âge. La deuxième hypothèse sur le lien entre statut socioéconomique et santé perçue et santé fonctionnelle chez les personnes âgées est évaluée à l’aide du niveau d’instruction et de l’activité économique du répondant. Nous avons testé l’hypothèse d’un lien entre modes de vie d’une part et santé perçue et incapacité fonctionnelle des personnes âgées d’autre part en utilisant l’état matrimonial selon le type d’union et l’affiliation religieuse. Nous avons vérifié l’association entre comportement préventif et santé perçue et santé fonctionnelle en utilisant la variable « bilan de santé à titre préventif ». Enfin, l’environnement socioéconomique et sanitaire est capté par les 12 régions socio-sanitaires, et les différences dans la santé perçue et dans la santé fonctionnelle des personnes âgées selon le lieu de résidence sont ainsi évaluées pour tester notre dernière hypothèse. Les résultats des analyses multivariées pour les cinq premiers modèles testent chaque hypothèse, alors que le modèle complet précise la robustesse des associations lorsque toutes les variables sont prises en compte simultanément.

Résultats

Près du quart (22,7 %) des personnes de 50 ans et plus ne perçoivent pas leur santé comme bonne, environ la moitié (49,6 %) signalent une limitation d’activité et 17,5 % disent à la fois que leur santé n’est pas bonne et qu’elles sont limitées dans leurs activités. Selon ces résultats, les personnes âgées éprouvent un manque de confort physique qui n’exige pas forcément un diagnostic et ne doit pas automatiquement être associé à une maladie ou à un mauvais état de santé nécessitant un recours thérapeutique.

Il y a plus de personnes de 50 ans de sexe féminin (56 %) que de sexe masculin, comme on pouvait s’y attendre étant donné la surmortalité des hommes par rapport aux femmes aux âges avancés. Plus de la moitié (50,9 %) des personnes de 50 ans et plus ont 65 ans et plus, et seulement 6,5 % des personnes de 50 ans et plus ont atteint 80 ans.

Près de trois personnes âgées sur quatre (73,7 %) n’ont jamais été à l’école, et seulement 4,2 % ont poursuivi leurs études au moins jusqu’au secondaire. En effet, l’école était réservée à une infime minorité de la population dans les années 1950 et avant l’indépendance du Cameroun, en 1960; elle était encore moins accessible dans les milieux ruraux et semi-ruraux.

Le mariage est un cadre de vie largement prévalent au sein de cette population : 96 % de l’échantillon a déjà été marié et 64,4 % le demeure. La polygamie est aussi très répandue, puisque plus d’une personne âgée sur trois (34,4 %) était dans une union polygame au moment de l’enquête, observation conforme aux études nationales, qui ont toujours démontré que c’est dans l’ouest et dans les zones rurales du Cameroun que la polygamie est le plus répandue, avec une prévalence supérieure à 35 % (Fotso et al., 1999). La prévalence du veuvage (surtout féminin, vu l’espérance de vie plus faible des hommes à chaque âge avancé) est relativement importante puisque plus de 30 % des personnes de 50 ans et plus sont veuves; à peine 4 % sont célibataires, divorcées ou séparées. La population étudiée est majoritairement chrétienne (93,1 %).

La prévention des problèmes de santé au sein de cette population est négligeable, car à peine une personne âgée sur 10 dit s’être déjà présentée à une consultation médicale à titre préventif. Il est d’ailleurs possible que cette visite ait eu lieu dans le cadre des campagnes de sensibilisation à la santé communautaire avec possibilité d’examen physique général qui ont eu lieu de façon ponctuelle par le passé dans les villages et villes du Cameroun. Ces campagnes étaient souvent organisées par des étudiants qui terminaient leur médecine, avec l’aide du personnel de santé local, et ciblaient en particulier les personnes adultes et âgées, donc à risque de problèmes de santé. Il est impossible de préciser la séquence des événements entre cette variable de comportement préventif et les variables dépendantes; s’il en existe, les associations entre ces variables ne sauraient donc être traitées que comme des liens corrélationnels.

En ce qui concerne la localisation géographique des répondants, on constate une inégale distribution spatiale des personnes âgées : les régions socio-sanitaires de Djaa (16,2 %), Demdeng (14,7 %) et Yom (12,2 %) comptent la plus grande proportion de personnes d’âge avancé; les plus faibles proportions se trouvent à Sedembom (3,6 %), Bagang Fodji, Famleng (5,9 %) et Famla II (6,0 %). Les autres régions socio-sanitaires sont entre les deux. Étant donné la faible taille de l’échantillon de Sedembom et la proximité de cette région socio-sanitaire par rapport à celle de Djaa (les populations de ces régions partagent plusieurs ressources communautaires et plusieurs infrastructures scolaires et sanitaires), nous avons regroupé ces deux régions pour les analyses.

Le tableau 2 présente les résultats des analyses bivariées menées sur chacune des deux variables dépendantes et les variables indépendantes, pour l’ensemble, pour les personnes âgées de 50-64 ans et pour les 65 ans et plus. Il permet de cerner l’effet de l’âge sur les différences de perception de l’état de santé et sur les limitations d’activité au sein des différents groupes. On sait, notamment, que le veuvage et le manque d’instruction sont fortement liés à l’âge en Afrique (jusqu’à une date récente, la scolarisation était le fait d’une minorité, et souvent davantage des garçons que des filles).

Tableau 1

Caractéristiques des personnes de 50 ans et plus étudiées, ouest du Cameroun, EFSC (1996-1997)

Caractéristiques des personnes de 50 ans et plus étudiées, ouest du Cameroun, EFSC (1996-1997)

-> See the list of tables

Les différences entre les sexes sont statistiquement significatives, quel que soit l’âge (p < 0,01), pour le mauvais état de santé perçu et pour l’incapacité fonctionnelle. Si on rapporte les prévalences relevées pour les femmes aux prévalences relevées pour les hommes, on remarque que, dans le cas du mauvais état de santé perçu, le rapport est presque identique chez les 50-64 ans (20,2/11,7 = 1,73) et chez les 65 ans et plus (1,82). Par contre, pour les limitations d’activité, il passe de 1,84 pour les 50-64 ans à 1,40 pour les 65 ans et plus; aux âges plus avancés, il y aurait donc une certaine convergence entre les sexes pour ce qui est de la prévalence des problèmes fonctionnels. Le désavantage des femmes va dans le sens des études antérieures et de notre hypothèse voulant qu’il y ait des différences d’état de santé et de capacité fonctionnelle selon le sexe en milieu africain. De même, comme nous nous y attendions, les différences selon l’âge sont statistiquement significatives. Toutefois, les écarts moyens sont plus prononcés pour les limitations d’activité (p < 0,01) que pour le mauvais état de santé perçu (p < 0,01). Fait plus significatif encore, pour tous les sous-groupes selon le niveau d’instruction, l’activité économique, le type d’état matrimonial, la religion et les régions socio-sanitaires, les prévalences des pathologies étudiées varient aussi selon l’âge. Il est clair que toute analyse descriptive du vieillissement des populations doit prendre en compte l’effet de l’âge sur les différences observées en fonction des diverses variables explicatives.

Tableau 2

État de santé perçu et limitations d’activité chez les personnes de 50 ans et plus dans l’ouest du Cameroun selon les variables explicatives, pour l’ensemble et pour deux groupes d’âge, EFSC (1996-1997)

État de santé perçu et limitations d’activité chez les personnes de 50 ans et plus dans l’ouest du Cameroun selon les variables explicatives, pour l’ensemble et pour deux groupes d’âge, EFSC (1996-1997)

-> See the list of tables

Le niveau d’instruction aussi fait ressortir des différences statistiquement significatives. Il existe une relation linéaire positive entre le niveau d’études, d’une part, et le mauvais état de santé perçu, les limitations d’activité, et le mauvais état de santé perçu joint aux limitations d’activité : plus le niveau d’instruction est élevé, meilleurs sont l’état de santé perçu et la capacité fonctionnelle. La prévalence du mauvais état de santé perçu passe de 26 % chez les personnes sans instruction à seulement 4 % chez les personnes de niveau secondaire ou plus; en outre, 55,8 % des personnes sans instruction ont des limitations d’activité, comparativement à seulement 23,1 % des personnes ayant fait des études secondaires ou plus. Lorsque les analyses sont faites séparément selon l’âge, les bienfaits de l’instruction sont encore plus nets; l’écart se creuse davantage avec l’avance en âge entre les personnes non instruites et celles qui ont fait des études primaires, et surtout des études supérieures.

La prévalence du mauvais état de santé perçu et des limitations d’activité varie significativement selon l’activité économique (p < 0,01). Dans l’ensemble, les personnes âgées qui sont au foyer sont les premières à signaler des problèmes de santé (33,9 % pour le mauvais état de santé perçu et 65,1 % pour les limitations d’activité); elles sont suivies des retraités (26,2 % et 57,4 %). Lorsque l’analyse est stratifiée selon l’âge, ce sont les chômeurs (30,0 %) et les retraités (29,2 %) de 50-64 ans qui perçoivent le plus leur santé comme moyenne ou mauvaise, alors que chez les 65 ans et plus, ce sont davantage les personnes au foyer (42,5 %); pour les limitations d’activité, les personnes au foyer (53,5 %) sont de nouveau plus portées à se juger en mauvaise santé que les autres personnes de 50-64 ans, alors qu’à 65 ans et plus, les personnes au foyer partagent la prévalence la plus élevée avec les chômeurs (75 %) et les retraités (73,0 %). Au contraire, pour l’ensemble des personnes âgées et même à chaque âge, les personnes ayant un travail rémunéré, suivies des personnes ayant un travail non rémunéré, sont systématiquement les moins susceptibles de signaler une mauvaise santé ou une limitation d’activité.

Le mode de vie familial est fortement associé à l’état de santé perçu et à la capacité fonctionnelle (p < 0,01). Les personnes veuves, suivies des personnes qui vivent dans une union polygame, sont les plus susceptibles de se dire en mauvaise santé ou de faire état d’incapacités et de limitations dans leur activité quotidienne. De toutes les catégories de vie familiale, le veuvage a la prévalence la plus élevée, quel que soit l’indicateur de santé pris en considération : pour le mauvais état de santé perçu, cette prévalence est de 34,5 % (contre 20,4 % pour les polygames, 16,7 % pour les célibataires, les divorcés et les séparés, et près de 14 % pour les monogames); pour les limitations d’activité, elle est de 59,3 % (polygames, 51,7 %; autres groupes, à peu près 38 %). Le désavantage des personnes veuves et des personnes en union polygame est constant et significatif, quel que soit l’âge, et l’écart entre les personnes veuves et celles qui vivent dans une union polygame rétrécit aux âges les plus avancés.

La religion ne semble pas liée à des différences statistiquement décelables, en partie à cause de la taille de l’échantillon et du poids de la religion chrétienne relativement aux autres religions; toutefois, le mauvais état de santé avec limitations d’activité est statistiquement plus prévalent chez les chrétiens (18,2 %) que chez les personnes d’autres religions (7,1 %).

Les personnes âgées qui ont dit avoir fait un bilan de santé à titre préventif ont de leur santé une perception plus favorable que les autres répondants, mais cela est notamment le reflet de la situation qui existe chez les personnes de 50-64 ans (p < 0,05); cette variable n’a aucun effet discriminatoire pour les limitations d’activité. La prévalence du mauvais état de santé perçu est de 14,5 % chez les personnes âgées qui ont déjà fait un bilan de santé à titre préventif mais de 24 % chez les personnes qui ne l’ont pas fait.

Les analyses selon la région socio-sanitaire tendent à montrer qu’il existe un effet de contexte significatif sur la perception de l’état de santé (p < 0,01) et les limitations d’activité (p < 0,01). En effet, ce sont les personnes âgées de Haa qui jugent le plus mal leur état de santé (34,6 %), suivies de celles de Famleng (27,8 %), de Demdeng (26,7 %) et de Djaa et Sedembom (25,6 %); les personnes de Famla II (8,1 %), de Bagang Fodji (14,3 %) et de Djiomghouo (16,3 %) font moins état de leur mauvaise santé. Quant aux limitations d’activité, elles affligeraient davantage les personnes âgées de Djaa et Sedembom (58,7 %), de Yom (58,7 %), de Bagang Fodji (57,1 %) et de Demdeng (56,7 %). Ces tendances persistent quel que soit l’âge pour les deux variables (mauvais état de santé perçu et limitations d’activité), notamment dans la région socio-sanitaire de Haa.

Les résultats des analyses multivariées sont présentés aux tableaux 3 (état de santé perçu) et 4 (limitations d’activité). Ils confirment les effets nets de la plupart des variables explicatives, et vont dans le sens des cinq hypothèses formulées pour cette recherche.

Les variables sociodémographiques sont toutes associées à la mauvaise santé perçue (modèle 1). Les hommes signalent significativement moins un mauvais état de santé (RC = 0,47; IC = 0,31; 0,71). La prise en compte des autres facteurs explicatifs (modèle 6) laisse subsister les différences selon le sexe, mais elles ne sont plus significatives. Elles sont donc probablement médiatisées par d’autres influences, et le sexe n’agirait qu’indirectement sur la perception de l’état de santé. Il y a un gradient selon l’âge, puisque les 50-64 ans se trouvent significativement moins en mauvaise santé que les 75 ans et plus (RC = 0,47; IC = 0,28; 0,77), mais les différences entre les 65-74 ans et les 75 ans et plus sont négligeables. Presque la moitié de l’échantillon de 50 ans et plus a moins de 65 ans; ces personnes sont significativement moins portées à percevoir leur état de santé comme mauvais, même lorsque toutes les autres variables sont prises en compte (RC = 0,61; IC = 0,35; 1,07).

Les modèles 2 et 6 concernent l’instruction et l’activité économique. On observe une relation inverse entre niveau d’instruction et état de santé perçu : plus l’instruction est poussée, moins les personnes âgées sont portées à avoir une perception défavorable de leur état de santé. De manière similaire, les personnes âgées qui travaillent, rémunérées ou non, ont la plus faible propension à percevoir leur santé comme moyenne ou mauvaise, et les personnes âgées au foyer sont celles qui jugent le plus défavorablement leur santé; ce résultat confirme les analyses bivariées qui précèdent.

Les conditions de vie associées au veuvage (modèle 3) assombrissent particulièrement la perception de l’état de santé (RC = 3,26; IC = 1,99; 5,32); les analyses bivariées ont fait ressortir la même chose. Les effets du veuvage sont en effet robustes et leur résistance à tous les contrôles (modèle 6) atteste que ce mode de vie a un effet indépendant sur la mauvaise perception de la santé aux âges avancés (RC = 2,30; IC = 1,23; 4,29). La vie en union polygame est aussi associée à une mauvaise perception de la santé chez les personnes âgées, même quand tous les autres facteurs mesurés sont pris en compte dans les analyses. Les effets de la religion sont négligeables.

Comme le montraient déjà les analyses bivariées, il y a une association positive et statistiquement significative (modèle 4) entre l’absence de bilan de santé à titre préventif et le mauvais état de santé perçu (RC = 1,86; IC = 1,01; 3,55). Toutefois, cette association peut être soit le reflet d’un comportement préventif de promotion de la santé au sein de cette population, soit la conséquence d’un problème de santé préexistant à l’occasion duquel un bilan de santé a eu lieu. Dans l’un et l’autre cas, il convient de souligner qu’il y a utilisation des services de santé et que, du point de vue des individus de l’échantillon, cela représente une mesure préventive.

Le modèle 5 teste formellement l’hypothèse selon laquelle l’environnement socio-sanitaire influence la perception de l’état de santé. Par rapport aux régions socio-sanitaires de Djaa et Sedembom, les régions socio-sanitaires de Haa, de Famleng et de Demdeng sont celles où les personnes âgées ont la plus forte propension à percevoir leur santé comme moyenne ou mauvaise, ce qui confirme les résultats des analyses bivariées. De même, comme l’ont montré les analyses bivariées, les personnes âgées de Famla II sont significativement les moins portées à avoir une perception défavorable de leur santé (RC = 0,25; IC = 0,07; 0,89). Lorsque toutes les variables mesurées sont prises en compte dans les analyses (modèle 6), ces différences restent présentes. Au total, ces résultats permettent de conclure à des effets (au moins indirects) du contexte socio-sanitaire sur l’état de santé perçu.

Le modèle 1 confirme les effets significatifs des variables démographiques mesurées par le sexe et l’âge. Les hommes sont moins portés à signaler des limitations dans leur activité quotidienne que les femmes (RC = 0,41; IC = 0,29; 0,57); cet avantage reste significatif et résiste à tous les contrôles introduits dans le modèle complet (RC = 0,61; IC = 0,37; 0,99). En fait, les hommes ont une propension près de deux fois plus faible que les femmes à signaler des limitations d’activité. Le modèle 1 montre que les personnes de 50-64 ans sont aussi significativement moins portées que les personnes de 75 ans et plus à faire état de limitations d’activité (RC = 0, 39; IC = 0,25; 0,61), même quand toutes les autres variables sont incluses dans les analyses, au modèle 6 (RC = 0,46; IC = 0,28; 0,77). Par ailleurs, bien qu’aucune différence statistiquement décelable n’existe entre les personnes de 65-74 ans et les plus âgés, les 65-74 ans sont moins susceptibles de percevoir défavorablement leur santé que leurs aînées.

Tableau 3

Rapports de cote (RC) et intervalle de confiance (IC) des facteurs associés à l’état de santé perçu chez les personnes de 50 ans et plus dans l’ouest du Cameroun, EFSC (1996-1997)

Rapports de cote (RC) et intervalle de confiance (IC) des facteurs associés à l’état de santé perçu chez les personnes de 50 ans et plus dans l’ouest du Cameroun, EFSC (1996-1997)

Modèle 1 : sexe et âge; modèle 2 : instruction et situation d’activité actuelle; modèle 3 : type d’état matrimonial et affiliation religieuse; modèle 4 : bilan de santé à titre préventif; modèle 5 : région socio-sanitaire; modèle 6 : modèle complet avec toutes les variables.

-> See the list of tables

Tableau 4

Rapports de cote (RC) et intervalle de confiance (IC) des facteurs associés aux limitations d’activité chez les personnes de 50 ans et plus dans l’ouest du Cameroun, EFSC (1996-1997)

Rapports de cote (RC) et intervalle de confiance (IC) des facteurs associés aux limitations d’activité chez les personnes de 50 ans et plus dans l’ouest du Cameroun, EFSC (1996-1997)

Modèle 1 : sexe et âge; modèle 2 : instruction et situation d’activité actuelle; modèle 3 : type d’état matrimonial et affiliation religieuse; modèle 4 : bilan de santé à titre préventif; modèle 5 : région socio-sanitaire; modèle 6 : modèle complet avec toutes les variables.

-> See the list of tables

Les modèles 2 et 6 évaluent les effets de l’instruction et de l’activité économique sur les limitations d’activité. D’après le modèle 2, les personnes âgées sans instruction sont quatre fois plus portées à trouver leur santé moyenne ou mauvaise (RC = 4,02 ; IC = 1,49; 5,88), mais ce désavantage s’atténue quand tous les facteurs mesurés sont pris en compte, dans le modèle 6. De plus, la propension à signaler un mauvais état de santé est plus élevée chez les personnes âgées qui ont fait des études primaires que chez celles qui ont atteint ou dépassé le niveau secondaire, même quand toutes les variables sont prises en compte dans les analyses (modèle 6). Parallèlement, les personnes qui travaillent, avec ou sans rémunération, restent les moins susceptibles de signaler des limitations d’activité (modèle 2), indépendamment des autres facteurs (modèle 6).

Le modèle 3 fait ressortir l’association entre mode de vie familial et limitations d’activité chez les personnes âgées. Les personnes veuves (RC = 1,73; IC = 1,17; 2,55) ou vivant en union polygame (RC = 2,34; IC = 1,57; 3,49) sont les plus portées à signaler des limitations d’activité. Ces désavantages persistent dans le modèle complet, mais sont réduits par la prise en compte des autres variables. Par ailleurs, les effets de la religion sont plus marqués pour les limitations d’activité. De ces résultats réunis se dégage une certaine association entre modes de vie et capacité fonctionnelle.

Les modèles 4 et 6 font ressortir une petite différence dans les limitations d’activité en fonction du bilan de santé à titre préventif; ce n’est pas le cas pour l’état de santé perçu.

Enfin, les modèles 5 et 6 examinent la possibilité d’effets contextuels sur les limitations d’activité chez les personnes âgées. Il ressort du modèle 5 que les personnes âgées des régions socio-sanitaires de Djiomghouo (RC = 0, 34; IC = 0,17; 0,68), de Tsesse (RC = 0,41; IC = 0,19; 0,90), de Haa (RC = 0,44; IC = 0,22; 0,85), de Famla II (RC = 0,33; IC = 0,15; 0,73) et de Pete (RC = 0,44; IC = 0,21; 0,92) sont significativement moins portées à signaler des limitations d’activité. Ces résultats ne sont presque pas modifiés par la prise en compte de toutes les autres variables incluses dans le modèle complet (modèle 6), et attestent la robustesse des effets contextuels.

Conclusions

Les études sur l’état de santé et la capacité fonctionnelle des personnes âgées en Afrique restent une denrée rare. Cette étude a examiné quelques facteurs associés à l’état de santé perçu et à la capacité fonctionnelle chez les personnes d’âge avancé en milieu africain, à partir de données recueillies dans plusieurs villes et villages de l’ouest du Cameroun.

La santé des personnes âgées de 50 ans et plus dans cette étude est établie par une mesure générale de l’état de santé individuel représentée sur une échelle de 5 points (5 = excellente, 4 = très bonne, 3 = bonne, 2 = assez bonne, 1 = mauvaise). Cette mesure est l’une des mesures de l’état de santé les plus fréquemment utilisées dans la recherche épidémiologique à base populationnelle et sa puissance prédictive pour la morbidité et la mortalité est fermement attestée. De plus, il a été démontré dans des études antérieures que la fiabilité des déclarations sur la santé est tout aussi bonne sinon meilleure que celle des mesures de l’état de santé basées sur des échelles de santé à composantes multiples (Kuate-Defo, 2004).

Il ressort que la santé perçue et la capacité fonctionnelle des personnes âgées de cet environnement africain sont fortement influencées par le sexe et l’âge (modèle 1), le niveau d’instruction et l’activité économique (modèle 2), les modes de vie (modèle 3), le comportement préventif en matière de santé (modèle 4) et le contexte socio-sanitaire (modèle 5). De plus, la plupart des effets détectés sont robustes et persistent après les divers contrôles effectués sur les variables mesurées dans cette étude, notamment les effets contextuels et de modes de vie.

Ces résultats soulignent l’importance des variables démographiques, socioéconomiques et environnementales dans la manifestation des différences d’état de santé perçu et de capacité fonctionnelle aux âges adultes ou avancés, et montrent que l’évolution de la composition de la population âgée dans les pays africains émergents fait partie des enjeux du vieillissement en bonne santé des populations.

Les personnes veuves (généralement les femmes, dans le contexte social de cette étude) percevraient leur santé comme mauvaise, en partie à cause du poids socio-psychologique de la perte du conjoint, souvent accompagnée de stress et d’une perte de ressources (comme le réseau social et différentes formes d’aide). L’effet protecteur des religions non chrétiennes tiendrait en partie aux liens sociaux qui se tissent au fil des rencontres entre les adhérents, à l’occasion des rituels, et aux possibilités d’assistance qu’elles apportent, en cas d’incapacité notamment.

Quant aux différences liées à l’instruction et à l’activité économique, elles pourraient s’expliquer par le fait que, durant leur cycle de vie, les personnes sans instruction sont confrontées plus que les personnes instruites à des comportements et situations à risque pour la santé physique et la capacité fonctionnelle. Par exemple, il est plus fréquent que les hommes non instruits travaillent manuellement dans l’agriculture, la construction et les travaux publics ou l’industrie. En outre, en milieu semi-rural et rural en Afrique, les moyens de subsistance sont plus limités pour les personnes sans instruction, ce qui limite leur accès aux services sociaux et sanitaires lorsque ceux-ci existent et les contraint à une alimentation de survie, non équilibrée, qui les rend plus vulnérables aux maladies et infections reliées aux carences nutritionnelles.

De plus, il y a une certaine association entre le comportement de prévention des problèmes de santé et d’incapacité fonctionnelle et la perception de l’état de santé et les limitations d’activité. Les différences d’état de santé et de limitations d’activité selon le sexe chez les personnes âgées tendent à s’expliquer par des différences d’ordre socioéconomique et familial. En conformité avec les études antérieures menées dans d’autres régions du monde, qui ont établi que les hommes et les femmes utiliseraient des critères différents pour évaluer leur état général de santé, cette étude montre qu’il y a des différences significatives selon le sexe quant à l’état de santé perçu et aux activités de la vie courante caractérisant la capacité fonctionnelle. Toutefois, nous en sommes réduits à spéculer sur les raisons de ces différences, étant donné la rareté des travaux de recherche à ce propos (voir les recensions de MacIntyre et al., 1996, et de McDonough et Walters, 2001) et le manque d’informations approfondies sur ce sujet en Afrique. Pour certaines personnes âgées, ces différences pourraient refléter une différence selon le sexe dans la connaissance du niveau de risque personnel ou la perception du risque probable de maladie. Les hommes pourraient être plus portés à sous-estimer ou à taire certains problèmes de santé ou d’incapacité, puisque le contexte social tend à favoriser une attitude « courageuse » de leur part, alors que la femme se considérerait elle-même comme membre du sexe faible.

Implications

Des études longitudinales ont aussi prouvé que l’état de santé perçu a une grande valeur prédictive pour l’incapacité fonctionnelle ou les limitations d’activité (Ferraro, Farmer et Wybraniec, 1997; Idler et Kasl, 1995; Mor et al., 1989; Wilcox, Kasl et Idler, 1996; Idler et Benyamini, 1997). Selon les analyses exploratoires menées dans le cadre de cette recherche, près de 17,5 % des personnes âgées ont à la fois qualifié leur état de santé de mauvais ou moyen et signalé des limitations d’activité. Si cette recherche était poussée plus loin, il serait possible d’analyser la mesure de l’état de santé avec et sans incapacité, et d’approfondir les aspects conceptuels et méthodologiques de la coexistence du mauvais état de santé perçu et de l’incapacité fonctionnelle. Cette piste est d’autant plus importante à explorer que toutes les personnes en mauvaise santé n’ont pas une limitation d’activité, et que les personnes limitées dans leur activité ne s’estiment pas nécessairement en mauvaise santé.

Cette étude débouche sur des considérations importantes concernant les enjeux du vieillissement des populations africaines. Il y a lieu de souligner la relative stabilité de la structure des inégalités socioéconomiques en Afrique, sur fond d’inégalités selon le sexe. La façon dont on vit le vieillissement en Afrique selon qu’on est homme ou femme tient à des raisons multiples; en particulier, le veuvage et les conditions d’héritage désavantagent souvent les femmes, surtout en milieu rural. Les supports intergénérationnels et la prise en charge au niveau familial et communautaire restent le mode le plus répandu d’assistance et de support aux personnes âgées, surtout au sud du Sahara.

Face à cet environnement socioéconomique et sanitaire pour les personnes âgées, l’urgence de la collecte de données sur le vieillissement en Afrique et d’une législation procurant une protection sociale et sanitaire se présente avec acuité. Très peu de pays africains offrent des systèmes formels de sécurité sociale qui procurent des services de santé et une gamme de prestations en cas de maladie ou de perte d’emploi. D’ailleurs, selon une étude des années 1990 sur 23 pays du continent, le Burkina Faso, le Cameroun, le Kenya, le Mali et le Sénégal n’offraient qu’à une faible proportion de leur population des avantages sanitaires en vertu de leur système de sécurité sociale (Campbell et Parfitt, 1995). En général, les bénéficiaires de ces avantages sont les retraités de l’administration publique ou des principales entreprises privées, ou les leaders politiques proches du pouvoir.

Quelques enjeux du vieillissement des populations en Afrique méritent d’être soulignés, parce qu’ils nécessitent des investigations approfondies.

Premièrement, sur le plan coutumier, culturel et social, les personnes âgées sont garantes de la transmission intergénérationnelle des coutumes et pratiques relevant des valeurs traditionnelles et ancestrales. Elles témoignent de la sagesse locale et sont généralement la référence lors de toutes les rencontres sociales et traditionnelles.

Deuxièmement, sur le plan économique, elles sont confrontées aux difficultés liées non seulement à l’absence de pension de retraite pour celles qui n’ont jamais travaillé ou qui n’ont pas de parenté ou de progéniture pour les faire vivre, mais aussi au contexte de crise économique et de pauvreté socio-familiale qui perdure dans la grande majorité des pays africains depuis la fin des années 1970, et qui a connu son apogée vers le milieu des années 1980.

Troisièmement, sur le plan sanitaire, au fardeau déjà lourd des maladies infectieuses et parasitaires (qui continuent à frapper toutes les couches de la population de la plupart des pays africains qui n’ont pas encore amorcé les transitions de la santé, sur le triple plan démographique, épidémiologique et nutritionnel) s’est greffée l’émergence des maladies dites du troisième âge dans les sociétés africaines. Ces changements ont lieu dans un environnement social et physique caractérisé par un système médical et socio-sanitaire inadéquat sur le plan des ressources humaines et de l’arsenal technologique. Ce système est largement confiné aux infrastructures de services à une population à fécondité toujours élevée (services de gynécologie-obstétrique, maternité, vaccination, pédiatrie); il est sous-financé, mais coûteux, étant donné la politique de recouvrement des coûts en vigueur, et géographiquement peu accessible en raison de la concentration des principales formations sanitaires dans les métropoles, alors que souvent plus de 70 % de la population vit dans l’arrière-pays.

Quatrièmement, les inégalités sociales et économiques se renforcent avec le temps. Depuis les années 1960 (période des indépendances), les pays africains ont connu des changements sociaux et politiques considérables. Par exemple, il y a eu des changements dans les conceptions du rôle et des obligations de l’État, tant dans les communautés locales, nationales et internationales que dans les familles et chez les individus. L’augmentation de la prospérité pour une infime partie de la population, l’amélioration des opportunités de mobilité sociale, l’évolution des systèmes de valeur, la montée de l’individualisme au mépris des solidarités familiales et socio-communautaires traditionnelles sont quelques indices des changements en cours en Afrique, dans un contexte de mondialisation (quelle que soit la définition de celle-ci).

Cinquièmement, l’insécurité sociopolitique, les guerres civiles et la pauvreté briment les mouvements des Africains, sapent leur vie et leurs opportunités, les contraignent à vivre entassés dans des abris de fortune, les exposent aux comportements associés à la propagation du VIH-sida (qui a atteint des proportions endémiques dans bon nombre de pays africains au cours de la dernière décennie) et tendent à aggraver la vulnérabilité socioéconomique des personnes âgées.

Enfin, comme les soutiens intergénérationnels et la prise en charge familiale et communautaire restent le mode d’assistance aux personnes âgées le plus répandu en Afrique, surtout au sud du Sahara, avoir une progéniture demeure dans la plupart de ces sociétés un investissement pour « la vieillesse ». L’enfant qui a réussi sa vie — ce qui correspond par exemple aux transitions vers les fonctions adultes d’employé, de marié, de parent ou de chef de ménage — est ainsi une « pension vieillesse », car, quel que soit son rang dans la filiation, chacun a l’obligation de prendre en charge les personnes âgées de sa famille.