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Àtravers l’étude des hauts niveaux de mortalité infantile enregistrés au Québec au début du XXe siècle, l’historienne Denyse Baillargeon analyse l’émergence de la médicalisation de la maternité et les enjeux sociaux, économiques, politiques et idéologiques qui lui sont associés.

En s’appuyant sur une recherche documentaire vaste et fouillée ainsi que sur une soixantaine d’entrevues de femmes, l’auteure montre en six chapitres bien articulés les transformations qui ont touché la maternité, les soins donnés aux jeunes enfants et la société québécoise.

Le premier chapitre dresse le portait statistique de la mortalité infantile et maternelle au Québec de 1910 à 1970 en la comparant à la situation observée dans le reste du Canada. Dans ce chapitre intitulé « une mauvaise mère nommée Québec », Denyse Baillargeon remarque que le Québec enregistre jusqu’aux années 1970 les taux de mortalité infantile les plus élevés du Canada. Si l’auteure avance des raisons économiques, culturelles (le sevrage précoce par exemple) et des problèmes d’enregistrement statistique (les catholiques comptabilisent les morts-nés) pour expliquer cette différence funèbre entre communautés ethniques et religieuses, elle constate aussi que ce haut niveau de mortalité infantile interpelle les élites québécoises sur la survivance du peuple québécois et sur la responsabilité des mères.

Le deuxième chapitre s’attarde sur le discours que suscite la mortalité infantile chez les médecins canadiens-français du Québec en relevant son caractère nationaliste et idéologiste, tandis que le troisième chapitre souligne les stratégies politiques entourant les prescriptions médicales adressées aux mères en matière de soins infantiles et prénatals. La mortalité infantile qui devient dès les premières décennies du XXe siècle « un des nombreux maux à combattre pour préserver le nouvel ordre économique et social capitaliste » (p. 65) mobilise les médecins québécois francophones qui se revendiquent comme les « “nouveaux experts” auprès des mères et des pouvoirs publics » (p. 66). Denyse Baillargeon montre comment les hommes-médecins, tout en minimisant les conditions de vie précaires des Canadiens français, se proposent d’éduquer les femmes à devenir mère, à gérer « la grossesse, l’accouchement, le soin des nourrissons ou des jeunes enfants » (p. 93). En mettant l’accent sur « l’ignorance maternelle » (p. 98), les médecins mèneront les mères à consulter « régulièrement un médecin de famille » (p. 97), avant de les conduire à accoucher en milieu hospitalier (p. 124).

Dans le quatrième chapitre, Denyse Baillargeon analyse les services médicaux proposés dès le XXe siècle aux mères, tant par le secteur privé (Église, associations caritatives, associations de femmes, entreprises privées) que public (État, provinces). Elle y repère une motivation nationaliste, et un désir pour les parties impliquées de s’identifier « aux élites qui guident le peuple » (p. 226).

Le cinquième chapitre met en exergue les alliances, les conflits et les jeux de pouvoir entre les acteurs intervenant dans les divers services médicaux (médecins, infirmières, membres du clergé, politiciens, intellectuels et féministes « maternalistes »), tout en soulignant leurs conséquences « sur la qualité et la nature des services offerts » (p. 226).

Le dernier chapitre examine l’implication des femmes dans le processus de la médicalisation de la maternité. À partir de l’analyse d’entrevues menées auprès des femmes mères entre 1935 et 1965, l’auteure observe l’évolution des réactions des femmes aux directives des médecins, des infirmières et des bénévoles. Elle relève que, jusqu’aux années 1940, les femmes resteront réticentes à la surveillance prénatale trop étroitement associée « à la sexualité et à la reproduction (...) réputé impur » (p. 237), avant d’intégrer les contraintes médicales en acceptant à partir des années 1950 « une surveillance prénatale régulière » (p. 240) et de fréquenter les cliniques de puériculture.

Denyse Baillargeon termine son ouvrage par un bref épilogue sur les associations informant, entre 1955 et 1970, les couples sur les moyens et les méthodes de contraception. Elle y souligne la médicalisation de la contraception et l’émergence de nouvelles normes sociales associées au nombre d’enfants en fonction des revenus.

Des notes détaillées, une bibliographie exhaustive, des annexes sur les sources utilisées et sur les taux de mortalité infantile ainsi qu’un index, complètent utilement cet ouvrage, témoignant d’une grande rigueur scientifique.

Un Québec en mal d’enfants est un ouvrage essentiel pour tous ceux et celles qui s’intéressent à la technicisation de la maternité. Ce livre est une remarquable contribution à l’analyse de l’émergence du médical au coeur de la reproduction humaine. Il met en exergue le processus qui a conduit depuis le début du XXe siècle à un contrôle « scientifique » des capacités reproductives des individus. Cet ouvrage fournit aussi des éléments de réflexion importants sur les rapports sociaux de classe et de sexe (médecins, élites, hommes).