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Introduction

Comme la plupart des autres pays, la France a vu se succéder plusieurs réformes de son système de retraite depuis le début des années 1990 : les plus marquantes sont intervenues en 1993, 2003 et 2010. Les deux premières visaient surtout à préparer l’adaptation du système aux conséquences à long terme du vieillissement démographique, la troisième a dû également répondre au nouveau contexte créé par la crise économique et financière. L’ensemble de ce processus s’est accompagné d’un développement important des outils de projection des retraites. Au début des années 1990, la prospective des retraites s’appuyait pour l’essentiel sur des maquettes agrégées du système de retraite français, qui n’en donnaient qu’une représentation très schématique. Un exemple de modèle était le modèle Margaret construit et utilisé à la direction de la prévision du ministère de l’Économie (Vernière, 1990). Ce modèle était un modèle de projection par cohorte, sans variabilité intra-cohorte, et il utilisait une représentation très simplifiée du système de retraite consistant à l’approximer par un système à un seul pilier s’appliquant à l’ensemble de la population française et couvrant l’ensemble de leurs salaires.

De tels modèles semi-agrégés ont été et restent très utiles. Ils continuent d’être utilisés par le Conseil d’Orientation des Retraites pour un certain nombre de variantes globales telles que les variantes de croissance économique ou les variantes démographiques vis-à-vis desquelles les détails des règles de calcul des retraites ne jouent qu’au deuxième ordre (Conseil d’Orientation des Retraites, 2006 et 2010). Mais ces modèles ignorent nécessairement un très grand nombre de caractéristiques du système de retraite. Ils ignorent les spécificités de nombreux régimes professionnels, et notamment des régimes de fonctionnaires. Même pour le cas le plus fréquent des salariés du secteur privé, l’approche mono-pilier ne rend pas compte du fait que la retraite est en fait composée de deux voire trois segments : la retraite de base du régime général de la sécurité sociale, s’appliquant à la partie du salaire située sous le plafond de la sécurité sociale, et une ou deux retraites complémentaires fournies par les régimes professionnels s’appliquant respectivement aux non-cadres et aux cadres. Enfin, l’approche agrégée est par nature inapte à rendre compte des très nombreuses complexités des barèmes au sein de chaque régime.

Compte tenu de toutes ces limitations, il était impossible à ces modèles agrégés de simuler les effets des réformes ou révisions des règles de calcul qui ont commencé à être mises en place à cette période, en particulier de la réforme de 1993 réalisée seulement quelques années après la sortie du Livre Blanc. Le modèle Destinie a commencé à être construit dans ce contexte. Sa première version a été utilisée jusqu’au début des années 2000 et sa deuxième version est devenue opérationnelle depuis 2011. Cet article propose une vue d’ensemble des apports de ce modèle. On reviendra d’abord sur le contexte dans lequel sa première version a été construite, les principaux choix qui ont été retenus pour cette construction et les diverses applications qui en ont été faites. On dressera un bilan de ces applications et on examinera les principales améliorations apportées par la nouvelle version du modèle.

Le contexte : un système de retraites particulièrement complexe

Une présentation globale du système de retraite français et de ses réformes dépasse largement le cadre de cet article, mais quelques éléments de base sont nécessaires pour comprendre à la fois la nécessité d’une approche par microsimulation et certaines des options retenues par le modèle Destinie au cours de son évolution.

Le système de retraite français est fragmenté mais, en laissant de côté les non-salariés, on simplifie grandement sa présentation en considérant qu’il comporte trois grandes composantes :

  • La plus importante est le régime général. Il s’agit du régime de base servant des retraites aux anciens salariés du secteur privé pour la part de leur salaire située sous le plafond de la sécurité sociale. Ce régime est un régime par annuités. Le niveau de pension dépend des salaires passés et du nombre d’années de cotisation.

  • Pour ces mêmes salariés du secteur privé, une ou deux pensions supplémentaires sont versées par les régimes complémentaires ARRCO (association pour le régime de retraite complémentaire des salariés) et AGIRC (association générale des institutions de retraite complémentaire des cadres) : ces régimes sont des régimes dits « par points », ce qui signifie que les cotisations annuelles conduisent à l’accumulation de points individuels qui sont convertis en droits à retraite au moment de la liquidation.

  • Les fonctionnaires bénéficient pour leur part d’un régime par annuités unique couvrant l’ensemble de leur ancien salaire.

Le tableau 1 résume les principales caractéristiques de ce système et les réformes dont il a fait l’objet. On va surtout se concentrer dans un premier temps sur le régime général, le seul qui avait été réformé en 1993. Jusqu’à cette réforme, la situation dans ce régime général était la suivante (tableau 1) :

  • La pension était calculée sur la base du salaire annuel moyen (SAM) des dix meilleures années de la carrière.

  • Un second principe de base du système est de donner une pension proportionnelle à la durée de cotisation : à SAM identique, un individu ayant cotisé 30 ans a une retraite qui ne représente que les trois quarts de celle d’un individu ayant cotisé 40 ans. La formule générique de calcul de la retraite était donc du type α×(Durée cotisée)×SAM où α est ce qu’on qualifie de coefficient d’annuité, c.-à-d. le nombre de points de SAM rapporté par une année de cotisation supplémentaire.

  • Mais, cette formule relativement simple était et reste grandement complexifiée par le mode de détermination du paramètre α car ce paramètre dépend à son tour de la durée cotisée et également de l’âge de liquidation, selon une formule non linéaire. Le principe est le suivant : la valeur maximale de α était atteinte soit à 65 ans, soit entre 60 et 65 ans mais sous la condition de totaliser un nombre minimum d’années de cotisation. Ce nombre était à l’époque de 37,5 années. Les individus ne remplissant pas ces conditions de durée et d’âge devaient soit attendre de les atteindre, soit accepter une pénalité importante représentant 10 % du niveau de leur retraite par année manquante. De manière plus précise, un individu liquidant à 60 ans avec 37,5 ans de cotisation bénéficiait du taux plein de 50 % (c.-à-d. un α de 1,33 %) mais un individu liquidant au même âge avec seulement 36,5 années voyait ce taux passer à 45 % du SAM.

Tableau 1

Principales caractéristiques du système de retraite français et de ses deux principales réformes

Principales caractéristiques du système de retraite français et de ses deux principales réformes

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Ce bref aperçu des règles suffit à donner l’idée de la complexité du calcul de la retraite, même en se restreignant à la seule retraite de base d’une catégorie particulière de salariés. Or la prise en compte de cette complexité était indispensable pour chiffrer l’effet de réformes. La réforme de 1993 avait notamment touché à deux des paramètres de ce barème : elle avait institué un durcissement progressif de la condition sur la durée d’assurance requise pour bénéficier du taux plein dès 60 ans, la faisant passer de 37,5 ans à 40 ans entre les générations 1933 et 1943, et un allongement de la durée de calcul du SAM, consistant à passer d’un calcul sur les dix meilleures années à un calcul sur les 25 meilleures années.

Simuler l’impact de la première de ces deux mesures nécessitait une projection de la distribution des durées de cotisation atteintes à 60 ans : ceci serait resté possible dans le cadre d’un modèle matriciel en proposant une double désagrégation de la population par âge et nombre d’années cotisées. Mais ceci aurait déjà supposé la gestion de matrices de transition de grande taille. L’approche par microsimulation est plus simple pour gérer ce genre de problème : elle consiste à projeter individuellement les trajectoires professionnelles pour un échantillon représentatif d’individus. Pour évaluer l’effet d’un durcissement de la condition d’accès au taux plein, il suffit de dénombrer, le moment venu, le nombre d’individus sur lesquels ce durcissement à un impact, et de modifier leur comportement de liquidation en conséquence, au besoin avec une certaine marge de flexibilité. Dans un modèle de microsimulation, il est très simple de faire l’hypothèse que seulement x % des individus touchés par la mesure reportent leur liquidation, ou de moduler ce report selon une ou plusieurs autres caractéristiques simulées pour les mêmes individus.

L’apport de la microsimulation pour la simulation du passage des 10 aux 25 meilleures années est encore plus évident. Les conséquences financières d’une telle mesure dépendent très fortement de la forme des profils de carrière : elle pénalise les carrières ascendantes ou irrégulières et l’impact de la mesure dépend donc du poids relatif de ces carrières dans la population totale. Ici encore, la microsimulation permet de simuler des effets que l’approche globale interdit de capter.

C’est avec ces deux idées en tête que le modèle Destinie a commencé à être construit.

Le modèle Destinie 1 : les choix initiaux

Construire un modèle de microsimulation suppose un certain nombre de choix structurants. On va expliciter quelques-uns des choix retenus pour Destinie 1. Les principaux choix concernant le modèle Destinie 1 ont concerné la base de données individuelles servant de support à la simulation, la nature des unités simulées, les principales caractéristiques retenues pour caractériser ces unités, les hypothèses sur leurs comportements vis-à-vis de la retraite et le degré de finesse retenu pour décrire ce système de retraite. On va détailler rapidement ces différents choix.

Concernant la base de départ, le choix s’est porté sur une enquête auprès des ménages, l’enquête dite « Patrimoine » ou « Actifs Financiers », enquête conduite par l’INSEE tous les six ans auprès d’un échantillon représentatif de la population française. L’enquête 1991-1992 sur laquelle s’était appuyée la toute première version du modèle Destinie portait sur 13 000 ménages parmi lesquels 9 350 avaient effectivement répondu à l’enquête. L’objectif principal de cette enquête n’est pas l’analyse des droits à retraite. Elle sert avant tout à évaluer la détention d’actifs financiers et ses déterminants. Mais, pour la problématique des retraites, elle présentait l’intérêt de contenir une information rétrospective sur les carrières professionnelles, information indispensable à la reconstitution des droits à retraite et qui, à l’époque, n’était disponible sous forme regroupée dans aucune source administrative, les données requises restant éclatées entre les différents systèmes. Même si cette situation est désormais en cours de résolution, ces données administratives des caisses restent pauvres en descripteurs socio-économiques complémentaires aux données de gestion. L’intérêt de l’enquête patrimoine était et reste ainsi de combiner l’ensemble des descripteurs socio-économiques usuels des enquêtes ménages et de disposer d’un paramètre crucial pour le calcul des retraites qui est la durée passée par l’ensemble des individus enquêtés dans l’état d’actif occupé. Il s’agissait certes d’une donnée déclarative susceptible de biais de mémoire, mais il s’agissait de la seule source proposant une information de ce type.

Le fait de partir d’une enquête ménages offrait par ailleurs la possibilité de construire un modèle simulant non seulement le devenir des individus mais aussi de leurs ménages. Une telle possibilité était importante : le but final n’est pas seulement la projection des droits à retraite individuels, mais une projection complète du niveau de vie des ménages de retraités, en comparaison avec le niveau de vie des ménages d’actifs : ceci suppose à la fois la connaissance de la composition de ces ménages, des revenus de leurs différents membres et des prestations allouées globalement au niveau du ménage — tel est notamment le cas du minimum vieillesse attribué au ménage en fonction du niveau global de ses ressources.

Comment Destinie projette-t-il ces ménages ? Il existe deux grandes options pour le traitement des ménages en microsimulation dynamique.

L’une est l’approche en population « ouverte ». Elle part d’un noyau dur d’individus qui constituent le coeur de la simulation et auxquels on rajoute, en fonction des besoins, des individus supplémentaires représentant leurs conjoints, enfants ou autres apparentés. Ce système conduit à gérer des échantillons de structure non régulière : soit l’unité d’observation est le ménage lui-même et la taille de l’enregistrement qui décrit cette unité varie au cours du temps, soit on continue de ne gérer que des individus liés les uns aux autres mais avec une séparation entre les individus de base de la simulation et leurs apparentés.

On a plutôt retenu l’approche dite en population dite « fermée ». Le terme de population fermée ne signifie pas que le modèle ignore la migration : chaque année, il s’enrichit de nouveaux individus correspondant à l’apport migratoire. Le terme de population fermée signifie que les unions se forment entre individus de l’échantillon et que le renouvellement naturel de l’échantillon est assuré par les enfants nés de ces unions. En quelque sorte, on simule un « isolat » représentatif de la population française. En pratique, chaque enregistrement d’un individu contient à chaque date un certain nombre de pointeurs vers d’autres individus de l’échantillon auxquels il est lié par union, par ascendance, ou par descendance. De proche en proche, on a donc une description complète de l’environnement familial de l’individu et de la façon dont il évolue au cours du temps. Ceci suppose néanmoins d’initialiser ces liens familiaux. À la date initiale, le fichier de l’enquête ne nous donne que des liens se traduisant par une corésidence : les enfants à charge d’un individu enquêté sont eux-mêmes dans l’échantillon de l’enquête, mais pas ses parents s’ils vivent dans un ménage différent. En revanche, l’enquête nous indique que l’individu i âgé de 50 ans a, par exemple, sa mère encore vivante et nous indique son âge. Sur cette base, la complétion des liens familiaux initiaux dans l’échantillon se fait en allant chercher une veuve de cet âge à qui on fait jouer ce rôle de mère de l’individu i. On « ferme » donc artificiellement la population initiale d’une façon cohérente avec la fermeture que gérera le modèle en projection. À chaque date, on peut ainsi évaluer non seulement la composition du ménage de l’individu i, mais aussi le fait que ses parents soient ou non encore en vie, et inversement, la probabilité qu’un individu âgé ait un, deux ou davantage d’enfants vivants. Cette structure a permis des évaluations de l’environnement familial des personnes dépendantes (Duée et Rebillard, 2004). À terme, elle pourrait aussi permettre la mobilisation du modèle pour des travaux prospectifs sur les legs. Par exemple, si la baisse des niveaux de retraite conduit les individus à davantage consommer leur patrimoine au cours de leur retraite, il doit en résulter une baisse des ressources héritées par la génération suivante qui pèsera à son tour sur le niveau de ressources de cette génération.

Une microsimulation n’est par ailleurs intéressante que si elle permet de rendre compte de la hiérarchisation sociale de la population. Dans Destinie, la variable qui détermine cette hiérarchie sociale est l’âge de fin d’études. Il a été préféré à la catégorie sociale ou au niveau de diplôme car il s’agit d’une variable quantitative continue sur laquelle il est plus facile de formuler des hypothèses prospectives. Il est en effet difficile de dire ce que recouvrera la notion de « cadre » ou ce que représentera le baccalauréat en 2050 et donc de formuler les hypothèses sur les effectifs atteignant cette catégorie sociale ou ce niveau d’études à un tel horizon. En revanche, on est moins embarrassé pour formuler des hypothèses tendancielles sur l’âge moyen de fin d’études et sa dispersion. Cette variable intervient de nombreuses manières dans la simulation : elle est l’un des facteurs explicatifs des transitions sur le marché du travail aux différents âges et des trajectoires de salaires — dans ce dernier cas, il s’agit du rôle qu’elle a classiquement dans les équations de salaire. Elle est également l’un des critères sur la base duquel se forment les couples : le modèle simule en effet une certaine endogamie en donnant davantage de probabilité aux unions entre individus de niveaux d’études comparables, et l’âge de fin d’études des enfants de ces unions est lui-même tiré dans des distributions dépendant des âges de fins d’étude des deux parents. L’âge de fin d’étude détermine par ailleurs la mortalité différentielle et a une influence directe sur le montant des droits à retraite puisqu’une entrée tardive sur le marché du travail réduit les chances d’arriver à 60 ans avec le nombre d’années de cotisation requises pour une retraite à taux plein.

L’ensemble de ces caractéristiques étaient présentes dès la toute première version — expérimentale — du modèle (Blanchet et Chanut, 1998). En revanche, sur le volet retraite, celui-ci en était resté à une description très fruste : renonçant temporairement à la possibilité de simuler la variété des règles des différents régimes, on avait choisi de faire comme si l’ensemble de la population française avait relevé de la combinaison régime général/régimes complémentaires ARRCO/AGIRC et on avait supposé un comportement systématique de liquidation de la retraite à l’âge d’atteinte du taux plein. Les principales modifications du modèle au cours de la deuxième moitié des années 1990 ont porté sur ces deux aspects.

Adaptations et principaux apports de la première version du modèle

Si la première version du modèle s’était contentée de ces choix assez sommaires en matière de simulation des retraites, c’est parce que son objectif était surtout de montrer la faisabilité de l’instrument. Les années qui ont suivi ont été d’une part consacrées à des améliorations substantielles des modules démographiques (Robert-Bobée, 2001 et 2002) et emploi/salaire du modèle (Colin, 1999a et 1999b), et d’autre part à enrichir la prise en compte de la complexité du système de retraite (Bardaji, Sédillot et Walraët, 2003). On va surtout insister sur ce dernier aspect (tableau 2).

Tableau 2

Principales questions traitées à l’aide du modèle Destinie 1

Principales questions traitées à l’aide du modèle Destinie 1

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L’ajout d’un module décrivant les pensions du secteur public allait de soi. Ce secteur n’avait pas été concerné par la réforme de 1993. La condition d’obtention du taux plein était restée fixée à 37,5 ans, avec, contrairement au privé, une très faible pénalité pour les individus liquidant avant cet âge. Un alignement au moins partiel de ses règles sur celles du secteur privé était donc à l’ordre du jour.

L’autre grande question de la fin des années 1990 a été l’idée d’instaurer une plus grande marge de choix des individus de part et d’autre de l’âge d’accès au taux plein. Le système issu de la réforme de 1993 restait très pénalisant pour les salariés du secteur privé liquidant avant ce taux plein avec une chute de 10 % du niveau de la pension par année d’anticipation. Une telle pénalité allait sensiblement au-delà du niveau requis par le principe dit de neutralité actuarielle, selon lequel les variations de pension selon l’âge de liquidation doivent juste compenser les variations des durées de cotisation et de service de la pension. Le système s’écartait également de la neutralité actuarielle au-delà du taux plein, mais dans l’autre sens : au-delà du taux plein, le taux de remplacement était totalement indépendant de l’âge de liquidation : aucune compensation n’était offerte à l’individu acceptant de travailler plus longtemps et de raccourcir sa retraite, ce qui revenait à une forte taxation implicite du revenu du travail au-delà de l’âge du taux plein.

C’est sur la base de ce constat qu’est apparue l’idée de mieux se rapprocher de la règle de neutralité actuarielle pour supprimer ces distorsions de choix individuels en faveur du seul taux plein (Charpin, 1999). Pour simuler les effets de tels changements, un modèle postulant le départ au taux plein n’était plus acceptable, il fallait trouver une façon de simuler l’incidence sur les comportements de l’ouverture d’une plus grande marge de choix autour de ce taux plein. Le choix s’est porté sur le modèle de Stock et Wise (1990) décrivant le choix de l’âge de départ comme un arbitrage entre niveau et durée de la retraite, avec deux paramètres principaux qui sont un coefficient dit de préférence pour le loisir — mais qu’on peut tout aussi bien voir comme une mesure de la pénibilité du travail — et un coefficient de préférence pour le présent. Des valeurs élevées de ces deux paramètres se traduisent par une plus forte préférence pour la retraite précoce et une moindre sensibilité aux bonifications financières associées au départ plus tardif.

Ce module de comportement a été assez largement mobilisé pour la prospective des âges de départ en retraite, soit avant la réforme intervenue en 2003, soit après cette réforme, pour en évaluer les effets a posteriori et/ou en étudier divers aménagements. Plus concrètement, les principales dispositions de la réforme de 2003 ont été les suivantes (tableau 1). S’agissant des fonctionnaires, elle n’a pas remis en cause le fait de calculer leur pension sur la base de leur dernier salaire, contrairement au cas du secteur privé où elle est calculée sur la base des 25 meilleures années. En revanche, elle a fait converger la durée requise pour la liquidation au taux plein vers la valeur de 40 ans à laquelle était déjà arrivé le secteur privé en 2003 : la convergence s’est étalée jusqu’en 2008. Depuis cette date les deux durées évoluent de concert : 41 ans en 2012, puis une évolution indexée sur la hausse de l’espérance de vie. Parallèlement, les pénalités et majorations pour départs avant ou après ce taux plein ont été rapprochées de la neutralité actuarielle. La pénalité a été réduite dans le privé puisqu’elle y était très forte, et augmentée dans le secteur public où elle était très faible. Et les deux régimes offrent désormais la même incitation à prolonger au-delà du taux plein, initialement fixé à 3 % de bonification par année de report, progressivement augmenté à 5 % depuis cette date.

Que nous a appris le modèle sur l’incidence de ces différentes dispositions ? Un problème auquel il s’est heurté est la fragilité du calibrage du modèle de Stock et Wise sur données françaises. Un système qui contraignait fortement les départs au taux plein se traduisait par une concentration des départs à cet âge et donc très peu de révélation spontanée des préférences des agents en matière de niveau et de durée de la retraite. Ceci a forcé à se montrer très prudent sur l’interprétation de ces résultats (Buffeteau et Godefroy, 2005 ; Conseil d’Orientation des Retraites, 2006). Mais le modèle a au moins servi à montrer que l’effet combiné des réformes de 1993 et 2003 sur les âges de liquidation est plus ambigu que ce que l’on aurait pu anticiper, contrairement à celui de la réforme de 2010 qui a consisté à agir mécaniquement sur l’âge minimum d’ouverture des droits. Dans le secteur privé, l’explication principale de cette ambiguïté est qu’un grand nombre d’individus arrivent en âge de liquider en étant déjà sortis du marché du travail. Le modèle prolonge spontanément une telle situation dans le futur puisqu’il simule des entrées-sorties d’emploi en amont de la retraite par extrapolation de matrices de transition entre emploi et non-emploi estimées à partir des données récentes. Vis-à-vis de ces individus, les bonifications pour prolongation d’activité sont sans effet, et ces individus, à l’inverse, peuvent être tentés de tirer parti de la réduction des pénalités pour départ précoce, sauf lorsqu’ils disposent d’un autre revenu de remplacement leur permettant d’attendre l’âge du taux plein. Il n’y a que dans le secteur public que les effets de la réforme de 2003 sont tous allés dans le même sens d’un départ plus tardif, puisque les pénalités pour départ précoce y ont été renforcées plutôt que réduites et dans la mesure où les fonctionnaires ne sont pas affectés par le non-emploi de fin de carrière qui touche les salariés du privé.

Ces messages sont illustrés par les tableaux 3 et 4. Pour la génération 1965-1974 liquidant autour de 2030, c’est surtout la réforme de 1993 qui modifie sensiblement les âges de liquidation, avec un effet d’environ une année. La réforme de 2003 ne rajoute que 0,2 année de décalage à cet effet, en raison d’impacts opposés entre les individus encore en emploi lors de la liquidation et déjà sortis du marché du travail avant cette liquidation (tableau 4). Dans le cas du secteur public, en revanche, la réforme de 2003 a un effet important, mais dont une partie rattrape le fait que ce secteur n’avait pas du tout été concerné par la réforme de 1993.

Tableau 3

Impact des réformes de 1993 et 2003 sur les âges de liquidation, génération 1965-1974 (décalages en années)

Impact des réformes de 1993 et 2003 sur les âges de liquidation, génération 1965-1974 (décalages en années)
Source : Modèle Destinie (2007)

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Tableau 4

Impact de la réforme de 2003 sur les âges de liquidation selon la situation sur le marché du travail avant la retraite (génération 1965-1974, secteur privé uniquement, décalages en années)

Impact de la réforme de 2003 sur les âges de liquidation selon la situation sur le marché du travail avant la retraite (génération 1965-1974, secteur privé uniquement, décalages en années)
Source : Modèle Destinie et Conseil d’Orientation des Retraites (2006)

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Le modèle Destinie 2 : les raisons d’une réécriture

Globalement, on peut dire que la première version du modèle Destinie a été capable d’apporter des éclairages utiles sur un certain nombre des questions qui lui ont été posées depuis une quinzaine d’années. Pour autant, cette première expérience a fait ressortir un certain nombre de limites de l’instrument, qui ont motivé le lancement d’une réécriture complète.

Tout d’abord, le modèle Destinie 1 présentait des coûts d’entrée importants. Même la production de variantes de base restait une tâche assez lourde. La tâche était donc encore plus importante pour des simulations nécessitant des ajouts substantiels au modèle de base, or tel est souvent le cas.

Des limites sont par ailleurs apparues quant à la robustesse des projections. Le modèle n’était qu’imparfaitement calé sur les projections démographiques « officielles » réalisées avec la méthode traditionnelle des composants. Il existait certes une mise en cohérence avec ces projections globales mais elle restait indirecte et approximative. Ceci pouvait être une source de fragilité à différents niveaux. Par exemple, les projections d’activité sont importantes non seulement pour projeter le nombre de contributeurs au système, mais également pour bien projeter les droits à retraite futurs ou les comportements de liquidation : par exemple, une sous-estimation des taux d’activité au cours du cycle de vie conduira à une sous-estimation du nombre d’années de cotisation atteinte à l’âge de 60 ans, or on a vu l’importance de ce paramètre dans le système de retraite français.

Une autre fragilité du modèle était son comportement de court terme. Comme beaucoup d’autres outils de même nature, Destinie a principalement été développé pour éclairer les conséquences à très long terme du vieillissement de la population et moins d’importance a donc été donnée à la qualité de ces projections à court terme. D’un certain point de vue on peut considérer que ceci correspond à une spécialisation normale des outils de simulation : certains modèles peuvent être appropriés pour la projection de court terme et peu performants à long terme et d’autres modèles peuvent avoir les propriétés inverses. Mais une telle dichotomie n’est pas sans poser problème : autant que faire se peut, il faut essayer de combiner la pertinence pour le court terme et le long terme.

En sus de tous ces éléments, un motif supplémentaire de réécriture du modèle a été l’émergence d’autres outils de même type. L’expérience du modèle Destinie 1 a conduit d’autres organismes à développer ou envisager des outils comparables. À ce jour, ceci s’est notamment traduit par la construction du modèle Prisme de la caisse nationale d’assurance vieillesse (voir par exemple une présentation dans Poubelle et collab. 2006). Ce modèle concerne les cotisants et prestataires du régime général, mais, à terme, l’existence de sources administratives combinant l’information de l’ensemble des caisses de retraite (échantillon interrégime de retraités et échantillons interrégime de cotisants) pourrait conduire au développement d’un outil de même nature s’appliquant à l’ensemble de la population, ce qui était précisément le champ d’application principal de Destinie 1. Globalement, la tendance est à l’appropriation de la méthode de microsimulation par des organismes qui ont le double avantage comparatif d’un accès à des données plus détaillées et plus précises, et une connaissance plus fine de la législation très complexe qui régit le calcul des retraites. Dans ce contexte il est possible que le modèle Destinie devienne moins sollicité sur les questions de retraites stricto sensu. La réponse à cette nouvelle donne a consisté à redonner aux modèles Destinie une perspective plus généraliste, celle d’un outil de simulation des trajectoires à long terme des individus et de leurs ménages permettant de répondre à diverses questions liées à la thématique du vieillissement, ou nécessitant la disponibilité de données panélisées en très longue période. Mais cette orientation était difficile à envisager sous la forme dans laquelle était programmé Destinie 1. Il fallait élaborer un outil plus flexible et plus adaptable.

La nouvelle version du modèle qui est opérationnelle depuis 2011 a cherché à répondre à ces diverses limites et à ces nouveaux besoins, tout en conservant l’essentiel des aspects positifs de ce premier modèle Destinie 1. L’objectif du nouveau modèle reste de fournir une simulation complète de la structure démographique de la population française, y compris de l’évolution de la structure familiale, croisée avec une simulation des trajectoires professionnelles et des droits à retraite qui distingue les droits du régime général et des régimes assimilés, les droits des régimes complémentaires de salariés du privé (ARRCO et AGIRC) et enfin les droits des agents de la fonction publique. On continue également de le faire à partir d’une base de données initiales fondée sur une enquête, l’enquête Patrimoine.

Mais le nouveau modèle se distingue de l’ancien par une séparation complète entre le bloc simulant la démographie et les trajectoires professionnelles et le bloc destiné à la simulation des retraites, ainsi que par une très forte modularité de ce second bloc, qui laisse la porte ouverte à de nombreux enrichissements. On va essayer de donner une vue d’ensemble, non technique[1], de ce que permet cette nouvelle structure. On va d’abord expliquer l’intérêt de cette organisation duale, puis on détaillera la façon dont sont simulées les trajectoires démographiques et professionnelles, et enfin le fonctionnement des modules appliqué(s) à la retraite. On conclura en présentant une illustration mobilisant la capacité du modèle à fournir des résultats au niveau des ménages : il s’agira d’une projection à long terme du niveau de vie relatif des ménages de retraités.

Les principales caractéristiques du modèle Destinie 2 : une structure à deux étages

Le nouveau modèle Destinie 2 comprend deux étages. Comme c’était le cas pour Destinie 1, les principales données en entrée du modèle sont les données de l’enquête Patrimoine, dont la dernière édition disponible remonte à l’année 2003, ce qui implique que les projections prendront cette année 2003 comme année de départ. Le premier étage du modèle est constitué de ce qu’on appelle le générateur de biographies. Il part de cette base de données et la complète dans deux directions : il impute tous les éléments rétrospectifs nécessaires à une projection des retraites mais qui ne sont pas disponibles dans l’enquête, et il établit les projections à long terme des trajectoires démographiques et sur le marché du travail pour tous les individus de chaque échantillon de départ et pour les nouveaux individus dont on simule l’entrée dans la population, par naissance ou par migration, sur l’ensemble de la période de projection.

Les résultats de ce premier bloc sont stockés dans des fichiers intermédiaires de données individuelles. À cette étape aucune information n’est fournie ni générée sur le niveau des retraites ni sur le statut de retraité. Les trajectoires professionnelles qui sont stockées dans ces fichiers intermédiaires sont des trajectoires potentielles prolongées jusqu’à des âges arbitrairement élevés. C’est au deuxième bloc qu’il revient de simuler l’ensemble des comportements de départ en retraite et les droits associés. Ce second étage du modèle (le « simulateur de retraites ») relit les résultats du premier bloc et ajoute cette simulation du comportement de liquidation.

L’autre caractéristique importante du nouveau modèle est que ce deuxième bloc ne se présente plus sous forme d’un programme unique dont l’utilisateur aurait à modifier le paramétrage ou à compléter le code d’un scénario à l’autre. Le choix a plutôt été de développer une boîte à outils de simulation qui sert à construire de petits programmes de simulation ad hoc construits en fonction des besoins des utilisateurs. En s’appuyant sur les fichiers issus du générateur de biographies et en mobilisant différentes bibliothèques de programmes qui lui sont fournis, l’utilisateur construit autant de programmes de simulation qu’il lui est nécessaire, le principe étant d’avoir un programme différent pour chaque application. En pratique, le travail de programmation que ceci requiert peut rester limité, car chaque programme n’a pas à être construit à partir de zéro, mais est en général réalisé en repartant de programmes déjà mis au point pour d’autres applications.

Quels sont les avantages de cette structure à deux étages et de la modularité du second bloc ?

La structure à deux étages présente quatre grands avantages :

  • Durant la phase de développement, elle a permis un travail autonome sur les deux volets du modèle. Les utilitaires de calcul des droits à retraite du deuxième bloc ont pu être développés et testés sur des versions très provisoires des biographies générées par le premier bloc sans attendre que celui-ci soit stabilisé.

  • La génération des trajectoires démographiques et sur le marché du travail est faite une fois pour toutes. La simulation d’un scénario de retraites ne requiert pas une resimulation coûteuse de l’ensemble des autres caractéristiques des individus. Les programmes qui produisent les simulations de retraite sont donc plus compacts et leur temps d’exécution s’en trouve raccourci.

  • Comme la simulation des trajectoires démographiques et professionnelles n’a pas vocation à être relancée de manière répétitive, on peut se permettre de la réaliser avec un programme assez lourd dans lequel sont introduits divers calages sur les projections démographiques et de population active qui sont disponibles par ailleurs. Ces calages sont coûteux en temps de calcul et il est donc préférable de ne pas avoir à les renouveler à trop forte fréquence.

  • Enfin, le fait de raisonner sur des trajectoires démographiques et professionnelles fixes facilite l’analyse détaillée de l’impact des réformes au niveau individuel. Lorsque toutes les trajectoires sont resimulées pour chaque variante, on peut assister à des décalages des générateurs de tirage stochastique qui modifient l’ensemble des trajectoires individuelles. Le modèle Destinie 1 évitait ce problème par un artifice de programmation qui alourdissait le code du programme. Le problème est ici résolu d’office par le fait de garder le même fichier de trajectoires d’une variante à l’autre. Deux simulations de retraite avec des règles de calcul différentes s’appliquent à deux populations exactement identiques et ceci permet des calculs de l’impact des réformes toutes choses égales par ailleurs à des niveaux fins.

Ces avantages ont une contrepartie, à savoir le fait que cette organisation interdit en principe de construire des scénarios dans lesquels les scénarios de retraite rétroagiraient sur les trajectoires démographiques ou d’emploi en amont de la retraite. Or on peut imaginer ce type de scénario. Une hypothèse souvent avancée est par exemple le fait que les comportements d’activité en fin de carrière sont influencés par l’horizon de la retraite. Une réforme qui éloigne cet horizon peut donc modifier les comportements bien en amont de l’âge de 60 ans (Hairault, Langot et Sopraseuth, 2007). La simulation de ce type d’hypothèse ne rentre cependant pas dans le cadre des demandes les plus habituelles qui sont adressées au modèle. Au demeurant, le modèle n’interdit pas totalement de simuler ce type de rétroaction. Il est en effet possible, dans le cadre d’un programme de simulation des retraites, de retravailler les trajectoires professionnelles issues du générateur de biographies pour les faire dépendre en partie du scénario de retraite que l’on simule.

Pour ce qui concerne la structure entièrement modulaire du bloc retraites, elle se justifie par le fait qu’il est totalement impossible de prévoir ex ante l’ensemble des scénarios de retraite et la diversité des variables d’output qu’il sera demandé de produire au modèle. L’approche « boîte à outils » permet de se ménager le maximum de possibilités dans ce domaine, et elle a deux avantages annexes :

  • D’une part, le principe consistant à avoir un programme différent pour chaque simulation est un moyen d’assurer une meilleure traçabilité : toutes les hypothèses qui ont servi à construire un fichier de résultats peuvent être reconstituées en retournant au code source du programme qui génère ces résultats. Il n’y a pas besoin de prévoir une sauvegarde spécifique du jeu d’hypothèses ayant servi à produire ces résultats.

  • Par ailleurs, la boîte à outils mise au point pour le modèle peut aussi être (et a déjà été) utilisée pour d’autres applications (Bensalem et collab., 2010). Elle peut servir à des microsimulations fondées sur des biographies autres que celles fournies par le premier étage, issues par exemple de sources administratives. On peut aussi les appliquer à des séries de cas-types. Multiplier les usages de cette boîte à outils contribue à améliorer sa qualité.

On va maintenant détailler l’un après l’autre le fonctionnement de ces deux blocs.

Le générateur de biographies démographiques et professionnelles

Le générateur de biographies part de l’enquête Patrimoine collectée par l’INSEE en 2003. L’échantillon initial de Destinie contient environ 20 000 ménages et 65 000 individus, soit un sondage au 1/1000e mais, pour les travaux de développement ou la production de premiers résultats, un échantillon au 1/10000e de seulement 6 500 individus est également disponible. Ces deux tailles d’échantillon sont plus faibles que pour un grand nombre de modèles comparables, mais s’avèrent en général suffisantes pour le type de projections qu’elles servent à produire.

Hormis la gestion spécifique des liens de parenté qui était déjà une originalité du modèle Destinie 1 et qui a été entièrement reprise dans le nouveau modèle, le bloc démographique présente les caractéristiques usuelles de tout modèle de microsimulation dynamique. Les événements démographiques sont les unions, les séparations, les naissances d’enfants, les décès et les migrations. La mortalité dépend de l’âge, de la période et du sexe : on utilise les tables de mortalité prospectives des projections démographiques de l’INSEE. La simulation de la migration consiste à ajouter chaque année dans la population des individus supplémentaires avec des caractéristiques démographiques tirées aléatoirement pour reproduire les caractéristiques principales des flux de migrants, en termes de structure par sexe et âge. Pour les autres phénomènes, les probabilités dépendent de l’âge ou de la durée écoulée depuis l’événement précédent, du sexe et, en général, de l’âge de fin d’études. Elles sont reprises du dernier travail de mise à jour du module démographique de Destinie 1, qui s’était appuyé sur les données de l’Échantillon Démographique Permanent de l’INSEE (Duée, 2005).

Pour toutes ces équations, hormis la mortalité, les paramètres sont supposés constants au cours du temps. Ceci est à peu près cohérent avec le scénario central des projections de l’INSEE qui est un scénario à migration et fécondité quasi-constantes mais n’a pas de raison de donner des résultats totalement identiques à ceux de ces projections, ne serait-ce qu’en raison des fluctuations d’échantillonnage ou parce que le principe même de la projection n’est pas le même. Une projection macro fondée sur des taux de fécondité par âge et une projection micro fondée sur des probabilités d’avoir une naissance supplémentaire selon le nombre d’enfants déjà eus et conditionnellement au fait d’être en union ne donnent pas forcément exactement les mêmes résultats. Or il est préférable d’avoir une microsimulation cohérente avec les projections disponibles par ailleurs : c’est ce qu’on appelle le problème de l’« alignement », c.-à-d. de mise en cohérence entre une microsimulation et les messages donnés par les outils de projection traditionnels.

Dans Destinie 2, cet alignement est assuré en ajustant les probabilités individuelles de réalisation des événements pour lesquels on cherche à avoir cette cohérence. Ce calage concerne le nombre annuel de naissances ou de décès par sexe et le solde migratoire. Il conserve les risques ou chances relatives de connaître l’événement considéré pour chaque individu concerné dans la population, mais majore ou minore le risque moyen de façon à obtenir, en espérance, le nombre d’événements souhaités.

Pour ce qui concerne le volet activité/emploi, le modèle tire parti de ce que l’enquête Patrimoine fournit également des informations sur les carrières jusqu’à l’horizon 2003. Cette description est même plus détaillée dans la dernière version de l’enquête que dans la version antérieure de 1997 qui était utilisée par le modèle Destinie 1. Ceci devrait améliorer la qualité des projections fournies par le modèle. Pour chaque année au-delà de l’âge de sortie du système scolaire, nous savons ce qu’a été le statut de l’individu sur le marché du travail : salarié du secteur public ou privé, travailleur indépendant, chômeur, retraité ou inactif. La seule modification que nous appliquons aux données brutes de l’enquête est que nous n’utilisons pas l’information sur le statut de retraité : comme on l’a déjà indiqué et comme on y reviendra encore plus loin, ce statut est réimputé par le simulateur de retraite. Pour les individus en âge de retraite, le fichier contient donc des prolongations de carrière fictive jusqu’à l’âge courant, sur la base du dernier statut d’activité connu.

Après 2003, tous ces éléments sont projetés. Les transitions entre états sur le marché du travail se font selon des processus markoviens de premier ordre dans lesquels les probabilités de transition sont estimées à partir des enquêtes emploi conduites par l’INSEE entre 1992 et 2002. Ces probabilités dépendent des caractéristiques individuelles, en nous limitant évidemment à des caractéristiques qui sont elles-mêmes disponibles dans le modèle. Les transitions dépendent de l’âge de fin d’études, de l’âge courant et de l’interaction entre les deux. Les transitions vers la retraite, en revanche, ne sont toujours pas modélisées : une fois encore, ce travail est laissé au simulateur de pensions qui sera présenté plus loin.

Conditionnellement aux statuts passés et futurs sur le marché du travail, on impute enfin des niveaux de salaires cohérents avec le niveau de salaire observé dans l’enquête en 2003 et évalué selon des équations de salaire tenant compte du sexe, du diplôme et de l’ancienneté et, en projection, des progrès de productivité anticipés d’ici 2050. Les spécifications retenues impliquent un retour compris entre 4 et 8 % par année d’éducation supplémentaire tandis que le retour sur l’ancienneté passe de 3 % en début de carrière à une valeur comprise entre 1 et 2 % en fin de carrière. Ces équations de salaire, à ce stade, ont été reprises telles quelles du modèle Destinie 1. Il s’agit d’un aspect du modèle sur lequel des améliorations devront être apportées assez rapidement. La forme des profils de salaire par âge est en effet assez déterminante pour certains résultats du modèle, par exemple la différence entre des systèmes calculant la retraite sur la base de la dernière année de carrière — comme dans le secteur public —, des 25 meilleures années de la carrière — comme dans le régime de base du secteur privé — ou l’ensemble de la carrière, comme dans les régimes complémentaires par points.

Construire une projection des retraites

Une fois qu’un scénario de référence a été construit et stabilisé pour les trajectoires démographiques et professionnelles et que ses résultats ont été stockés dans des fichiers intermédiaires, le second bloc du modèle prend le relais pour la simulation de scénarios de retraite. On va maintenant préciser comment se font ces simulations.

Comme on l’a indiqué, il n’existe pas de programme complet prédéterminé de simulation des retraites. Ce qui est proposé à l’utilisateur est plutôt un ensemble de bibliothèques d’utilitaires qui permettent la construction de programmes de simulation ad hoc. Dans les cas les plus simples, avec des sorties minimales, ces programmes se limiteront à quelques dizaines de lignes de code, mais leur taille peut ensuite être étendue sans limites en fonction du nombre et de la complexité des variantes qui sont envisagées et du nombre de variables d’output que l’on veut obtenir en sortie de la simulation.

Les principales fonctionnalités offertes par les librairies Destinie sont les suivantes :

  • L’utilisateur a accès à un jeu complet de variables prédéterminées et qui n’ont donc pas besoin d’être redéclarées. Ceci inclut en premier lieu les variables socio-démographiques qui sont relues dans les fichiers produits par le générateur de biographies, une fonction étant fournie qui permet à cette relecture d’être automatique. Les variables prédéfinies comprennent aussi la liste détaillée des paramètres de calcul des droits à retraite et l’ensemble des variables destinées à stocker les calculs intermédiaires ou les résultats finaux de la simulation des retraites. L’utilisateur peut ensuite rajouter à ces variables prédéterminées toutes les variables individuelles additionnelles qu’il peut avoir envie de calculer à partir de ces variables prévues par défaut. C’est aussi à lui qu’il revient de déclarer les variables macro qui serviront à stocker les résultats agrégés de la simulation. Celles-ci varient en effet d’un exercice de projection à l’autre ; il n’était pas possible ni souhaitable d’en définir la liste a priori.

  • L’utilisateur a ensuite accès à un ensemble de modules qui permettent une description fine des règles de calcul des droits à retraite, selon la législation courante, ou selon une quelconque des législations passées. Pour donner un exemple concret, une instruction UseLeg(1945,2003) insérée dans le code du programme indique de fixer les différents paramètres de calcul des retraites aux valeurs prévues en 2003 pour les individus de la génération 1945. Ces valeurs sont celles qui prévaudront pour toutes les opérations qui suivront, jusqu’à nouvel appel de cette fonction. Si l’on souhaite appliquer une législation qui diffère d’une législation existante ou passée, la démarche consiste à appeler la même fonction UseLeg sur la législation la plus proche de celle qu’on souhaite simuler, puis de rajouter les instructions de modification du ou des paramètres de calcul des droits à retraite sur lequel (ou lesquels) porte la variante.

  • L’utilisateur dispose de fonctions permettant de simuler les options de comportement de départ en retraite et/ou le périmètre de ce qu’il veut calculer : par exemple, il peut choisir de simuler l’ensemble des droits, ou des droits excluant tel ou tel des avantages non contributifs offerts par le système de retraite.

  • L’utilisateur dispose d’une procédure simulant la décision de départ en retraite et générant les droits associés et leur revalorisation pour les années postérieures au départ en retraite. Cette fonction peut opérer de manière prospective, pour simuler les départs au-delà de l’année de démarrage de la projection, ou de manière rétrospective pour réimputer les départs passés lors du démarrage de la projection. Des fonctions analogues simulent les pensions de réversion ou le minimum vieillesse, lorsqu’on souhaite les inclure dans l’exercice de projection.

  • Enfin, l’utilisateur a accès à un ensemble relativement riche et flexible de procédures de tabulation incorporées, et également de procédures permettant l’exportation directe des résultats finaux vers des fichiers Excel.

Au total, on peut donc voir le bloc retraite du modèle Destinie 2 comme un outil logiciel appliqué au calcul des retraites, conçu pour que la réalisation de variantes élémentaires soit aussi simple que possible, mais sans interdire a priori la construction de variantes complexes, moyennant évidemment une connaissance plus approfondie de la façon dont fonctionne l’instrument.

Typiquement, pour une simulation élémentaire, ces instruments sont mobilisés en cinq grandes étapes organisées en deux boucles imbriquées sur la date et l’ensemble des identifiants individuels actifs à chaque date :

  • Pour chaque date on fait appel à la fonction qui relit les données issues du générateur de biographies, qu’il s’agisse des données initiales et rétrospectives ou de données projetées.

  • À date donnée, pour chaque individu, on fait appel à la fonction qui définit la législation qui doit lui être appliquée. On spécifie également les options de comportement.

  • On simule sur cette base l’éventuel départ en retraite et les droits associés. Ceci inclut la simulation rétrospective des départs en retraite passés lorsqu’il s’agit de la première année de la projection. Pour les années suivantes et les individus qui sont déjà à la retraite, on se contente de procéder à la revalorisation de la pension. L’ensemble de ces opérations est effectué par appel d’une et une seule fonction, qui constitue la fonction centrale de la bibliothèque de programmes.

  • On produit les tabulations souhaitées pour chaque date de projection.

  • À la fin de la projection, on sauvegarde les résultats de ces tabulations sous Excel.

Parmi l’ensemble de ces opérations, deux méritent des commentaires particuliers. La première est le fait de réimputer les retraites du stock initial plutôt que d’utiliser les observations directement fournies par l’enquête. L’autre concerne le menu d’options disponible pour simuler la décision de liquidation.

Le choix d’imputer les âges de départs en retraite passés et les niveaux de pension associés sans utiliser les informations données dans l’enquête peut sembler paradoxal puisqu’il revient à se priver délibérément d’une information qui est disponible dans l’échantillon de départ, mais il a deux avantages principaux.

La première motivation a été d’éviter des phénomènes de discontinuité au démarrage de la projection. Enchaîner une situation initiale fondée sur des retraites observées et une projection fondée sur des retraites imputées conduit à deux sources de discontinuité. L’une vient du fait que le modèle de projection ignore forcément un certain nombre de caractéristiques fines des barèmes : les pensions calculées en flux peuvent donc être légèrement incohérentes avec celles qui seraient parfaitement observées en stock. D’autre part, les pensions observées en stock sont loin d’être mesurées parfaitement : les niveaux auto-déclarés peuvent être sur ou sous-estimés par les déclarants, auquel cas il y a forcément incohérence entre les données du stock et les données simulées en flux. C’est pour éviter ces deux sources d’incohérence qu’on a pris le parti d’une simulation globale homogène du flux et du stock. Les niveaux de pension simulés peuvent s’en trouver légèrement biaisés, dans la mesure où le modèle de simulation n’est pas parfait, mais on a considéré qu’il valait mieux une projection à biais constant qu’à biais variable.

Un second intérêt de cette façon de procéder est qu’elle rend assez facile la simulation de scénarios fondés sur des conditions initiales contrefactuelles. Par exemple, une demande typique est l’analyse de la contribution des réformes de 1993 et de 2003 à l’évolution de l’équilibre des systèmes de retraite. Pour cela, il faut un scénario dans lequel la législation de 1992 est maintenue jusqu’à la fin de la projection, et dans lequel les conditions initiales sont des conditions contrefactuelles reconstituant ce qu’aurait été le point de départ en 2003 en l’absence de la réforme de 1993. Ceci se fait facilement en modifiant la règle d’imputation initiale des pensions.

Pour ce qui concerne les options de simulation du comportement de liquidation, elles sont au nombre de cinq. La première option consiste à supposer que les individus liquident leur retraite dès qu’ils atteignent le taux plein, à un âge qui dépend donc de leur durée de cotisation passée. Les deux options suivantes supposent que l’individu liquide à un âge maximisant une fonction d’utilité, qui peut être soit une fonction d’utilité instantanée, soit une fonction d’utilité intertemporelle, ce dernier cas correspondant au modèle de Stock et Wise. Les deux dernières options font intervenir la notion d’équivalent patrimonial des droits à retraite, c’est-à-dire la somme actualisée des prestations attendues entre l’âge de liquidation et l’âge du décès. Dans un cas on suppose que l’individu liquide à l’âge qui maximise cet équivalent patrimonial des droits à retraite. Dans l’autre cas, on suppose qu’il liquide dès que le report d’une année fait baisser cet indicateur, par exemple en raison d’une surcote insuffisante, et même si un report d’un montant supérieur pourrait éventuellement le faire remonter.

L’option Stock et Wise est celle qui suppose de déterminer le plus grand nombre de paramètres : non seulement le paramètre de pénibilité du travail ou de préférence pour le loisir, mais aussi un paramètre d’aversion au risque et un taux de préférence pour le présent. Elle nécessite aussi la prise en compte des probabilités de survie aux différents âges, ce qui est aussi le cas des deux options mobilisant l’équivalent patrimonial des droits à retraite. Le modèle a prévu que tous ces paramètres puissent être éventuellement variables d’un individu à l’autre. À ce stade leurs valeurs sont néanmoins uniformes pour l’ensemble de la population, et leur calibrage reste préliminaire. Comme on l’a déjà indiqué, ce calibrage reste délicat du fait que, jusqu’à présent, les âges de liquidation ont été fortement contraints par la structure des barèmes ou le droit du travail, qui incitaient ou contraignaient à partir exactement à l’âge du taux plein, ce qui donnait peu de marge pour l’identification des préférences individuelles. L’analyse ex post des effets des réformes commence à fournir des éléments qui permettront d’améliorer cette identification. Mais, même lorsque le paramétrage sera stabilisé, il restera utile de procéder à des tests de robustesse, consistant à simuler les mêmes variantes de législation avec différentes options de comportement et/ou différents paramétrages de ces options de comportement pour faire ressortir l’incertitude inhérente à ce type de projection.

En dehors de ces options, il est aussi possible de faire fonctionner Destinie avec des âges de liquidation totalement exogènes, uniformes ou différenciés selon les individus. On peut par exemple réutiliser les âges de liquidation simulés dans un scénario de référence : ceci permet de calculer l’incidence d’un scénario de réforme à comportement de liquidation inchangé, puis de voir comment la modification des comportements permet aux individus de compenser les modifications de droits auxquelles ils font face à comportement inchangé.

Un exemple de simulation : prévoir le niveau de vie relatif des retraités

À titre d’illustration, on va présenter les résultats du nouveau modèle Destinie 2 en matière de niveau de vie relatif des retraités. Il s’agit d’une projection intégrant les effets des réformes de 1993 et 2003. Contrairement à ce qui a été présenté précédemment, on se tient à l’hypothèse de liquidation à taux plein[2]. Même sous cette hypothèse de départ à taux plein, on s’attend à un décrochage significatif des retraites par rapport aux revenus des actifs, surtout dans le secteur privé. Les principaux canaux de ce décrochement sont le calcul de la retraite sur la base du salaire des 25 et non plus des 10 meilleures années, le fait que les retraites, une fois liquidées, sont désormais indexées sur les prix et enfin l’adoption de mesures relativement radicales dans les années 1990-2000 en matière de prix d’achat et de valeur des points de retraite.

En matière de taux de remplacement, ces mesures ont déjà largement produit leurs effets : par exemple, le passage aux 25 meilleures années s’est achevé en 2008. Logiquement, le modèle prévoit donc des taux de remplacement relativement stables sur les quarante années à venir. Mais les baisses passées de ce taux de remplacement et la nouvelle règle d’indexation sur les prix ont des effets de diffusion progressifs sur le ratio entre la pension moyenne brute de droit direct du stock de retraités et le salaire brut moyen. C’est ce ratio qui décroche fortement en projection, passant d’un peu moins de 50 % à un peu moins de 40 % (figure 1). C’est grâce à ce décrochement que les réformes passées ont d’ores et déjà accompli un chemin important vers la réduction des déficits prévisionnels des régimes de retraite.

Figure 1

Ratios pension moyenne brute/salaire moyen brut et ratios de niveaux de vie des plus de 65 ans et des moins de 65 ans

Ratios pension moyenne brute/salaire moyen brut et ratios de niveaux de vie des plus de 65 ans et des moins de 65 ans
Source : Modèle Destinie

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Ceci veut-il dire pour autant que le niveau de vie relatif des retraités tendrait à ne plus représenter que 40 % de celui des actifs ? La réponse est négative car la comparaison des niveaux de vie des actifs et des retraités doit prendre en compte les taux de prélèvements qui sont plus faibles sur les retraites que sur les salaires. Elle doit aussi prendre en compte la composition et l’ensemble des revenus du ménage. Les ménages d’actifs ne sont pas tous des couples de bi-actifs et ils ont en général des enfants à charge. Leur niveau de vie est donc inférieur au salaire net moyen. Le niveau de vie des retraités bénéficie en sens inverse du fait qu’ils n’ont plus d’enfants à charge et son calcul doit prendre en compte non seulement les droits directs, mais aussi les réversions ainsi que le minimum vieillesse dont l’application se fait sous condition de ressources de l’ensemble du ménage. En toute rigueur, la comparaison doit aussi prendre en compte les revenus du patrimoine, en moyenne plus élevés pour les retraités, et les autres prestations sociales — avantageant plutôt les actifs.

En l’état, Destinie ne permet pas de simuler l’ensemble de ces éléments, mais le fait qu’il simule la structure des ménages, leur degré de participation au marché du travail, les pensions de réversion et le minimum vieillesse suffit déjà à donner un éclairage prospectif assez pertinent sur le futur niveau de vie relatif des retraites. Les figures 2a à 2c donnent, selon l’âge de l’individu, le revenu global du ménage auquel il appartient (2a), la taille de ce ménage (2b) et le niveau de vie au sein de ce ménage après correction du revenu monétaire par le nombre d’unités de consommation (2c). En 2010, avec tous ces éléments, Destinie reconstitue un niveau de vie relatif des plus de 65 ans quasiment équivalent à celui des moins de 65 ans, ce qui est totalement cohérent avec les mesures directes couramment réalisées à partir des données sociales et fiscales (Baclet, 2006). En projection, on passerait de cette quasi parité de niveau de vie à une situation où le niveau de vie des retraités ne représenterait plus que 84 % de celui des actifs (figure 1).

Figure 2a

Revenu du ménage selon l’âge de l’individu, en 2010 et 2050 (en euros 2006)

Revenu du ménage selon l’âge de l’individu, en 2010 et 2050 (en euros 2006)

Figure 2b

Taille du ménage selon l’âge de l’individu, en 2010 et 2050 (en euros 2006)

Taille du ménage selon l’âge de l’individu, en 2010 et 2050 (en euros 2006)

Figure 2c

Niveau de vie du ménage selon l’âge de l’individu, en 2010 et 2050 (en euros 2006)

Niveau de vie du ménage selon l’âge de l’individu, en 2010 et 2050 (en euros 2006)

Note : le niveau de vie correspond au revenu total du ménage auquel appartient l’individu, divisé par son nombre d’unités de consommation (1 pour le premier adulte, 0,3 pour les enfants de moins de 14 ans, 0,5 pour les autres membres). Pour les individus le plus jeunes, le revenu et le niveau de vie élevés s’expliquent par le fait que le ménage de référence est celui de leurs parents avec qui ils continuent de corésider.

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Les conséquences sociales d’un tel repli peuvent se lire de différentes manières. C’est un retour en arrière significatif par rapport à la politique des retraites conduite jusqu’aux années 1980 qui avait permis la convergence des niveaux de vie des actifs et des retraités. En même temps, comme le montre la figure 2c, il ne s’agit pas d’un recul du niveau de vie absolu de ces retraités, tant s’en faut. Par ailleurs, même en termes relatifs, ce repli ne nous fait pas chuter en deçà des niveaux de vie relatifs déjà observés dans certains pays européens à systèmes de retraite moins favorables (Bachelet et collab., 2011). Néanmoins, un décrochement d’une telle ampleur pourrait ne pas être sans incidence sur la part des retraités situés à proximité ou en dessous du seuil de pauvreté, dès lors que celui-ci est défini en termes relatifs. Au moins autant que la question du niveau de vie moyen des retraités, la question importante pour les trente à quarante prochaines années est celle de la distribution de ces niveaux de vie. Très clairement, c’est également par les méthodes de microsimulation que ce type de questions doit être abordé et la nouvelle version du modèle devrait y contribuer.