Selon l’ONU, c’est en effet vers la fin d’octobre 2011 que le seuil des sept milliards d’êtres humains a été atteint ; les plus récentes projections de l’organisme indiquent qu’au tournant du siècle prochain, ce nombre pourrait avoir augmenté à dix milliards. Au vu de la couverture médiatique que cet événement a suscitée, aucun doute possible : comme à toutes les époques de l’histoire, l’évolution du nombre d’êtres humains sur la planète fascine et alimente les réflexions, voire les passions en ce début de xxie siècle. C’est justement de l’histoire, en Occident, de cette fascination et de ces passions à propos du « poids du nombre » dont nous entretient brillamment l’historien Georges Minois tout au long des 677 pages de son imposant volume sur le sujet, intitulé Le poids du nombre — L’Obsession du surpeuplement dans l’histoire. Le but de l’auteur est de suivre l’évolution de la pensée des hommes à l’égard de leur nombre sur la planète. Pour ce faire, Georges Minois fait appel à d’innombrables citations (près de 1 000 auteurs sont cités dans l’index en fin de volume !), témoignant ainsi d’une érudition peu commune. L’ouvrage est donc très bien documenté et complet. Le livre est divisé en 10 grands chapitres, pour 10 grandes périodes de l’histoire, de l’Antiquité au xxie siècle. L’auteur dégage, à chaque fois, la pensée dominante d’une période, tout en décrivant les tendances pro- et anti-populationnistes. Par exemple, durant l’Antiquité, l’auteur montre que le nombre était d’abord et avant tout un souci civique, en particulier chez les Grecs, ceux-ci cherchant à maîtriser la croissance démographique soit pour atteindre un « optimum de population » pour des considérations de puissance, soit pour des raisons de gouvernance de la Cité, voire de « pureté de la race ». L’eugénisme, qu’on retrouvera à diverses époques et à diverses intensités, ne date donc pas d’hier ! Un peu plus tard, soit entre le iiie et le ve siècle, l’avènement du christianisme a centré les réflexions et les passions sur l’opposition entre virginité et fécondité. L’auteur souligne par ailleurs quelques contradictions intéressantes dans les écrits bibliques quant à la justification de l’une ou l’autre des positions, et il conclut que le christianisme « ne choisit pas, il assume la contradiction : fécondité et virginité sont bonnes toutes les deux, mais suivant les époques la préférence est accordée à l’une ou à l’autre. » Le Moyen-Âge a quant à lui été caractérisé par la pensée dominante que le monde était « trop plein », famines, épidémies et pauvreté étant alors des fléaux communs de l’époque perçus comme découlant d’une surpopulation. « Loin d’être nataliste, l’Église médiévale est prémalthusienne : recommandant le mariage tardif, la chasteté, de longues périodes d’abstinence, exaltant la virginité et le veuvage, elle suit saint Paul, et prône la modération dans la procréation. » Aux xvie et xviie siècles, il est particulièrement intéressant de découvrir que les premiers pas de la statistique descriptive et des recensements ont conduit à des estimations démographiques très variées de la population mondiale ou de certains pays, et donc à des débats hésitant entre sur- et sous-peuplement. Le Siècle des Lumières, traité dans le plus volumineux des chapitres du livre, témoignant ainsi du foisonnement des idées à l’époque, n’échappera pas à la confusion entourant les estimations statistiques, certains auteurs recherchant même le « multiplicateur universel » duquel on devait pouvoir dériver avec précision le chiffre de la population à partir du chiffre des naissances annuelles. Cette confusion fera dire à l’Anglais Benjamin Disraeli : « il y a trois degrés de mensonge : …
Minois, Georges, Le poids du nombre — L’obsession du surpeuplement dans l’histoire, Éditions Perrin, 2011, 677 pages[Record]
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Laurent Martel
Division de la démographie, Statistique Canada