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INTRODUCTION

Au Canada et au Québec, une part importante de la population est issue de l’immigration. En 2011, les immigrants représentaient 22 % de la population canadienne et 13,6 % de la population québécoise. En outre, parmi la population canadienne, 17,4 % des Canadiens sont nés au pays et ont au moins un de leurs parents qui est né à l’étranger (Statistique Canada, Enquête nationale auprès des ménages de 2011) ; cette proportion est de 8,9 % chez les Québécois. Au total, 39,4 % des Canadiens et 22,5 % des Québécois sont donc des immigrants (première génération) ou des enfants d’immigrants (deuxième génération).

La part importante et croissante de l’immigration au Canada et au Québec est due au fait que les gouvernements voient cette immigration comme un élément central de leurs stratégies destinées à améliorer les perspectives économiques face au vieillissement de la population et à la faible natalité. La réalisation de cet objectif passe naturellement par une utilisation efficace — dans le cadre de l’emploi — de l’apport de l’immigration en main-d’oeuvre qualifiée. En occupant des emplois qui correspondent à leurs compétences, les immigrants contribuent au développement socioéconomique de la société dans laquelle ils évoluent : ils participent pleinement à l’activité économique en prenant part à la production de biens et de services, et en augmentant la consommation grâce à leur revenu d’emploi. De plus, leur emploi leur permet de contribuer aux recettes publiques — et donc, au financement des programmes sociaux — par le biais de l’impôt sur le revenu et des taxes à la consommation. Dès lors, l’intégration des immigrants dans le marché du travail est un enjeu d’une grande importance au Québec et dans l’ensemble du Canada.

Or, plusieurs travaux ont montré que les immigrants de la première génération ont du mal à percer le marché de l’emploi et que ces difficultés sont plus prononcées au Québec qu’ailleurs au Canada (voir, par exemple, Boudarbat et Grenier, 2014, et Picot, 2008). Fait surprenant, la situation économique des immigrants s’est nettement détériorée au fil du temps, malgré la hausse de leur niveau de qualifications. Le grand changement dans l’origine des nouveaux immigrants depuis la mise en place du système de sélection à la fin des années 1960 expliquerait une grande partie de cette détérioration (Aydemir et Skuterud, 2005). La grande majorité des nouveaux arrivants viennent maintenant d’Asie, d’Afrique et des Amériques, et sont confrontés à la transférabilité moindre du capital humain acquis dans leur pays d’origine en raison de problèmes possiblement liés à la langue, aux différences culturelles, à la qualité de l’éducation et à la discrimination (Picot, 2008).

D’autres études ont établi que plus les immigrants arrivent au Canada à un jeune âge, mieux ils réussissent dans le marché du travail canadien (Boulet et Boudarbat, 2010 ; Schaafsma et Sweetman, 2001). De son côté, Picot (2008) soutient que les immigrants de la deuxième génération réussissent généralement mieux que les Canadiens de la troisième génération ou plus[1], tant sur le plan scolaire qu’au chapitre de l’emploi. Ces résultats soutiennent le point de vue selon lequel les répercussions des politiques d’immigration se manifestent plutôt à long terme.

Cet article porte sur le cas des jeunes de 15 à 29 ans issus de l’immigration (c’est-à-dire qui sont immigrants ou qui sont nés au Canada et dont au moins l’un des parents est immigrant), un groupe sur lequel relativement peu de recherches ont été réalisées. De manière générale, la situation des jeunes dans le marché du travail semble devenir une source de préoccupation importante à l’échelle mondiale. Au Canada, le taux de chômage chez les 15 à 24 ans est deux fois plus élevé que la moyenne nationale (Galarneau et collab. 2013). Le graphique A1 en annexe montre que la situation des jeunes s’est nettement dégradée depuis la fin des années 1980. En 1989, le taux de chômage parmi cette population représentait 1,45 fois celui des 15 ans et plus (10,9 % contre 7,8 %). En 2012, ce rapport était de 1,99 et le taux de chômage s’établissait à 14,3 % chez les jeunes, pour une moyenne nationale de 7,2 %. Selon les compilations de Bernard (2013), la situation des jeunes est plus défavorable lorsqu’on la compare à celle des adultes de 25 à 54 ans : en 2012, leur taux de chômage était 2,4 fois plus élevé que celui de ce dernier groupe, soit le plus grand écart enregistré depuis 1977, selon l’auteur.

Au cours des premières années de vie active, le chômage est problématique, puisqu’il pourrait avoir des conséquences négatives qui risquent de compromettre sérieusement l’insertion professionnelle des jeunes à long terme (OCDE, 2013). Dans ce contexte, et compte tenu des difficultés supplémentaires auxquelles font face les immigrants dans le marché du travail canadien, il convient de se demander si les enfants des immigrants sont confrontés aux mêmes défis que les enfants des non-immigrants au moment d’intégrer le marché du travail. En principe, les jeunes qui sont nés au Canada de parents immigrants ou qui sont arrivés au pays en bas âge maîtriseraient au moins l’une des deux langues officielles du Canada, leur parcours scolaire devrait ressembler à celui des Canadiens de la troisième génération ou plus, et ils auraient obtenu leur diplôme au Canada. Par conséquent, ils ne sont pas sujets aux problèmes que pourraient poser la langue et la reconnaissance des diplômes et de l’expérience professionnelle acquise à l’étranger, comme c’est le cas des personnes qui immigrent à l’âge adulte. Si ces problèmes étaient les seules barrières à l’intégration dans le marché du travail, on devrait s’attendre à ce que ces jeunes affichent des résultats similaires à ceux des jeunes de la troisième génération ou plus, toutes choses étant égales par ailleurs. Or, le fait que les jeunes issus de l’immigration soient plus susceptibles d’appartenir à une minorité visible pourrait nuire à leur pleine intégration dans la société canadienne. En effet, les membres des minorités visibles sont plus susceptibles que les autres de rapporter des problèmes de discrimination (Perreault, 2004).

Notre étude a pour objectif de dresser un portrait de la situation des jeunes de 15 à 29 ans sur le marché du travail en les différenciant selon le statut des générations et l’âge au moment de l’immigration. Il ne s’agit pas de comparer des jeunes et des adultes, mais bien d’analyser la situation des jeunes en fonction de la génération à laquelle ils appartiennent. Pour ce faire, nous avons distingué quatre groupes : les jeunes immigrants arrivés au Canada après l’âge de 10 ans, les jeunes immigrants arrivés à l’âge de 10 ans ou avant, les jeunes de la deuxième génération (c’est-à-dire nés au Canada d’au moins un parent immigrant), et enfin, les jeunes qui constituent la troisième génération ou plus. Les analyses empiriques ont été réalisées en grande partie à l’aide des données du recensement de 2001 et de l’Enquête nationale auprès des ménages (ENM) de 2011. La combinaison de ces deux sources de données nous a permis d’analyser l’évolution des caractéristiques des jeunes et leurs résultats sur le marché du travail sur une période de dix ans[2]. Les variables examinées pour décrire la situation des jeunes sont les connaissances linguistiques, l’obtention d’un diplôme universitaire, le taux de chômage et le salaire.

Dans la première section, nous ferons un survol des études existantes qui portent sur l’intégration économique des jeunes immigrants au Canada et dans le monde. Dans la section suivante, nous analyserons la situation de jeunes issus de l’immigration au Québec. Pour mieux situer la performance du Québec en ce qui a trait à l’intégration de ces jeunes, nous la comparerons avec la situation dans le reste du Canada. Enfin, dans la dernière section, nous présenterons une discussion des principaux résultats ainsi qu’une conclusion.

BREF SURVOL DE LA LITTÉRATURE

Le statut des générations

De nombreuses études se sont intéressées à la comparaison entre le niveau de scolarité des jeunes issus de l’immigration et celui des jeunes qui sont nés de parents canadiens. Il en découle que, généralement, les jeunes immigrants qui sont arrivés au Canada avant l’âge adulte (génération 1.5) et ceux qui sont nés au Canada, mais dont les parents sont nés à l’étranger (génération 2), font davantage d’études postsecondaires que les jeunes de la troisième génération ou plus. Toutefois, ce constat ne s’applique pas de façon uniforme aux immigrants de toutes les origines ni aux générations futures d’immigrants qui viendront s’établir au Canada.

Pour ce qui est de l’origine ethnique des immigrants, un pourcentage plus élevé des jeunes de la deuxième génération et d’origine non européenne (c’est-à-dire qui appartiennent à des minorités visibles) terminent leurs études secondaires et poursuivent des études universitaires, comparativement aux jeunes immigrants de la deuxième génération d’origine européenne (Boyd, 2008). Le niveau de scolarité des jeunes qui sont membres d’une minorité visible varie selon leur origine. Le taux de participation à des études universitaires est plus élevé parmi les personnes issues des communautés chinoises et sud-asiatiques en comparaison aux autres minorités visibles et aux non-immigrants (Childs et collab. 2012). À l’opposé, les immigrants d’origine latino-américaine affichent un taux de participation moins élevé et même inférieur à celui des non-immigrants. L’importance que les immigrants accordent aux études universitaires demeure néanmoins élevée, comme le montrent Childs et ses collaborateurs (2012), qui notent par ailleurs que les jeunes immigrants qui obtiennent de faibles résultats scolaires au secondaire sont plus susceptibles d’entamer des études universitaires que les jeunes natifs qui ont des résultats similaires. Les jeunes de la deuxième génération affichent également un taux de décrochage au secondaire moins élevé que les natifs ; par exemple, ce sont les jeunes femmes nées au Canada et dont les deux parents sont immigrants qui affichent le taux de décrochage le plus faible par rapport aux femmes de la première et de la troisième génération (Palameta, 2007).

De plus, on note que le différentiel du niveau de scolarité entre les jeunes immigrants de la première et de la deuxième génération par rapport aux jeunes nés de parents canadiens a tendance à diminuer, voire même à disparaître, pour la troisième génération et les générations suivantes, particulièrement parmi les immigrants issus des minorités visibles (Picot et Sweetman, 2012). Picot et Hou (2011) constatent également que la participation aux études universitaires des jeunes immigrants d’origine chinoise et sud asiatique diminue après la deuxième génération.

Des études montrent que le statut socioéconomique et le niveau d’éducation des parents peuvent expliquer le succès de leurs enfants. Ce constat serait-il aussi valable pour les enfants nés au Canada de parents nés à l’étranger ? En examinant la mobilité intergénérationnelle des immigrants sur le plan de la scolarité, Corak (2008) note que le niveau d’éducation des parents immigrants n’est pas étroitement lié à celui de leurs enfants nés au Canada. L’auteur observe qu’une année supplémentaire dans la scolarité des parents n’est associée qu’à 0,13 année de scolarité additionnelle pour leurs enfants qui sont nés au Canada (deuxième génération). Toutefois, parmi les enfants natifs du Canada et dont les parents n’ont pas fréquenté l’université, ceux de la deuxième génération sont plus susceptibles d’entreprendre des études universitaires que ceux de la troisième génération ou plus. L’auteur constate également une faible corrélation entre le salaire des parents et la scolarité des jeunes de la deuxième génération. Le salaire des parents est aussi faiblement lié à celui de leurs enfants, ce qui suggère que la réussite des jeunes issus de l’immigration n’est pas nécessairement contrainte par la situation socioéconomique de leurs parents. Selon Aydemir et ses collaborateurs (2009), les Canadiens de la deuxième génération touchent en moyenne un salaire plus élevé que celui que leurs parents gagnaient au même âge (2,7 points de pourcentage de plus pour chaque augmentation de 10 points de pourcentage du salaire du père) ; toutefois, sur le plan statistique, cette prime salariale n’est pas différente de celle des Canadiens dont les parents sont nés au Canada.

L’étude de Skuterud (2010) appuie aussi la thèse de la mobilité intergénérationnelle positive pour les immigrants issus de minorités visibles. En comparant les salaires hebdomadaires des jeunes hommes des générations 1.5, 2 et 3 ou plus, l’auteur constate que l’écart salarial entre les immigrants qui appartiennent à une minorité visible et les Canadiens natifs rétrécit de génération en génération — surtout pour les Noirs — sans pour autant disparaître complètement. Pour la minorité noire, les résultats tirés du Recensement de 2006 montrent que l’écart salarial, qui est de 0,16 point logarithmique pour les jeunes immigrants de la génération 1.5, diminue à 0,11 point logarithmique pour la troisième génération et pour les générations suivantes. Il faut également souligner que cette réduction est particulièrement importante de la génération 1.5 à la deuxième génération. Fondé sur le Recensement de 2006, l’écart salarial de 0,10 point logarithmique pour les Chinois de la génération 1.5 baisse à 0,03 point pour la deuxième génération issue de cette minorité et demeure constant pour la troisième génération. À l’opposé, les résultats n’indiquent aucun écart de salaires statistiquement significatif entre les générations composées d’hommes blancs issus de l’immigration, ce qui amène Skuterud (2010) à conclure que la mobilité intergénérationnelle observée chez les immigrants issus de minorités visibles est davantage liée à l’assimilation culturelle qu’à l’acquisition du capital humain.

Pour ce qui est de la situation dans le marché de l’emploi, le niveau de scolarité des jeunes devrait être un indicateur de leur performance, puisque les rendements positifs sont généralement associés à l’éducation. Dans ce cas, nous devons nous attendre à observer des tendances comparables à la fois chez les jeunes dont les parents sont immigrants et chez ceux dont les parents sont nés au Canada. Or, dans la réalité, cette hypothèse ne se vérifie que partiellement. En se basant sur le Recensement de 2001, Boyd (2008) estime que le pourcentage le plus élevé de jeunes immigrants de la deuxième génération issus d’une minorité visible qui vivent dans une des grandes régions métropolitaines de recensement (RMR) et qui occupent un emploi hautement spécialisé nécessitant un diplôme universitaire se trouve chez les Chinois (34 %) et les personnes originaires de l’Asie du Sud (27 %), et que ce sont les Noirs (16 %) et les Latino-Américains (14 %) qui affichent la proportion la moins élevée. L’auteur souligne par ailleurs que la concentration dans les RMR de jeunes de deuxième génération issus de minorités visibles et qui sont majoritairement âgés entre 15 et 29 ans est beaucoup plus élevée en comparaison des jeunes qui appartiennent à une minorité non visible.

Hou et ses collaborateurs (2012) cherchent à déterminer si les descendants d’immigrés et les descendants de natifs sont plus susceptibles d’occuper un travail autonome que leurs parents. Les auteurs observent un taux d’emploi autonome plus faible chez les hommes de deuxième génération par rapport à ceux de la première génération. Selon eux, cet écart au chapitre du taux d’emploi autonome est dû au fait que les immigrants de la deuxième génération ont une expérience professionnelle plus limitée (en raison d’une éducation plus poussée), se marient moins et ont moins d’enfants que les immigrants de la première génération. Comparativement aux générations 3 ou plus, ce taux est cependant plus élevé parmi les immigrants de la deuxième génération. Ce n’est qu’en contrôlant les facteurs socioéconomiques que le différentiel du taux d’emploi autonome disparaît entre les différentes générations d’immigrants. Quant à la génération 1.5, elle affiche le taux d’emploi autonome le plus remarquable de toutes les générations, même en tenant compte des facteurs socioéconomiques. Chez les femmes, l’écart intergénérationnel au chapitre du taux d’emploi autonome reste plus élevé chez les filles issues de l’immigration que chez leurs mères qui sont nées à l’étranger.

Au chapitre des salaires, Picot et Hou (2011) ont comparé la performance des jeunes de la deuxième génération sur le marché du travail au Canada et aux États-Unis, et remarquent que ces jeunes bénéficient d’un salaire légèrement inférieur à celui des jeunes de la génération 3 ou plus quand on tient compte du niveau de scolarité et du lieu de résidence. Cette disparité est une particularité canadienne, notent les auteurs, car aux États-Unis, en appliquant les mêmes variables de contrôle, un tel différentiel est nul. Les auteurs précisent qu’au Canada, ce différentiel salarial est plus important parmi les minorités visibles. Toutefois, sans ces variables de contrôle, le salaire des jeunes de la deuxième génération est plus élevé que celui des générations suivantes. Selon Picot et Hou (2011), le niveau de scolarité peut expliquer jusqu’à la moitié de cet écart.

De son côté, Palameta (2007) montre que les gains horaires et annuels des femmes dont les deux parents sont des immigrants sont supérieurs à ceux des femmes nées au Canada de parents natifs, et qu’elles sont également moins susceptibles de se retrouver au chômage. Par contre, chez les hommes, il n’existe aucune différence significative entre ceux dont les parents sont immigrants et ceux dont les parents sont nés au Canada. Chung et ses collaborateurs (2008) soulignent que si les jeunes de la deuxième génération ont plus de mal que ceux des générations subséquentes à se trouver un emploi, c’est que le capital social dont ils bénéficient sur le marché de l’emploi est limité. Les jeunes qui ne sont pas d’origine européenne sont moins susceptibles de faire appel à des contacts personnels pour se trouver un emploi que ceux dont les parents sont européens.

Hou et Coulombe (2010) examinent l’écart salarial entre les individus issus de minorités visibles nés au Canada (sans faire de distinction entre ceux dont les parents sont nés au Canada et ceux dont les parents sont nés à l’étranger) et les natifs blancs dans les secteurs public et privé. Les auteurs constatent tout d’abord que le pourcentage de diplômés universitaires au sein des minorités visibles est supérieur à celui des natifs blancs dans les deux secteurs. L’écart au chapitre des diplômés universitaires se creuse notamment dans le secteur privé, où 33 % des hommes et 38 % des femmes issus de minorités visibles ont un diplôme universitaire, contre 15 % des hommes et 16 % des femmes nés au Canada et n’appartenant pas à une minorité visible. Parmi les minorités visibles, ces pourcentages sont encore plus élevés chez les Chinois et les personnes d’origine sud-asiatique. Par contre, les membres des minorités visibles ont en moyenne moins d’expérience professionnelle que leurs homologues nés au Canada, ce qui s’explique par le fait qu’un pourcentage plus important de membres de minorités visibles poursuit des études universitaires. Au chapitre des salaires dans le secteur privé, les estimations de Hou et Coulombe (2010) montrent un écart salarial statistiquement significatif de huit points de pourcentage en moyenne entre les minorités visibles et le groupe des non-minorités visibles nés au Canada, toutes choses étant égales par ailleurs. Dans ce même secteur, l’écart est encore plus significatif dans le groupe des hommes (16 points de pourcentage) et des femmes (11 points de pourcentage) noirs. Dans le secteur public, l’écart salarial entre les membres des minorités visibles et les autres natifs n’est pas significatif sur le plan statistique, sauf dans le groupe des femmes noires, où il atteint 8 points de pourcentage.

Reitz et ses collaborateurs (2011) comparent la scolarité des jeunes de la deuxième génération d’immigrants issus de minorités ethniques au Canada, aux États-Unis et en Australie, et découvrent des tendances similaires dans les trois pays, notamment un niveau de scolarité plus élevé pour ces jeunes par rapport aux descendants de natifs. En effet, mesuré par le nombre moyen d’années de scolarité selon l’origine ethnique, le niveau de scolarité des jeunes de la deuxième génération classe les Chinois et les personnes d’origine sud-asiatique au premier rang, tandis que les Afro-Antillais et les descendants de natifs se retrouvent au dernier rang. Le niveau de scolarité de ces groupes d’immigrants est aussi supérieur à celui de leurs parents, ce qui témoigne d’une mobilité intergénérationnelle positive. Cette mobilité est plus prononcée aux États-Unis qu’au Canada et en Australie, et les autres minorités se répartissent généralement entre les deux groupes précités. On observe les mêmes tendances pour ce qui est du nombre de diplômés de niveau secondaire et universitaire : le nombre de diplômés universitaires parmi les enfants d’origine chinoise et sud-asiatique est au moins deux fois plus élevé que celui des descendants de natifs. Le statut professionnel des Chinois et des personnes originaires de l’Asie du Sud qui appartiennent à la deuxième génération est à l’image de leurs performances scolaires. Une part plus importante des emplois professionnels et de gestion sont occupés par ces deux groupes comparativement aux autres minorités et aux jeunes natifs. Sur le plan du revenu, la performance des Afro-Antillais est toutefois inférieure à ce que leur niveau de scolarité laisse présager, et ce dans une plus forte proportion aux États-Unis qu’au Canada. Les résultats des régressions de l’étude de Reitz et ses collaborateurs (2011) montrent cependant que l’avantage salarial associé aux jeunes de la deuxième génération qui appartiennent à une minorité ethnique est largement réduit dans chaque pays lorsqu’on tient compte du lieu de résidence (les grands centres urbains).

Algan et ses collaborateurs (2010) jugent que la performance dans le marché de l’emploi des immigrants de la première et de la deuxième génération en Allemagne, en France et en Grande-Bretagne est moindre que celle des natifs. Par ailleurs, dans le cas de certaines minorités visibles, la probabilité d’occuper un emploi est même moins grande pour la deuxième génération d’immigrants que pour la première. Par exemple, en France, le différentiel en ce qui a trait aux taux d’emploi entre les hommes immigrants d’origine africaine et les Français natifs atteint 15,7 points pour la première génération et 47,9 points pour la deuxième. Belzil et Poinas (2010) remarquent que la profession des parents joue un rôle déterminant dans le niveau de scolarité et la probabilité de trouver un emploi des jeunes Africains de deuxième génération vivant en France. En Allemagne et en Grande-Bretagne, l’écart entre immigrants et natifs sur le plan du taux d’emploi n’est pas significativement différent entre la première et la deuxième génération. En ce qui a trait à l’écart salarial entre les trois pays, c’est la Grande-Bretagne qui affiche le plus important écart pour la première génération et l’écart le moins élevé pour la deuxième. Cette progression est particulièrement notable chez les immigrants d’origine bangladaise de première génération, dont le salaire horaire était de 0,530 point logarithmique (environ 41 %) moins élevé que celui des natifs britanniques, dont l’écart pour la deuxième génération se réduisait à 0,398 point logarithmique. En Suède, les résultats d’une expérimentation dirigée par Carlsson (2010) montrent que la probabilité d’être convoqué pour une entrevue d’embauche est la même pour les jeunes immigrants de première et de deuxième génération, soit cinq points de pourcentage en dessous de celle qui vaut pour les natifs. En Suède, le désavantage qui touche les jeunes de la deuxième génération par rapport aux natifs sur le marché de l’emploi se reflète aussi dans les résultats de Behrenz et ses collaborateurs (2007). Pour la deuxième génération d’immigrants en provenance du sud de l’Europe ou de pays situés à l’extérieur de ce continent, la probabilité d’occuper un emploi est de 10 points de pourcentage moins élevée que celle des natifs. On observe une tendance de la même ampleur chez les femmes. Quant aux salaires, on note un écart salarial de 10 à 15 points de pourcentage entre la deuxième génération d’immigrants et les natifs.

L’âge au moment d’immigrer

De nombreuses études font valoir l’impact de l’âge au moment d’immigrer sur la scolarité et l’intégration dans le marché du travail.

Au Canada, Corak (2011) s’est intéressé à la probabilité de décrocher un diplôme d’études secondaires pour les immigrants qui sont arrivés alors qu’ils étaient encore enfants. Il a trouvé que cette probabilité est peu influencée par l’âge au moment d’immigrer chez ceux qui ont été admis à neuf ans ou plus jeunes. Pour les autres immigrants du groupe étudié, les chances de terminer leurs études secondaires diminuent en fonction de l’âge qu’ils avaient à leur arrivée au pays.

De leur côté, Boulet et Boudarbat (2010) ont évalué la performance sur le marché de l’emploi d’immigrants arrivés au Canada avant l’âge de 18 ans et d’autres qui ont immigré à l’âge adulte (18 ans ou plus), en utilisant l’Enquête nationale auprès des diplômés (END) réalisée par Statistique Canada en 2005 auprès des diplômés d’études postsecondaires de l’année 2000. Leurs résultats montrent que l’obtention d’un diplôme canadien n’offre pas les mêmes conditions de travail aux deux catégories d’immigrants. En fait, les immigrants arrivés avant l’âge adulte ont plus de facilité à accéder à un emploi et sont mieux rémunérés que ceux qui sont arrivés à l’âge adulte. Par exemple, en 2005, chez les nouveaux titulaires d’un baccalauréat, le taux d’emploi des premiers était de 94,2 %, alors que celui des seconds s’élevait à 81,6 % et que celui des natifs se chiffrait à 91,5 %. Notons aussi que les immigrants arrivés à l’âge adulte ont du mal à se trouver un emploi surtout au Québec, où l’écart au chapitre du taux d’emploi entre les immigrants arrivés à l’âge adulte et les natifs canadiens qui ont un diplôme d’études postsecondaires atteignait 7,6 points de pourcentage en 2005, contre 6,7 points en Ontario et seulement 2,4 points en Colombie-Britannique. Pour les immigrants arrivés avant l’âge de 18 ans, l’écart du taux d’emploi par rapport aux natifs était respectivement de 1,8 point de pourcentage au Québec, de 3,1 points en Ontario et de 4,4 points en Colombie-Britannique. De plus, comparativement aux autres provinces canadiennes, c’est au Québec que la qualité de l’emploi occupé est la moins élevée pour les immigrants arrivés à l’âge adulte. Par contre, le différentiel salarial entre les immigrants et les natifs est moins important au Québec qu’ailleurs au Canada.

Toujours au Canada, Schaafsma et Sweetman (2001) ont étudié l’effet de l’âge au moment d’immigrer sur le niveau de revenu des hommes immigrants. Ils ont constaté que ce facteur peut avantager ceux qui font partie de la cohorte des 0-4 ans par rapport à la cohorte des 44-64 ans, et ce, dans une proportion qui peut atteindre jusqu’à 32 points de pourcentage. De façon générale, les auteurs notent que le différentiel sur le plan du revenu entre les Canadiens de naissance et les immigrants augmente quand ces derniers sont arrivés au pays après l’âge de cinq ans, et ce, pour deux principales raisons. La première a trait au rendement de l’éducation, qui est moins élevé quand il est associé aux cohortes d’immigrants plus âgés. Le rendement de l’éducation acquise à l’étranger compte en fait pour deux tiers de moins que celle acquise au Canada. Par conséquent, les immigrants les plus jeunes qui ont intégré le système éducatif canadien bénéficient d’un plus haut taux de rendement que ceux qui sont plus âgés et qui ont effectué une partie ou la totalité de leurs études à l’étranger. Entre certaines cohortes d’immigrants et les Canadiens de naissance, il existe aussi un déficit éducatif qui touche particulièrement les groupes de personnes âgées de 15 à 19 ans et de 20 à 24 ans.

La deuxième raison a trait au rendement négligeable de l’expérience professionnelle, dont celle acquise à l’étranger. Ainsi, c’est chez les immigrants qui sont arrivés avant l’âge de 10 ans (ou de 13 ans, selon les données utilisées) que ce rendement est le plus élevé, même en comparaison avec les personnes nées au Canada. Pour les immigrants arrivés entre 20 et 29 ans, ce rendement représente les deux tiers du rendement de ceux qui ont immigré avant l’âge de 10 ans. Quant aux immigrants qui avaient entre 35 et 64 ans au moment de leur arrivée, le rendement de l’expérience professionnelle est quasi nul.

Les résultats de Van Ours et Veenman (2006) sur les jeunes immigrants établis aux Pays-Bas indiquent que le niveau de scolarité des immigrants de la deuxième génération n’est pas très différent de celui des natifs après avoir neutralisé l’effet de la scolarité des parents, ce dernier facteur étant souvent positivement corrélé avec la scolarité des enfants. Toutefois, les hommes et les femmes d’origine turque et marocaine de la première génération qui ont immigré durant leur adolescence affichent respectivement un retard de 1 à 1,5 et de 2,5 années de scolarité en moyenne par rapport à leurs homologues de la deuxième génération. Pour le groupe des Surinamais et Antillais, le différentiel de scolarité entre la deuxième génération et la génération 1.5 est moindre : il se situe entre 1 et 1,5 pour les femmes et ne touche pas les hommes qui ont un niveau d’éducation similaire à celui des natifs. Les auteurs expliquent ces résultats par le fait que le système éducatif du Suriname et des Antilles néerlandaises repose sur le système néerlandais, en raison du passé colonial de ces pays.

Aux États-Unis, Bleakley et Chin (2004) estiment que les immigrants de la première génération qui sont arrivés très jeunes font des études plus avancées et gagnent un meilleur salaire que les cohortes qui leur succèdent. Les auteurs expliquent cet écart par le coût moins élevé de l’acquisition de compétences linguistiques pour les plus jeunes immigrants. Ceux qui ont immigré aux États-Unis avant l’âge de 10 ans — période critique pour l’acquisition d’une nouvelle langue — en provenance de pays non anglophones étaient en mesure de développer des compétences linguistiques semblables à celles des natifs, ce qui leur assurait une meilleure réussite à l’école et de bons emplois.

Beck et ses collaborateurs (2012) ont abouti à des conclusions similaires à celles de Bleakley et Chin (2004). Selon ces auteurs, le risque de décrochage scolaire augmente fortement chez les enfants qui arrivent aux États-Unis après l’âge de huit ans, ce qui nuit à leur intégration sociale à l’âge adulte. Chez ceux qui arrivent à l’âge de huit ans ou plus jeunes, l’âge n’a qu’un faible impact sur leurs résultats scolaires.

En résumé, les jeunes issus de l’immigration (générations 1.5 et 2) sont généralement plus enclins à poursuivre des études postsecondaires que leurs homologues canadiens, bien que cette tendance ne soit pas homogène pour tous les groupes d’immigrants. Sur le plan salarial, on observe parfois un écart entre les jeunes qui sont nés au Canada de parents immigrants et les descendants de natifs, selon la spécification utilisée. L’origine ethnique, le lieu de résidence, le niveau de scolarité et le sexe sont les principaux facteurs déterminants de la performance des jeunes issus de l’immigration dans le marché du travail.

DONNÉES ET MÉTHODOLOGIE

Cette étude porte sur des jeunes âgés de 15 à 29 ans. Le choix de la tranche d’âge pour désigner une population de jeunes varie d’une étude à l’autre en fonction des objectifs de la recherche. Des études existantes, notamment celles de l’Organisation internationale du travail (OIT), considèrent comme « jeunes » les personnes qui ont entre 15 et 24 ans. Pour des raisons statistiques, l’ONU utilise la même définition, tout en permettant à ses membres de l’adapter à leur contexte. C’est le cas également pour les statistiques canadiennes, où le mot « jeunes » désigne généralement les personnes de 15 à 24 ans (Marshall, 2012). Pour sa part, le rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur les perspectives d’emploi utilise la tranche d’âge 15-24 ans pour ses analyses sur le chômage chez les jeunes, mais considère plutôt les 15-29 ans lorsqu’il s’agit d’étudier les jeunes qui ne sont ni en emploi, ni scolarisés, ni en formation (OCDE, 2016). Marshall (2012) a fait de même dans son étude sur ce dernier groupe de jeunes au Canada.

Dans notre étude, nous avons considéré la tranche d’âge 15-29 ans, afin de mieux saisir le niveau scolaire des jeunes et leurs premières expériences sur le marché du travail. Nous analysons la situation de ces jeunes en fonction de la génération à laquelle ils appartiennent. Pour ce faire, nous avons étudié quatre groupes de jeunes selon leur lieu de naissance et celui de leurs parents et, éventuellement, selon leur âge au moment d’immigrer.

Le premier groupe comprend les jeunes immigrants arrivés au Canada après l’âge de 10 ans, que nous appelons « génération 1 ». Pour choisir cet âge, nous nous sommes inspirés des conclusions de Bleakley et Chin (2004) et de Corak (2011), selon lesquelles l’immigration à 9-10 ans est critique pour la maîtrise d’une nouvelle langue et pour la réussite scolaire. Les jeunes immigrants arrivés à l’âge de 10 ans ou avant, que nous appelons « génération 1.5 », appartiennent au deuxième groupe.

Les jeunes qui sont nés au Canada et dont au moins un des parents est immigrant sont appelés « génération 2 » et appartiennent au troisième groupe. Le quatrième et dernier groupe, dénommé « génération 3 ou plus », comprend les jeunes qui sont nés au Canada et dont les deux parents y sont aussi nés.

Les données employées dans notre étude proviennent essentiellement du Recensement de 2001 et de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 de Statistique Canada[3]. Il convient de mentionner que les recensements d’avant 2001 ne fournissent aucune information sur le statut des générations, ce qui rend impossible l’étude de la situation des jeunes issus de l’immigration sur une période plus longue. La compilation de ces deux bases de données nous permet d’examiner les indicateurs tels que les connaissances linguistiques, le niveau d’études, la participation au marché du travail, le taux de chômage et les salaires pour chacun des quatre groupes de jeunes et de tracer l’évolution de certains de ces indicateurs dans le temps.

Pour certaines statistiques descriptives, et lorsque nous le jugeons pertinent, nous utilisons les données des recensements de 1981 et de 1991. Dans ce cas, nous distinguons uniquement les immigrants (générations 1 et 1.5) et les non-immigrants (génération 2 ou plus). Enfin, précisons que les résidents temporaires ont été exclus de toutes nos analyses.

SITUATION DES JEUNES IMMIGRANTS AU QUÉBEC ET DANS LE RESTE DU CANADA

Part des immigrants chez les jeunes et dans la population totale

La figure 1 ci-dessous compare le pourcentage des immigrants dans la population des 15 à 29 ans et dans la population totale au Québec et dans le reste du Canada entre 1981 et 2011. On note que dans la population des 15 à 29 ans au Québec, la part des immigrants est en croissance continue et passe de 5,7 % en 1981 à 10,2 % en 2011. Toutefois, cette proportion demeure nettement plus faible que dans le reste du Canada, où les jeunes immigrants représentaient cette même année 16,8 % des 15 à 29 ans. Cet écart s’explique par le fait que le Québec compte relativement moins d’immigrants que le reste du Canada. En effet, seulement 12,7 % de la population du Québec est composée d’immigrants, alors que ce pourcentage est de 23,4 % dans le reste du Canada. Dans les deux régions géographiques, on constate une forte progression de l’immigration, notamment entre 2001 et 2011 au Québec.

Figure 1

Pourcentage des immigrants dans la population de 15 à 29 ans et dans l’ensemble de la population au Québec et dans le reste du Canada, 1981-2011

Pourcentage des immigrants dans la population de 15 à 29 ans et dans l’ensemble de la population au Québec et dans le reste du Canada, 1981-2011
Source : Calculs des auteurs à partir des fichiers des recensements de 1981, 1991 et 2001, et de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 de Statistique Canada

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Lorsque nous comparons les jeunes selon le statut des générations (figure 2), nous constatons que la génération 3 ou plus demeure largement dominante et qu’elle l’est davantage au Québec qu’ailleurs au Canada. En effet, en 2011, ces jeunes représentaient 77,8 % de l’ensemble de la population de 15 à 29 ans au Québec, contre 61,4 % dans le reste du Canada. Cependant, la comparaison entre les années 2001 et 2011 montre que la proportion de jeunes de la génération 3 ou plus parmi les 15-29 ans est en déclin, surtout au Québec, ce qui s’explique notamment par l’augmentation du pourcentage des jeunes de première génération au cours de la même période. Quant aux jeunes de la deuxième génération, on constate que leur part de la population des 15-29 ans a augmenté au Québec, alors qu’elle a un peu baissé dans le reste du Canada.

Figure 2

Répartition des 15-29 ans selon le statut des générations au Québec et dans le reste du Canada, 2001-2011

Répartition des 15-29 ans selon le statut des générations au Québec et dans le reste du Canada, 2001-2011
Source : Calculs des auteurs à partir des fichiers du Recensement de 2001 et de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 de Statistique Canada

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Jeunes issus des minorités visibles[4]

Lors du survol de la littérature existante, nous avons constaté qu’il est plus difficile pour les immigrants issus de minorités visibles de trouver un emploi ; par conséquent, ils sont plus touchés par le chômage que le reste de la population et sont plus nombreux à occuper des emplois précaires. La figure 3 montre que les jeunes immigrants (générations 1 et 1.5) sont en grande majorité issus des minorités visibles. Au Québec, 70,3 % des jeunes immigrants de 15 à 29 ans étaient issus d’une minorité visible en 2011, tandis que ce pourcentage s’élevait à 77,6 % dans le reste du Canada. Lorsque nous remontons à 1991, nous observons que la part des jeunes immigrants issus d’une minorité visible était plus élevée au Québec (63,4 %) que dans le reste du Canada (57,9 %). Chez les non-immigrants (génération 2 ou plus), la part des minorités visibles est encore relativement faible, surtout au Québec, mais a fortement progressé entre 1991 et 2011.

Figure 3

Pourcentage de jeunes de 15-29 ans appartenant à une minorité visible au Québec et dans le reste du Canada, 1991-2011

Pourcentage de jeunes de 15-29 ans appartenant à une minorité visible au Québec et dans le reste du Canada, 1991-2011
Source : Calculs des auteurs à partir des fichiers des recensements de 1991 et de 2001, et de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 de Statistique Canada

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Connaissances linguistiques des jeunes

Les études portant sur l’intégration des immigrants montrent que les connaissances linguistiques sont un atout pour trouver un emploi de qualité. La figure 4 illustre les connaissances linguistiques des jeunes immigrants au Québec et dans le reste du Canada selon la génération à laquelle ils appartiennent. Au Québec, on remarque que presque tous les jeunes des générations 1.5, 2 et 3 ou plus connaissent le français, avec ou sans l’anglais. De surcroît, on note que plus de la moitié des jeunes de toutes les générations sont bilingues, ce pourcentage étant beaucoup plus élevé chez les jeunes de la génération 1.5 (77,9 %) et de la génération 2 (83,2 %). C’est chez les jeunes des générations 3 ou plus (45,3 %) que l’on observe le pourcentage le plus élevé d’unilingues francophones, tandis que les jeunes de la génération 1 affichent la proportion d’unilingues anglophones la plus forte au Québec (15,2 %). Soulignons aussi que le pourcentage de jeunes de la génération 1 qui ne connaissent ni le français ni l’anglais est faible (2,1 %) et qu’il est quasi nul parmi les membres des autres générations.

Dans le reste du Canada, comme on pouvait s’y attendre, c’est la connaissance de l’anglais qui domine largement. On remarque aussi qu’un pourcentage non négligeable de jeunes de la génération 1.5 ou plus connaît le français en plus de l’anglais, ce qui est certainement dû aux systèmes scolaires des autres provinces canadiennes.

Figure 4

Connaissances linguistiques des jeunes au Québec et dans le reste du Canada en 2011

a

Québec

Québec
Source : Calculs des auteurs à partir des fichiers de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 de Statistique Canada

b

Reste du Canada

Reste du Canada
Source : Calculs des auteurs à partir des fichiers de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 de Statistique Canada

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Niveau de scolarité des jeunes

L’examen de la scolarité des jeunes de 20 à 29 ans révèle que ceux qui appartiennent aux générations 1, 1.5 et 2 sont plus susceptibles d’avoir un diplôme universitaire que ceux de la génération 3 ou plus (figure 5). Ce résultat est en adéquation avec les études précédentes menées au Canada, qui ont montré que le niveau de scolarité des enfants d’immigrants est en moyenne supérieur à celui des jeunes dont les parents sont nés au Canada (Picot et Sweetman, 2012 ; Picot et Hou, 2011). Chez les 25-29 ans, qui sont les moins susceptibles d’être encore aux études, on constate qu’au Québec, ce sont les jeunes de la génération 1 qui affichent le pourcentage le plus élevé de diplômés universitaires (42,8 %). Cette proportion est à la fois supérieure à celle des diplômés universitaires observée dans le reste du Canada pour la même génération (39,9 %) et aux pourcentages associés aux autres générations au Québec. Toutefois, le Québec tire de l’arrière par rapport au reste du Canada pour ce qui est de la génération 1.5 : dans cette province, les diplômés universitaires représentent 34,5 % de l’ensemble des jeunes de 25 à 29 ans de cette génération, contre 40,9 % dans le reste du Canada.

Figure 5

Pourcentage des jeunes ayant un diplôme universitaire au Québec et dans le reste du Canada en 2011

a

Jeunes de 20 à 29 ans

Jeunes de 20 à 29 ans
Source : Calculs des auteurs à partir des fichiers de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 de Statistique Canada

b

Jeunes de 25 à 29 ans

Jeunes de 25 à 29 ans
Source : Calculs des auteurs à partir des fichiers de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 de Statistique Canada

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Accès à l’emploi

Au Québec, le taux de chômage diminue d’une génération à l’autre : la génération 1 est la plus exposée au chômage, tandis que les jeunes de la génération 3 ou plus sont les plus susceptibles de décrocher un emploi (figure 6). La piètre performance des jeunes issus de la première génération sur le marché de l’emploi au Québec ne reflète donc pas leur niveau de scolarité, qui est supérieur à celui des autres générations. Ces jeunes semblent donc faire face aux mêmes barrières à l’emploi que les immigrants qui arrivent au pays à l’âge adulte. Ces difficultés tiennent, rappelons-le, à des connaissances linguistiques insuffisantes, à des différences culturelles, à la qualité de l’éducation acquise à l’étranger et à la discrimination (Picot, 2008). Signalons qu’en effet, de nombreux jeunes de la première génération obtiennent leur diplôme à l’extérieur du Canada et, par conséquent, bénéficient moins de leur scolarité que les diplômés du Canada (Schaafsma et Sweetman, 2001).

De manière générale, les écarts entre les quatre générations à l’étude sur le plan du taux de chômage étaient très importants au Québec en 2011, alors qu’ils étaient très faibles dans le reste du Canada. Ainsi, au Québec, la génération à laquelle appartient un jeune conditionne grandement ses chances de trouver un emploi. Plus surprenant encore, le Québec tire de l’arrière par rapport au reste du Canada uniquement pour ce qui est de la génération 1, alors que les perspectives d’emploi y sont nettement meilleures pour les jeunes de la génération 3 ou plus comparativement à ce qui se passe dans le reste du Canada. Pour les générations 1.5 et 2, la situation au Québec est globalement comparable à celle qui vaut dans le reste du Canada.

Boudarbat et Connolly (2015) ont comparé les taux de chômage des immigrants (pris ensemble) au Québec et en Colombie-Britannique. Leur étude confirme que l’accès à l’emploi est plus difficile pour les immigrants du Québec que pour ceux de l’autre province. Selon ces auteurs, plusieurs facteurs concomitants pourraient expliquer cette situation. D’une part, les employeurs du Québec seraient plus enclins que ceux du reste du Canada à faire de la discrimination à l’embauche. D’autre part, la population du Québec compte relativement moins d’immigrants, ce qui prive les nouveaux arrivants de réseaux et de contacts dans le marché du travail pour accéder à un emploi. Aussi, les immigrants au Québec sont défavorisés sur le plan linguistique, puisqu’ils doivent maîtriser les deux langues officielles s’ils veulent améliorer leur employabilité. Enfin, les immigrants au Québec semblent plus réticents que ceux d’ailleurs à accepter des emplois de moins bonne qualité qui ne s’arriment pas à leurs compétences pour sortir du chômage. Ces facteurs peuvent aussi expliquer la situation des jeunes de la génération 1 au Québec.

Figure 6

Taux de chômage des 20-29 ans au Québec et dans le reste du Canada en 2001 et en 2011

Taux de chômage des 20-29 ans au Québec et dans le reste du Canada en 2001 et en 2011
Source : Calculs des auteurs à partir des fichiers du Recensement de 2001 et de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 de Statistique Canada

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Salaires

Le tableau 1 présente les écarts ajustés (dits « inexpliqués ») de salaire hebdomadaire sous forme logarithmique chez les travailleurs à plein temps. Ces écarts sont plus révélateurs que les écarts bruts. Ils sont estimés par rapport au groupe de référence, qui est la génération 3 ou plus. Comme on l’a vu, ce groupe est celui qui accède le plus facilement à l’emploi au Québec.

Signalons que le Recensement de 2001 et l’ENM de 2011 ne fournissent aucune information sur le salaire horaire ou sur les données nécessaires pour le calculer. Les informations collectées ont trait au revenu annuel durant l’année précédant chaque enquête (2000 pour le Recensement de 2001 et 2010 dans le cas de l’ENM de 2011) et au nombre de semaines travaillées au cours de cette même année. On indique également si ces semaines travaillées l’ont été principalement à temps plein ou à temps partiel. À l’instar de plusieurs études (par exemple, Boudarbat et collab. 2010), nous avons considéré le salaire hebdomadaire (estimé par le rapport entre le salaire annuel et le nombre de semaines travaillées) et limité nos analyses aux travailleurs qui ont déclaré avoir travaillé principalement à plein temps. Cette dernière restriction sert à minimiser l’impact des écarts relatifs au nombre d’heures travaillées chaque semaine.

Nous avons retenu comme variables de contrôle l’âge, le niveau d’études, le sexe, l’appartenance à une minorité visible et la région métropolitaine de résidence. Ces variables sont susceptibles d’être associées au salaire.

Les résultats obtenus sont présentés dans le tableau 1. Ils correspondent à des écarts estimés de logarithmes du salaire hebdomadaire entre les trois générations 1, 1.5 et 2 d’une part, et la génération 3 ou plus d’autre part. Quand l’écart est petit, ce qui est le cas ici, il représente une approximation de l’écart salarial exprimé en pourcentage. Les résultats indiquent que ce sont les jeunes immigrants de la génération 1 qui sont les plus défavorisés et qu’ils le sont nettement plus au Québec que dans le reste du Canada. Au Québec, ces jeunes gagnaient en moyenne 13 % de moins que les jeunes de la génération 3 ou plus en 2000. Ce désavantage s’est un peu accentué en 2010 pour atteindre 13,6 %. Dans le reste du Canada, l’écart était de 8,4 % en 2000 et 8,2 % en 2010.

Au Québec, les jeunes des générations 1.5 et 2 affichent eux aussi des écarts salariaux négatifs par rapport aux jeunes de la génération 3 ou plus (- 4,4 % et - 3,5 % respectivement en 2010). Dans le reste du Canada, ces jeunes touchent un aussi bon, voire un meilleur salaire que les jeunes de la génération 3 ou plus (+ 1,1 % et + 0,3 % respectivement en 2010). Ces résultats appuient la thèse de la mobilité intergénérationnelle positive des immigrants au Canada telle que formulée par Skuterud (2010) et soulignent l’effet de l’âge au moment de l’immigration sur le salaire futur espéré.

Soulignons enfin que les écarts de salaires entre les générations ont très peu changé entre 2000 et 2010, ce qui fait de l’insertion professionnelle des jeunes issus de l’immigration au Québec une problématique bien réelle.

Tableau 1

Écarts ajustés de log-salaire hebdomadaire par rapport aux jeunes de la troisième génération ou plus

Écarts ajustés de log-salaire hebdomadaire par rapport aux jeunes de la troisième génération ou plus

Note : Tous les écarts sont statistiquement significatifs au niveau 1 %. Ces résultats ont été obtenus à l’aide d’une régression linéaire par moindres carrés ordinaires où la variable expliquée est le log du salaire hebdomadaire. Les variables de contrôle sont l’âge, l’âge au carré, le niveau d’études, le sexe, l’appartenance à une minorité visible et la région métropolitaine de recensement. Pour le reste du Canada, nous avons également pris en considération la province de résidence. L’échantillon comprend uniquement les travailleurs à temps plein.

Source : Calculs des auteurs à partir des fichiers du Recensement de 2001 et de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 de Statistique Canada

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DISCUSSION ET CONCLUSION

La situation de plus en plus difficile des jeunes sur le marché de l’emploi au Canada et l’accroissement de la population immigrante au Québec et dans le reste du Canada nous ont amené à dresser un portrait statistique des jeunes issus de l’immigration. Entre autres, nous avons essayé de voir dans quelle mesure les enfants d’immigrants (nés au Canada ou arrivés très jeunes) s’intègrent dans le marché du travail. Les études existantes sur les barrières à l’emploi des immigrants mettent souvent de l’avant la question de la non-reconnaissance des diplômes et des expériences professionnelles acquis à l’étranger. Or, ce problème ne touche que les immigrants arrivés au pays à l’âge adulte.

Plusieurs résultats intéressants ressortent de notre étude. En premier lieu, nos données confirment ce que nous savions déjà : les jeunes immigrants sont plus scolarisés que ceux de la génération 3 ou plus. Ceci est normal, dans la mesure où leurs parents sont également plus scolarisés que les Canadiens de naissance. Les politiques de sélection qui cherchent à recruter des immigrants des plus qualifiés ont donc un impact positif sur la scolarité des enfants de ces derniers. Toutefois, nous avons constaté que le pourcentage de jeunes de la génération 1.5 qui détiennent un diplôme universitaire est nettement moins élevé au Québec comparativement au reste du Canada. Cette situation mérite une étude approfondie pour en comprendre les causes, ce qui aidera à trouver des solutions pour augmenter l’apport des immigrants à la société québécoise.

Sur le plan quantitatif, l’apport de l’immigration en main-d’oeuvre demeure toutefois limité, surtout au Québec, où les immigrants, en 2011, ne représentaient que 10 % des jeunes de 15 à 29 ans, comparativement à 17 % dans le reste du Canada. Ces données correspondent avec le fait que le Québec compte beaucoup moins d’immigrants que le reste du Canada.

En deuxième lieu, presque tous les jeunes des générations 1.5 et 2 connaissent le français. Bien que nous ne disposions pas de données sur le niveau de leurs connaissances linguistiques, nous pourrions conclure que l’immigration ne semble pas menacer la pérennité du français à long terme au Québec. Par ailleurs, la très grande majorité de ces jeunes connaissent les deux langues officielles, ce qui est certainement dû au fait qu’ils ont évolué dans le système scolaire québécois.

En troisième lieu, sept jeunes immigrants sur dix au Québec et huit sur dix dans le reste du Canada étaient issus de minorités visibles en 2011. Ce rapport a beaucoup progressé au cours des dernières années et correspond aux changements observés au fil du temps sur le plan de l’origine des nouveaux arrivants. La très grande majorité de ces derniers vient dorénavant d’Asie, d’Afrique et des Amériques (sauf les États-Unis).

La situation des jeunes issus de l’immigration sur le marché du travail au Québec est très inégale : les jeunes de la génération 1 sont les plus défavorisés au chapitre de l’accès à l’emploi et des salaires. Leur taux de chômage est deux fois plus élevé que celui des jeunes de la génération 3 ou plus (15,9 % contre 7,9 % en 2011). Dans le reste du Canada, il existe très peu d’écarts de taux chômage entre les générations de jeunes. Fait intéressant à souligner, le taux de chômage des jeunes de la génération 3 ou plus est quatre points de pourcentage moins élevé au Québec (7,9 %) que dans le reste du Canada (12 %). Ainsi, les difficultés que connaissent les jeunes immigrants du Québec au chapitre de l’emploi ne peuvent pas s’expliquer par un manque de créations d’emplois par l’économie du Québec. Il parait que les emplois créés ne profitent pas à tout le monde. De plus, les jeunes des générations 2 et 1.5 sont nés ou ont grandi au Canada. Par conséquent, ils ne devraient pas présenter de problème au niveau des connaissances linguistiques et de l’origine de la scolarité. On se demande alors si les difficultés qu’éprouvent ces jeunes à trouver de l’emploi ne seraient pas attribuables à une moins grande ouverture des employeurs de cette province à l’égard de ces travailleurs et à leur tendance à exercer de la discrimination à l’embauche. Des études qui ont utilisé la méthode du « testing » (voir par exemple CDPDJ, 2012 ; Oreopoulos, 2011) indiquent que certains groupes subissent de la discrimination même s’ils ont un diplôme d’ici, voire sont nés au Canada[5]. Plus d’efforts sont donc requis pour atténuer les barrières à l’intégration économique des jeunes issus de l’immigration, si la société entend tirer le meilleur parti des ressources qu’ils constituent. Une plus grande ouverture des employeurs du Québec à l’égard des immigrants et des minorités visibles pourrait aussi contribuer à améliorer cette situation.

Les jeunes issus de l’immigration qui parviennent à décrocher un emploi reçoivent un salaire qui est, en moyenne, moins élevé que celui que touchent les jeunes de la génération 3 ou plus. Encore une fois, ce sont les jeunes de la génération 1 qui sont les plus défavorisés et ils le sont encore plus au Québec. En effet, leur désavantage salarial par rapport à la génération 3 ou plus était d’environ 14 % en 2011 au Québec, comparativement à 9 % dans le reste du Canada, toutes choses étant égales par ailleurs. Les mêmes écarts ont été observés en 2001, ce qui signifie que la situation des jeunes est loin de s’améliorer.

Globalement, nous avons aussi observé que les jeunes de la génération 1.5 s’intègrent mieux que ceux de la génération 1. Ce résultat souligne l’importance de l’âge au moment d’immigrer. Nous notons aussi que les générations 1.5 et 2 présentent des résultats comparables. Ainsi, les immigrants qui arrivent très jeunes performent aussi bien que ceux qui sont nés au Canada de parents immigrants.

Finalement, à la lumière des résultats présentés dans cette étude, il nous semble pertinent de réévaluer les politiques en place pour faciliter l’intégration des jeunes immigrants. La relation observée entre l’âge au moment de l’immigration et la situation dans le marché du travail appelle à une réévaluation de ce critère dans les grilles de sélection. Par exemple, on pourrait moduler le nombre de points accordés aux candidats qui ont des enfants à charge en fonction de l’âge de ces derniers. Il y a aussi lieu d’examiner en profondeur les facteurs qui font en sorte que l’immigration après l’âge de 10 ans rend difficile l’insertion professionnelle au Québec.

Par ailleurs, l’écart de résultats au chapitre du marché du travail entre la génération 3 ou plus et les autres générations laisse croire que les problèmes d’intégration des immigrants et de leurs enfants ne seront pas résolus uniquement par la sélection. Ces problèmes sont structurels et exigent des mesures en profondeur.

Dans un contexte où l’on annonce des pénuries de main-d’oeuvre dans les années à venir et où l’on songe à augmenter les volumes de l’immigration, il y a lieu de se questionner sur les moyens à mettre en oeuvre pour tirer (d’abord) le meilleur parti des ressources déjà en place.