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Introduction

Cet article a comme point de départ les débats actuels entourant le vieillissement démographique au Québec et plus particulièrement l’injonction au prolongement de la vie professionnelle en vue d’assurer la viabilité des régimes de retraite et éviter d’éventuelles pénuries de main-d’oeuvre. Il ne s’agit pas de discuter de l’argumentaire économique sous-jacent à cette injonction, mais plutôt de discuter de quelques transformations récentes qui, selon certains auteurs, justifieraient le prolongement de la vie professionnelle des individus. Le premier de ces arguments concerne l’augmentation de l’espérance de vie qui a fait un bond considérable au cours des dernières décennies et qui a fait en sorte d’accroître le nombre d’années qu’une personne peut espérer passer à la retraite (Baril, 2011 ; D’Amours, 2013 ; IRC, 2008). On tient généralement pour acquis que l’espérance de vie continuera de s’accroître au cours des prochaines décennies et que les nouvelles générations de travailleurs vivront plus longtemps et en meilleure santé que les personnes âgées actuelles (Hogan et Jeremey, 2003). Le second argument a trait à la tertiarisation des emplois et à l’augmentation des niveaux de scolarité qui, selon plusieurs observateurs, auraient changé la nature même des emplois et les auraient rendus moins exigeants physiquement et moins néfastes pour la santé des travailleurs (Baril, 2011 ; IRC, 2008). Enfin, le troisième argument se rapporte à l’allongement de la jeunesse, ou plus précisément au report de l’insertion professionnelle qui, selon certains, justifierait un report au moins équivalent de l’âge de la retraite. Sans faire de strictes recommandations quant à l’âge de la retraite, le rapport du comité d’experts sur l’avenir des systèmes de retraite québécois déposé en 2013 s’inquiétait justement du raccourcissement de la vie active, faisant valoir que la durée de vie active moyenne avait diminué de huit années entre 1970 et 2009[1] (D’Amours, 2013).

L’objectif du présent article est de discuter de la validité de ces différents arguments, en examinant le cas spécifique de la génération X, une génération dont on a beaucoup entendu parler lorsque ses membres étaient jeunes, mais dont on parle beaucoup moins aujourd’hui, comme si le fait d’avoir vieilli l’avait rendue moins intéressante. Or, il nous apparait pertinent de s’intéresser à cette génération parce qu’elle représente près du quart de la population active actuelle et qu’elle a été au coeur des changements qui ont touché les sphères du travail et de la famille au cours des dernières décennies. La génération X est constituée des personnes nées dans les années 1960[2], qui se sont insérées sur le marché du travail au cours des années 1980 et au début des années 1990, une période marquée par deux crises économiques d’importance, une multiplication des clauses de disparités de traitement dans les conventions collectives et des politiques de conciliation travail-famille assez peu développées. Il s’agit de la génération dont nous parlait Coupland (1991) — à qui l’on doit d’ailleurs le terme génération X — au début des années 1990 et qui, dans les travaux de sociologie de la jeunesse des années 1980 et 1990 (Deniger, 1991 ; Gauthier, 1996 ; Hamel, 1994), était qualifiée de génération perdue ou de génération sacrifiée en raison des difficultés d’insertion professionnelle qu’elle connaissait, difficultés pour lesquelles elle n’avait pas été préparée.

À travers l’examen de certaines dimensions du parcours professionnel des membres de cette génération, le présent article examine le bien-fondé des arguments voulant que les nouvelles générations travaillent moins que les générations précédentes et qu’elles soient plus enclines à prolonger leur vie professionnelle en raison de leur niveau de scolarité plus élevé et de leur meilleur état de santé. Il s’appuie pour ce faire sur l’exploitation des données historiques de diverses enquêtes réalisées depuis la fin des années 1970. Faute de données longitudinales couvrant une période de temps suffisante, l’analyse proposée se fonde sur l’exploitation de données rétrospectives et transversales au moyen de la méthode de l’analyse par cohorte. L’article comporte cinq parties principales. Dans la première, nous présentons brièvement qui est la génération X au Québec et justifions les raisons qui nous incitent à l’étudier. Dans la seconde, nous présentons l’approche utilisée pour étudier le parcours professionnel de cette génération ainsi que les diverses sources de données employées. Les trois parties suivantes présentent les résultats de nos analyses. Nous examinons, dans un premier temps, dans quelle mesure les membres de la génération X cumulent moins d’années d’activité professionnelle que les membres des générations précédentes au même âge et nous nous interrogeons sur les raisons de ce phénomène. Dans un deuxième temps, nous nous questionnons sur la place qu’occupe le travail dans la vie quotidienne des membres de la génération X, en examinant notamment l’évolution du temps consacré au travail depuis 1986. Enfin, nous discutons de la place grandissante qu’occupe le travail dans la vie quotidienne des ménages et des difficultés de conciliation travail-famille tout au long de la vie. Nous discutons de ces résultats en conclusion en nous interrogeant sur les conséquences possibles que ceux-ci ont sur les aspirations des membres de la génération X à l’égard du travail et de la retraite.

La génération X au Québec

Nés durant les années 1960, les membres de la génération X ont été au coeur des changements qui ont touché la sphère du travail et de la famille au cours des dernières décennies. Ils se sont insérés sur le marché du travail durant les années 1980 ou au début des années 1990, une période charnière dans l’émergence d’un nouveau modèle de travail (Mercure et Vultur, 2010), marquée par deux crises économiques majeures et un engorgement du marché du travail (Fleury, 2008 ; Gauthier, 1996). Cela s’est traduit par des difficultés d’insertion professionnelle importantes, lesquelles ont conduit certains observateurs à parler d’une génération sacrifiée (Deniger, 1991 ; Hamel, 1994). Aujourd’hui, leur situation professionnelle s’est grandement améliorée (Fleury, 2008 ; Hamel, 2003 ; Kelly, 2011). Cela a toutefois pris du temps et s’est fait au prix de conditions de travail moins avantageuses, notamment sur le plan de la sécurité d’emploi et des avantages sociaux. Comparativement à leurs prédécesseurs immédiats, les membres de la génération X sont non seulement moins syndiqués, mais ils sont également moins susceptibles de bénéficier d’un régime de retraite et d’assurances collectives au travail (Fleury, 2008).

Les membres de la génération X ont été également touchés par des changements importants dans la sphère familiale. Ils sont entrés dans l’âge adulte au moment où les formes d’union se diversifiaient et se précarisaient (Dandurand, 2015 ; Lapierre-Adamcyk et collab. 1999 ; Le Bourdais et collab. 2014 ; Ménard et Le Bourdais, 2012). En outre, ils furent une des premières cohortes à être confrontée, dès le début de son insertion professionnelle, à la nécessité d’avoir deux gagne-pains pour subvenir aux besoins du ménage (Fleury, 2008 et 2009 ; Marcoux et collab. 1990). Compte tenu de la période à laquelle la majorité des membres de cette génération ont fondé leur famille, ils ont peu bénéficié de mesures facilitant la conciliation travail-famille, la plupart d’entre elles ne s’étant développées qu’assez récemment (St-Amour et collab. 2005). On pense notamment au Régime québécois d’assurance parentale, qui n’a vu le jour qu’en 2006[3], et au réseau intégré de services de garde subventionnés, créé en 1997, mais dont le nombre de places disponibles est longtemps resté insuffisant pour répondre à la demande des jeunes parents (St-Amour, 2007). De la même façon, on peut penser qu’ils n’ont pas bénéficié massivement d’accommodements sur leur lieu de travail, ceux-ci demeurant, encore aujourd’hui, largement sous-développés dans les entreprises (Najem et Tremblay, 2010).

La question de la conciliation travail-famille chez les membres de la génération X est d’autant plus pertinente qu’elle est toujours d’actualité aujourd’hui. Non seulement plusieurs membres de cette génération ont repoussé le moment de leur entrée dans la parentalité (Fleury, 2009 ; Girard, 2013), mais on constate que les enfants tardent de plus en plus à quitter le foyer parental (Beaupré et collab. 2006 ; Milan et Bonhert, 2012). Cela laisse croire que les membres de cette génération conserveront des obligations parentales plus longtemps que les générations précédentes, ce qui pourrait les inciter à remettre à plus tard leur départ à la retraite (Conroy et collab. 2006). La pertinence de la question de la conciliation travail-famille est d’autant plus forte que, parallèlement à l’allongement prévisible des obligations parentales, les membres de la génération X sont susceptibles de devoir venir en aide aux membres âgés de leur famille, notamment leurs parents. Une des conséquences de l’allongement de l’espérance de vie est d’accroître les chances d’avoir un parent survivant (Olazabal, 2009). Or, en raison de la désinstitutionnalisation des soins aux plus âgés (Lavoie, 2012) et de la volonté de ceux-ci de vieillir à la maison (Bigonnesse et collab. 2011 ; SCHL, 2008), ces parents survivants doivent souvent s’appuyer sur les membres de leur famille pour obtenir de l’aide. En dépit d’une politique québécoise favorisant le maintien à domicile, les services de soutien demeurent, encore aujourd’hui, largement sous-développés et sous-financés (Lavoie, 2012). Selon les estimations, le réseau informel assumerait, à l’heure actuelle, 75 % des tâches de soutien à domicile (Bigonnesse et collab. 2011). Les enfants et les conjoints seraient les plus sollicités (Olazabal, 2009), les filles et les conjointes en particulier (Kampeneers et Van Pavenage, 2011). Cela n’est pas sans leur créer quelques difficultés, les mesures d’aménagement du temps de travail demeurant peu accessibles aux travailleurs vieillissants (Najem et Tremblay, 2011). Les personnes devant concilier ces responsabilités avec leurs obligations professionnelles se sentent dès lors souvent épuisées et sont parfois contraintes de réduire leurs heures de travail ou de quitter leur emploi de manière prématurée (Lecours, 2015 ; Olazabal, 2009 ; Sinha, 2013 ; Turner et Findlay, 2012).

En dépit de tous ces changements, on connait encore peu de choses sur les membres de la génération X. Il faut dire que depuis qu’ils sont parvenus à s’insérer sur le marché du travail, ils semblent avoir cessé d’intéresser les chercheurs. Les rares travaux récents dont ils ont fait l’objet ont essentiellement porté sur l’examen de leurs modalités d’entrée dans l’âge adulte et de leurs conditions extrinsèques de travail (Fleury, 2008 et 2009). L’ouvrage de Kelly, publié en 2011, fait exception. Celui-ci porte toutefois davantage sur l’univers culturel de cette génération et sa personnalité collective, et ne permet pas véritablement de documenter la situation professionnelle et familiale des membres de cette génération. Or, cette situation est susceptible d’influer sur leur vieillissement et leur capacité à prolonger leur vie professionnelle. Le présent article vise à combler une partie de ces lacunes en examinant certaines dimensions du parcours professionnel des membres de la génération X. Il vise plus spécifiquement à documenter l’ampleur et les raisons du report de leur insertion professionnelle et à mesurer la place objective que le travail occupe dans leur vie quotidienne en vue de faire quelques hypothèses quant à leurs intentions de retraite et leur volonté de prolonger leur vie professionnelle. Bien que notre propos porte uniquement sur les membres de la génération X, nous reconnaissons que les transformations vécues par eux ont également pu être vécues par les membres des autres générations, notamment les plus récentes. À cet égard, il nous apparait utile de préciser que cet article ne vise nullement à repérer des générations plus avantagées ou désavantagées que d’autres, mais bien à s’interroger sur la pertinence des arguments voulant que les nouvelles générations travaillent moins et qu’elles seraient plus enclines à prolonger leur vie professionnelle en raison de leur niveau de scolarité plus élevé et de leur meilleur état de santé.

Méthodologie et sources de données

La présente analyse examine le parcours professionnel de la génération X, définie ici comme étant l’ensemble des individus nés entre 1962 et 1971, et le compare à celui de trois autres cohortes, nées respectivement entre 1) 1932 et 1941, 2) 1942 et 1951 et 3) 1952 et 1961. Ce découpage, qui peut sembler arbitraire (pourquoi, par exemple, 1962-71 plutôt que 1960-69 ?), s’explique par la nature des données utilisées, lesquelles, faute de fournir l’âge détaillé, nous imposent certains regroupements d’âges[4]. Cela étant, comme nous l’avons défendu ailleurs (Fleury, 2008), il s’agit d’un regroupement qui est assez fidèle aux différentes cohortes qui se sont insérées sur le marché du travail au cours des dernières décennies : les préboomers (1932-41), la génération lyrique (1942-51), les baby-boomers[5] (1952-61) et la génération Y (1972-81).

L’étude du parcours d’une génération nécessiterait, idéalement, des données longitudinales couvrant une période suffisamment longue pour observer l’ensemble de ce parcours et permettant de le comparer à celui des générations plus anciennes. Malheureusement, de telles données n’existent pas au Canada ; les enquêtes longitudinales qui y sont menées (ou qui l’ont été) ne couvrent que de courtes périodes. Aussi, afin de suivre le parcours de la génération X, nous devons nous replier sur des données rétrospectives et des données transversales. Pour le cas qui nous occupe, les données rétrospectives de l’Enquête sociale générale (ESG) sur la famille sont particulièrement intéressantes dans la mesure où elles retracent et datent certaines étapes de la vie professionnelle des individus, telles que l’insertion professionnelle et les interruptions de travail tout au long de la vie. Grâce à ce recueil, il est possible de reconstituer à gros traits le parcours professionnel des individus membres d’une cohorte et de le comparer — au moins en partie — à celui des membres d’autres cohortes. En outre, le fait que cette enquête ait été menée à plusieurs reprises depuis 1990 permet de réduire le biais associé au fait que les individus sont invités à retracer les grandes lignes de leur parcours de vie, alors même qu’ils sont à des étapes différentes de ce parcours. Malheureusement, dans la présente étude, seules les données recueillies en 2001 et 2011 peuvent être utilisées en raison de la comparabilité des questions[6] : l’enquête de 2001 pour les cohortes nées avant 1962 et l’enquête de 2011 pour celle née entre 1962 et 1971. Aussi, le lecteur doit garder à l’esprit que si les résultats tirés de l’ESG s’appuient sur des données qui ont été récoltées auprès des cohortes 1952-61 et 1962-71 alors que leurs membres étaient âgés de 40 à 49 ans, dans le cas des cohortes 1942-51 et 1932-41, ils s’appuient sur des données qui ont été récoltées alors qu’ils étaient respectivement âgés de 50 à 59 ans et de 60 à 69 ans.

Cet article se fonde également sur l’exploitation des données transversales de l’Enquête sur la population active (EPA) et celles de différentes vagues de l’ESG sur l’emploi du temps. Ces données nous sont apparues intéressantes dans la mesure où elles permettaient de caractériser certaines dimensions de la vie professionnelle des membres des différentes cohortes. Le caractère répété (annuellement depuis 1976 dans le cas de l’EPA et à tous les 5 à 7 ans dans le cas de l’ESG sur l’emploi du temps) et suffisamment semblable de ces enquêtes et des personnes interrogées permet de suivre, au moyen de la méthode de l’analyse par cohorte, « le destin collectif [de] cohortes — et non pas des individus qui la composent — [et] de repérer le degré auquel et le rythme selon lequel les cohortes rencontrent et portent le changement social » (Chauvel, 2002 : 265). Cette méthode consiste à comparer des cohortes d’individus semblables à différents moments dans le temps, en supposant que ceux-ci sont représentatifs du groupe d’individus nés la même année ou au cours d’une même période. En somme, si les données de l’EPA et de l’ESG sur l’emploi du temps ne permettent pas de suivre le parcours d’individus spécifiques, elles permettent de suivre le « destin collectif » de la génération X et de repérer dans quelle mesure cette génération porte ou rencontre le changement social. Elles permettent, au final, de repérer les véritables effets de cohorte ou de reconfiguration des parcours de vie et de les distinguer des effets d’âge ou de période susceptibles d’être observés dans toute étude portant sur les parcours des générations.

Un inconvénient majeur d’une analyse par cohorte telle que nous la réalisons dans le cadre de cet article est de postuler une certaine homogénéité interne des groupes à l’étude. La situation qui est décrite et comparée est, au final, la situation moyenne des membres de chaque cohorte sans égard à la variété des situations qui peuvent caractériser les membres qui en font partie. Ceci est une limite importante dans la mesure où l’appartenance à une cohorte n’est qu’une des nombreuses variables permettant d’expliquer la diversité des parcours des individus. Sans prétendre contrôler l’ensemble des facteurs susceptibles d’expliquer cette diversité, il nous a paru nécessaire de réaliser une analyse différenciée selon le sexe et, lorsque cela était possible, le niveau de scolarité. Les tableaux et analyses présentés dans le cadre de cet article rendent compte de manière systématique de l’analyse différenciée selon le sexe. Concernant l’analyse différenciée selon le niveau de scolarité, celle-ci a été menée lorsque les effectifs étaient suffisants[7]. Les résultats sont discutés dans le texte, mais ne sont pas présentés dans les tableaux ou figures, par souci d’en simplifier la présentation (disponibles sur demande). Nous sommes conscients, par ailleurs, que d’autres variables auraient été pertinentes dans la présente analyse pour rendre compte de l’hétérogénéité des différentes cohortes (notamment la région de résidence, le type d’emploi occupé, etc.). Une telle perspective dépassait toutefois les objectifs de la présente étude.

Notons en terminant que les analyses présentées sont essentiellement descriptives et s’appuient sur des méthodes d’analyses statistiques relativement simples, visant essentiellement à mesurer des proportions ou des moyennes et à déterminer dans quelle mesure celles-ci sont statistiquement différentes les unes des autres au moyen de tests comme le test du chi carré et test T[8].

Une insertion plus tardive qui annonce un report de l’âge de la retraite

Examinons la première question voulant que la vie professionnelle de la génération X soit susceptible d’être plus courte que celle des générations précédentes en raison d’une insertion professionnelle plus tardive. Comme l’indique la figure 1, laquelle présente, à différents âges, le pourcentage cumulé d’individus qui se sont insérés une première fois sur le marché du travail après les études[9], on a effectivement assisté à un report de l’insertion professionnelle au cours des dernières décennies. La génération X ne fait pas exception, l’âge moyen de son insertion professionnelle (pour les personnes qui se sont effectivement insérées) ayant été repoussé d’une à trois années par rapport aux cohortes nées 30 ans plus tôt, soit entre 1932-41, et d’environ une à deux années par rapport aux cohortes nées entre 1942-51 et 1952-61. Ainsi, parmi les membres de la génération X qui ont occupé au moins un emploi au cours de leur vie, l’âge moyen de l’insertion professionnelle[10] se situait entre 21 et 22 ans chez les hommes comme chez les femmes. Notons ici que ces chiffres ne tiennent pas compte du fait que les femmes des cohortes plus vieilles sont proportionnellement moins nombreuses à s’être insérées en emploi que les femmes des générations plus récentes, alors que peu de différences s’observent chez les hommes des différentes générations.

Figure 1

Proportion de personnes qui ont occupé un premier emploi après leurs études à différents âges, par cohorte et par sexe, Québec

Proportion de personnes qui ont occupé un premier emploi après leurs études à différents âges, par cohorte et par sexe, Québec

Notes : *moyenne statistiquement différente (p<0,05) de la moyenne observée au sein des cohortes 1962-71 (catégorie de référence). L’âge moyen est calculé uniquement pour les personnes qui s’inséreront effectivement en emploi.

Source : Statistique Canada, exploitation des microdonnées de l’Enquête sociale générale sur la famille, 2001 et 2011

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Ce report de l’insertion professionnelle est largement attribuable à la scolarisation accrue des générations. En effet, lorsque l’on ventile l’âge de l’insertion professionnelle selon le niveau de scolarité de l’individu, les différences entre les générations deviennent non significatives, sauf chez les femmes détenant un diplôme universitaire et celles ne détenant pas de diplôme d’études secondaires (données non présentées). Il faut néanmoins rappeler que les membres de la génération X ont été fortement touchés par le chômage dans les premières années de leur carrière. Comme nous l’avons montré ailleurs (Fleury, 2008), ils ont affiché des taux de chômage supérieurs à ceux des générations précédentes au même âge, et ce, jusqu’à la mi-trentaine (un peu moins longtemps dans le cas des femmes). Les personnes les moins scolarisées ont été les plus touchées, mais cela n’a pas épargné les plus scolarisées. En outre, avec les membres des cohortes 1952-61, les membres de la génération X font partie des cohortes les plus susceptibles d’avoir connu une interruption de travail de nature économique d’une durée de 3 mois ou plus depuis le début de leur insertion professionnelle (Fleury, 2007). Cela s’observe aussi bien chez les hommes que chez les femmes. En revanche, dans le cas des femmes, la carrière s’est déroulée de manière beaucoup plus continue et fut entrecoupée d’interruptions de travail moins longues ou moins nombreuses. Ainsi, alors que la durée totale moyenne des interruptions de travail avant l’âge de 40 ans[11] s’établissait à près de six années parmi les femmes des cohortes 1932-41 s’étant insérées en emploi, elle était inférieure à trois années pour les femmes de la génération X[12] (figure 2). Chez les hommes, la tendance inverse s’observe, mais de manière beaucoup moins marquée, la durée totale moyenne des interruptions de travail étant passée de moins de 4 mois à près d’une année. Fait intéressant, alors que la durée totale moyenne des interruptions de travail était près de 18 fois plus élevée chez les femmes des cohortes 1932-41 que celle de leurs homologues masculins, elle n’était plus que trois fois plus élevée chez les femmes et les hommes de la génération X.

À l’âge de 40 ans, certains membres de la génération X cumulent donc moins d’années de travail que leurs prédécesseurs au même âge. C’est le cas des hommes, où la durée moyenne des épisodes de travail avant l’âge de 40 ans est passée d’un peu plus de 21 années pour les cohortes 1932-41, à un peu moins de 18 années pour la génération X[13]. Nous sommes toutefois loin d’une diminution de huit années comme le laissait entendre le rapport D’Amours (2013) ! Chez les femmes, il en va autrement en raison de la plus grande continuité de leur activité professionnelle, du prolongement des études et des difficultés d’insertion professionnelle rencontrées en début de carrière. Ainsi, si la durée totale moyenne des épisodes d’emploi est d’environ deux années de plus pour les femmes de la génération X que pour leurs homologues nées 30 ans plus tôt, elle est de près d’une année de moins que celle des femmes des cohortes 1942-51. Bien que l’écart se soit fortement réduit par rapport aux générations précédentes, les femmes de la génération X continuent de cumuler moins d’années d’ancienneté que leurs homologues masculins.

Figure 2

Durée totale moyenne des interruptions de travail et des périodes de travail avant l’âge de 40 ans, par cohorte et par sexe, Québec

Durée totale moyenne des interruptions de travail et des périodes de travail avant l’âge de 40 ans, par cohorte et par sexe, Québec

Champ : ensemble des individus qui ont occupé au moins un emploi au cours de leur vie.

Notes : *moyenne statistiquement différente (p<0,05) de la moyenne observée au sein des cohortes 1962-71 (catégorie de référence).

Source : Statistique Canada, exploitation des microdonnées de l’Enquête sociale générale sur la famille, 2001 et 2011

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Ces résultats sont importants dans la mesure où les droits à la pension, publique ou privée, sont directement associés au nombre d’années de travail. Il n’est pas impossible que le patrimoine personnel, notamment les REER, puisse venir compenser cette diminution des droits à la retraite. À cet égard, le fait que les membres de la génération X aient commencé à cotiser plus tôt à un REER (Légaré et collab. 2015) peut sembler encourageant. Or, comme le soulignent Légaré et ses collaborateurs (2015), non seulement leur proportion de cotisants semble avoir plafonné à un âge plus précoce (autour de 30 % dès la trentaine), mais ce véhicule d’épargne est de moins en moins associé à l’épargne-retraite, étant souvent utilisé à d’autres fins, notamment l’accès à la propriété (Ibid.). Plus encore, une partie des cotisations à un REER pourrait traduire un changement dans le type d’épargne (Engen et collab. 1996), les hommes des cohortes plus récentes étant de moins en moins nombreux à cotiser à un régime de pension agréé et à disposer d’un régime à prestation déterminée (Légaré et collab. 2015). Cela est toutefois moins vrai chez les femmes, lesquelles sont parvenues à combler un écart important face aux hommes au cours des dernières années, au point où elles affichent maintenant des taux de couverture qui se comparent avantageusement aux leurs (Ibid.).

Une génération qui ne travaille pas moins et qui n’est pas nécessairement protégée des risques professionnels

La partie précédente a permis de montrer que, globalement, les membres de la génération X avaient eu tendance à reporter leur insertion professionnelle par rapport aux membres des générations précédentes et que cela s’expliquait en grande partie par le prolongement des études. Cela ne signifie toutefois pas que cette génération travaille moins. Non seulement avons-nous assisté à un accroissement considérable du taux d’emploi des étudiants au cours des années 1980 (Gauthier et Labrie, 2013), mais l’évolution du travail et de son organisation au cours des dernières décennies a conduit à de nouveaux risques professionnels, lesquels sont susceptibles d’affecter la santé des travailleurs et de nuire au prolongement de leur vie professionnelle. C’est ce dont nous voulons discuter dans la présente section à partir de différents indicateurs liés au temps consacré au travail et à la nature de l’emploi.

Examinons d’abord le temps que les individus consacrent au travail. La figure 3 indique une légère diminution de la durée habituelle de la semaine de travail[14] chez les hommes de la génération X par rapport à leurs homologues des générations précédentes aux mêmes âges : en moyenne, les hommes de la génération X travaillent environ deux heures de moins que leurs homologues des cohortes 1932-41, une heure de moins que les membres des cohortes 1942-51 et environ une demi-heure de moins que les membres des cohortes 1952-61. Cette réduction de la durée de la semaine habituelle de travail s’observe chez les plus scolarisés comme chez les moins scolarisés, mais n’est pas statistiquement significative chez les diplômés du postsecondaire. L’évolution a été toute autre pour les femmes de la génération X, lesquelles ont accru leur semaine de travail par rapport aux générations précédentes, travaillant environ une heure de plus que les femmes des cohortes 1942-51 et une demi-heure de plus que celles des cohortes 1932-41[15] et 1952-61. Cette augmentation est particulièrement forte chez les diplômées du postsecondaire non universitaire, mais ne s’observe pas chez celles qui ne disposent pas d’un diplôme d’études secondaires.

Figure 3

Nombre moyen d’heures habituelles de travail à tous les emplois par semaine, par cohorte et par groupe d’âge

Nombre moyen d’heures habituelles de travail à tous les emplois par semaine, par cohorte et par groupe d’âge

Champ : ensemble des personnes en emploi.

Note : les moyennes observées chez les membres des cohortes 1962-71 (génération X) sont statistiquement différentes (p<0,05) de celles observées dans les autres cohortes à l’exception des a) hommes des cohortes 1952-61 à 30-34 ans et des b) femmes des cohortes 1952-61 à 40-44 ans.

Source : Statistique Canada, exploitation des données de l’Enquête sur la population active, 1976-2011

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L’évolution du nombre d’heures habituellement travaillées n’est toutefois qu’une facette de la question. Ce résultat ne tient pas compte, en effet, du fait que le taux d’emploi des femmes a augmenté considérablement au cours de la période étudiée, alors que celui des hommes restait relativement stable, ou du moins, ne diminuait pas de manière équivalente. À cet égard, la figure 4 témoigne bien de la participation accrue des femmes de la génération X sur le marché du travail tout au long de la vie par rapport aux générations précédentes, laquelle n’a pas été accompagnée d’une diminution équivalente du taux d’emploi des hommes.

Figure 4

Taux d’emploi à différents âges, par cohortes et par sexe, Québec

Taux d’emploi à différents âges, par cohortes et par sexe, Québec

Note : les proportions observées chez les membres des cohortes 1962-71 (génération X) sont statistiquement différentes (p<0,05) de celles observées dans les autres cohortes à l’exception des hommes des cohortes 1942-51 à 40-44 ans.

Source : Statistique Canada, exploitation des données de l’Enquête sur la population active, 1976-2011

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En outre, l’évolution du nombre d’heures travaillées habituellement ne tient pas compte du fait que les individus consacrent davantage de temps aux activités liées au travail, notamment aux déplacements pour s’y rendre. Comme l’indique un récent rapport publié par le ministère de la Famille (Migneault et Boucher, 2016 : 2), « alors qu’il tendait à décroître dans les années 1980 et au début des années 1990, le temps consacré par la population active au déplacement vers le travail a atteint un nouveau sommet en 2010, près de 4 heures et demie lui étant dévolue en moyenne chaque semaine ». En fait, selon le ministère, le temps consacré aux déplacements se serait accru d’un peu plus d’une heure depuis 1992, passant de 3,4 heures par semaine en 1992 à 4,5 heures en 2010. Si l’on considère ce temps comme du temps consacré au travail, on constate que le temps moyen que les hommes de la génération X consacrent au travail n’est pas moins important que celui que les hommes des générations précédentes y consacraient au même âge, alors que celui que les femmes de la génération X y consacrent est encore plus important (Figure 5).

Figure 5

Nombre moyen d’heures quotidiennes consacrées au travail et aux activités qui lui sont liées à différents âges, par cohorte et par sexe, Québec

Nombre moyen d’heures quotidiennes consacrées au travail et aux activités qui lui sont liées† à différents âges, par cohorte et par sexe, Québec

Note : Le niveau de détails des données disponibles et, surtout, la périodicité irrégulière de l’Enquête sociale générale sur l’emploi du temps ne permettent pas de comparer les mêmes cohortes aux mêmes âges. Aussi, afin de pouvoir procéder à des comparaisons à des âges identiques, nous avons dû définir différemment nos cohortes à chacun des cycles. La définition retenue est indiquée à côté de chaque point de données. Pour chaque groupe d’âge, nous indiquons par ailleurs les cohortes dont la moyenne est statistiquement différente (p<0,05) de la moyenne observée au sein de la catégorie de référence (inscrite en caractères gras) au moyen d’un astérisque (*). † Le temps consacré au travail et aux activités qui lui sont liées comprend le temps alloué à l’emploi principal et aux autres emplois (y compris les heures supplémentaires, les temps de pause, les temps de déplacement, les temps d’attente, etc.), le temps alloué à la recherche d’emploi ainsi que le temps alloué aux activités éducatives.

Source : Statistique Canada, exploitation des données de l’Enquête sociale générale sur l’emploi du temps de 1986, 1998 et 2005

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À cela s’ajoute le fait que la pratique du travail ne s’effectue plus dans les mêmes conditions que par le passé, plusieurs changements ayant eu cours durant les dernières décennies. Parmi ces changements, notons les nouvelles exigences managériales qui accentuent la pression qui repose sur les épaules des travailleurs et exigent un plus grand investissement personnel : accroissement de la demande et du rythme de travail, accroissement des responsabilités au travail, nécessité de faire plus avec moins de ressources, enrôlement des subjectivités au travail, exigence de disponibilité, etc. (Kirouac, 2015 ; Mercure et Vultur, 2010). Si certains observateurs se réjouissent du fait que les nouveaux emplois sont moins dommageables pour la santé physique que par le passé, de plus en plus d’études font état des nouveaux risques professionnels qui menaceraient la santé psychologique des travailleurs et plus particulièrement les travailleurs qui oeuvrent dans le secteur des services (Vézina et collab. 2011). On ne dispose malheureusement pas de données historiques pour illustrer ce phénomène d’intensification du travail au Québec au cours des dernières décennies. L’Enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi, et de santé et de sécurité du travail (EQCOTESST) réalisée en 2008 révèle néanmoins que la charge de travail peut s’avérer intense pour un nombre important de travailleurs, dont plusieurs membres de la génération X (Vézina et collab. 2011). Comme l’indique la figure 6, une forte proportion de travailleurs fait état d’un haut niveau d’exigence psychologique au travail[16]. Or, le groupe des personnes âgées de 35 à 44 ans, auquel appartenait la majeure partie des membres de la génération X en 2008, est particulièrement à risque, avec 41 % des hommes et 44 % des femmes de ce groupe d’âge faisant état d’un haut niveau de demandes psychologiques. Ils étaient également très nombreux à qualifier leur emploi d’émotionnellement exigeant[17], soit 45 % des hommes et 55 % des femmes parmi ceux et celles qui étaient âgés de 25 à 44 ans. Ces résultats ne signifient évidemment pas que le travail soit devenu plus pénible que par le passé. Au contraire, on doit reconnaitre qu’à plusieurs égards, les conditions de travail se sont grandement améliorées, grâce aux nombreuses interventions en santé et sécurité au travail notamment. Ce que ces résultats font valoir, cependant, c’est que les emplois d’aujourd’hui — réputés plus sains que ceux du passé — ne sont pas sans risque pour la santé des travailleurs. Malheureusement, il nous est impossible de déterminer si les membres de la génération X sont touchés de manière spécifique par ces nouveaux risques professionnels, les données dont nous disposons ne couvrant qu’une année et, de ce fait, ne permettant pas de procéder à une analyse par cohorte.

En somme, ce qu’il faut retenir ici, c’est que si les membres de la génération X semblent avoir intégré le marché du travail plus tardivement que les générations précédentes, rien n’indique que le travail occupe une moins grande part de leur temps quotidien. En fait, malgré une légère diminution de la durée habituelle moyenne de la semaine de travail chez les hommes, on constate que les femmes de la génération X travaillent davantage que leurs prédécesseures et que le temps consacré au travail et aux activités liées (tels les déplacements pour s’y rendre) par les hommes et les femmes de cette génération a augmenté ou est resté stable au cours de la période étudiée. En outre, le déplacement de l’emploi dans le secteur des services, s’il contribue à réduire les risques d’accident et de vieillissement physique prématuré, est associé à des contraintes spécifiques qui peuvent également être néfastes pour les travailleurs et peuvent les inciter à devancer leur départ à la retraite. À cet égard, Cloutier-Villeneuve (2013), qui a étudié les intentions de retraite des femmes et des hommes âgés de 50 ans et plus en 2008, a observé que les travailleuses — très présentes dans le secteur des services — avaient l’intention de quitter le marché du travail bien avant l’âge de 65 ans et envisageaient peu d’y revenir par la suite, en dépit de conditions financières plus ou moins favorables. Selon l’auteur, les conditions psychologiques et physiques de travail de même que l’état de santé expliquaient en grande partie ces intentions de retraite. L’étude ne précisait toutefois pas dans quelle mesure ces intentions allaient effectivement se traduire par des actions concrètes.

Figure 6

Proportion de travailleurs indiquant une demande psychologique élevée au travail et un travail émotionnellement exigeant, par groupe d’âge et par sexe, Québec, 2008

Proportion de travailleurs indiquant une demande psychologique élevée au travail et un travail émotionnellement exigeant, par groupe d’âge et par sexe, Québec, 2008

Note : Les différences selon l’âge sont statistiquement significatives (p<0,05) chez les hommes comme chez les femmes, et ce, pour les deux indicateurs. Coefficient de variation de 15 % à 25 % ; interpréter avec prudence.

Source : figures construites à partir des tableaux C 4.1 (Prévalence d’une demande psychologique au travail élevée selon l’âge, la catégorie professionnelle, le type de profession, le type d’organisme, le niveau de scolarité complété et le type de contrat chez les hommes, chez les femmes, et pour l’ensemble des travailleurs, Québec, 2007-2008) et C 4.12 (Prévalence du travail émotionnellement exigeant selon l’âge, la catégorie professionnelle, le type de profession, le type d’organisme, le niveau de scolarité complété et le type de contrat chez les hommes, chez les femmes, et pour l’ensemble des travailleurs Québec, 2007-2008) publiés dans Vézina et collab. (2011 : 289 et 300)

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Des ménages de plus en plus occupés

La participation des membres de la génération X au marché du travail doit également être saisie à la lumière du contexte dans lequel celle-ci s’inscrit. De fait, comme l’indiquent les grands principes de l’approche des parcours de vie, non seulement la vie des individus se déroule dans le temps, mais elle s’inscrit dans des contextes socialement construits et est influencée par la vie d’autres personnes (McDaniel et Bernard, 2011). Comme nous l’avons souligné au début de cet article, le contexte familial s’est profondément transformé, avec la précarisation des formes d’union et la montée des couples à deux actifs. La figure 7 illustre bien cette transformation et montre dans quelle mesure l’activité professionnelle des membres de la génération X s’effectue dans un contexte familial différent de celui des générations précédentes, des plus anciennes en particulier. Alors que le modèle traditionnel de l’individu vivant en couple dont un seul des conjoints était actif à temps plein[18] (généralement l’homme) caractérisait 43 % des membres des cohortes 1942-51 à 30-34 ans, elle ne caractérisait que 18 % des membres des cohortes 1962-71 au même âge. Des différences semblables s’observent dans les âges plus avancés, mais sont de moindre ampleur en raison d’une diminution de la prévalence du modèle traditionnel chez les hommes des cohortes 1942-51. Inversement, deux modèles sont devenus de plus en plus fréquents : le modèle de l’individu vivant en couple dont les deux conjoints travaillent à temps plein (plus de 30 % des membres de la génération X à partir de 30 ans) et celui de l’individu occupé à temps plein et ne vivant pas en couple (environ 20 % des membres de la génération X à partir de 30 ans).

Figure 7

Situation familiale à différents âges, par cohorte (sexes réunis), Québec, 1976-2011

Situation familiale à différents âges, par cohorte (sexes réunis), Québec, 1976-2011

Note : les proportions observées chez les membres des cohortes 1962-71 (génération X) sont statistiquement différentes (p<0,05) de celles observées dans les autres cohortes à l’exception de la proportion de « autres situations » observée à 35-39 ans au sein des cohortes 1942-51. Les autres situations comprennent 1) les personnes qui travaillent à temps partiel et qui vivent en couple (sans égard à l’activité du conjoint/de la conjointe) ; 2) celles qui sont sans emploi et qui vivent en couple (sans égard à l’activité du conjoint/de la conjointe) ; 3) celles qui travaillent à temps plein et qui vivent en couple avec une personne sans emploi ou qui travaillent à temps partiel ; ainsi que 4) celles qui ne vivent pas en couple et qui ne travaillent pas à temps plein.

Source : Statistique Canada, exploitation des données de l’Enquête sur la population active, 1976-2011

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Cette transformation du contexte dans lequel se déroule l’activité professionnelle des membres de la génération X est particulièrement frappante lorsqu’on examine la situation professionnelle des parents d’enfants âgés de moins de 12 ans[19]. Comme l’indique la figure 8, l’exercice de la parentalité ne se fait plus dans un contexte où un des deux parents reste à la maison le temps que les enfants grandissent comme cela était plus typiquement le cas des générations plus anciennes, mais plutôt dans un contexte où les deux parents sont actifs sur le marché du travail. C’est ainsi que la proportion de pères dont la conjointe est inactive diminue d’une cohorte à l’autre pour atteindre 20 % pour les pères des cohortes 1962-71, alors que s’accroissait celle des pères dont la conjointe est également en emploi, laquelle atteint plus de 70 % chez les pères de la génération X. La situation est partiellement inversée chez les femmes, pour qui on observe une légère diminution de mères ayant un conjoint en emploi. Or, comme l’indique la figure 8, cela s’explique moins par un échange des rôles dans le couple que par l’accroissement de la proportion de femmes monoparentales, laquelle est passée de 10 % à 15 %. Ces résultats sont importants dans la mesure où cette nécessité de conjuguer la parentalité avec l’exercice d’un emploi s’est déroulée, pour plusieurs membres de la génération X, avant la mise en place du réseau de garderies subventionnées et l’instauration et la bonification des programmes de congés parentaux en vigueur depuis le début des années 2000. Cela laisse penser que les membres de la génération X ont dû conjuguer travail et famille avec peu de ressources publiques pour leur venir en aide. Ils ne disposaient pas non plus d’un large éventail de mesures de conciliation dans les entreprises, celles-ci demeurant encore aujourd’hui assez peu développées (Najem et Tremblay, 2010).

Figure 8

Occupation du (de la) conjoint(e) chez les parents d’un enfant âgé de moins de 12 ans, par cohorte, Québec, 1976-2011

Occupation du (de la) conjoint(e) chez les parents d’un enfant âgé de moins de 12 ans, par cohorte, Québec, 1976-2011

Champ : ensemble des individus ayant un enfant âgé de moins de 12 ans.

Note : Ce tableau a été construit à partir des données combinées de l’Enquête sur la population active de 1976, 1981, 1986, 1991, 1996, 2001, 2006 et 2011 et présente la proportion moyenne pondérée d’individus dans chacune des situations considérées. Les proportions observées chez les membres des cohortes 1962-71 (génération X) sont statistiquement différentes (p<0,05) de celles observées dans les autres cohortes à l’exception des proportions de « conjoint-e-s en chômage » observées chez les hommes et les femmes et la proportion « de conjoint-e-s inactif-ve-s » observée chez les femmes.

Source : Statistique Canada, exploitation des données de l’Enquête sur la population active, 1976-2011

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Figure 9

Temps consacré quotidiennement aux activités domestiques à différents âges, par cohorte et par sexe (en heures)

Temps consacré quotidiennement aux activités domestiques† à différents âges, par cohorte et par sexe (en heures)

Note : Le niveau de détails des données disponibles et, surtout, la périodicité irrégulière de l’Enquête sociale générale sur l’emploi du temps ne permettent pas de comparer les mêmes cohortes aux mêmes âges. Aussi, afin de pouvoir procéder à des comparaisons à des âges identiques, nous avons dû définir différemment nos cohortes à chacun des cycles. La définition retenue est indiquée à côté de chaque point de données. Pour chaque groupe d’âge, nous indiquons par ailleurs les cohortes dont la moyenne est statistiquement différente (p<0,05) de la moyenne observée au sein de la catégorie de référence (inscrite en caractères gras) au moyen d’un astérisque (*). †Le temps consacré aux activités domestiques comprend le temps alloué aux travaux domestiques, aux responsabilités familiales et au magasinage.

Source : Statistique Canada, exploitation des données de l’Enquête sociale générale sur l’emploi du temps de 1986, 1998 et 2005

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On sait très peu de choses à propos des stratégies que les membres de la génération X ont employées pour concilier ces différentes sphères. Ce que l’on peut dire, cependant, c’est que le temps moyen consacré quotidiennement aux activités domestiques n’a pas été réduit. Au contraire, on observe même une augmentation du temps consacré à ces activités chez les hommes de la génération X (par rapport aux hommes des cohortes 1942-51), alors que chez les femmes, plus actives sur le marché du travail que par le passé, aucune diminution significative du temps consacré aux activités domestiques n’est observée. En somme, alors que les hommes de la génération X consacrent autant de temps que leurs homologues des générations précédentes au travail rémunéré, ils consacrent globalement un peu plus de temps aux activités domestiques. Quant aux femmes de cette génération, elles consacrent plus de temps que les femmes des cohortes plus âgées aux activités professionnelles, sans avoir vu leur contribution aux activités domestiques se réduire.

Au final, il en résulte que par rapport aux générations précédentes, la durée totale moyenne du temps contraint, c’est-à-dire la somme du temps consacré aux activités professionnelles et domestiques, s’est accrue de près d’une heure pour les hommes et les femmes de la génération X (figure 10). Cette augmentation, qui est particulièrement significative entre 35 et 44 ans, est susceptible d’accroître le sentiment d’épuisement chez les membres de la génération X, et éventuellement les problèmes de santé mentale. À cet égard, plusieurs études ont fait état d’un lien direct entre l’insatisfaction à l’égard de l’équilibre travail-famille et la perception de la santé mentale (Boulet, 2013 et 2014 ; Lavoie, 2016). En fait, il semblerait que la perception positive de l’état de santé mentale diminue au fur et à mesure que le niveau de satisfaction à l’égard de l’équilibre travail-famille se réduit.

Les membres de la génération X pourraient vivre ces difficultés encore quelques années. Comme nous l’avons souligné au début de cet article, ils sont susceptibles de vivre un parentage prolongé et d’avoir à venir en aide à un parent âgé. Concernant ce dernier point, non seulement les chances d’avoir un parent survivant se sont fortement accrues au cours des dernières décennies, mais ces parents survivants doivent de plus en plus s’appuyer sur les membres de leur famille en cas de besoin (Olazabal, 2009). En 2012, 40 % des femmes âgées de 45 à 64 ans et 30 % des hommes du même âge étaient de proches aidants, c’est-à-dire qu’ils avaient, au cours de la dernière année, fourni de l’aide ou des soins à un ou plusieurs bénéficiaires en raison d’un problème de santé de longue durée, d’une incapacité physique ou mentale ou de problèmes liés au vieillissement (Lecours, 2015)[20]. Or, lorsqu’on examine en quoi consiste l’aide apportée, on constate que celle-ci prend souvent des formes très prenantes, tels l’aide pour les tâches domestiques, les soins personnels ainsi que les soins et les traitements médicaux. Ces activités, qui se conjuguent souvent avec l’emploi salarié (Fleury, 2013 ; Lero et collab. 2012 ; Tremblay et collab. 2012), accroissent la pression temporelle vécue par les travailleurs et inciteraient certains d’entre eux, en particulier les femmes en emploi à temps plein, à quitter leur emploi (Lero et collab. 2012 ; Proulx et Le Bourdais, 2014 ; Tremblay et collab. 2012).

Figure 10

Temps consacré quotidiennement aux activités professionnelles et domestiques (temps contraint) à différents âges, par cohorte et par sexe (en heures)

Temps consacré quotidiennement aux activités professionnelles et domestiques (temps contraint) à différents âges, par cohorte et par sexe (en heures)

Note : Le niveau de détails des données disponibles et, surtout, accroître la périodicité irrégulière de l’Enquête sociale générale sur l’emploi du temps ne permettent pas de comparer les mêmes cohortes aux mêmes âges. Aussi, afin de pouvoir procéder à des comparaisons à des âges identiques, nous avons dû définir différemment nos cohortes à chacun des cycles. La définition retenue est indiquée à côté de chaque point de données. Pour chaque groupe d’âge, nous indiquons par ailleurs les cohortes dont la moyenne est statistiquement différente (p<0,05) de la moyenne observée au sein de la catégorie de référence (inscrite en caractères gras) au moyen d’un astérisque (*).

Source : Statistique Canada, exploitation des données de l’Enquête sociale générale sur l’emploi du temps de 1986, 1998 et 2005

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Conclusion

Rappelons les grandes lignes de l’argumentaire. Premier élément, il semble tout à fait probable que les membres de la génération X devront sérieusement envisager de prolonger leur vie professionnelle, en raison, d’une part, d’une entrée plus tardive sur le marché du travail, explicable par le prolongement des études et des difficultés d’insertion professionnelle importantes, et, d’autre part, par des conditions de travail un peu moins avantageuses que celles des générations passées (Fleury, 2007 et 2008). Ce constat va tout à fait dans le sens des observations de Légaré et ses collaborateurs (2015), lesquels, au terme d’un exercice de projection des taux de retraite par âge, sont venus à la conclusion d’un possible allongement de la durée de vie en emploi pour les générations à venir.

Mais ce n’est pas parce qu’ils devront sérieusement l’envisager qu’ils le feront nécessairement avec plaisir ; il s’agit du deuxième élément de l’argumentaire. Il semble incertain, en effet, que la scolarisation accrue et la tertiarisation de l’emploi aient conduit à un rapport au travail forcément favorable au prolongement de la vie professionnelle. Au contraire, il semble que l’évolution récente du travail et les transformations dans la sphère de la famille soient venues accroître l’importance du temps contraint et, possiblement, le sentiment d’épuisement et d’usure. Malgré les arguments voulant que les nouvelles générations travaillent moins que les générations précédentes, il apparait, au contraire, que tout au long de leur parcours de vie, elles travaillent au moins autant, devant combiner un travail exigeant une plus grande part d’investissement personnel, avec une vie familiale toujours prenante, où très souvent les deux conjoints sont actifs sur le marché du travail. Or, à cela risque de s’ajouter, au cours des prochaines années, des obligations à l’égard de parents âgés, prolongeant par le fait même les difficultés liées à la conciliation travail-famille. À cet égard, il semble que les politiques familiales dont le Québec s’est doté au cours des dernières années sont arrivées un peu tard pour les membres de cette génération. Or, rien n’indique qu’ils bénéficieront de mesures pour faciliter leurs responsabilités à l’égard de leurs parents âgés.

Le désir d’avoir du temps pour soi, de profiter de la vie et de faire autre chose que travailler constituent des motifs importants de retraite. Les membres de la génération X n’auront-ils pas les mêmes envies ? Les travaux sur le rapport au travail des générations ont montré que les membres de la génération X, à l’instar de leurs homologues plus jeunes ou plus âgés, ne font plus du travail la seule sphère signifiante de leur vie (Fleury, 2011 et 2012 ; Mercure et collab. 2012). Ils accordent autant d’importance à la famille, voire plus, mais également aux autres sphères de la vie, tels les amis et les loisirs. Penseront-ils autrement à l’aube de la retraite ? N’auront-ils pas l’impression d’avoir assez donné ? Seront-ils suffisamment en forme pour fournir encore quelques années de travail supplémentaires ? Voilà quelques interrogations qui doivent nous amener à mettre en doute la pertinence des différents arguments selon lesquels les nouvelles générations ne présenteraient que des caractéristiques favorisant une retraite plus tardive.

Cette situation n’est évidemment pas propre aux membres de la génération X. Si notre propos a mis l’accent sur eux, il faut souligner que, comme le montraient les différentes figures analysées dans le présent article, les changements se sont produits de manière graduelle, d’une cohorte à l’autre. En outre, comme l’ont montré Légaré et ses collaborateurs (2015), le report de la retraite s’observe depuis une vingtaine d’années déjà et le prolongement de la vie professionnelle ne devrait pas seulement concerner les membres de la génération X. L’accent mis sur cette génération avait simplement pour but de questionner l’argumentaire sous-jacent aux injonctions au prolongement de la vie professionnelle et d’illustrer les différentes transformations qui ont marqué le monde du travail et de la famille au cours des dernières décennies, en prenant pour témoin une génération dont la jeunesse a marqué l’imaginaire québécois au cours des années 1980 et 1990, et qui représente près du quart de la population active actuelle. Cette perspective, qui s’avère pertinente eu égard à notre objectif, comporte des limites importantes. Comme nous l’avons souligné plus haut, nous avons fait assez peu de cas de l’hétérogénéité intra cohorte, nous étant essentiellement contentés de comparer des moyennes, distinguant tout au plus les individus selon leur genre et leur niveau de scolarité. Cela constitue une limite importante de notre propos. En outre, nous nous sommes limités à faire des hypothèses à propos des conséquences que pourraient avoir les transformations du travail et de la famille sur le vieillissement des membres de la génération X ainsi que sur leur attitude à l’égard du prolongement de la vie professionnelle. Une prochaine étape serait de mesurer cette attitude elle-même et de voir jusqu’à quel point celle-ci est affectée par la trajectoire professionnelle et familiale des membres de la génération X. Malheureusement, les données actuelles ne permettent pas de le faire. Ceci pourrait sans doute être fait pour les générations plus anciennes, avec comme avantage de pouvoir déterminer dans quelle mesure l’intensification du travail affecte effectivement la santé des travailleurs et les conduit à devancer leur départ à la retraite.