Abstracts
Résumé
En France, la criminologie n’a jamais été une discipline autonome. Elle n’existe institutionnellement qu’en tant qu’annexe du droit pénal. En réalité, elle se situe au carrefour de trois pôles universitaires qui sont autant de pratiques professionnelles : la médecine, le droit et les sciences sociales. On propose ici, pour le comprendre, de faire un détour historique depuis la fin du xixe siècle. C’est à la « Belle époque » que se joue la première partie. Elle met aux prises des médecins (qui parlent d’« anthropologie criminelle »), des juristes et des sociologues. Elle ne débouche sur aucun consensus et aucune construction disciplinaire. L’entre-deux-guerres voit ensuite s’affirmer la criminologie des juristes et des médecins qui raffermissent leurs liens institutionnels classiques (la médecine légale et la psychiatrie légale), tandis que s’introduit la psychanalyse. De son côté, la sociologie du crime disparaît et il faut attendre les années 1950 pour qu’elle se reconstruise. Dans les années 1950-1970, un contexte intellectuel et politique général permet des rapprochements inédits à l’échelle historique, malgré des conflits persistants entre les approches cliniques et les approches sociologiques. Puis les conflits s’estompent, les idéologies qui produisaient une culture commune reculent et chacun se replie sur ses logiques professionnelles. En un sens, la criminologie existe moins que jamais comme discipline. Les recherches empiriques sur le crime connaissent pourtant une croissance continue dans les sciences sociales, du fait toutefois de financements institutionnels ponctuels qui posent des problèmes de politique scientifique discutés en conclusion.
Abstract
Criminology has never been an independent field in France. Its only institutional existence is as an appendage to criminal law. It is in fact the meeting grounds for three academic poles — medicine, law, and the social sciences — representing different professions. To understand this situation, a look at history since the late 19th century is advanced here. The first act took place at the “Belle Epoque”. It involved physicians (speaking of “criminal anthropology”), jurists and sociologists. No consensus was reached, and no discipline was constructed. During the 20th century interwar period, jurists and physicians dominated the field, strengthening their conventional institutional ties (to forensic medicine and forensic psychiatry), whereas psychoanalysis entered the arena. The sociology of crime disappeared, not to be reconstructed until the 1950s. During the 1950-1970 period, historically unique reconciliations were facilitated by the general intellectual and political context, despite persistent conflicts between clinical and sociological approaches. Conflicts waned thereafter, those ideologies that had produced a shared culture regressed, and each profession withdrew into its own logic. In a sense, criminology now exists less than ever as a discipline. Social scientists are increasingly conducting empirical research on crime, however. These studies are facilitated by institutional financing on an individual project basis, raising scientific policy problems that are discussed in conclusion.
Appendices
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