Introduction : la trame des parcours délinquants[Record]

  • Pierre Tremblay and
  • Carlo Morselli

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Certaines trajectoires délinquantes sont brèves et se résument parfois à un seul passage à l’acte implosif. D’autres s’étalent sur une longue période et sont ponctuées de succès plus ou moins temporaires et de revers plus ou moins décisifs. Certains délinquants, qu’ils soient juvéniles ou adultes, « réussissent » mieux ce parcours que d’autres. Ces réussites délinquantes constituent le thème de cette livraison. Il nous a semblé utile d’ouvrir ce numéro en présentant l’article que Michel Kokoreff consacre aux filières d’importation de cannabis depuis le Maroc via l’Espagne jusqu’en France, durant les années 1990, et de le clore avec l’étude que Julie Paquin consacre au marché des factures de complaisance dans l’industrie du vêtement à Montréal durant les années 1970. Les deux articles prennent la forme d’études de cas qui exploitent la richesse des dossiers d’enquête et des archives judiciaires pour formuler des hypothèses originales : celle de la reconversion du grand banditisme dans les trafics de stupéfiants depuis une vingtaine d’années (Kokoreff) et celle de la diffusion concomitante des pratiques de délinquance d’affaires dans les trafics de véhicules volés (Paquin). De telles études de cas sont précieuses parce qu’elles permettent de formuler des hypothèses précises sur les changements qualitatifs de la criminalité et les innovations délinquantes (ou les réussites collectives) qui en sont à l’origine. On notera également que ces deux études de cas s’attardent tout particulièrement aux problèmes spécifiques que les réussites délinquantes posent aux tribunaux criminels. Kokoreff se penche sur la rareté des procédures pénales qui visent à indexer l’échelle des peines en fonction « non plus des risques que le trafic fait courir aux victimes potentielles mais de son degré d’organisation », c’est-à-dire son degré de réussite. À l’inverse, Paquin se penche sur « l’anomalie apparente de l’avalanche des poursuites pénales et civiles » déclenchées qui s’est produite dans une cause de fraude, dont l’on dispose habituellement de manière beaucoup plus discrète et inoffensive. C’est en analysant ces exceptions à la règle (les « faux positifs ») que les études de cas donnent le meilleur d’elles-mêmes. Le thème de ce numéro recoupe celui que la revue Criminologie avait consacré, en 1989, au « milieu criminel ». Mais on appréciera le chemin parcouru en remarquant que quatre des articles thématiques procèdent par voie de sondage de délinquance révélée et s’attardent moins aux succès de certaines « pratiques délinquantes » qu’aux trajectoires individuelles de ceux qui y participent. Clément Robitaille réanalyse l’enquête que la Rand Corporation avait réalisée en 1978 auprès d’un échantillon important de détenus américains. On y trouve en effet des questions précises (mais jamais analysées) sur leurs revenus illicites durant les trois années qui avaient précédé leur incarcération. Son mérite est d’apporter plusieurs éléments de réponse, parfois surprenants, à la question : Pourquoi certains délinquants sont-ils plus efficaces que d’autres ? Il établit tout d’abord que les délinquants qui s’abstiennent de violence retirent de leurs délits des revenus moins élevés que ceux qui en font un usage stratégique. Nonobstant le bonnet de « rationalité limitée » dont les criminologues se plaisent à coiffer les délinquants, Robitaille montre aussi que les réussites délinquantes sont généralement « méritées ». Elles ne sont le fruit ni du hasard ni de la chance. Plus les délinquants « travaillent » leurs délits et en soignent l’exécution, plus ils en tirent des bénéfices tangibles. Il montre enfin que les délinquants qui sont les plus enclins à la récidive ne sont pas nécessairement les moins doués d’entre eux mais tout aussi bien ceux qui connaissent un succès enviable dans leurs activités illicites. Une nouvelle condamnation représente sans doute un revers, mais elle …

Appendices