Introduction[Record]

  • Nadine Lanctôt

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Très peu d’études abordent le développement des conduites déviantes des filles, de l’adolescence à l’âge adulte. Néanmoins, un constat se dégage des études existantes : les adolescentes sont moins nombreuses que leurs confrères à persister dans la déviance, notamment lorsqu’il est question de délits graves. Devant ce constat, la criminologie a longtemps cru que les difficultés d’adaptation des adolescentes déviantes s’estompaient rapidement au tournant de l’âge adulte. Ce faisant, l’étude des trajectoires de vie de cette population était considérée d’une utilité et d’une pertinence très limitées. Cette interprétation est toutefois de plus en plus contestée. Des recherches signalent que les indicateurs retenus pour évaluer la persistance des difficultés d’adaptation à travers les cycles de vie doivent couvrir une gamme plus étendue, ceci afin d’y inclure des dimensions qui témoignent davantage de la réalité des femmes. C’est l’idée mise en valeur dans ce numéro thématique. L’article de Verlaan, Déry, Toupin et Pauzé aborde une forme de violence peu documentée en criminologie, et pourtant souvent privilégiée par les filles : il s’agit de l’agressivité indirecte, aussi nommée agressivité relationnelle ou sociale. Cette forme de violence vise essentiellement à nuire aux relations interpersonnelles d’une personne en ayant recours à diverses tactiques comme la propagation de rumeurs, la dégradation, le rejet, le mépris et l’exclusion sociale. L’étude est menée auprès d’environ 200 filles âgées en moyenne de 12 ans et fréquentant des écoles primaires de la région de la Montérégie et de l’Estrie. Les collègues de classe, les parents et les enseignants de ces filles ont aussi participé à la recherche. L’objectif consiste à évaluer si les filles qui utilisent cette forme de violence accusent des difficultés d’adaptation particulières sur les plans comportemental, personnel et social. Les résultats montrent l’importance du dépistage précoce des conduites agressives des filles même si, à première vue, certaines formes plus subtiles de violence peuvent paraître anodines. Les filles qui manifestent de l’agressivité indirecte se caractérisent par des difficultés sérieuses dans leurs relations interpersonnelles et par des troubles intériorisés, dont la somatisation, l’anxiété et les tendances dépressives. Le message à retenir est le suivant : le recours à un large éventail de comportements déviants, dont l’agressivité indirecte, est essentiel afin de dépister efficacement les filles à risque de suivre des trajectoires d’inadaptation sociale. C’est donc dire que l’utilisation d’un instrument d’évaluation se limitant à l’agressivité physique ne reflèterait pas la juste réalité comportementale des filles en difficulté. Le second article, celui de Stack et ses collègues, a aussi comme point de départ l’agressivité des filles fréquentant l’école primaire. Cette fois, ce sont surtout les manifestations de violence physique qui retiennent l’attention. Cette étude s’inscrit dans l’enquête longitudinale sur les risques menée à l’Université Concordia. La richesse de cette étude est notoire : un échantillon intergénérationnel de 1 770 sujets, dont un sous-échantillon de plus de 200 filles dites très agressives, a été suivi de l’enfance à l’âge adulte sur une période de 30 ans. Les auteurs évaluent les conséquences à long terme de l’agressivité des filles, en fonction d’un éventail d’éléments psychosociaux et de santé. Il est notamment question des répercussions de l’agressivité durant l’enfance sur le rôle maternel et sur le développement de la prochaine génération d’enfants. Les résultats indiquent que l’agressivité des filles tend à mener vers des conséquences qui sont différentes de celles qui sont habituellement énoncées dans les études longitudinales conduites auprès d’échantillons masculins. La conclusion à retenir est la suivante : les filles agressives envers leurs pairs se caractérisent peu par des manifestations de délinquance et de criminalité à l’âge adulte. Elles s’orientent plutôt vers une trajectoire de troubles sociaux et de santé mentale …