Abstracts
Résumé
La libération conditionnelle, de même que la gestion des risques, sont deux thèmes que Pierre Landreville a régulièrement abordés dans ses nombreux travaux. Dans un premier temps, nous examinerons rapidement comment, en Belgique, après plus d’un siècle de fonctionnement sans bouleversements majeurs, la libération conditionnelle s’est retrouvée au centre de réformes importantes. Dans un deuxième temps, nous examinerons les décisions prises par les (anciennes) commissions de libération conditionnelle belges en nous penchant plus précisément sur un contentieux qui a connu, dans plusieurs pays européens, une importante augmentation, celui de la délinquance dite « sexuelle ».
Abstract
The release on parole, as well as the management of the risks, are two subjects which Pierre Landreville regularly approached on his numerous works. At first, we shall quickly examine how, in Belgium, after more than a century of functioning without major turnovers, the release on parole met itself in the centre of important reforms. In the second time, we shall examine the decisions taken by the (ancient) Belgian committees of release on parole by tilting us more exactly on a dispute which knew, in several European countries, an important increase, that of the “sexual” said crime.
Article body
Introduction
La libération conditionnelle, de même que la gestion des risques sont deux thèmes que Pierre Landreville a régulièrement abordés dans ses nombreux travaux. Si la question des risques de récidive se pose depuis l’introduction de modes de libération anticipée, elle a pris aujourd’hui une tournure quelque peu différente, précisément en référence à cette logique de « gestion des risques » soulignée par des auteurs comme Feeley et Simon (1992) dans l’analyse de ce qu’ils ont appelé la nouvelle pénologie. Sans pouvoir être comparée au Canada, notamment en raison de l’introduction récente d’instruments actuariels comme ceux utilisés par le Service correctionnel du Canada, la Belgique n’échappe pas à cette tendance. Dans un premier temps, nous examinerons rapidement comment, après plus d’un siècle de fonctionnement sans bouleversements majeurs, la libération conditionnelle s’est retrouvée au centre de réformes importantes. Dans un deuxième temps, nous examinerons les décisions prises par les (anciennes) commissions de libération conditionnelle belges en nous penchant plus précisément sur un contentieux qui a connu, dans plusieurs pays européens, une importante augmentation, celui de la délinquance dite « sexuelle ».
Une centenaire sérieusement bousculée par l’« affaire Dutroux »
Durant plus d’un siècle, la libération conditionnelle a été régie par une loi de 1888 ayant introduit une procédure exclusivement administrative. Après un (condamné primaire) ou deux (récidiviste) tiers de sa peine, le détenu pouvait demander sa libération conditionnelle et devait, pour l’obtenir, démontrer qu’il s’était amendé. Sa demande était alors examinée par la conférence du personnel, organe composé du ou des directeurs de la prison, du médecin anthropologue, du psychologue, de l’assistant social, du chef surveillant et, le cas échéant, de l’aumônier ou du conseiller moral. L’avis de la conférence, accompagné de celui du directeur, était transmis à l’administration centrale qui recueillait également celui du parquet ayant procédé aux poursuites et celui du parquet général, puis rendait son propre avis et transmettait l’ensemble du dossier au ministre qui, en dernière instance, décidait seul de l’octroi ou non de la libération. Une fois libéré, le condamné était tenu au respect d’une condition générale de bonne conduite et de conditions particulières fixées au cas par cas et ce, durant un délai égal au double de la peine restant à purger, ramené au terme de la peine en 1962, avec un minimum de deux ans (cinq ans pour les longues peines). En cas de récidive ou de non-respect des conditions, la libération pouvait être révoquée et le condamné purgeait le reste de sa peine. Dans ce cadre, la libération conditionnelle était conçue comme une faveur et était accordée avec parcimonie. Le problème s’est d’ailleurs régulièrement retrouvé au centre des revendications formulées lors des mouvements de détenus durant les années 1970 et 1980, sans que la loi ne soit pour autant réformée.
Au mois d’août 1996, l’éclatement de l’ « affaire Dutroux » – du nom de cet abuseur sexuel ayant commis certains de ses méfaits alors qu’il se trouvait en libération conditionnelle – va cependant modifier sensiblement le cours des choses. Tout d’abord, un certain nombre de mesures vont être prises à l’égard de ce que l’on prendra l’habitude d’appeler les « délinquants sexuels », en particulier pour renforcer leur contrôle et leur traitement (suspension des libérations provisoires et installation d’unités d’orientation et de traitement spécialisées dans ce type de délinquance). Ensuite, poussé par une pétition ayant rassemblé plus de deux millions de signatures, le Parlement évoqua la question de l’instauration de peines incompressibles dans l’arsenal pénal[1] ; le gouvernement refusa de s’engager dans une telle voie, mais entreprit la réforme de la loi de 1888 dont il saisit le Sénat en mars 1997 et la Chambre en juin de la même année, et dont l’objet principal était de rencontrer deux problèmes relevés par l’affaire Dutroux : la procédure de décision (en référence aux critiques dont le ministre de la Justice fit l’objet pour avoir accordé une libération conditionnelle à l’intéressé) et le contrôle des libérés (en référence aux lacunes de celui-ci durant la libération de l’intéressé). Menée dans l’urgence, cette réforme aboutit, en mars 1998, à l’adoption d’une nouvelle législation réformant toute la procédure en la matière et instituant des commissions pluridisciplinaires chargées de statuer en lieu et place du ministre de la Justice. La réforme fut présentée comme provisoire dans l’attente de la création de tribunaux de l’application des peines.
La nouvelle procédure comprenait deux étapes, renvoyant chacune à un organe de décision : la conférence du personnel et la commission de libération conditionnelle. Trois mois avant la date d’admissibilité du condamné à la libération, la conférence du personnel devait vérifier si les conditions d’octroi étaient remplies. Dans la négative, elle reportait l’examen du dossier dans un délai de six mois (un an pour les condamnés à perpétuité). Cet avis, motivé, était notifié au condamné, à la commission et au ministre, et n’était susceptible d’aucun recours ; toutefois, si la conférence estimait trois fois de suite que les conditions n’étaient pas remplies, le détenu pouvait demander au directeur de saisir la commission. Si l’avis de la conférence était positif, le directeur de l’établissement rédigeait une proposition de libération qui était transmise par le ministre de la Justice, dont l’administration remettait son avis, accompagnée de l’avis du parquet, à la commission de libération conditionnelle compétente. Innovation majeure de la réforme, ces commissions étaient composées d’un juge effectif du tribunal de première instance et de deux assesseurs, l’un spécialisé en matière d’exécution des peines, l’autre en matière de réinsertion sociale.
À l’examen de la nouvelle législation, les analystes ont rapidement souligné qu’elle manifestait un durcissement des modalités d’octroi de la libération, en particulier dans le contentieux des faits de moeurs (Mary, 1998 ; Reynaert, 1999 ; Snacken et Tubex, 1999), libération de plus en plus appréhendée en termes de réduction des risques (Mary, 1999), soit, pour reprendre le titre d’une conférence de Pierre Landreville, un passage « de l’intégration sociale à la gestion de risques » (Landreville, 2004). À cet égard, deux dispositions méritent d’être mentionnées ici et sur lesquelles nous reviendrons : si le condamné subit une peine pour des faits de moeurs[2], non seulement l’avis motivé d’un service spécialisé dans la guidance ou le traitement de ce type de délinquance doit figurer dans le dossier soumis à la commission de libération conditionnelle, mais, en cas de libération, la commission doit imposer la condition de suivre une guidance ou un traitement dans un service spécialisé. L’accent ainsi mis sur la gestion des risques conduisit aussi à la redéfinition de la fonction psychosociale en prison, de plus en plus orientée vers l’expertise au détriment de l’aide sociale proprement dite :
Apporter une assistance professionnelle aux autorités compétentes, en vue d’éviter que ne soient mis ou laissés en liberté des délinquants potentiellement dangereux et de contribuer à un déroulement satisfaisant des mesures restrictives de liberté, en suivant les principales étapes du parcours pénal des délinquants, en évaluant leur niveau d’intégration psychosociale quand cela est nécessaire et en les aidant, dans la mesure où cela est nécessaire et/ou possible, à améliorer ce niveau d’intégration[3].
Advies-Bureau-Conseil, 1995 : 33
L’évolution récente des conceptions en matière de libération conditionnelle est un indicateur emblématique du poids pris aujourd’hui par la gestion des risques et, sur la base des rapports d’activités de la plateforme de concertation relative à la libération conditionnelle[4], quelques enseignements peuvent être tirés à propos des avis rendus et des décisions prises dans le cadre de la procédure instaurée par la loi de 1998. On précisera que celle-ci vient d’être abrogée avec l’adoption d’une loi sur le statut externe des condamnés et l’instauration des tribunaux de l’application des peines qui, depuis le 1er février 2007, ont repris les compétences des commissions de libération conditionnelle. Ce changement est d’importance, mais il ne nous semble pas sans intérêt d’examiner certaines pratiques antérieures, d’autant plus que, comme on le verra, s’y observent certains effets inattendus, en particulier s’agissant des condamnés pour faits de moeurs.
La libération conditionnelle des condamnés pour faits de moeurs : une « bonne » gestion des risques et un déplacement des énergies ?
De 1999 (année d’entrée en vigueur de la loi) à 2004, les rapports de la plateforme ont publié les chiffres des avis rendus et des décisions prises en matière de libération conditionnelle par les conférences du personnel, le ministre (en fait, un service ad hoc de l’administration pénitentiaire) et les commissions de libération conditionnelle. Nous les avons regroupés en un seul tableau, en y ajoutant les pourcentages, tableau qu’on lira en ayant à l’esprit qu’il s’agit du nombre de dossiers traités durant l’année par chaque instance et que ces données ne peuvent donc être lues comme la trajectoire des mêmes dossiers durant une année. En outre, nous ne mentionnons les chiffres de 1999 que pour mémoire car il s’agit de l’année d’entrée en vigueur de la loi (au 1er mars), marquée par de nombreux problèmes de fonctionnement de la nouvelle procédure, notamment faute de dispositions transitoires.
Comme cela fut souligné dès l’adoption de la loi, on remarque tout d’abord que les conférences du personnel, qui peuvent bloquer un dossier par un avis négatif, jouent leur rôle de filtre et ce, de manière pour le moins importante puisque leur avis est négatif en moyenne dans quatre cas sur cinq[5]. Les avis du ministre (non susceptibles de blocage du dossier) sont en moyenne relativement partagés (un peu plus d’un avis positif sur deux) et, pour leur part, les commissions de libération conditionnelle ne rejettent en moyenne que deux dossiers sur cinq. Cette moyenne est confortée par le fait que, pour chaque instance, les pourcentages d’avis et de décisions restent singulièrement stables de 2000 à 2004, y compris pour les refus, entre 79 et 81 % pour les conférences du personnel et entre 38 et 41 % pour les commissions de libération conditionnelle. Au total, la sélection continue à être sévère avec pour résultat que la libération conditionnelle reste une modalité marginale de sortie, représentant, bon an mal an, moins de 15 % des libérations de détenus condamnés. La question est d’autant plus délicate que la surpopulation pénitentiaire croissante qui touche les prisons belges est largement imputable à l’allongement des peines (Snacken, 1999) et que, dans ce processus, est notamment pointée l’influence de la survenance plus tardive d’une libération conditionnelle[6], de surcroît proportionnelle à la longueur des peines[7].
Les rapports de la plate-forme fournissent des données en ce qui concerne les condamnés pour faits de moeurs. Il est intéressant de souligner qu’il s’agit de la seule catégorie de condamnés pour laquelle les données sont précisées, sans que les raisons d’une telle sélection ne soient exposées. L’hypothèse de la pression exercée par la focalisation politique et médiatique sur ce contentieux est d’autant plus plausible que, statistiquement, cette sélection ne se justifie guère. En effet, sur l’ensemble des dossiers de libération conditionnelle dont sont saisies les conférences du personnel, ce type de dossier représente en moyenne moins de 3 %, comme l’indique le tableau 2[8]. On précisera que ces données sont fournies par le ministère de la Justice (pour les avis des conférences du personnel et du ministre), mais pas par les commissions de libération conditionnelle, ce qui laisserait supposer que celles-ci résistent peut-être mieux à la pression que l’administration ou témoignent ainsi d’une plus grande indépendance.
Cette relative constance du nombre de dossiers de libération conditionnelle de condamnés pour faits de moeurs, voire la diminution constatée entre 2000 et 2003, surprend dès lors que le nombre de ce type de détenus a augmenté ces dernières années. Selon Rihoux et Brion (2000 : 19), il a été multiplié par trois durant les années 1990 pour atteindre 15 % de la population pénitentiaire et une étude plus récente fait état de 17,5 % en novembre 2003 (Lomastro, 2005 : 711). Cette même étude indique cependant que près de 60 % d’entre eux sont internés sous le régime de la loi de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels, que plus de 20 % sont en détention préventive et qu’environ 18 % sont des condamnés. En fait, les chiffres avancés par l’auteur sont vraisemblablement erronés, ne serait-ce que parce que le nombre d’internés mentionné est supérieur au nombre total d’internés[9]. Les proportions permettent cependant de poser une première hypothèse : le petit nombre de dossiers de libération conditionnelle concernant des condamnés pour affaire de moeurs s’expliquerait par le petit nombre de condamnés, seule des trois catégories à être concernée par la libération conditionnelle. Deux autres hypothèses, au demeurant compatibles, peuvent encore être avancées. D’une part, un certain nombre de ces condamnés seraient condamnés à des peines inférieures à trois ans et ne seraient donc pas non plus concernés par la libération conditionnelle[10]. D’autre part, un certain nombre de ces condamnés préféreraient aller jusqu’à la fin de leur peine pour éviter le contrôle pénal que suppose la libération conditionnelle ; le constat tend à se faire récurrent dans le discours d’un certain nombre de praticiens, mais nécessiterait une vérification empirique plus poussée[11]. Enfin, on peut se demander si certains praticiens ne sont pas dépassés par la lourdeur des investigations psychosociales requises, a fortiori les praticiens peu expérimentés qui composeraient une bonne partie du personnel psychosocial, à voir la fréquence des changements de personnel, ce qui pourrait alors expliquer les retards de transmission des dossiers en conférence du personnel et constituer une quatrième hypothèse expliquant le petit nombre de dossiers de libération conditionnelle[12].
Si l’on se tourne vers les avis de la conférence du personnel et du ministre pour ce type de dossiers, un autre constat intéressant apparaît.
Au vu de l’évolution de la libération conditionnelle mentionnée dans la première partie de cet article et de l’impact du contentieux des faits de moeurs dans cette évolution, on se serait logiquement attendu à ce que la sévérité des conférences du personnel s’accroisse. Or, au contraire, on observe une inversion radicale de la proportion de refus par rapport à l’ensemble du contentieux puisque seul un dossier sur quatre fait l’objet d’un avis négatif, contre quatre sur cinq sur l’ensemble du contentieux. Du côté du ministre par contre, l’équilibre des avis tend ici à pencher un peu plus en faveur des avis négatifs. Autrement dit, dans ce contentieux considéré comme à risque, les conférences du personnel seraient plus enclines à émettre des avis positifs. Pour comprendre ce surprenant revirement, plusieurs hypothèses peuvent être avancées, qui, toutes, soulignons-le, nécessiteraient une vérification empirique plus poussée.
Une recherche sur les commissions de libération conditionnelle a mis en évidence que les principales garanties de réinsertion examinées par celles-ci pour évaluer le risque de récidive étaient, au demeurant sans grande surprise, « un lieu d’accueil sûr (logement), un entourage stable et solide (famille, amis), des revenus réguliers (travail ou revenus de remplacement garantis), un emploi du temps structuré (par un travail, une formation ou d’autres types d’activités) et une guidance ou un traitement complémentaire adapté concrètement à la problématique sous-jacente » (Maes, 2003 : 225). À entendre certains professionnels de la prison, les condamnés pour faits de moeurs offriraient de ce point de vue davantage de garanties que la moyenne des détenus. D’une part, outre un comportement plus conformiste en détention, leurs possibilités de réinsertion seraient plus importantes (qu’il s’agisse de logement, de revenus ou de soutien de l’entourage, que certains relient au fait qu’il s’agit d’une population plus âgée, donc relativement mieux insérée). D’autre part, la qualité des rapports psychosociaux serait supérieure par rapport aux dossiers des autres détenus, pour peu d’ailleurs que ceux-ci disposent de tels rapports[13]. Il se pourrait en effet que, les dossiers de libération conditionnelle des condamnés pour faits de moeurs devant contenir l’avis d’un service spécialisé et une guidance, étant une condition obligatoire pour la libération de ces condamnés, les services psychosociaux entament plus tôt que dans les autres cas la préparation de la libération, que des congés pénitentiaires soient accordés pour permettre des contacts avec un thérapeute dont le nom figurera ainsi plus facilement au dossier, voire qu’une thérapie soit entamée durant l’incarcération. La plate-forme semble confirmer cette hypothèse lorsqu’elle souligne que « les commissions [de libération conditionnelle] apprécient la politique de l’administration pénitentiaire qui consiste à accorder des facilités aux condamnés pour leur permettre de passer un entretien préliminaire en vue de suivre le traitement ou la guidance nécessaire et de l’entamer effectivement dès la détention. De même, la conclusion de conventions entre le condamné – qu’il s’agisse d’un délinquant sexuel ou pas –, l’[assistant de justice] et le représentant de l’équipe de santé spécialisée, préalablement à l’examen du dossier par la commission, constitue un élément positif » (Plate-forme de concertation relative à la libération conditionnelle, 1999 : 47).
Comme on l’a indiqué, les rapports de la plate-forme ne fournissent pas les chiffres relatifs aux décisions prises dans ce contentieux. Si, à titre indicatif, on fait l’hypothèse minimaliste que la proportion de décisions négatives et positives est identique à celle de l’ensemble du contentieux (40 % de refus et 60 % d’octrois), on obtient les chiffres suivants.
Dans un mode de libération déjà marginal, le contentieux des affaires de moeurs représente une part infime de celui-ci, mais, si notre simulation est proche de la réalité, il serait surreprésenté dans le nombre de libérations conditionnelles accordées (en moyenne, un peu plus de 11 %).
Conclusion
Si un certain nombre de propositions faites dans cet article sont d’ordre hypothétique et mériteraient évidemment d’être approfondies, il est au moins deux éléments de nature plus objective : seuls 3 % des dossiers de libération conditionnelle concernent des condamnés pour faits de moeurs ; il existe une inversion radicale de la proportion d’avis positifs et négatifs émis par les conférences du personnel au bénéfice de ces condamnés. Ceci permet d’avancer trois conclusions. Premièrement, ce très faible pourcentage de dossiers concernant des condamnés pour faits de moeurs, de même que le petit nombre absolu de ceux qui seraient finalement libérés permet de relativiser l’importance politique et médiatique accordée à cette question. Deuxièmement, à voir la proportion d’avis positifs remis par les conférences du personnel, on peut considérer que le système mis en place fonctionne bien pour ces condamnés et que l’organisation d’un certain suivi médico-psychosocial permet, d’une part, que la question de la gestion des risques ne se pose pas majoritairement en termes de neutralisation et, d’autre part, que la libération conditionnelle reste une modalité de l’exécution de la peine considérée comme opportune. Dans la suite et en complément de la première conclusion, ceci conduit à douter de l’utilité, autre que médiatique et électoraliste, de propositions diverses et récurrentes faites en la matière, spécialement par les partis de droite, telles que l’allongement de la partie incompressible des peines prononcées pour de tels faits, l’implant électronique pour une surveillance électronique par GPS de ce type de condamnés ou la création de bases de données les reprenant et mises à la disposition de divers pouvoirs publics, y compris sur le plan communal. Mais, troisièmement, si la libération conditionnelle a été réformée et son accès rendu plus difficile en 1998 à la suite de l’affaire Dutroux et donc, en référence au problème des condamnés pour faits de moeurs, c’est l’écrasante majorité des autres condamnés (97 % des dossiers) qui en subissent les conséquences puisque les avis en matière de libération conditionnelle leur sont nettement moins favorables. Si l’hypothèse de l’attention privilégiée dont bénéficient les condamnés pour faits de moeurs de la part des services psychosociaux se vérifie, il y aurait alors un déplacement des énergies au détriment d’une majorité de détenus livrés ainsi à eux-mêmes pour la préparation de leur libération conditionnelle. Or, face aux garanties de réinsertion examinées pour évaluer le risque de récidive, ceux-ci ne disposent que rarement des capitaux nécessaires (économique, social, culturel…) pour, au-delà de la gestion de leur quotidien, envisager leur reclassement et, de ce fait, ils en viennent finalement à être considérés comme des personnes « à risque », qui « n’y comprennent rien » ou sont de mauvaise foi, objets d’incessants soupçons (De Coninck et al., 2005 : 177-185).
Au total, le cas des condamnés pour faits de moeurs tend peut-être à montrer, étonnamment, que l’« obsession de la récidive » peut être endiguée et, comme le soulignait Pierre Landreville en conclusion d’une étude sur le sujet, « ce n’est qu’en écartant ‘l’obsession de la récidive’ et en réduisant et en contrôlant les activités du système pénal que l’on pourra tendre vers une politique sociale plus juste et plus humaine » (Landreville, 1982 : 386).
Appendices
Notes
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[1]
On notera que les termes du débat furent en fait quelque peu différents puisque, avec les seuils d’un ou deux tiers de la peine pour accéder à la libération conditionnelle, cette partie de la peine est incompressible. Il s’agissait en fait, pour les partisans de cette option, de relever ces seuils.
-
[2]
Il s’agit des faits visés aux articles 372 à 378 (attentat à la pudeur et viol) ou aux articles 379 à 386 ter du Code pénal (corruption de la jeunesse, prostitution et outrages publics aux bonnes moeurs) lorsque ceux-ci ont été commis sur des mineurs ou ont impliqué leur participation. L’appellation de « délinquants sexuels » étant une notion fourre-tout, ne correspondant ni à une catégorie clinique, ni à une catégorie juridique, nous utiliserons celle, moins connotée, de « condamnés pour faits de moeurs ».
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[3]
Cette définition fut ensuite reprise officiellement pour définir la fonction du service psychosocial.
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[4]
Ci-après « plate-forme ». Les rapports (de 1999 à 2004) sont disponibles sur le site du SPF Justice (www.just.fgov.be/index_fr.htm) à la rubrique « juridictions administratives ». Cette plate-forme, ainsi que les rapports qu’elle a publiés, sont issus d’un arrêté royal du 10 février 1999 qui stipulait que « les présidents des commissions et les directeurs généraux de la Direction générale des Établissements pénitentiaires et de la Direction générale de l’Organisation judiciaire ou leurs suppléants respectifs se réunissent au moins deux fois par an pour se concerter et échanger des informations sur l’application de la loi relative à la libération conditionnelle et de la loi instituant les commissions, ainsi que dans la perspective de la rédaction d’un rapport d’activité annuel ayant trait à leurs travaux et ceux des commissions » (art. 11).
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[5]
À noter que la loi sur le statut externe des condamnés entrée en vigueur le 1er février 2007 met fin à cette situation puisque la conférence du personnel ne remettra à l’avenir un avis, non susceptible de blocage du dossier, que si le condamné demande à être entendu par elle.
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[6]
Le nombre moyen de mois entre la date d’admissibilité à la libération conditionnelle et la date de libération effective n’a cessé d’augmenter entre 1992 et 1999, passant de 4,4 à 8 mois (Maes, 2002 : 220, en référence à Rihoux, Brion, 2000).
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[7]
En 1999, 14,1 mois pour les peines criminelles, 8,8 mois pour les peines correctionnelles de plus de cinq ans et 7,1 mois pour les peines correctionnelles de trois à cinq ans (Maes, 2003 : 221).
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[8]
Sauf indications contraires, les données figurant dans les tableaux sont donc tirées des rapports de la plate-forme.
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[9]
Par exemple, l’auteur mentionne 839 internés (pour faits de moeurs) en mars 2000, alors que le total des internés était de 640.
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[10]
Avant la création des tribunaux d’application des peines, cette catégorie de détenus faisait l’objet de libérations dites « provisoires », décidées par l’administration et non par les commissions de libération conditionnelle. Les données disponibles ne permettent cependant pas de vérifier cette hypothèse.
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[11]
Maes (2003 : 221) indique cependant qu’après une importante diminution dans les années 1980, les libérations en fin de peine, tout en restant minoritaires, ont repris leur croissance dans les années 1990.
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[12]
Nous remercions Christophe Adam, assistant à l’UCL, pour avoir attiré notre attention sur cette question. La question des retards dans ce type de dossiers est d’ailleurs un problème soulevé par la plate-forme, surtout lors de l’entrée en vigueur de la loi.
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[13]
Nous remercions Valérie Lebrun, directrice de prison, pour les éclairages qu’elle nous a fournis sur cette question.
Références
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- De Coninck, F., Cartuyvels, Y., Franssen, A., Kaminski, D., Mary, Ph., Réa, A., & Van Campenhoudt, L. (En coll. Toro, F., Hubert, G., Hubert, H.-O., & Schaut, Ch.) (2005). Aux frontières de la justice, aux marges de la société. Une analyse en groupes d’acteurs et de chercheurs. Gand : Academia Press – Politique scientifique fédérale.
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