Introduction[Record]

  • Mylène Jaccoud

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  • Mylène Jaccoud
    Professeure titulaire, Centre international de criminologie comparée, Université de Montréal
    mylene.jaccoud@umontreal.ca

La surreprésentation des Autochtones dans les établissements correctionnels et les défis posés par l’intervention de policiers allochtones dans les réserves ont été les premiers thèmes explorés par la criminologie à la fin des années 1960. Depuis, la recherche criminologique relative aux Autochtones est solidement ancrée au Canada, en particulier dans les provinces de l’Ouest. Cet ancrage s’explique par la plus forte concentration démographique des Autochtones, mais également par leur surreprésentation alarmante dans les prisons et pénitenciers. On doit rappeler que cette population représente 18 % des admissions dans les établissements fédéraux et que certains établissements de détention provinciale du Manitoba et de la Saskatchewan comptent plus de trois quarts de détenus d’origine autochtone (alors que les Autochtones ne représentent que 4 % de la population canadienne). Si le thème de la surreprésentation des Autochtones est récurrent dans les travaux en criminologie depuis quatre décennies, les objets de recherche se sont, fort heureusement, diversifiés sous l’effet conjugué du regard posé par les autres disciplines (notamment l’anthropologie), mais aussi des pressions exercées par les Autochtones désireux de ne plus être considérés comme des sujets passifs de recherche. Au Québec, la contribution de la criminologie à l’étude des questions autochtones est plus modeste. On répertorie des travaux sur l’administration de la justice en milieu cri (Brodeur, LaPrairie et McDonnell, 1991) et inuit (Finkler, 1975 ; Jaccoud, 1995), sur la détention (Jaccoud, 1986 ; Brassard, 2004), sur l’intervention auprès des jeunes contrevenants autochtones (Bélanger, 1992), sur les problématiques sociales des populations autochtones vivant en milieu urbain (Zambrowsky-Cross, 1986 ; Jaccoud et Brassard, 2003), sur les pratiques traditionnelles de résolution de conflits et la justice réparatrice (Rouland, 1983 ; Jaccoud, 1999) et sur la gouvernance en matière de régulation pénale (Jaccoud et Johnson, 2007). La publication d’un numéro thématique de Criminologie consacré aux questions autochtones est un signe encourageant. Elle témoigne de l’existence d’une relève universitaire désireuse de contribuer à la construction d’un corpus théorique et empirique qui fait cruellement défaut au Québec. Les lecteurs constateront que cette relève n’est pas que criminologique. Les champs disciplinaires auxquels sont attachés les collaborateurs conviés à participer à ce numéro thématique sont diversifiés. La criminologie se voit en effet enrichie par l’apport de l’anthropologie, du travail social, de la psychoéducation et de la sociologie. Le numéro présente une vision panoramique de ce que nous avons convenu d’appeler les « régulations sociopénales » en milieu autochtone. Cette perspective transversale permet de présenter des problématiques et des réflexions situées autant en amont qu’en aval de la régulation pénale formelle. C’est ainsi que nous ouvrons ce numéro avec deux articles qui abordent le thème de la surconsommation d’alcool et de drogues en milieu autochtone dans deux perspectives différentes. Natacha Brunelle, Chantal Plourde, Michel Landry et Annie Gendron présentent les résultats d’une enquête qualitative menée au Nunavik sur les raisons et les effets de la « consommation de substances psychoactives ». Le volet qualitatif de cette étude comporte 108 entretiens qualitatifs semi-dirigés auprès de jeunes, de parents, de leaders et d’Aînés de quatre communautés inuites. Les auteurs se sont intéressés à la perspective des acteurs pour tenter de situer les motivations à consommer et les conséquences de cette consommation dans leur expérience de vie. Les explications avancées par les répondants ne surprennent guère : il est question d’ennui et du manque d’activités au sein des communautés, de modes d’adaptation aux problèmes de pauvreté, de violence et de suicide, de conséquences directes de la colonisation eurocanadienne. La place de la violence dans les relations interpersonnelles est importante dans le discours des interviewées qui y voient une des conséquences majeures de la surconsommation d’alcool …

Appendices