Jean-Paul Brodeur

La Crise d’octobre et les commissions d’enquête (1980)[Record]

  • Jean-Paul Brodeur

Note introductive

Les enquêtes publiques, affirme Jean-Paul Brodeur, tout comme l’incarcération ou les programmes de réhabilitation, constituent des objets de réflexion sur les divers moyens par lesquels une société réprime le comportement qu’elle juge délictueux. Or, elles constituent souvent des « pratiques d’impasse », puisqu’elles ne produisent que rarement un savoir neuf à ceux qui les commandent. En dépit de cet échec, les enquêtes constituent paradoxalement une pratique répandue, face à laquelle Jean-Paul Brodeur suggère qu’« ou bien cette reprise opiniâtre de pratiques d’impasse témoigne de la finitude des solutions qui peuvent être apportées à la résolution de certains problèmes sociaux, comme la répression de la délinquance, ou bien, au contraire, l’échec bruyamment dénoncé n’est qu’apparent, et il remplit une fonction déterminée et peut-être essentielle » (Brodeur, 1984 : 219)1. Également, ces enquêtes constituent des « pratiques d’inversion ». Au lieu d’instaurer un contrôle social qui satisfasse aux exigences ordinaires d’éthique, elles produisent, au contraire, des effets inverses en révélant, par exemple, une tolérance face à la délinquance des politiciens tout en dénonçant la tolérance des policiers. Et Jean-Paul Brodeur de se demander : « cette inversion provient-elle de ce que les projets du pouvoir politique échappent à son contrôle, ou faut-il au contraire voir en elle l’exercice d’une volonté diffuse qui occulte constamment ses intentions réelles ? » (Brodeur, 1984 : 219). Ces questionnements reflètent une dimension centrale des travaux de Jean-Paul Brodeur sur les enquêtes publiques et permettent d’appréhender cet exercice démocratique sous un oeil plus informé : davantage que la constitution d’un savoir nouveau, dont la réalité se mesurerait par son degré de coïncidence avec la situation dont il est censé rendre compte, les commissions d’enquête évoquent plutôt une fonction politique tenant d’elle-même sa propre spécificité : elles s’insèrent « dans une stratégie partisane pour s’approprier ou pour conserver le pouvoir de gérer les affaires publiques à un palier du gouvernement » (Brodeur, 1984 : 218), dont le présent texte en constitue une illustration.

SamuelTanner

Professeur, École de criminologie, Université de Montréal

Chercheur régulier, Centre international de criminologie comparée (CICC)

samuel.tanner@umontreal.ca

Appendices