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Introduction

Lorsqu’il s’agit de droits et spécialement des droits et libertés, la vraie question est celle de savoir comment, pour reprendre le beau titre de Dworkin (1977) « prendre ces droits au sérieux ». Les droits fondamentaux ne sont ni une idéologie ni un système de pensée. Pour être porteurs de sens dans la vie des personnes et des sociétés, ils doivent être traduits en action. La reconnaissance des droits est donc inséparable des mécanismes destinés à assurer leur mise en oeuvre. C’était l’intuition fondamentale de ceux qui ont pensé et voulu la Convention européenne des droits de l’homme signée à Rome par les douze pays fondateurs du Conseil de l’Europe le 4 novembre 1950 et entrée en vigueur en 1953.

Après la chute du mur de Berlin en 1989, la Convention européenne des droits de l’homme s’est progressivement ouverte aux pays d’Europe centrale et orientale. Aujourd’hui, elle a été ratifiée par 47 États européens, la « maison commune européenne » pour reprendre les termes de Gorbatchev, qui s’étend de Vladivostok à Coimbra et qu’il importe d’arrimer fermement aux principes de pluralisme, de tolérance et d’esprit d’ouverture « sans lesquels il n’est pas de société démocratique » (Handyside c. Royaume-Uni, 1976, § 49).

Si les droits de l’homme constituent ainsi un socle de principes sur lesquels la démocratie se construit, l’article 1 de la Convention vient sceller la responsabilité des États. Ceux-ci « reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la Convention ». Il s’agit d’une obligation forte aux conséquences multiples et dont le respect est assuré par la Cour européenne des droits de l’homme qui, depuis 1998, est une institution judiciaire à part entière. Cette obligation qui pèse sur les États servira notamment de fondement à l’interprétation des droits et libertés de la Convention par la Cour, une interprétation finaliste/téléologique qui doit donner aux droits garantis leur pleine effectivité et qui ouvre la voie à une interprétation évolutive et dynamique pour faire de la Convention un instrument vivant, adapté aux réalités actuelles. Comme la Cour le répète souvent, les droits de la Convention doivent être concrets et effectifs et non pas « théoriques et illusoires ».

Au fil des années, la Cour est devenue une véritable courroie de transmission entre des valeurs générales, telles que celle de dignité humaine, et les situations individuelles dont elle est saisie. C’est ce caractère complexe des droits de l’homme relevant du « juridique » et participant à « l’éthique » qui les rend particulièrement intéressants dans le domaine qui nous occupe.

La Cour intervient dans la logique du principe de la subsidiarité après que le requérant ait épuisé toutes les voies de recours internes afin de laisser aux juridictions nationales la possibilité de redresser et de corriger les violations des droits fondamentaux. Le premier juge des droits et libertés est le juge national. La Cour est en fait dans la position du tiers, appelée non pas à se substituer aux autorités nationales mais à exercer un contrôle externe, ce qui constitue une garantie classique instaurée par le droit international public. Elle s’appuie sur la Convention, bien sûr, mais aussi sur d’autres dispositifs qui existent au sein du Conseil de l’Europe, qu’il s’agisse des règles pénitentiaires européennes ou des recommandations et résolutions du Comité des ministres et de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ainsi que de la Convention pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, dont le mécanisme de contrôle incombe au Comité européen pour la prévention de la torture[2].

À la différence d’autres mécanismes de protection des droits, notamment sur la scène universelle[3], la Convention européenne des droits de l’homme ne comprend pas de dispositions spécifiques relatives à la situation des personnes privées de liberté, à fortiori malades. La protection offerte par la Convention aux personnes privées de liberté devient de plus en plus importante et substantielle depuis que la Cour a expressément reconnu que les personnes détenues continuent de jouir de tous les droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention à l’exception du droit à la liberté quand il entre dans le champ d’application de l’article 5[4]. Plusieurs de ces droits et libertés ont en outre une vocation directe à pénétrer le milieu carcéral. Concrètement, le contentieux des requêtes relatives au statut juridique interne des détenus est, au prorata du total des affaires pendantes devant la Cour, particulièrement volumineux[5] et il en résulte une jurisprudence abondante et détaillée[6].

Une protection absolue et une approche réaliste

L’article 3 de la Convention interdit la torture et toute peine ou traitement inhumain et dégradant. La Cour le répète depuis toujours et inlassablement : cette interdiction concerne l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques ; elle est absolue et vaut en toutes circonstances[7]. Le principe philosophique qui sous-tend le caractère absolu du droit consacré à l’article 3 ne souffre aucune exception ni aucune justification et il ne permet aucune mise en balance des intérêts, quels que soient les agissements de la personne concernée et la nature de l’infraction qui pourrait lui être reprochée[8].

Protection intangible donc même si, paradoxalement, il est de jurisprudence constante que, pour tomber sous le coup de l’article 3, un traitement donné doit atteindre un seuil minimal (threshold) de gravité. Il a été maintes fois jugé par la Cour que l’appréciation de celui-ci est relative et dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la nature et du contexte du traitement, de ses modalités d’exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou psychiques ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (Kudła c. Pologne [GC], 2000, § 91). Les interrogations que soulève l’approche relative d’une interdiction absolue (Belda, 2010 ; Callewaert, 1995) et les obstacles qui en découlent quant à l’administration de la preuve des traitements incompatibles et de leurs effets n’ont heureusement que peu de prise dans le domaine qui nous occupe. Très sensible à la vulnérabilité des personnes détenues en général et à la situation d’incapacité de celles qui souffrent de troubles mentaux en particulier, la Cour a largement abaissé le seuil de gravité requis par l’article 3 et a assoupli les règles classiques d’administration de la preuve.

Un seuil de gravité abaissé

Déjà, dans l’affaire Aerts c. Belgique (1998, § 66), appelée à examiner si les conditions de détention du requérant dans l’annexe psychiatrique d’une prison étaient compatibles avec l’article 3, la Cour accepta le principe qu’il n’était pas raisonnable d’attendre d’une personne souffrant de troubles mentaux qu’elle donne une description détaillée et cohérente de ce qu’elle a souffert lors de sa détention. Dans ces conditions, faire peser sur le requérant le fardeau de la preuve est, selon la Cour, trop formaliste et n’est pas réaliste.

Dans l’affaire Keenan c. Royaume-Uni[9] (2001, § 111), la Cour affina son raisonnement. Le cas portait sur l’incapacité des autorités à protéger la vie d’un détenu souffrant de troubles mentaux chroniques. Dans le cadre de l’évaluation des souffrances endurées par l’intéressé, la Cour affirma que le fait de discerner avec certitude l’impact de la détention ou de la maladie sur l’état de santé n’était pas décisif pour trancher la question de savoir si les autorités avaient respecté leurs obligations au titre de l’article 3. Dans ce cas, la prise en compte des effets de la mesure, pourtant en principe déterminante dans l’appréciation du seuil de gravité dans d’autres situations, s’efface.

De manière plus nette encore, à l’occasion de l’affaire Rivière c. France (2006), dans laquelle une expertise avait révélé, en cours de détention, d’importants problèmes psychiatriques chez un condamné à la peine perpétuelle, la Cour n’examina tout simplement pas l’impact de la détention sur l’état de santé du requérant, cet impact étant supposé, voire présumé.

Cette approche jurisprudentielle est désormais bien acquise. Lorsqu’elle est amenée à vérifier la compatibilité avec l’article 3 de la Convention des conditions en détention d’une personne souffrant de troubles mentaux, la Cour objectivise d’emblée sa démarche en admettant que la nature même de ces troubles rend les personnes concernées plus vulnérables que les détenus ordinaires et que le seul fait de leur détention en prison l’oblige à vérifier si celle-ci a lieu dans des conditions conformes à la dignité humaine[10].

Une souplesse pragmatique

L’objectivisation du risque encouru entraîne un corollaire évident : celui d’atténuer le principe affirmanti incumbit probatio (la preuve incombe à celui qui affirme). Ainsi, afin d’échapper à sa mise en cause sous l’angle de l’article 3, le gouvernement belge, dans l’affaire Claes c. Belgique (2013, §§ 83, 93 et 94), faisait valoir que le requérant, détenu depuis près de vingt ans dans l’annexe psychiatrique d’une prison, n’apportait pas la preuve matérielle de l’absence de soins appropriés à son état. Loin d’y voir un obstacle à l’application de l’article 3, la Cour rappela sa démarche, à savoir que la charge de la preuve est, dans une telle situation, renversée et qu’il appartient au gouvernement de démontrer qu’un traitement approprié à la pathologie du requérant lui avait été prodigué. Cette approche était d’ailleurs largement cautionnée par le constat, tant à l’échelle nationale qu’européenne, de l’inadéquation du placement en annexe psychiatrique et de la carence des autorités à prendre des mesures adaptées.

L’arrêt Z.H. c. Hongrie (2013, §§ 30-33) est encore plus illustratif de cette démarche. L’affaire concernait l’arrestation et l’incarcération d’un jeune homme sourd-muet, incapable de communiquer, sauf avec sa mère, et souffrant de déficiences intellectuelles. Au départ du constat que le requérant appartenait sans conteste à un groupe particulièrement vulnérable et que le gouvernement ne s’était pas acquitté de son obligation quant à la charge de la preuve, la Cour conclut, au terme d’un bref raisonnement, que l’isolement et l’impuissance que le requérant avait inévitablement dû éprouver en raison de ses handicaps, associés à son incompréhension de la situation et de la vie en prison, l’avaient exposé à des sentiments d’angoisse et d’infériorité. En outre, bien que les allégations du requérant concernant son agression par d’autres détenus ne fussent pas étayées, la Cour considéra qu’il aurait été extrêmement difficile à une personne dans sa situation de porter de tels incidents à l’attention des gardiens car cela aurait pu accroître les craintes et la vulnérabilité de l’intéressé.

Cette objectivisation a également un impact en amont de l’examen au fond d’une affaire. Au gouvernement français qui soulevait dans l’affaire G. c. France (2012, §§ 60-67) une exception de non-épuisement des voies de recours internes, la Cour répondit que, s’il était exact que le requérant n’avait pas demandé sa libération au juge de l’application des peines en raison de la dégradation de son état de santé mental, son grief était lié, en substance, à la qualité des soins fournis et s’apparentait donc, compte tenu de la situation d’offres de soins psychiatriques dans les prisons françaises, à un grief d’ordre structurel que le recours préconisé par le gouvernement n’aurait de toute façon pas permis de redresser[11].

Enfin, pour déterminer de manière plus souple si le seuil de gravité de l’article 3 a été franchi, la référence à d’autres sources compétentes et fiables, une pratique qui devient de plus en plus courante dans la jurisprudence de la Cour, est particulièrement marquée dans le domaine de la prison. Pour pallier l’éventuelle carence du requérant à établir la réalité des situations dénoncées et mesurer la responsabilité des autorités, la Cour n’hésite pas à puiser ex officio dans les constats dressés par le Comité européen pour la prévention de la torture lors de ses visites des établissements pénitentiaires ou dans les recommandations du Comité relatives à la santé des prisonniers. Il en est de même des recommandations pertinentes du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur l’importance desquelles la Cour appelle très souvent l’attention des États[12]. Elle se réfère volontiers à l’avis des professionnels, sur le plan national, dans le domaine médical et carcéral, pour mesurer l’ampleur d’un problème structurel ou affirmer l’effet inéluctable d’une pratique contraire aux recommandations des praticiens[13].

Un « code de comportement »

Partant du principe selon lequel la Convention européenne des droits de l’homme a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires mais concrets et effectifs, certains auteurs n’hésitent pas à affirmer que la Cour a inféré de l’article 3 de la Convention un véritable « code de comportement » des États vis-à-vis des personnes détenues[14]. Il est communément admis que ce code comporte aussi bien des obligations négatives que des obligations positives, en ce sens que l’État est tenu non seulement de ne pas porter atteinte à l’interdit de la torture et des traitements inhumains ou dégradants mais qu’il doit aussi prendre les mesures législatives, administratives, judiciaires ou même simplement pratiques pour assurer le respect effectif des droits et libertés reconnus. Certes, la frontière entre les obligations négatives et les obligations positives n’est pas toujours tranchée et, en tout état de cause, les mêmes principes sont d’application[15].

L’axiome général de ce code de comportement est énoncé dans l’arrêt Kudła c. Pologne (2000, §§ 91, 93), qui est devenu depuis lors un arrêt de principe appliqué constamment. La Cour affirme, expressément, que l’article 3 de la Convention impose aux États de s’assurer « que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas – par leur objet ou leur effet[16] – l’intéressé à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis » (§ 94).

Cet axiome a donné lieu à une vaste jurisprudence qui a permis de le décliner en des exigences concrètes relatives directement et parfois spécifiquement à la détention des personnes souffrant de problèmes de santé mentale.

L’obligation d’apporter des soins appropriés

Les autorités doivent intégrer les paramètres relatifs à la santé de chaque prisonnier et s’assurer de sa capacité à la détention. L’état de santé physique et psychique des personnes privées de liberté doit en effet être compatible avec le maintien en détention[17]. Cette obligation consiste, de façon « primaire », à administrer aux prisonniers les soins requis par leur état de santé et à assurer la surveillance nécessaire. Il est aujourd’hui de jurisprudence constance qu’un manquement à cette obligation est de nature à lui seul à atteindre un niveau suffisant de gravité pour tomber sous le coup de l’article 3.

Il appartient aux autorités médicales de décider des moyens thérapeutiques à employer, au besoin éventuellement de manière contraignante, pour préserver la santé physique et mentale des détenus. Cela étant, un traitement qui serait imposé par la force n’échappe pas à l’emprise de l’article 3, encore faut-il convaincre la Cour que celui-ci était strictement nécessaire et justifié par des raisons thérapeutiques. Ce fut le cas dans l’affaire Naoumenko c. Ukraine (2004, §§ 112-116) dans laquelle le détenu psychopathe, présentant des tendances suicidaires et un comportement agressif, se plaignait de l’administration forcée de neuroleptiques et psychotropes.

Le traitement doit non seulement être nécessaire mais il doit aussi être adéquat. Dans l’affaire Sławomir Musiał c. Pologne (2009, §§ 85-88), l’absence d’un traitement spécialisé et d’une surveillance psychiatrique constante à l’endroit d’un détenu souffrant de troubles mentaux graves et chroniques, dont la schizophrénie, pesa lourdement dans le constat de violation de l’article 3. Plus récemment, l’affaire Claes c. Belgique[18] (2013, §§ 94-97) donna l’occasion à la Cour de rappeler qu’il n’était pas suffisant que le détenu soit examiné et qu’un diagnostic soit établi, encore fallait-il qu’une thérapie correspondant au diagnostic établi soit également mise en oeuvre. Le requérant, atteint de troubles de comportement sévères et chroniques et considéré comme étant « handicapé », ne bénéficiait que de consultations psychiatriques irrégulières et des démarches avaient été entreprises, sans succès, pour lui trouver une place en dehors du milieu carcéral. Aucune autre forme d’encadrement thérapeutique ne semblait exister à son endroit. Ce défaut de prise en charge amena la Cour à un constat de violation de l’article 3.

L’adéquation du traitement se mesure également à la fréquence et à la diligence avec laquelle les soins médicaux sont administrés à l’intéressé. Dans l’affaire Kucheruk c. Ukraine (2007, §§ 151-152), un délai d’un mois entre deux consultations psychiatriques dans le cas d’un détenu atteint de schizophrénie et sortant d’isolement cellulaire fut jugé par la Cour comme n’étant ni adéquat ni raisonnable. L’affaire M.S. c. Royaume-Uni[19] (2012, §§ 44-46) souligne la rapidité avec laquelle les autorités doivent intervenir. Le requérant était placé en garde à vue dans un commissariat de police. Vu ses agissements et la condition abjecte dans laquelle il s’enfonça dans sa cellule, la Cour souligna qu’il s’agissait à l’évidence d’un cas d’urgence psychiatrique et jugea que l’absence de traitement, jusqu’à son transfert en clinique le quatrième jour de garde à vue, avait nui de manière excessive à sa dignité fondamentale en tant qu’être humain.

Le traitement doit en outre être administré par un personnel qualifié. Dans l’affaire Keenan c. Royaume-Uni (2001, §§ 115-116), la Cour jugea qu’était constitutif d’une grave lacune dans les soins médicaux prodigués à un détenu schizophrène, dont on connaissait les tentatives suicidaires, le fait que son état ait été apprécié et son traitement défini sans qu’aient été consultés des spécialistes en psychiatrie.

L’obligation d’assurer des soins médicaux appropriés ne se limite pas à la prescription d’un traitement adéquat, encore faut-il que les autorités pénitentiaires surveillent que celui-ci soit correctement administré et suivi. Dans l’affaire Jasinska c. Pologne (2010, § 78), le petit-fils des requérants avait été incarcéré alors qu’il souffrait de certains troubles de santé mentale et avait déjà tenté de se suicider. Durant sa détention, son état s’était dégradé et des psychotropes lui avaient été prescrits. Or, il réussit, à l’insu du personnel médical, à amasser une quantité importante de ces médicaments pour finalement passer à l’acte par leur absorption. La Cour releva une défaillance dans la surveillance, d’autant plus grave qu’elle concernait un détenu souffrant de troubles mentaux et elle conclut à une violation cette fois du droit à la vie garanti par l’article 2 de la Convention[20].

La vigilance accrue requise par la Cour à l’endroit des personnes souffrant de troubles de santé mentale et placées en milieu carcéral s’impose en toutes circonstances, même face à un détenu qui, par son comportement, ferait entrave à sa prise en charge[21]. Toutefois, comme la Cour l’a clairement souligné dans l’arrêt Keenan c. Royaume-Uni (2001, § 92), il importe aussi de respecter l’autonomie de la personne privée de liberté.

Dans l’hypothèse où la prise en charge n’est pas possible sur le lieu de détention, l’article 3 exige que le détenu puisse se faire hospitaliser ou être transféré dans un service spécialisé. Le respect de cette obligation amena la Cour, dans l’affaire Kudla c. Pologne (2000, §§ 82-100), à conclure à la non-violation de l’article 3, car le détenu, atteint de dépression chronique et présentant des antécédents suicidaires, avait été examiné par des psychiatres et avait fait l’objet d’un séjour dans un hôpital psychiatrique spécialisé. De la même manière, dans la récente et tristement célèbre affaire Cocaign c. France (2011), la Cour jugea que la prise en charge médicale avait été appropriée. Le requérant, souffrant de troubles psychiatriques sévères, avait été condamné et incarcéré pour tentative de viol. Il avait été maintenu en détention et placé en quartier disciplinaire après avoir tué un codétenu et mangé ses poumons. La Cour observa que le requérant n’avait pas été traité comme un détenu ordinaire et qu’il avait été tenu compte de sa vulnérabilité. Il avait été accueilli dans une unité spécialisée en troubles mentaux, avait bénéficié de consultations psychiatriques régulières et soutenues ainsi que d’un suivi médicamenteux constant qui avait permis la stabilisation de sa pathologie. En revanche, la Cour vit une violation de l’article 3 dans l’affaire Raffray Taddei c. France (2010, §§ 58-59) quand, devant la dénutrition sévère de la requérante anorexique, les autorités pénitentiaires ne prirent aucune des dispositions préconisées par les médecins – un transfert dans un service spécialisé et une psychothérapie pour le suivi du syndrome de Münchhausen – et réintégrèrent la requérante en détention ordinaire.

L’obligation d’adapter le milieu carcéral

Protéger l’intégrité physique et psychique des personnes privées de liberté ne se limite pas à assurer la santé des détenus sur une base individuelle. Il s’agit aussi, de manière plus large, d’assurer leur bien-être de manière adéquate. Plus précisément, la Cour estime que les États ont une obligation positive de prévention qui consiste à garantir que les conditions générales de la vie carcérale et le régime pénitentiaire sont conformes à la « dignité de la personne » et, dès lors, à adapter le milieu carcéral à la situation des personnes.

À ce titre, les autorités doivent veiller à ce que le régime pénitentiaire soit compatible avec l’état de santé des détenus. Dans l’affaire Kucheruk c. Ukraine[22] (2007, §§ 134-146), c’est l’usage de menottes à l’endroit d’un détenu atteint de schizophrénie, sans justification psychiatrique et sans lui avoir prodigué les soins nécessités par les traitements infligés durant son isolement cellulaire, qui fut jugé comme constituant un traitement inhumain et dégradant[23]. De la même manière, pour évaluer la compatibilité avec l’article 3 d’un régime de maintien à l’isolement, la Cour tient compte de l’instauration d’un contrôle régulier de l’état de santé du détenu permettant de s’assurer de sa compatibilité avec une telle mesure[24].

Dans la philosophie de l’article 3 de la Convention, les conditions de détention ne peuvent en aucun cas soumettre une personne privée de liberté à des conditions suscitant chez elle des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à l’humilier, l’avilir ou à éventuellement briser sa résistance physique et morale[25]. Aux yeux de la Cour, une situation donnée objectivement inacceptable suffit pour emporter violation de l’article 3 dès l’instant où elle porte en elle-même atteinte à la dignité de la personne et provoque chez le détenu de tels sentiments de désespoir et d’infériorité[26]. Avec une certaine opiniâtreté, la Cour répète inlassablement que la nature même de la pathologie mentale rend les détenus concernés plus vulnérables que les détenus ordinaires et que certaines exigences pratiques de la vie carcérale les exposent davantage à un danger pour leur santé, renforcent incontestablement le risque qu’ils se sentent en situation d’infériorité et sont forcément source de stress et d’angoisse[27]. Une telle situation entraîne, selon la Cour, la nécessité d’une vigilance accrue dans le contrôle du respect de la Convention.

C’est sur la base de ce raisonnement que la Cour a jugé l’affaire Sławomir Musiał c. Pologne (2009, §§ 85-98). Il s’agissait en l’espèce de l’application à un détenu souffrant de schizophrénie et nourrissant des pensées suicidaires d’un régime identique, dans une large mesure, à celui de ses codétenus dans des conditions déjà inadéquates pour toute personne privée de liberté. Ce régime appliqué au requérant fut considéré par la Cour comme ayant contribué à aggraver, dans son chef, un sentiment de détresse, d’angoisse et de peur et comme traduisant un défaut de vigilance dans le chef des autorités. De la même manière, dans l’affaire Ticu c. Roumanie (2013, §§ 66-68), s’agissant d’un détenu souffrant d’un retard mental important et nécessitant un suivi psychiatrique constant, la Cour jugea qu’imposer le partage d’une cellule avec des détenus en bonne santé et le même régime que ses codétenus était contraire à l’article 3 de la Convention.

Dans l’affaire Romanov c. Russie (2005, §§ 76-84), la Cour examina une situation de surpopulation carcérale et prit en compte les effets inévitables de cette situation sur l’état de santé mentale du requérant au regard de l’article 3. La détention préventive du requérant, atteint de troubles de la personnalité (inmate psychopathy), pendant onze mois, dans une cellule dans laquelle il était confiné la majeure partie du temps dans un espace réduit à 1 à 1,6 mètre fut jugée comme un traitement dégradant.

Aux gouvernements défendeurs qui ont tenté, pour s’exonérer de leurs responsabilités, de faire valoir les difficultés auxquelles doivent faire face quotidiennement l’administration et le personnel médical pénitentiaires ainsi que les obstacles financiers auxquels se heurte la prise en charge adéquate des personnes détenues souffrant de troubles mentaux, la Cour a invariablement réservé la même réponse « d’une grande et salutaire limpidité » (Hervieu, 2011). Un manque de ressources, quelle qu’en soit l’origine, l’insuffisance des moyens mobilisés pour pallier le manque chronique de places dans les établissements psychiatriques[28] ou la situation économique générale du pays[29], ne peuvent justifier des conditions de détention qui seraient contraires à l’interdiction absolue contenue dans l’article 3 de la Convention.

La prévention du suicide

L’obligation de surveillance renforcée des détenus atteints de troubles mentaux va au-delà de la protection de la santé et du bien-être quand elle a pour objectif ultime la prévention du pire, à savoir le suicide de l’intéressé. Tous les signes de fragilité d’un détenu doivent être examinés et mesurés par les autorités afin que le régime de détention soit compatible avec l’état de santé mentale du détenu. L’affaire Ketreb c. France (2013, §§ 114-115) concernait le suicide, consécutif à son placement en quartier disciplinaire, d’un détenu connu pour sa violence, diagnostiqué comme étant « borderline » et ayant eu des antécédents suicidaires. La Cour jugea, dans des termes sans appel, que l’isolement cellulaire d’un tel détenu, sans consultation psychiatrique préalable visant à déterminer si la mesure était compatible avec l’état de santé mental de l’intéressé, emportait une violation de l’article 3 de la Convention.

Quand le pire est arrivé, la Cour change de terrain et examine alors la situation également, voire exclusivement, sous l’angle de l’article 2 de la Convention qui garantit le droit à la vie, un droit qui comme l’article 3 de la Convention est également indérogeable. Sachant que la vulnérabilité des détenus s’exprime spécifiquement au regard du suicide et que le taux de suicide est nettement plus élevé dans la population carcérale que dans la population générale (Rabe, 2012, p. 222), le regard de la Cour est particulièrement vif. Il y a en quelque sorte une présomption de risque suicidaire chez les détenus, la Cour acceptant l’hypothèse que toute privation de liberté physique peut entraîner, de par sa nature, des bouleversements psychiques et, par conséquent, des risques de suicide[30].

L’affaire De Donder et De Clippel c. Belgique (2011, §§ 68, 77-78, 82-83) illustre parfaitement le niveau d’exigence conventionnelle qui en résulte. Après un passage dans des établissements de défense sociale, c’est-à-dire des établissements de soins pour les malades mentaux délinquants, le fils des requérants, atteint de schizophrénie paranoïde, avait réintégré une prison ordinaire et subi une période d’isolement à la suite d’une altercation avec un codétenu. Retourné en cellule individuelle, il se suicida par pendaison. Conformément à son approche dans ce genre d’affaires[31], la Cour chercha d’abord à déterminer si les autorités savaient ou auraient dû savoir qu’il existait un risque réel et immédiat que l’intéressé attente à sa vie. Elle considéra que même en l’absence de tentatives de suicide et de signes alarmants dans les instants précédant son geste, les antécédents psychiatriques et la grande fragilité du requérant en raison de sa maladie mentale auraient dû aiguiser l’attention des autorités sur le risque réel que, détenu dans l’environnement carcéral ordinaire, ce prisonnier attente à ses jours. En outre, et plus fondamentalement, la Cour jugea aussi qu’en plaçant le détenu dans les quartiers ordinaires d’une prison, sans prendre en compte sa pathologie mentale, les autorités avaient non seulement failli à leurs obligations de protéger le droit à la vie mais également contribué au risque qu’il attente à ses jours.

Vers la mise en question de la prison ?

L’analyse de la jurisprudence récente de la Cour s’agissant des malades mentaux délinquants montre que depuis longtemps, et tout en prenant soin de préciser qu’il ne saurait en résulter une obligation générale des autorités de libérer une personne pour motifs de santé (Mouisel c. France, 2002, § 40), la Cour s’interroge, sous l’angle de l’article 3 de la Convention, sur la capacité à la détention. En affirmant que l’état de santé d’une personne privée de liberté doit être compatible avec la détention, c’est en réalité la compatibilité avec l’article 3 du maintien en détention d’une personne malade qui est posée. Il nous semble que l’évolution récente de la jurisprudence dessine assez nettement une tendance à mettre en cause l’environnement carcéral quand il s’agit de détenus malades. Cette tendance est particulièrement sensible s’agissant des personnes souffrant de troubles mentaux.

Un renversement de perspective

En 2000, dans l’affaire Kudłla c. Pologne, la Cour estimait que le respect des obligations de soins et d’hospitalisation suffisait pour les autorités pénitentiaires à assumer leur responsabilité à l’égard des prisonniers souffrant de problèmes de santé mentale. Sept ans plus tard, l’affaire Rivière c. France[32] (2007, §§ 72-76) fut l’occasion pour la Cour d’accroître ses exigences. La santé du requérant, devenu malade mental chronique en détention et présentant des tendances suicidaires, avait été prise en charge. Il était suivi par un psychiatre et une infirmière psychiatrique et avait été hospitalisé d’office dès que le besoin s’était fait sentir. La Cour considéra que ces efforts, indéniables, n’étaient toutefois pas suffisants pour assurer le respect de la dignité humaine et que la gravité de l’état de santé mentale du requérant justifiait que soient prises des mesures particulièrement adaptées. Bien que la Cour ne se soit pas exprimée clairement à ce sujet, vu le tableau clinique du requérant, on peut raisonnablement conclure que la mesure adaptée aurait dû être son transfert dans un établissement psychiatrique.

Dans l’affaire Raffray Taddei c. France (2010, § 59) déjà analysée plus haut, la Cour s’interroge sur la discordance entre les soins préconisés par les médecins et les réponses apportées par les autorités judiciaires. Elle reproche à ces dernières de n’avoir pas envisagé un aménagement de peine qui aurait pu concilier l’intérêt général et l’amélioration de l’état de santé de la requérante anorexique.

Un cap a encore été franchi avec l’arrêt G. c. France[33] (2012, §§ 77-82). La Cour met en lumière que la « bienveillance » médicale peut même, paradoxalement, jouer contre l’état de santé d’un détenu atteint de troubles mentaux. Initialement incarcéré en centre pénitentiaire, le requérant, atteint d’une psychose chronique de type schizophrénique, avait fait l’objet de soins constants, alternant séjours en hôpital psychiatrique et séjours en prison. Or, selon la Cour, cette alternance avait manifestement fait obstacle à la stabilisation de l’état de l’intéressé. En outre, la persistance des autorités à vouloir le maintenir en détention, en dépit de la manifestation chronique de son incapacité à être incarcéré, amena la Cour à constater une violation de l’article 3 de la Convention.

La situation est peut-être plus simple quand le requérant est déclaré irresponsable de ses actes et peut donc, comme tout autre détenu, se prévaloir, en plus de l’article 3, de l’article 5 § 1 de la Convention. Cette disposition énonce que « nul ne peut être privé de sa liberté » sauf dans un nombre limité de situations énumérées aux alinéas a) à f) de l’article 5 § 1, l’objectif étant de prémunir les personnes contre toute privation arbitraire de liberté. L’alinéa e) de l’article 5 § 1 prévoit ainsi la possibilité de détenir des personnes considérées comme étant « aliénées » et qui n’ont, pour cette raison, pas fait l’objet d’une condamnation. L’une des conditions mises par la Cour à la régularité de la détention tient à l’existence d’un lien entre le motif qui justifie la privation de liberté et le lieu ainsi que les conditions de la détention. En ce qui concerne les personnes souffrant de troubles mentaux, leur détention ne peut passer pour régulière que si elle s’effectue dans un hôpital, dans une clinique ou dans un autre établissement approprié[34].

Ainsi, dans l’affaire Claes c. Belgique[35] (2013, §§ 88-102 et 141), le requérant avait été déclaré irresponsable des actes qui lui étaient reprochés et était détenu dans l’aile psychiatrique d’une prison ordinaire, destinée à la mise en observation, dans l’attente de sa prise en charge par une structure adaptée. Dans cette affaire, la stratégie de défense du requérant se fondait sur l’article 3 ainsi que sur l’article 5 § 1 e) de la Convention. Sous l’angle de ces deux dispositions, la Cour écarta l’argument du gouvernement tiré du caractère approprié du lieu de détention pour constater l’irrégularité des consultations psychiatriques et l’absence d’encadrement thérapeutique. Elle écarta également la prise en compte des démarches entreprises par les autorités pour trouver une prise en charge externe et souligna que leur échec, en raison du refus opposé par les établissements contactés, n’avait pas permis de changer la situation du requérant. C’est finalement le transfert de l’intéressé dans le circuit psychiatrique extérieur, en dehors du milieu carcéral, que la Cour considéra comme étant la seule mesure apte à redresser la situation (Lucas, 2013). Cette décision a été largement facilitée par le constat de la Cour sous l’angle de l’article 5 § 1 e), selon lequel le lien requis par cette disposition entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles elle avait lieu avait été rompu, obligeant ainsi les autorités nationales à trouver une autre solution que la détention.

L’examen de ces arrêts montre que la Cour a aujourd’hui pleinement conscience que la prison reste toujours une prison et que, quels que soient les aménagements et les équipements, elle demeure un lieu inadapté à la prise en charge des problèmes de santé mentale. La Cour se place clairement du point de vue des requérants à qui il importe finalement peu que des démarches soient faites pour trouver une prise en charge extérieure, que des soins soient apportés, que des hospitalisations à répétition soient ordonnées, si le lieu où ils sont privés de liberté est plus adapté à leur éventuelle dangerosité qu’à la prise charge effective de leur pathologie avec un espoir réaliste de s’en sortir et d’en sortir.

Cette jurisprudence révèle à notre sens un renversement des perspectives en ce qui concerne les personnes souffrant de troubles de santé mentale. Pour ces personnes, la jurisprudence de la Cour a largement contribué à placer la prison non pas au centre mais à l’extrémité, voire à la marge (Tournier, 2000). Depuis l’arrêt Kudłla c. Pologne (2000), la Cour a inlassablement questionné le droit pénitentiaire, dans tous ses aspects, à l’endroit de ce groupe de personnes doublement vulnérables. Tout comme le droit à la vie garanti par l’article 2 de la Convention refuse la peine de mort, l’interdiction de tout traitement inhumain et dégradant inscrite à l’article 3 conduit inexorablement à mettre en cause l’incarcération des personnes souffrant de troubles mentaux.

Le maintien de la vigilance

Cela étant dit, les droits de l’homme, à la différence d’une idéologie, ne sont jamais « acquis » (Tulkens, 2006). La Cour doit donc elle-même rester très attentive en veillant à garder le cap et à trancher au plus juste. Plusieurs outils existent à l’échelle collective et individuelle pour contribuer à cette tâche.

Vigilance collective venant de l’extérieur d’abord. Engagé dans un travail sur le terrain avec les structures nationales des droits de l’homme et un dialogue permanent avec les autorités nationales, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a vocation à se muer en véritable « avocat général » au service des causes portées devant la Cour par les groupes les plus vulnérables. L’article 36 § 3 de la Convention, tel qu’il a été modifié par le Protocole n° 14 du 13 mai 2004, lui confère en effet le droit de présenter, de sa propre initiative, des observations écrites ou de prendre part à une audience. Il n’est pas sans intérêt de noter que la première fois que le Commissaire a fait une tierce intervention de sa propre initiative, c’était le 18 octobre 2011 dans une affaire qui concernait le traitement d’une personne handicapée en Roumanie[36]. De la même manière, les professionnels et praticiens du droit pénitentiaire, tout comme les associations, ne doivent pas hésiter à participer à la « bonne administration de la justice » en faisant usage de la possibilité, prévue à l’article 36 § 2 de la Convention, de demander à intervenir dans les procédures pendantes devant la Cour.

Vigilance systémique actionnée par la Cour ensuite. La Cour a codifié en 2011 la procédure de l’arrêt pilote. Dans ce cadre, prévu par l’article 61 du règlement de la Cour, celle-ci n’a pas seulement pour fonction de se prononcer sur la question de savoir s’il y a eu ou non violation de la Convention dans une affaire individuelle, mais aussi de cerner le problème systémique et de donner au gouvernement concerné des indications claires sur les mesures qu’il doit prendre pour y remédier. La Cour utilise de plus en plus cette procédure pour redresser les problèmes structurels de conditions de détention inadéquates, notamment en Russie et en Roumanie (Ananyev et autres c. Russie, 2012 ; Iacov Stanciu c. Roumanie, 2012), ainsi que de surpopulation carcérale, par exemple en Pologne et en Italie (Orchowski c. Pologne, 2009 ; Norbert Sikorski c. Pologne, 2009 ; Torreggiani et autres c. Italie, 2013).

Vigilance individuelle enfin. Même si elles se sont montrées peu invalidantes jusqu’à présent, les conditions mises à l’accès à la Cour peuvent constituer un obstacle difficile à surmonter pour les individus, surtout quand ils appartiennent à des groupes vulnérables. Or, ces conditions sont de plus en plus strictes et formelles si l’on en juge par l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2014, du nouvel article 47 du règlement de la Cour. À l’avenir, il faudra veiller à ce que tout formulaire envoyé à la Cour soit intégralement rempli et accompagné des documents pertinents. Toute requête incomplète sera, en principe, rejetée par la Cour. Le second changement concerne l’interruption du délai dans lequel la Cour doit être saisie, à savoir dans les six mois suivant la décision définitive rendue par la plus haute juridiction interne compétente ; afin que ce délai soit interrompu, il faut désormais que la requête remplisse toutes les conditions de forme énumérées à l’article 47. Tous ceux qui « encadrent » les requérants vulnérables doivent y être particulièrement attentifs.

Conclusion

Les droits liés à l’interdit de la torture, des peines et traitements inhumains et dégradants sont accordés à tous en raison de la dignité attachée à la personne humaine et non pas par volonté ou pouvoir (Tulkens, 2000, p. 29). Les arrêts que nous avons passés en revue ont tous en commun de placer les projecteurs sur un des aspects de la dignité humaine : la situation préoccupante des malades mentaux délinquants. Pour autant, le concept de dignité n’est nulle part défini par la Cour qui l’associe systématiquement à la souffrance individuelle de tel ou tel requérant. Nous sommes convaincues qu’une déclinaison à l’avenir plus détaillée du concept de dignité contribuerait à consolider les acquis et à protéger encore mieux les affaires mettant en jeu la santé mentale en milieu carcéral contre les « dangers de la casuistique » (Hervieu, 2013).