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Introduction

L’homicide conjugal est un crime commis dans la sphère privée impliquant des partenaires ou des ex-partenaires intimes. L’existence d’un lien affectif entre la victime et l’agresseur rend ce type de crime particulièrement difficile à comprendre, tant pour la population générale que pour la plupart des intervenants. Plusieurs auteurs traitent des enjeux psychosociaux et criminologiques des homicides conjugaux masculins, toutefois peu de chercheurs s’intéressent à la compréhension de la dynamique des femmes ayant commis l’homicide de leur conjoint ou ex-conjoint[2].

Notre travail porte spécifiquement sur l’homicide conjugal féminin. Dans un premier temps, nous présentons quelques définitions et l’ampleur du phénomène, puis, dans un deuxième temps, les caractéristiques psychopathologiques et criminologiques ainsi que les motivations des femmes ayant commis un homicide conjugal. Par la suite, nous énonçons notre objectif et présentons les résultats. Enfin, notre article se termine par une discussion et propose les études qui pourraient être réalisées à la suite de celle-ci.

Définitions et ampleur du phénomène

Le terme « homicide » en droit criminel est essentiellement le fait de « causer la mort d’une autre personne sans justification ou excuse sur le plan juridique » (Service correctionnel du Canada, 1995, paragr. 2). Dans le Code criminel canadien (Cournoyer, Ouimet et Dubois, 2005), il est mentionné qu’un individu commet un homicide lorsqu’il cause directement ou indirectement la mort d’un être humain, et ce, peu importe le moyen utilisé. L’homicide est qualifié de meurtre lorsqu’il est commis volontairement ou peut être désigné comme étant un homicide involontaire coupable. L’homicide ne comprend pas « les décès par négligence criminelle ou par suicide, les décès accidentels et l’homicide justifiable » (Motiuk et Belcourt, 1996, paragr. 4). De plus, selon Statistique Canada (2011, p. 36), l’homicide conjugal est défini comme étant un homicide « commis entre des personnes mariées, entre des conjoints de fait et entre des personnes séparées ou divorcées de ces unions ». D’autres termes peuvent être utilisés, comme celui de crime pseudo-passionnel (Lagache, 1947) ou de crime passionnel, que certains auteurs privilégient (Bénézech, 1991 ; Boisvert, 1996). Il apparaît néanmoins que le crime passionnel est surtout « une interprétation journalistique » sans fondement juridique (Mercader, Houel et Sobota, 2010) et la plupart des chercheurs optent pour le terme homicide conjugal. Il n’existe aujourd’hui dans la langue française aucun terme spécifique couramment employé pour définir l’homicide conjugal commis par une femme, si ce n’est celui de maricide qui est parfois utilisé (Frigon, 2003). Dans notre étude, le terme « homicide conjugal féminin » est privilégié pour qualifier un homicide conjugal perpétré par une femme.

Au Canada, de 2003 à 2013, on recense 960 homicides conjugaux (Beaupré, 2015), dont 68 spécifiquement en 2013 (Cotter, 2014). Il s’avère que les femmes sont quatre fois plus susceptibles que les hommes d’être victimes d’un homicide conjugal. Ainsi, en 2013, au Canada, 56 femmes et 12 hommes ont été tués par leur partenaire ou ex-partenaire intime (Cotter, 2014). Au Québec, sur une période de 10 ans, allant de 1997 à 2007, on dénombre 156 homicides conjugaux, soit 139 femmes et 17 hommes tués par leur conjoint, conjointe, ex-conjoint ou ex-conjointe (Léveillée et Lefebvre, 2008).

La section suivante présente les variables prépondérantes qui se dégagent des différentes études et qui permettent une compréhension plus approfondie de l’homicide conjugal. Nous y distinguons les caractéristiques spécifiques des homicides conjugaux féminins. Il est à noter que le cadre théorique est variable d’une étude à une autre. Ainsi, certaines études proposent un cadre théorique féministe (Curie, 1986), psychodynamique (Korn, 2003) ou encore strictement empirique (Bourget et Gagné, 2012).

Compréhension du phénomène

Selon plusieurs études, les troubles mentaux sévères (qui tendent à abolir le discernement) sont peu fréquents chez l’auteur d’homicide conjugal (Delbreil, Voyer et Senon, 2011 ; Farooque, Stout et Ernst, 2005) et ce dernier est d’ailleurs « assez peu pathologique dans son fonctionnement social et relationnel en temps ordinaire, nonobstant sa jalousie amoureuse » (Korn, 2003, p. 119). En outre, les individus présentant un trouble de la personnalité antisociale, selon le DSM-IV-TR (American Psychiatric Association [APA], 2003), sont « assez peu représentés dans le crime passionnel » (Korn, 2003, p. 119), au contraire d’autres types de crime tels que les voies de fait graves ou les vols qualifiés.

À partir du dépouillement de deux quotidiens régionaux français publiés de 1986 à 1993, Houel, Mercader et Sobota (2008) retracent 263 homicides commis par des hommes et 74 par des femmes. D’après les informations recueillies, sur 16 femmes auteures d’un homicide conjugal, douze (75 %) avaient déjà vécu de la violence conjugale physique ordinaire de la part de leur partenaire et deux femmes (12,5 %) sont passées à l’acte à la suite d’une réaction à l’abandon. De plus, les auteures ajoutent quelques éléments du fonctionnement psychologique et psychopathologique[3] de ces femmes : cinq femmes (31 %) présentaient un fonctionnement psychotique, cinq femmes (31 %) des problèmes narcissiques et quatre femmes (25 %) présentaient des enjeux dépressifs ou de la dépendance. Il apparaît cependant important de rappeler que les informations obtenues proviennent uniquement d’articles publiés dans des journaux et non d’informations officielles.

Selon Boisvert (1996), 11,7 % des individus[4] ayant perpétré un homicide conjugal à Montréal, de 1954 à 1962 et de 1985 à 1989, ont été acquittés pour aliénation mentale[5]. Plus récemment, Léveillée et Lefebvre (2008) indiquent dans un rapport de recherche sur les troubles de santé mentale d’auteurs d’un homicide dans la famille commis sur le territoire du Québec, de 1997 à 2007, que sur 139 hommes et 17 femmes ayant commis un homicide conjugal, 2,2 % des hommes et 11,8 % des femmes ont été reconnus non criminellement responsables en raison d’un trouble mental (trouble psychotique et trouble de l’humeur notamment)[6]. De plus, les auteurs ajoutent que sur les 151 personnes reconnues criminellement responsables, 21,3 % des hommes et 20 % des femmes ont reçu un diagnostic de trouble mental et 11 % des hommes et 6,7 % des femmes présentaient un trouble de la personnalité (majoritairement trouble de la personnalité limite et trouble de la personnalité antisociale). Des études américaines en arrivent à un résultat similaire, notamment Farooque et al. (2005), qui indiquent que les auteurs d’un homicide conjugal sont rarement dans un état psychotique et le sont significativement moins que les individus ayant commis un parricide (l’homicide de leur père ou de leur mère).

Caractéristiques criminologiques

Il semble que les femmes aient bénéficié, dans le passé, de sentences plus clémentes que les hommes lorsqu’elles étaient accusées d’avoir commis un homicide conjugal. Ainsi, au Canada, de 1974 à 1983, 31,7 % des femmes contre 7,1 % des hommes n’ont pas été condamnés à la suite du crime. Et 12 % des femmes trouvées coupables ont reçu une sentence de 10 ans ou plus, comparativement à 46 % des hommes (Boisvert, 1996).

Par ailleurs, en ce qui concerne le passage à l’acte suicidaire qui suit l’homicide (également appelé l’homicide-suicide), il s’agit d’un phénomène pouvant être plutôt qualifié de phénomène masculin. En effet, de 1954 à 1962, au Québec, 3,7 % des femmes ayant commis un homicide conjugal se sont suicidées après leur crime, comparativement à 22,2 % des hommes (Boisvert, 1996), et de 1974 à 2000, au Canada, 3 % des femmes ayant commis un homicide conjugal se sont suicidées après leur crime, contre 28 % des hommes (Pottie Bunge, 2002). Dans une étude plus récente, Bourget et Gagné (2012) indiquent que 9,5 % des femmes de leur recherche se sont suicidées après le passage à l’acte, comparativement à 36,3 % des hommes.

En ce qui concerne la dénonciation après l’homicide, Boisvert (1996) indique que, de 1954 à 1962, plus de 40 % des hommes et des femmes se sont immédiatement livrés à la police après avoir perpétré leur crime, et ce chiffre est ensuite tombé à 20 % entre 1985 et 1989. Dans cette recherche, il n’y a pas de distinction claire quant au sexe de l’agresseur.

Par ailleurs, pour ce qui est du moyen utilisé pour commettre l’homicide, Bourget et Gagné (2012) indiquent dans leur étude que 52,4 % des femmes utilisent le couteau et 35,7 % l’arme à feu. Cela rejoint les chiffres communiqués par Statistique Canada qui révèlent que de 1994 à 2003, au Canada, les deux tiers des hommes tués par leur conjointe l’ont été avec un instrument perforant (arme blanche ou objet contondant) (66 %), suivi d’une arme à feu (18 %) (AuCoin, 2005). De plus, selon Cazenave et Zahn (1992), l’acharnement sur la victime (overkill) est présent dans 12 % des cas chez les femmes et 46 % des cas chez les hommes.

Enfin, en ce qui concerne la violence conjugale antérieure, Bourget et Gagné (2012) indiquent que 26,2 % des femmes auteures d’un homicide conjugal avaient subi de la violence conjugale de la part de leur future victime.

Motivations

La motivation de la personne qui pose un geste homicide est une variable importante à prendre en ligne de compte. Ce terme a été utilisé pour la première fois par Resnick (1969) pour élaborer une typologie d’individus ayant commis un filicide (l’homicide de leur enfant). Selon quelques auteurs (Léveillée, Marleau et Dubé, 2007 ; Wilczynski, 1995, 1997), les motivations peuvent être liées à un comportement qui cause la mort tel que la violence corporelle ou à des émotions intenses telles que la mesure de représailles contre un membre de sa famille ou encore la présence d’une maladie mentale. Certains auteurs préfèrent le terme de « déclencheur du passage à l’acte » (Scott, 1974) ou de « mobile » (Beaupré, 2015). De plus, ce terme pourrait également être remplacé par celui de « cause de l’homicide » ou par « raison de l’homicide », selon la littérature scientifique consultée (Martins Borges et Léveillée, 2005).

Dans le cas des homicides conjugaux, tant masculins que féminins, les données policières recueillies au Canada de 2003 à 2013 indiquent que le mobile le plus souvent déclaré est l’intensification d’une dispute ou d’une querelle (près de 40 %). Un sentiment de frustration, de colère ou de désespoir (26 %) est le deuxième mobile le plus souvent déclaré, suivi de la jalousie (20 %). Par ailleurs, il s’avère que les mobiles déclarés dans le cas des homicides entre conjoints (mariés et de fait) et entre partenaires amoureux présentent peu de différences (Beaupré, 2015). Dans la littérature scientifique, différentes motivations sont répertoriées, comme la possessivité et la querelle (Cusson et Boisvert, 1994), la jalousie (Cazenave et Zahn, 1992), la séparation ou la possibilité d’une séparation (Ewing, 1997 ; Léveillée et Lefebvre, 2010), les intérêts financiers (Cazenave et Zahn, 1992) et la violence conjugale subie dans laquelle le crime serait perpétré dans une situation de légitime défense (Frigon et Viau, 2000).

Toutefois, pour la plupart des auteurs, les motivations retenues dans les cas de l’homicide conjugal apparaissent différentes selon le sexe de l’agresseur. Ainsi, il semble que les homicides conjugaux commis par les hommes correspondent à une stratégie d’appropriation tandis que les homicides conjugaux commis par les femmes répondent à une stratégie de protection (Houel et al., 2008, 2011 ; Martins-Borges et Léveillée, 2005) ou au désir de se séparer d’un homme auteur de violence conjugale (Frigon, 2003). Les hommes tuent plutôt dans l’optique de « garder » les femmes, par possessivité ou refus de perte de contrôle sur leur conjointe (Daly et Wilson, 1988 ; Wilson et Daly, 1993), tandis que les femmes le font pour « se débarrasser » de leur conjoint ou ex-conjoint afin de protéger leur vie ou celle de leur enfant (Houel et al., 2008 ; Wilson et Daly, 1993).

Chez les femmes, les motivations à l’origine du crime apparaissent ainsi différentes de celles des hommes. Les femmes tuent en majorité un conjoint ou un ex-conjoint par autodéfense (motivation primaire), mais cette motivation est généralement associée de manière secondaire à la mesure de représailles (Belknap, Larson, Abrams, Garcia et Anderson-Block, 2012). Dans 40,7 % des homicides conjugaux commis au Canada par une femme et pour lesquels la police possédait les renseignements requis, l’homme victime avait été le premier à utiliser la force ou la violence dans la situation ayant mené à l’homicide (Johnson et Hotton, 2003). Ainsi, les femmes ayant vécu des années de violence conjugale de la part de leur conjoint en viennent à se venger et, dans quelques cas, prennent une assurance vie pour leur future victime et commettent l’homicide (parfois avec un complice). On retrouve également dans certains cas la jalousie sexuelle comme motivation retenue (Belknap et al., 2012).

Selon Larouche (1987), l’homicide conjugal est « généralement le dernier échelon de la violence entendue sous toutes ses formes : psychologique, morale, verbale, sexuelle et physique » (p. 58). De fait, de nombreuses études mettent en avant le syndrome de la femme battue (SFB). Celui-ci est « un ensemble de signes cliniques qui traduisent un état post-traumatique dû à la violence subie sur une longue période. La personne souffrant de ce syndrome se sent piégée et développe une peur légitime d’être tuée » (Frigon, 2003, p. 67). De nombreuses études décrivent ce syndrome de la femme battue. Néanmoins, même si cette description peut être pertinente pour plusieurs femmes, elle n’englobe certainement pas l’ensemble des homicides conjugaux commis par les femmes. Ainsi, selon Brownstein, Spunt, Crimmins, Goldstein et Langley (1994), le nombre de femmes qui tuent pour d’autres motifs serait sous-estimé dans la documentation à ce sujet.

L’histoire familiale de ces femmes n’est pas banale et la majorité d’entre elles ont vécu de la violence physique et sexuelle dans leur famille d’origine et elles ont ensuite eu une longue histoire de violence conjugale subie (Browne, 1988 ; O’Keefe, 1997). Les repères identitaires de ces femmes étant mal définis, elles présentent de la dépendance relationnelle et n’arrivent pas à se séparer d’un conjoint violent. En lien avec ces fragilités, les auteurs ajoutent que ces femmes éprouvent des difficultés importantes à quitter leur conjoint violent ; leur identité fragile ou floue n’étant pas suffisamment solide (Mercader, Houel et Sobota, 2011).

Objectif de la présente étude

Selon la documentation consultée, les femmes auteures d’un homicide conjugal présentent des caractéristiques criminologiques et des motivations différentes de celles des hommes. L’autodéfense, ou la réaction à la violence conjugale, serait notamment la motivation principale retenue. Toutefois, il y aurait d’autres motivations présentes chez certaines femmes et très peu d’études se sont penchées sur cette question. De plus, plusieurs recherches existantes sont uniquement fondées sur le dépouillement d’informations présentées dans des journaux et se heurtent, de ce fait, à certaines limites. Enfin, à notre connaissance, il n’existe aucune étude au Québec ayant utilisé une cohorte d’homicide conjugal féminin et portant spécifiquement sur les motivations en lien avec les caractéristiques criminologiques.

L’objectif premier de notre étude exploratoire est d’évaluer les caractéristiques criminologiques et les motivations de femmes auteures d’un homicide conjugal, et ce, à partir d’une cohorte (tous les cas existants) d’homicides conjugaux féminins commis sur le territoire de la province du Québec de 1989 à 2006[7] inclusivement.

Méthode

Participantes

Afin de traiter tous les cas d’homicides conjugaux féminins commis au Québec durant la période sélectionnée, une analyse de l’ensemble des dossiers répertoriés au Bureau du coroner en chef à Québec[8] a été effectuée. Le Bureau du coroner est un organisme gouvernemental indépendant qui relève du ministère de la Sécurité publique du gouvernement du Québec. Sa mission consiste notamment à rechercher les causes probables et les circonstances des décès violents. Quarante cas d’homicides conjugaux féminins commis sur une période allant de 1989 à 2006 ont ainsi été analysés.

Instrument de mesure

La Grille d’analyse multidimensionnelle de l’homicide conjugal (Léveillée, Dubé, Martins Borges et Lefebvre, 2005) a été utilisée afin d’extraire des dossiers les données portant sur le contexte de l’homicide conjugal, sur l’agresseur et sur la victime (variables factuelles de l’homicide, sociodémographiques, situationnelles et psychosociales, ainsi que les motivations à commettre l’homicide). Cette grille a été validée dans la thèse de doctorat de Martins Borges, dirigée par Léveillée (2006).

Déroulement

Un dossier a été créé pour chaque participante à partir des informations obtenues auprès du Bureau du coroner (ministère de la Sécurité publique), de l’enquête de police, du dossier médical, du dossier judiciaire (Palais de justice) et du dépouillement des journaux, versions papier et électronique (La Presse, Le Devoir, Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec, etc.). La Grille d’analyse multidimensionnelle de l’homicide conjugal a ensuite été utilisée pour l’analyse et la collecte des informations de chaque dossier. Enfin, pour s’assurer de la fidélité des observations, chaque variable a été cotée par les deux auteures de cet article de manière indépendante et discutée pour s’assurer d’une cotation consensuelle.

Variables retenues

Dans le cadre de cet article, les variables retenues à partir de la Grille d’analyse multidimensionnelle de l’homicide conjugal sont les caractéristiques criminologiques associées à l’homicide et les motivations de la femme à commettre ledit homicide.

Les caractéristiques criminologiques sont les suivantes :

  1. Sentence reçue : la sentence que la femme a reçue lors du dernier jugement rendu ;

  2. Homicide-suicide : lorsque la femme se suicide après avoir commis l’homicide ;

  3. Dénonciation après l’homicide : lorsque la femme se dénonce immédiatement après avoir commis l’homicide ;

  4. Moyen utilisé pour commettre l’homicide : le moyen principal utilisé par la femme pour commettre l’homicide, soit, dans le cadre de cet article : l’arme à feu, les objets perforants (arme blanche ou objet contondant), le poison, la strangulation, l’intoxication au dioxyde de carbone ou faire appel à un tueur à gages pour commettre l’homicide ;

  5. Acharnement sur la victime (overkill) : lorsque la femme tue sa victime à l’aide de plus de cinq coups d’un objet contondant, d’une arme blanche ou de balles d’arme à feu, ou en utilisant au moins deux moyens différents pour tuer sa victime (Wolfgang, 1958) ;

  6. Violence conjugale subie : cela comprend les agressions psychologiques, verbales, physiques et sexuelles ainsi que les actes de domination sur le plan économique (gouvernement du Québec, 1995) que la femme a pu subir de la part de la victime durant leur relation.

Les motivations retenues sont les suivantes :

  1. Autodéfense : quand une femme se défend des comportements violents de la victime de l’homicide. Il est à noter que lors de l’analyse des dossiers, les cas d’autodéfense ont tout d’abord été cotés et les sentences associées au syndrome de la femme battue (SFB) ont ensuite été ciblées ;

  2. Compassion : maladie de la victime et besoin ressenti par la femme d’abréger ses souffrances physiques ;

  3. Dispute conjugale : les coups donnés lors d’une dispute ont causé la mort de la victime ;

  4. État mental : quand la cause de l’homicide est associée à la maladie mentale, y compris des hallucinations ou des délires parfois associés à une dépression et à des caractéristiques psychotiques ;

  5. Mesures de représailles : quand une femme se venge d’un ou de plusieurs évènements survenus dans sa relation de couple. Cette motivation est parfois associée à une séparation non désirée par la femme ou à la jalousie (une autre femme dans la vie de la victime) ;

  6. Motif financier : quand une femme a pris une assurance vie dans l’année précédant l’homicide ou que l’homicide avait manifestement pour objectif de permettre à la femme de récolter une somme d’argent (héritage).

Résultats

Les participantes de cette recherche étaient âgées de 23 à 65 ans, pour une moyenne de 40,35 ans au moment de l’homicide. Plus précisément, 35 % de ces femmes avaient de 31 à 40 ans et 30 % avaient de 41 à 50 ans. Par ailleurs, la très grande majorité vivait avec leur conjoint (77,5 %). Plus spécifiquement, 42,5 % vivaient en union libre, 35 % étaient mariées alors que seulement 22,5 % étaient séparées. Enfin, la majorité des femmes (67,5 %) avaient des enfants au moment de l’homicide (Tableau 1).

Tableau 1

Répartition des participantes selon les différentes caractéristiques sociodémographiques au moment de l’homicide (n = 40)

Répartition des participantes selon les différentes caractéristiques sociodémographiques au moment de l’homicide (n = 40)

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La moitié des femmes (50 %) ont été reconnues responsables criminellement et condamnées à une peine d’incarcération. Plus spécifiquement, 40 % des femmes ont été condamnées à purger une peine d’emprisonnement de deux ans et plus (dans un pénitencier fédéral), tandis que 10 % ont été condamnées à purger une peine d’emprisonnement de moins de deux ans (dans une prison provinciale). Par ailleurs, près d’un quart des femmes (22,5 %) ont été acquittées et 5 % ont été reconnues non responsables criminellement pour cause de trouble mental. Enfin, 12,5 % de ces femmes n’ont pas été jugées, car elles se sont suicidées après l’homicide et la sentence reçue est inconnue pour 10 % des femmes de cette cohorte.

Par ailleurs, la majorité des femmes (57,5 %) se sont dénoncées immédiatement après l’homicide. Et, en ce qui concerne le moyen principal utilisé pour commettre l’homicide, presque la moitié des femmes (47,5 %) ont utilisé un instrument perforant (arme blanche ou objet contondant) et 37,5 % ont utilisé une arme à feu. Par la suite, on retrouve l’utilisation d’un tueur à gages dans 5 % des cas, la strangulation dans 5 % des cas également, ainsi que le poison (2,5 %) et l’intoxication au monoxyde de carbone (2,5 %). On note la présence d’un acharnement sur la victime dans 17,5 % des cas. Enfin, il apparaît que plus de la moitié des femmes (52,5 %) ont subi de la violence conjugale de la part de leur victime à un moment ou à un autre de la relation (Tableau 2).

Tableau 2

Répartition des participantes selon les différentes caractéristiques criminologiques au moment de l’homicide (n = 40)

Répartition des participantes selon les différentes caractéristiques criminologiques au moment de l’homicide (n = 40)

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Un quart des femmes (25 %) ont commis un homicide conjugal dans un contexte d’autodéfense. Parmi ces femmes, la moitié (50 %) ont d’ailleurs été acquittées dans un jugement mettant de l’avant le syndrome de la femme battue, et 30 % ont été acquittées sans que le syndrome de la femme battue ne soit utilisé ou retenu. Par ailleurs, pour un quart des femmes (25 %), la motivation retenue est la dispute conjugale. Plus spécifiquement, la dispute conjugale est survenue dans un contexte de séparation pour 30 % d’entre elles et 20 % des femmes se sont acharnées sur leur victime. Ensuite, pour 20 % des femmes, les mesures de représailles constituent la motivation retenue. Plus précisément, un contexte de jalousie y est associé dans 50 % des cas, de séparation dans 25 % des cas et 25 % des femmes se sont acharnées sur leur victime. En outre, pour 12,5 % des femmes, la motivation retenue est l’argent et est associée à des mesures de représailles dans 60 % des cas. L’état mental constitue la motivation retenue pour 7,5 % des femmes. Parmi celles-ci, la majorité (66,7 %) ont d’ailleurs été reconnues non responsables criminellement pour cause de trouble mental et 33,3 % se sont suicidées après l’homicide. Enfin, pour 5 % des femmes, la compassion a motivé l’homicide et l’ensemble de ces femmes (100 %) se sont suicidées après le passage à l’acte. La motivation demeure inconnue pour 5 % des femmes (Tableau 3).

Tableau 3

Répartition des participantes selon les différentes motivations (n = 40)

Répartition des participantes selon les différentes motivations (n = 40)

* Chaque motivation a été associée à une ou à des caractéristiques spécifiques afin de mieux rendre compte de toute la complexité de cette notion.

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Discussion

Nos résultats exposent certaines caractéristiques criminologiques et motivations de femmes auteures d’un homicide conjugal au Québec. À notre connaissance, une seule autre étude (Bourget et Gagné, 2012) a été effectuée auprès de cette population. Les auteurs y ont proposé une exploration de l’ensemble des homicides conjugaux commis sur le territoire du Québec sur une période de 20 ans, de 1991 à 2010. Bien qu’ils aient relevé plusieurs caractéristiques propres aux femmes ayant commis un homicide conjugal, ils n’ont cependant pas traité des motivations de ces femmes.

En ce qui a trait aux caractéristiques criminologiques, nos résultats indiquent, d’une part, que 40 % des femmes purgent une sentence fédérale (deux ans et plus dans un centre de détention), 10 % une sentence provinciale (moins de deux ans dans une prison), 22,5 % ont été acquittées des accusations qui pesaient contre elles (dont la moitié pour cause du syndrome de la femme battue) et 5 % ont été reconnues non responsables criminellement en raison d’un trouble mental grave (NRCTM). D’autre part, 12,5 % des femmes se sont suicidées à la suite de l’homicide. Toutefois, il est intéressant de noter que, parmi celles-ci, presque la moitié (40 %) ont commis le passage à l’acte homicide-suicide pour un motif de compassion, dans un désir de soulager un conjoint malade et moins d’un quart (20 %) étaient atteintes d’un trouble mental grave. Par ailleurs, plus de la moitié des femmes (57,5 %) se sont dénoncées après l’homicide. De plus, dans 47,5 % des cas, le moyen utilisé pour commettre l’homicide est un instrument perforant (objet contondant ou arme blanche) et dans 37,5 % des cas, une arme à feu. Il est à souligner que deux femmes ont demandé à une tierce personne (un homme de leur entourage) de commettre l’homicide à leur place. Enfin, 17,5 % des femmes se sont acharnées sur leur victime au moment de l’homicide.

Nos résultats portant sur les caractéristiques criminologiques telles que l’homicide-suicide, le moyen utilisé pour commettre l’homicide et l’acharnement sur la victime témoignent de différences entre les hommes et les femmes. En effet, comparativement aux femmes, les hommes commettent un homicide-suicide dans plus de 30 % des cas (Johnson et Hotton, 2003 ; Léveillée, Lefebvre et Galdin, 2011). Des études soulignent que l’homicide-suicide est majoritairement commis par des hommes qui vivent des affects dépressifs et qui se montrent incapables de tolérer la séparation amoureuse, comparativement aux femmes auteures d’un homicide conjugal (Léveillée et al., 2011). Par ailleurs, les hommes utilisent plus fréquemment l’arme à feu (31 %), un instrument perforant (29 %) et l’étranglement (20 %) (AuCoin, 2005).

Enfin, dans plus de 45 % des cas, les hommes s’acharnent sur la victime lors de l’homicide. Ce type de comportement est fréquent lors d’un homicide intrafamilial masculin qui traduit une forte charge affective ressentie envers la victime. La séparation et le désir d’appropriation vécus par l’homme pourraient susciter cette rage, un processus différent dans les cas d’homicides conjugaux commis par les femmes (Léveillée et al., 2011).

Plusieurs types de motivations ont été relevés dans notre étude. Leur analyse indique que 20 % des femmes ont agi par mesure de représailles dans un contexte de séparation pour la moitié d’entre elles (50 %) et à cause de la jalousie pour un quart (25 %). En outre, 25 % des femmes ont agi lors d’une dispute dans un contexte de séparation pour près d’un tiers d’entre elles (30 %) et 12,5 % des femmes sont passées à l’acte pour un motif financier (vouloir l’argent d’une assurance vie ou d’un héritage). Enfin, 25 % des femmes ont agi par autodéfense, incluant la moitié d’entre elles (50 %) qui ont été acquittées compte tenu de la plaidoirie du SFB et presque un tiers (30 %) qui ont été acquittées sans que la Cour ait retenu le SFB. Ces résultats indiquent la variété des motivations observées chez les femmes.

Il ne fait aucun doute que plusieurs femmes victimes de la violence conjugale d’un conjoint durant plusieurs années en viennent à commettre un homicide. La motivation reliée à l’autodéfense est ainsi évoquée pour ces femmes aux prises avec un conjoint violent. Toutefois, il est important de soulever qu’il existe d’autres motivations reliées à l’homicide conjugal féminin. Ainsi, pour un certain nombre de femmes, on observe la présence d’une motivation qui semble typique des hommes, comme la mesure de représailles et la jalousie.

Dans ce texte, nous avons traité de la violence au féminin et présenté quelques comparaisons (différences et similitudes) entre les hommes et les femmes qui commettent un homicide conjugal. À partir de nos résultats, il est possible de dégager certaines particularités féminines. Ainsi, la violence subie et suscitée par un vécu de sévices dans le passé s’avère importante pour les femmes. De plus, il importe de souligner la fragilité de ces femmes qui n’arrivent pas à se sortir d’une relation de couple violente (Mercader et al., 2010). Toutefois, plusieurs femmes commettent un homicide conjugal pour des motifs de représailles et de jalousie. Elles présentent une colère intense et certaines engagent un tueur à gages pour arriver à leurs fins. Aussi, elles laissent peu d’indices à leur entourage permettant de prévenir le geste (Bourget et Gagné, 2012). La reconnaissance de ce profil nous apparaît importante pour parvenir à détecter et à aider ces femmes ainsi que pour protéger les membres de leur entourage.

Les femmes qui tuent leur conjoint se trouvent dans une relation de couple marquée par la violence, l’alcoolisme et la misère sociale. Ces femmes présenteraient selon Mercader et al. (2010) les mêmes caractéristiques que les femmes criminelles au sens large. De plus, leur vie serait marquée par la répétition de difficultés familiales et, plus spécifiquement, par le choix d’un partenaire amoureux violent et la reproduction de la soumission maternelle. De plus, l’homicide serait le reflet du peu d’intériorisation des interdits fondamentaux (inceste, meurtre) impliquant la logique du « c’est lui ou moi ».

La force principale de la présente étude est l’analyse des dossiers de tous les cas d’homicides conjugaux féminins sur une période donnée au Québec. De plus, nous avons procédé à une analyse minutieuse pour chacune des variables étudiées afin de diminuer la subjectivité inhérente à ce type d’étude. Il est cependant important de mentionner que nous n’avons pris en compte que quelques variables pour décrire un phénomène d’une très grande complexité, ainsi, nous sommes conscientes que notre étude est exploratoire. De plus, même si la richesse de l’information provenant des dossiers est indéniable, toutefois, certains dossiers ne sont pas complets et l’information n’est pas toujours uniforme d’un dossier à l’autre.

Nos résultats proposent quelques pistes de réflexion quant à l’intervention et à la recherche auprès de cette population de femmes aux prises avec une répétition de violence. D’une part, il faudrait privilégier une intervention portant sur les traumatismes psychiques vécus par ces femmes et, d’autre part, insister sur l’importance de prendre en compte la répétition de l’agressivité et la violence en lien avec leur histoire familiale. L’étude de la trajectoire de vie de ces femmes pourrait faire suite à la présente étude. Ce type d’étude qualitative de quelques cas cliniques permettrait d’affiner notre compréhension de la dynamique de ces femmes en privilégiant un cadre théorique plus défini qui intègre une approche féministe et psychodynamique.

Enfin, d’autres travaux pourraient suivre la présente étude, notamment l’exploration des problèmes de santé mentale et des processus psychiques sous-jacents à ce type d’homicide. Enfin, une étude composée d’entretiens avec des femmes auteures d’un homicide conjugal et d’un autre type d’homicide serait complémentaire à celle-ci.