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Introduction

Les violences basées sur l’honneur (VBH) affectent des milliers de personnes dans le monde. En 2000, l’ONU Femmes reliait le décès de 5 000 femmes et filles chaque année aux « crimes d’honneur ». Plusieurs pays tentent également de dénombrer les cas de crimes liés à l’honneur se produisant sur leur territoire, mais il est reconnu que les données recueillies ne permettent pas de dresser un portrait réel ni fiable de la situation (SURGIR, 2012) pour différentes raisons qui seront discutées dans le cadre du présent article.

Au Canada, de 1991 à 2012, le Conseil du statut de la femme (CSF) a recensé 17 cas de crimes commis dans un contexte dit d’honneur, faisant 26 victimes (Conseil du statut de la femme [CSF], 2013). Parmi ces cas se trouve la tristement célèbre affaire Shafia où, en 2009, quatre femmes d’origine afghane, dont trois adolescentes, ont été trouvées mortes noyées dans une voiture en Ontario. En janvier 2012, les deux parents et le frère aîné des victimes ont été reconnus coupables de meurtres prémédités et ont été condamnés à la prison à vie, sans possibilité de libération avant 25 ans. Le mobile du meurtre paraît pouvoir être lié au « crime d’honneur », du fait que les victimes auraient, par leurs comportements, « déshonoré » la famille, ce qui aurait poussé les accusés, selon leurs dires, à rétablir l’honneur perdu. Largement médiatisé, cet événement a ébranlé toute la société et continue à susciter des débats polarisés sur les valeurs canadiennes, l’intégration des immigrants, la prévention de telles situations et la protection des jeunes filles susceptibles d’être l’objet de « crimes d’honneur » (Jimenez et Cousineau, 2016a, 2016b).

Dans le cas de l’affaire Shafia, plusieurs organismes et institutions avaient été « appelés à l’aide ». D’abord, le directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) a été interpellé à trois reprises à la suite de signalements effectués par les deux écoles fréquentées par deux des filles de la famille. Ensuite, le Service de police de la Ville de Montréal a également été appelé à intervenir et, finalement, la soeur aînée a été hébergée pendant une courte période dans une maison pour femmes en difficulté. Toutes ces demandes d’aide n’ont pas été suffisantes pour empêcher le drame. La directrice de la protection de la jeunesse à Montréal déclarait à l’époque (Myles, 2012, paragr. 2) :

Cette réalité de crime d’honneur, c’était inconcevable pour nous. Ça ne faisait pas partie des choses qu’on évaluait. […] C’était une réalité théorique, mais nous n’avions jamais été confrontés à cela dans le cadre d’une intervention de la protection de la jeunesse.

Le développement de l’affaire Shafia a montré qu’on ne savait pas reconnaître et réagir à la possibilité d’une situation de crimes d’honneur. Or, si ledit « crime d’honneur », associé à l’homicide, est l’ultime expression des violences basées sur l’honneur, d’autres manifestations de violence, que nous verrons plus loin, peuvent y être associées (Jimenez et Cousineau, 2016a, 2016b), ce qui nous amène plutôt à faire des « violences basées sur l’honneur » le thème de cet article et, plus largement, de nos recherches.

La disparité dans l’incidence des VBH calculées à l’échelle mondiale révèle les difficultés du dépistage et de la dénonciation des cas (CSF, 2013 ; Harper, Vallée et Tomasso, 2014), notamment du fait que ni leur définition ni même leur appellation ne font consensus. De fait, autant le concept que la terminologie « VBH » se révèlent des constructions sociale, politique, juridique et médiatique des pays occidentaux. Il est donc probable que nombre de membres des communautés ethnoculturelles, dont les victimes elles-mêmes, ne s’y retrouvent pas nécessairement (Harper et al., 2014 ; Meetoo et Mirza, 2007).

Le présent article a pour objectif, à partir d’un examen des textes juridiques et jurisprudentiels, de mettre en lumière, tout en les remettant en question, l’évolution des mesures survenues à la suite de l’affaire Shafia en vue de faire face à la réalité des VBH, encore méconnue. Mais d’abord, voyons, à travers une recension des écrits, en quoi consistent les VBH et quelles en sont les conséquences.

Les violences basées sur l’honneur : définition, description et aperçu des conséquences

Un nombre croissant d’auteurs s’entendent pour dire que les VBH sont commises lorsque les comportements des victimes sont considérés comme ayant dérogé à ce qui est prescrit par les normes dictées par l’honneur (Akpinar, 2003 ; Fisher, Manstead et Zaalberg, 2008 ; Lee, 2011 ; Merry, 2009 ; Payton, 2014 ; Rodriguez Mosquera, Fischer, Manstead et Zaalberg, 2008). Plusieurs reconnaissent du même coup que, dans les sociétés régies par un code social reposant sur la notion d’honneur, il est attendu des femmes qu’elles préservent leur vertu en assurant leur chasteté, leur virginité et leur fidélité une fois mariées. Les hommes, pour leur part, doivent s’assurer que les femmes sous leur responsabilité protègent leur vertu en se comportant de manière honorable. Ainsi, s’établit un rapport de domination des hommes sur les femmes se traduisant par un contrôle collectif des activités et des comportements sexuels de ces dernières (Akpinar, 2003 ; CSF, 2013 ; Gill, Begikhani et Gill, 2012 ; Merry, 2009). À ce titre, « l’honneur » est une valeur déterminant la discipline et la régulation sociale des comportements des membres des communautés régies par ce type de code social, et est souvent utilisé comme concept politico-juridico-religieux lorsque le besoin de justifier un crime se fait sentir (Grewal, 2013).

Dans les pays occidentaux, l’honneur associé à la commission de violences a été qualifié de « barbare », considérant qu’il s’agirait d’un honneur destructeur qui renverrait à une altérité qualifiée de déviante (Dilmaç, 2014). Mais l’honneur ne peut être réduit à un principe de contrôle et de pouvoir blâmable car, en effet, il incarne un principe moral primordial dans un grand nombre de sociétés. L’honneur civique (Schopenhauer, 2004 ; Simonin, 2008), porté par les individus « honorables », comprend « toutes les civilités, mais aussi les éléments juridiques (tel le respect de l’autre, celui de la dignité de la personne) présents dans la société qui viseraient à organiser l’espace public et, par conséquent, à maintenir l’ordre social » (Dilmaç, 2014, p. 340). Il s’avère que la « culture d’honneur » possède, aux yeux des communautés qui y adhèrent, plusieurs fonctions positives et protectrices qui mériteraient, sans tomber dans une forme de relativisme culturel, d’être mieux connues (Jimenez et Cousineau, 2014 ; Vatz-Laaroussi, 2009).

Par les attributs qu’on leur reconnaît et les responsabilités qu’on leur fait porter, les filles et les femmes sont majoritairement visées par les VBH (Alizadeh, Hylander, Kocturk et Törnkvist, 2010 ; CSF, 2013 ; Kulczyki et Windle, 2011 ; Payton, 2014), mais les victimes peuvent aussi être des garçons et des hommes (Harper et al., 2014). Les comportements considérés comme déshonorables, pour les filles et les femmes, peuvent être, par exemple, de mettre du maquillage, d’être en contact avec un jeune homme à l’extérieur de leur communauté, de refuser un mariage arrangé, voire forcé, par leurs familles[2], d’être infidèle (CSF, 2013 ; SURGIR, 2012). Pour les hommes, les comportements pourraient être l’affirmation de leur homosexualité ou la protection d’une soeur ou d’une copine « déviante » en regard des normes culturelles (Welchman et Hossain, 2005).

Les VBH peuvent prendre différentes formes. Elles peuvent être psychologiques, physiques, économiques, spirituelles ou sexuelles (Bouclier d’Athéna, 2015), se manifestant par différents gestes, tels le contrôle et l’isolement, des menaces, l’infibulation ou l’excision, le test de virginité, un mariage forcé, la polygamie, des agressions physiques et sexuelles, voire, dans les cas extrêmes, l’homicide (CSF, 2013 ; Merry, 2009 ; Roberts, Campbell et Lloyd, 2014). L’expression de ces formes de violences témoigne d’un décalage entre, d’une part, des pratiques traditionnelles enracinées dans des fondements culturels non occidentaux (Harper et al., 2014) et, d’autre part, une perception occidentale que ces pratiques incarnent une forme de violence genrée et ne peuvent, sous aucun prétexte, être tolérées dans une société qui promeut l’égalité entre les hommes et les femmes et la tolérance zéro envers la violence (CSF, 2013 ; Jimenez et Cousineau, 2016a, 2016b ; Jimenez, Lamboley, Cousineau et Wemmers, 2013).

La participation collective aux VBH en constitue une particularité : effectivement, tous les membres de la communauté peuvent prendre position et participer aux actions menées pour rétablir l’honneur de la famille puisque les effets des actions déshonorantes rejaillissent non seulement sur la famille, mais aussi sur les membres de la communauté qui peuvent, dès lors, se sentir investis du devoir de rétablir cet honneur (Fiske et Ray, 2015 ; Payton, 2014). La participation au rétablissement d’un honneur entaché peut se faire en exerçant de la pression sur la famille de la personne tenue responsable du déshonneur, en participant aux décisions relatives aux actions à mener contre cette personne, ou en exerçant divers types de violences à son endroit (CSF, 2013 ; Eisner et Ghuneim, 2013 ; SURGIR, 2012). Considérées comme étant essentiellement présentes dans les sociétés traditionnelles patriarcales, les VBH s’exercent néanmoins souvent avec la complicité des femmes, souvent plus âgées (mère, grand-mère, belle-mère, etc.) qui soutiennent ce système de valeurs justifiant l’exercice du contrôle et même de la violence (CSF, 2013).

Le concept de l’honneur et des violences commises en son nom, dont on associe souvent l’existence aux sociétés patriarcales et collectivistes, transcende les frontières, faisant que l’on en trouve la trace au Canada et que l’on s’en inquiète. Le contexte migratoire et les lois restrictives d’immigration en vigueur au Canada peuvent en effet constituer des facteurs de risque et de vulnérabilité dans le cadre des VBH, et cela, pour diverses raisons. D’abord, le statut d’immigration, le fait de ne pas être citoyenne canadienne et de ne pas avoir un statut régulier au Canada et, plus particulièrement, le fait d’avoir été parrainées par leur conjoint, peuvent rendre les femmes vulnérables, car elles ont souvent peur d’être renvoyées dans leur pays. Cette crainte peut être aggravée lorsque la victime a des enfants et qu’elle a peur d’en être séparée. Cette vulnérabilité est surtout sentie, lorsque les femmes parrainées se trouvent « à la merci » d’un conjoint violent et se croient dans l’obligation de cohabiter avec lui pour ne pas perdre leur statut. Effectivement, bien que la mesure migratoire de résidence permanente conditionnelle adoptée en 2012 imposait la cohabitation pendant une période de deux ans aux parrainant et parrainé (afin d’éviter les mariages feints et la fraude en immigration), la loi prévoyait une annulation de la condition de cohabitation dans un cas de violence conjugale, une possibilité méconnue des femmes parrainées et donc, peu utilisée. De plus, dans un contexte où la notion d’honneur est invoquée, notamment dans des cas de mariages forcés, les femmes qui veulent quitter leur conjoint seraient doublement vulnérables du fait qu’elles risquent, en plus, d’être rejetées par leurs propres familles si jamais elles décidaient de dénoncer la violence conjugale. La méconnaissance de la langue, des recours et de leurs droits augmente également la vulnérabilité de la victime immigrante, qui se trouve dans une situation d’isolement du fait que souvent, ses seuls repères et soutiens se trouvent être sa famille et sa communauté.

Enfin, les victimes sont aussi peu portées à dénoncer les VBH, car elles ne veulent pas nécessairement la criminalisation des agresseurs (conjoint, père, mère, frère, famille élargie, communauté) ou la déportation de leur conjoint ou de leur famille.

Objectifs de l’analyse

C’est dans le contexte d’une réalité nouvellement et dramatiquement dévoilée au Québec qu’a vu le jour notre projet de recherche qui, globalement, vise à mieux comprendre les VBH telles qu’elles se vivent au Québec et les réponses qui y sont apportées. Dans le cadre du présent article, nous présentons les résultats de l’examen de l’évolution du cadre juridique appliqué en contexte de VBH que nous avons premièrement réalisé en estimant que ce travail s’avérait essentiel pour la suite de la recherche visant à évaluer les défis du dépistage et de l’intervention en VBH, y compris la mise en pratique par les intervenants des outils législatifs examinés. C’est donc le résultat de notre analyse des lois et des jurisprudences qui est ici présenté.

L’évolution des outils juridiques traitant des VBH au Canada et au Québec

À la suite de l’affaire Shafia, la Loi fédérale sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares et la Loi provinciale apportant diverses modifications législatives pour renforcer la protection des personnes sont entrées en vigueur, forçant dans leur sillage l’amendement d’autres lois en vigueur. L’objectif poursuivi est d’analyser les conséquences de ces changements en regard du traitement des VBH au Canada en adoptant une approche victimologique consistant à étudier l’impact des lois sur les victimes. L’adoption de cette lunette dans l’analyse de la portée des lois a pour objet de répondre à la question suivante : les nouvelles dispositions légales et les amendements juridiques s’y associant arrivent-ils à prévenir les VBH et à protéger les victimes ? Ou, au contraire, pourraient-ils avoir des effets négatifs pour elles ?

Sur le plan fédéral : la Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares

Au Canada, la Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares[3] recevait la sanction royale en juin 2015 et est entrée en application le mois suivant. Au sens de la loi, le terme « pratiques culturelles barbares » réfère à des pratiques jugées « contraires aux valeurs canadiennes », ce qui comprend toutes les formes de violence familiale fondée sur le sexe, notamment les mariages précoces, forcés, polygames, ainsi que toute forme de violence liée à « l’honneur ». Cette loi entraîne la modification de cinq autres lois existantes, entre autres la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR)[4], la Loi sur le mariage civil[5] et le Code criminel (C.cr)[6].

Un renforcement de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR)

La Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares modifie la LIPR de façon telle que la polygamie devient un nouveau motif d’interdiction d’entrée ou de séjour au Canada pour un résident permanent ou un étranger. Or, la polygamie au Canada est déjà sanctionnée depuis 1890 par le Code criminel (art. 293 C.cr.) et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans. En 2009, la Cour suprême de la Colombie-Britannique (Cour suprême de la Colombie-Britannique [CSCB], 2011) a confirmé la constitutionnalité de l’interdiction de la polygamie. Ainsi, malgré que l’article 293 C.cr. contrevienne à la liberté de religion protégée par la Charte canadienne des droits et libertés, cette atteinte est justifiée par le fait qu’il est reconnu que la polygamie cause un tort considérable aux femmes, aux enfants et à l’institution canadienne du mariage.

Toutefois, jusqu’à présent, la Couronne n’a jamais pu obtenir une condamnation pour polygamie au Canada. Ainsi, la polygamie continue d’être impunément exercée (CSF, 2010 ; Geadah, 2016). Ceci étant, les changements apportés à la LIPR dans le sillage de la Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares, faisant de la polygamie une cause d’interdiction et d’expulsion du pays pour les non-Canadiens qui la pratiquent soulève la question : pourquoi le Canada cible-t-il les immigrants tout en ne condamnant pas ses propres citoyens ? Et, si la polygamie est déjà illégale au Canada, est-il vraiment nécessaire de cibler spécifiquement les immigrants qui essaient d’entrer au pays ? Par ailleurs, la common law canadienne stipule qu’un mariage polygame peut être converti en mariage monogame si le couple vit une relation monogame à partir du moment de son arrivée au Canada. Par conséquent, en situation de mariage polygame, pendant que le mari peut séjourner en sol canadien, toutes les épouses à l’exception de la première se voient interdire l’accès au pays ou sont renvoyées dans leur pays, au risque d’être séparées de leurs enfants lors de ce processus.

La nouvelle loi vise en principe l’élimination de la violence faite aux femmes vulnérables, mais comment protéger les femmes expulsées ou interdites d’accès au territoire canadien du seul fait que leur mari est polygame ? De plus, il est important de comprendre que la relation n’est polygame que du point de vue du mari, puisque chaque épouse, n’étant mariée qu’à un seul homme, entretient donc avec lui une relation monogame. Dans cette perspective et en vertu des principes soutenant les lois en vigueur, le Canada ne devrait-il pas plutôt prévoir que les épouses des hommes polygames puissent rester au pays avec les enfants ? Agir en ce sens pourrait encourager les femmes, aux prises avec un mariage polygame à dénoncer leur situation.

Un renforcement de la Loi sur le mariage civil

Dans le but de prévenir le mariage forcé et le mariage précoce, la Loi sur le mariage civil, de compétence fédérale, exige dorénavant de manière expresse le « consentement libre et éclairé » des futurs conjoints, c’est-à-dire un consentement exempt de pression ou de coercition de la part d’autres personnes. Elle fixe également un nouvel âge minimal de consentement au mariage à 16 ans, en plus d’interdire la polygamie. Toutes ces modifications à la Loi sur le mariage civil à l’égard de la nécessité du consentement, l’âge minimal et la monogamie étaient toutefois déjà en vigueur au Québec en vertu de la Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil[7]. La nouvelle loi étend l’harmonisation des multiples restrictions juridiques associées aux mariages à l’ensemble des provinces, ce qui s’avère un de ses aspects positifs.

Le renforcement du Code criminel

La nouvelle loi modifie le Code criminel en criminalisant la célébration et l’organisation de mariages forcés ou de mariages de personnes de moins de 16 ans, ainsi que le passage d’enfants de moins de 16 ans à l’étranger en vue de la tenue d’un mariage. Il est donc maintenant considéré comme une infraction de célébrer un mariage, d’y aider ou d’y participer en sachant que l’une des personnes se marie contre son gré, et ce, sous peine d’un emprisonnement maximal de cinq ans[8]. Une personne qui en force une autre à se marier peut être accusée d’enlèvement, de séquestration, de profération de menaces, de voies de fait, d’extorsion et même d’agression sexuelle. De plus, afin de prévenir les mariages forcés ou les mariages de personnes de moins de 16 ans au Canada ou à l’étranger, un nouvel engagement de ne pas troubler l’ordre public et de faire preuve d’une bonne conduite[9] a également été ajouté au Code criminel. Cette imposition peut être accompagnée de plusieurs conditions pour l’accusé, telles la saisie de son passeport, la limitation de sa liberté de mouvement ou encore l’interdiction d’entreprendre toute démarche en vue de faire voyager la présumée victime. Ce dernier volet a été l’un des mieux reçus afin d’empêcher les mariages forcés à l’étranger. Finalement, un changement a été apporté au Code criminel afin de restreindre formellement la défense de provocation au pénal en contexte de crimes d’honneur. Examinons cet amendement et ses effets.

Le Code criminel prévoit l’utilisation de la défense de provocation au pénal. Ainsi, un homicide coupable, qui autrement serait un meurtre, peut être réduit à un homicide involontaire si la personne qui l’a commis a agi dans un accès de colère causé par une « provocation soudaine » (art. 232 (1)). La provocation est ici définie comme étant une action injuste ou une insulte de telle nature qu’elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser, c’est-à-dire que l’accusé a agi sous l’impulsion du moment et avant d’avoir eu le temps de reprendre son sang-froid (art. 232 (2)). En vertu de la nouvelle Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares, l’utilisation de la défense de provocation au pénal est dorénavant expressément exclue dans les cas de meurtres liés à l’honneur.

Si le relativisme culturel ou la « défense culturelle » (Bilge, 2005 ; Fournier, 2002), y compris les traditions et la religion, ont été invoqués dans plusieurs litiges pénaux reliés à l’honneur par la défense, celui-ci a souvent causé une réprobation publique et médiatique. Prenons comme exemple l’affaire R. c. Nouasria de 1994[10], dans laquelle l’accusé est un homme d’origine algérienne inculpé pour agression sexuelle sur sa belle-fille de neuf ans sur une période de deux ans et demi. La juge Verreault de la Cour du Québec a condamné l’accusé à un emprisonnement de 23 mois, suivi d’une ordonnance de probation d’un an. Dans la détermination de la peine, la juge prenait en compte, comme facteur atténuant, le fait que les abus sexuels avaient été perpétrés par voie anale plutôt que vaginale, ce qui a contribué à protéger la virginité de l’enfant (Conseil de la magistrature, 1994). Dans les jours et les semaines suivantes, certains extraits de la décision ont été largement diffusés dans les médias, causant beaucoup d’indignation, y compris au sein de la communauté musulmane, surtout en ce qui concerne le passage suivant :

Les facteurs atténuants sont (…) le fait que l’accusé n’ait pas eu de relations sexuelles normales et complètes avec la victime, c’est-à-dire des relations sexuelles vaginales, pour être plus précis, de sorte que celle-ci puisse préserver sa virginité, ce qui semble être une valeur très importante dans leurs religions respectives. On peut donc dire que, d’une certaine façon et à cet égard, l’accusé a ménagé la victime[11].

Bien que le changement légal interdisant la « défense culturelle » ait été accueilli favorablement, il importe de se questionner sur sa pertinence réelle car, jusqu’à présent, les tribunaux canadiens qui ont accepté cette défense en contexte de meurtres liés à l’honneur demeurent très peu nombreux. De plus, dans la majorité des cas où la « défense culturelle » a été invoquée comme circonstance atténuante, elle a été renversée en appel. Nous nous limiterons ici à citer deux exemples jurisprudentiels.

En premier lieu, l’affaire Sadiqi (2011), dans laquelle les meurtres de la soeur de l’accusé et de son fiancé ont été qualifiés de « crimes d’honneur ». L’accusé considérait que sa soeur avait déshonoré la famille du fait qu’elle n’avait pas reçu l’approbation de leur père pour son mariage. La défense de provocation a été utilisée comme moyen de défense, mais l’argument a été rejeté.

Dans l’affaire R. c. Humaid (2006), où un homme a tué sa femme pour motif d’adultère, l’accusé a invoqué la défense de provocation, indiquant que, dans la religion et la culture islamiques, l’honneur familial est valorisé et donc que l’infidélité d’une femme expose son époux de façon sérieuse à la honte et à la réprobation. Cet argument a été rejeté et l’accusé a été reconnu coupable de meurtre au premier degré. Dans sa décision, la Cour d’appel de l’Ontario argumente que (Béchard, Elgersma et Nicol, 2015, paragr. 85 et 93) :

La défense de provocation n’excuse pas l’accusé qui, loin d’avoir perdu la maîtrise de lui-même, aurait été motivé par un désir de vengeance ou par un sentiment, imposé par la culture, de ce qui serait une réponse appropriée à l’inconduite d’autrui. L’accusé qui aurait été motivé par un désir de châtiment issu d’un système de croyances qui autorise le mari à sanctionner ce qu’il juge être une infidélité de la part de sa femme n’a pas perdu la maîtrise, mais a posé un geste qui, dans son système de croyances, est une réponse justifiée à la situation […]. Le hic, à ce que je peux voir, c’est que les présumées croyances qui ajoutent à l’insulte reposent sur l’idée que les femmes sont inférieures aux hommes et que la violence commise à leur endroit est acceptée dans certaines circonstances, voire encouragée. De telles croyances sont à l’opposé des valeurs canadiennes fondamentales, dont l’égalité entre les sexes. On peut soutenir, comme principe de droit pénal, que toute « personne ordinaire » ne peut s’en tenir à des croyances qui ne sont pas conciliables avec les valeurs canadiennes fondamentales.

En somme, bien que dans plusieurs cas de meurtre, la notion du déshonneur familial ait été invoquée comme défense de provocation, cet argument a rarement été accepté ou considéré comme facteur atténuant. Au contraire, il apparaît que la préservation ou la restauration de l’honneur peut plutôt servir la Couronne, qui cherche à démontrer le caractère prémédité et délibéré du meurtre au premier degré[12]. De ce fait, sans pour autant être en désaccord avec l’exclusion légale explicite de la défense de provocation dans les cas de meurtres liés à l’honneur, il est possible de mettre en doute son utilité, puisque ce moyen de défense est déjà implicitement exclu de la pratique juridique.

Critiques à la Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares

Des changements apportés aux codes légaux en vigueur au Canada en regard de nouvelles préoccupations sociales visent à contrer la polygamie, les mariages forcés et les mariages précoces, toutes des pratiques considérées comme « barbares » parce qu’elles sont contraires aux traditions canadiennes. Mais le Canada a-t-il vraiment besoin de tels amendements législatifs ? Et quels en sont les impacts possibles ?

Les changements évoqués visent incontestablement la population immigrante voulant entrer au pays ou qui y séjourne déjà. C’est l’ancien ministre conservateur de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada, Chris Alexander, qui a présenté le projet de loi destiné à lutter contre ce que son parti qualifiait à l’époque de « pratiques culturelles barbares » arguant : « On ne peut pas accepter que des gens arrivent au Canada avec de telles attitudes. C’est inacceptable. » Selon ses dires, cette loi a été adoptée dans le but de mieux protéger et soutenir les personnes vulnérables (Gouvernement du Canada, 2015), principalement les femmes et les jeunes filles immigrantes :

Malgré nos meilleurs efforts et nos meilleures intentions, la réalité est que certaines immigrantes peuvent être et sont victimes de violence ou de mauvais traitements. Avec la Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares, nous envoyons un message clair aux personnes qui sont au Canada ou qui désirent y venir en affirmant que nous ne tolérerons pas la pratique de traditions culturelles qui privent des personnes de leurs droits naturels. Les personnes qui pratiqueraient de telles traditions en sol canadien ne pourront pas se prévaloir de notre généreux et équitable système d’immigration[13].

L’ensemble des modifications se traduit par un renforcement des lois se rapportant au Code criminel. Il est toutefois légitime de se demander si la criminalisation est toujours la meilleure solution. D’un côté, celle-ci amène la dénonciation et la condamnation d’un geste répréhensible. D’un autre côté, les victimes ne souhaitent pas nécessairement criminaliser leurs familles (Gaedah, 2016).

Plusieurs des amendements apportés aux lois fédérales ont été malgré tout favorablement accueillis dans l’espoir, notamment, qu’ils arrivent réellement à protéger les femmes et les filles de la violence. Néanmoins, la Loi sur la tolérance zéro provoque plusieurs réactions, entre autres à l’égard de son intitulé « pratiques culturelles “barbares” », appellation ayant une connotation de stigmatisation reflétant une attitude occidentale condescendante de la part du Gouvernement du Canada envers plusieurs communautés religieuses et culturelles. Pourquoi ne pas simplement l’intituler la Loi « contre les pratiques violentes » ? Cette proposition, en plus d’éviter de rejeter le blâme sur la culture, aurait l’avantage d’inclure la violence faite aux femmes au Canada, y compris celle commise envers les femmes autochtones, qui demeure un enjeu de taille.

Le choix terminologique « pratiques culturelles barbares » renforce les préjugés culturels en plus de s’avérer raciste et discriminatoire envers certaines communautés ethnoculturelles. Il peut en résulter des effets néfastes pour la protection des victimes. Les victimes des mariages forcés ou précoces pourraient être moins portées à dénoncer du fait qu’on considère qu’elles proviennent d’une communauté culturelle considérée « barbare ». La distance ainsi créée peut aussi nuire à la collaboration des communautés ethnoculturelles dans les initiatives de lutte en matière de violences, restreignant de la sorte le potentiel de déploiement de mesures de sensibilisation, de prévention et d’assistance. Tout en reconnaissant que l’objectif de cette loi vise la protection des filles et des femmes immigrantes, nous rejoignons les inquiétudes de Gaedah (2016) lorsqu’elle affirme qu’« il convient d’examiner de plus près la rhétorique basée sur la crainte que cette loi ne soit un obstacle plutôt qu’une aide aux femmes ».

En somme, plusieurs interrogations paraissent légitimes quant à la nécessité de cette loi et des modifications à d’autres instruments réglementaires qu’elle entraîne, d’autant plus que les lois actuelles sont considérées comme adéquates et suffisantes pour contrer les VBH (Jimenez et al., 2013).

Finalement, bien que la Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares ait été déposée et adoptée notamment en réponse à l’affaire Shafia, le législateur a choisi de ne pas se référer explicitement à l’appellation « violence basée sur l’honneur ». De ce fait, les VBH ne sont toujours ni une infraction ni une circonstance aggravante en vertu du Code criminel. Le législateur a plutôt choisi de criminaliser le mariage forcé, le mariage précoce et la polygamie, trois formes d’infractions considérées comme autant de manifestations de VBH.

Sur le plan provincial : la Loi apportant diverses modifications législatives pour renforcer la protection des personnes (Projet de loi 59)[14]

À l’origine, le projet de loi 59 était constitué de deux volets : un premier portant sur la radicalisation et un deuxième sur les mesures destinées à la protection des personnes, dont plusieurs visent directement les VBH. Source de débats et de critiques sévères, la première partie du projet de loi a été mise de côté, mais la deuxième a été sanctionnée en juin 2016[15]. À l’instar des mesures fédérales, cette loi a modifié plusieurs autres lois en vue de prévenir la polygamie ainsi que les mariages forcés et précoces au Québec.

À cet égard, la loi modifie certaines règles relatives à la célébration d’un mariage et d’une union civile prévus au Code civil du Québec (CCQ). Ainsi, dans le but de favoriser la transparence et l’opposition aux mariages ne respectant pas les conditions requises, le mode de publication des bans a été remplacé par une publication sur le site Internet du Directeur de l’état civil (art. 368). De plus, la loi autorise expressément quiconque veut s’opposer à un mariage forcé[16]. Le Conseil du statut de la femme (CSF, 2013) recommandait toutefois l’adoption d’un amendement pour mieux protéger ceux qui s’opposent aux mariages car, dans certains cas, notamment ceux de mariage forcé, l’opposition peut entraîner des représailles. Cette recommandation n’a pas été retenue par l’Assemblée nationale (Gaedah, 2016).

Au Québec, l’âge minimal requis pour se marier est fixé à 16 ans. Avant l’adoption de la nouvelle loi, lorsque l’un des futurs époux était mineur, l’obtention du consentement des parents ou du tuteur était obligatoire et suffisante pour autoriser le mariage. Or, comme les mariages forcés sont fréquemment organisés par la famille immédiate de la victime, le consentement parental devenait un élément inquiétant dans ce contexte. Afin de corriger le tir, la nouvelle loi va plus loin dans ses mesures de protection contre les mariages forcés et précoces, et exige désormais l’autorisation d’un tribunal pour célébrer un mariage impliquant des mineurs. Le célébrant doit s’assurer de cette formalité et aussi, pour éviter la polygamie, que les futurs époux sont bien libres de tout lien de mariage ou d’union civile antérieure (art. 373). Le mariage dont la célébration n’est pas conforme à ces conditions peut être frappé de nullité à la demande de toute personne intéressée (art. 380).

Nous accueillons positivement cette mesure, qui devrait augmenter la protection des mineurs contre l’avènement de mariages forcés. Toutefois, elle risque de laisser sans protection les mineurs forcés de se marier à l’extérieur du Canada. Cette situation est d’autant plus préoccupante du fait que plusieurs mariages précoces sont célébrés dans le pays d’origine des parents. Selon le rapport du South Asian Legal Clinic of Ontario (2013), 41 % des femmes mariées de force se trouvant au Canada ont été mariées à l’étranger.

L’un des amendements les plus importants du projet de loi C-59 est l’introduction d’une « ordonnance de protection ». Le Code de procédure civile prévoit maintenant l’attribution aux tribunaux judiciaires du pouvoir d’ordonner des mesures propres à favoriser la protection des personnes dont la vie, la santé ou la sécurité est menacée par une autre personne, y compris dans les cas de violences basées sur l’honneur :

Une telle injonction peut enjoindre à une personne physique de ne pas faire ou de cesser de faire quelque chose ou d’accomplir un acte déterminé en vue de protéger une autre personne physique dont la vie, la santé ou la sécurité est menacée. Une telle injonction, dite ordonnance de protection, peut être obtenue, notamment dans un contexte de violences, par exemple de violences basées sur une conception de l’honneur. L’ordonnance de protection ne peut être prononcée que pour le temps et aux conditions déterminées par le tribunal, et pour une durée qui ne peut excéder trois ans. L’ordonnance de protection peut également être demandée par une autre personne ou un organisme si la personne menacée y consent ou, à défaut, sur autorisation du tribunal

art. 509 du Code de procédure civile

Nous accueillons aussi favorablement cette modification, recommandée par l’avis du CSF (2013). Une telle ordonnance de protection en matière civile peut contribuer à assurer la sécurité d’une personne sous l’emprise du contrôle de sa famille ou de son entourage. Elle constitue une protection immédiate pouvant être obtenue sans avoir besoin de porter plainte à la police. Nous considérons donc positive l’existence d’une telle mesure au civil, puisqu’il existe au pénal une barrière à la dénonciation des victimes du fait qu’elles ne veulent pas nécessairement que soient criminalisés les membres de leur famille, ce qui aurait pour effet d’augmenter l’isolement des victimes.

Le projet de loi 59 modifie aussi la Loi de la protection de la jeunesse (LPJ)[17] de manière à inclure explicitement le « contrôle excessif » comme forme de mauvais traitement psychologique compromettant la sécurité ou le développement de l’enfant (art. 38c). Le contrôle excessif incarne toutefois un élément dont plusieurs organismes tenaient déjà compte, incluant la DPJ. En effet, les situations de VBH traitées par cette dernière se traduisent, dans bien des cas, par un contrôle excessif motivé chez ceux qui l’exercent par le sentiment de devoir protéger la sexualité des jeunes filles dont ils sont responsables. Ce contrôle dit « excessif » à l’égard des femmes et jeunes filles peut certainement nuire à leur intégration dans la société québécoise. Le problème soulevé ici se situe dans l’évaluation de la situation et l’application des mesures en vertu de la LPJ. Du fait qu’il n’existe pas de définition du concept de « contrôle excessif » ni de principe directeur d’intervention en présence d’un tel comportement, à partir de quand et dans quelle situation le contrôle doit-il être considéré comme « excessif » et donc comme un motif de compromission de la sécurité ou du développement de l’enfant ? La « culture d’honneur », nous le mentionnions plus tôt, possède, aux yeux des communautés qui y adhèrent, plusieurs fonctions positives et protectrices qui mériteraient d’être mieux connues. Par exemple, relativement à une culture dominante et à un environnement non familier, certains peuvent adopter des conduites parentales que la société d’accueil juge rigides à l’égard de leurs enfants, et plus particulièrement leurs filles, dans le but avoué de les protéger de dangers réels ou perçus (Jimenez et Cousineau, 2014).

La loi précise aussi qu’aucune considération, qu’elle soit d’ordre idéologique ou basée sur une conception de l’honneur, ne peut justifier que la sécurité ou le développement d’un enfant soit compromis (art. 38.3 LPJ). Nous nous questionnons sur la justification et la pertinence d’insérer cette modification dans la LPJ puisqu’au pénal, l’honneur et la culture ne bénéficient ni d’un traitement d’exception ou de réduction ni d’une présomption de circonstance atténuante.

Reste qu’en général, nous considérons positivement la volonté du gouvernement du Québec d’avoir apporté ces changements législatifs afin de mieux protéger les filles et les femmes contre les mariages forcés et les VBH. Les mesures adoptées vont en effet dans le même sens que certaines recommandations proposées par le CSF (2013) dans leur avis sur les crimes d’honneur.

Conclusion

À la suite de cette première étape de recherche, il est possible de conclure qu’il existe un « avant » et un « après » l’affaire Shafia. L’évolution législative entourant les VBH se traduit par l’adoption d’amendements de plusieurs lois en vue, en théorie à tout le moins, de protéger les victimes. Bien qu’il n’y ait pas d’infraction criminelle ni de circonstance aggravante spécifique liée à l’honneur en vertu du Code criminel, après l’affaire Shafia, les législateurs fédéraux et provinciaux se sont vite mobilisés afin de modifier les lois pour prévenir la pratique des mariages forcés, des mariages précoces et de la polygamie au Canada. Si plusieurs amendements sont positifs (l’harmonisation à travers le Canada de l’exigence explicite de l’âge minimal obligatoire au mariage et de son consentement libre et éclairé, l’autorisation obligatoire des tribunaux pour les mariages de mineurs, l’introduction de l’injonction civile de protection), plusieurs autres restent encore à évaluer quant à leurs impacts sur le terrain. En effet, les nouvelles modifications ont-elles véritablement pour objectif, ou pour effet, de protéger et assister les femmes et les filles victimes de VBH ? Plusieurs questions légitimes se posent : qu’advient-il des jeunes filles et des femmes lors de l’annulation d’un mariage forcé ou précoce ? Pourront-elles retourner dans leur famille ou communauté, ou seront-elles davantage isolées et victimisées ? Quelle assistance a-t-on prévue pour les victimes de mariage forcé, d’excision ou d’infibulation se déroulant à l’étranger ? Quel sera l’impact de la criminalisation des familles responsables de telles infractions sur les victimes ? Finalement, lorsque le DPJ exige un retrait de l’adolescente de sa famille et une restriction de contact avec sa famille élargie ou communauté, s’agit-il d’une solution véritablement souhaitée par la victime ? Qu’arrive-t-il une fois que l’adolescente atteint 18 ans et que la Loi de la protection de la jeunesse ne s’applique plus ?

La Loi sur la tolérance zéro contre les pratiques culturelles barbares, par son titre seul, envoie un message de réprobation et de dissuasion à bon nombre de communautés ayant certaines pratiques traditionnelles considérées comme contraires aux valeurs canadiennes. La loi, en visant les immigrants, risque de stigmatiser plusieurs communautés. Or, s’il est primordial de respecter la Charte canadienne des droits et libertés à l’égard du principe d’égalité entre les hommes et les femmes et dans la lutte contre la violence faite aux femmes, il est fondamental que l’implantation de chaque loi et mesure offre une véritable protection aux victimes. En comprenant les dimensions multiples de la problématique des VBH, il est possible de constater qu’il n’existe pas de solution miracle car, pour les victimes, lutter contre de telles violences peut souvent signifier devoir renoncer à leur famille, à leur communauté et à leurs traditions. Qu’est-ce que les victimes souhaitent ? Et quelles sont les meilleures réponses d’intervention en contexte de VBH ? Voilà les questions auxquelles nous devons maintenant chercher à répondre.