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Introduction

Traditionnellement, les victimes de crimes ont été exclues du système de justice pénale dans les ressorts de common law. Une exclusion qui s’explique en grande partie par la définition même du crime, perçu comme un outrage social et collectif à la paix publique, une mise à l’épreuve de la stabilité de l’État. Dans ces ressorts, c’est un modèle accusatoire qui établit les relations entre l’État et l’accusé, mais aussi le magistrat ou le juge indépendant. Ce modèle ne prévoit dès lors aucune participation de la victime au processus judiciaire et ne laisse un rôle qu’aux accusés, seuls à même de défier l’État sur sa qualité de gardien de l’intérêt public. Alors que les victimes de crimes ont été exclues des procédures judiciaires, l’État et l’accusé constituent donc, eux, les éléments-clés du système de justice pénale (Elias, 1986, 1993 ; Shapland, 1986 ; Walklate, 1989 ; Rock, 1990 ; Sebba, 1996 ; Kirchengast, 2006 ; Doak, 2008). Dans ce contexte, intégrer la victime dans les juridictions de common law pose un vrai défi non dénué de scepticisme (Ashworth, 1993 ; Edwards, 2004, 2009 ; Duff et al., 2007 ; Wolhunter et al., 2009). Des critiques avancent ainsi que donner plus de place aux victimes porte atteinte aux procédures qui visent à garantir pleinement un procès équitable aux accusés ; des procédures durant lesquelles ces derniers peuvent remettre en question les accusations criminelles portées par l’État. Plus précisément, la prise en compte des droits des victimes est critiquée au motif qu’elle répondrait surtout à un impératif politique qui cherche à apaiser les intérêts spécifiques de groupes qui le sont tout autant et ce, là encore, au mépris des droits de l’accusé à une équité procédurale ainsi qu’à un procès en bonne et due forme. En examinant les divers ressorts qui ouvrent la porte aux avocats de victimes, le présent article montre toutefois que ces avocats garantissent à la victime un certain pouvoir décisionnel et un certain contrôle sur les procédures judiciaires qui concernent son affaire (voir Beloof, 2005 ; Aaronson, 2008 ; Blondel, 2008 ; Davis et Mulford, 2008). C’est la reconnaissance de cette capacité des victimes à choisir d’engager un avocat et de lui donner des instructions qui distingue notre article des écrits actuels qui tendent à minimiser la participation des victimes en mettant uniquement l’accent sur la poursuite publique.

Jusqu’à récemment, la déclaration de la victime, qui était déposée entre l’établissement de la culpabilité et la détermination de la peine, constituait le seul moyen par lequel les victimes se voyaient octroyer un rôle dans les procédures des tribunaux. La déclaration de la victime a été non seulement présentée comme la voie d’accès des victimes aux procédures, mais aussi comme un processus thérapeutique leur assurant une certaine reconnaissance, une indemnisation relative, voire un début de réconfort (Erez, 2004 : 495). La capacité de cette déclaration à contribuer à une forme de réconciliation ou de restitution reste cependant sujette à controverse (Hoyle et al., 1998 ; Sanders et al., 2001 ; Ashworth, 1993 ; Roberts et Erez, 2010 : 234-237), même si un consensus mou existe quant à sa réception favorable parmi les groupes de victimes (Booth, 2007). Ces déclarations n’en ont pas moins été critiquées comme limitées et inefficaces ; elles sont aussi perçues, on l’a dit, comme un à-côté du procès pénal, dont la victime continuerait en fait d’être exclue (Edwards, 2009).

Ceci dit, la présence croissante des avocats des victimes dans divers ressorts de common law (incluant notamment l’Angleterre, le Pays de Galles et les États-Unis) témoigne du souci accru de donner aux victimes un véritable statut juridique et des droits effectifs pour être représentées tout au long des procédures judiciaires (voir Beloof, 2005 ; Davis et Mulford, 2008 ; Kirchengast, 2010 : 97-110). Loin de se limiter à déposer la déclaration de leurs clients après l’établissement de la culpabilité, ces avocats des victimes peuvent prendre part aux audiences avant procès, à la détermination de la peine, ainsi qu’aux procédures d’appel. L’idée serait ici de donner la parole à la victime à chaque étape de la procédure judiciaire, dans une démarche relativement similaire à celle que l’on retrouve déjà dans divers tribunaux de droit civil (devant ces tribunaux, les victimes sont en effet représentées par un avocat qui joue un rôle de procureur auxiliaire ou additionnel). Quand la reconnaissance de la victime est assurée par un avocat qui la représente, elle donne à celle-ci une capacité d’agir substantielle dans les procédures criminelles puisqu’elle lui confère un statut réel devant le tribunal. La signification de cette capacité d’agir ne devrait donc pas être lue comme une situation de statu quo. Elle ne devrait pas être trop vite rapprochée des situations généralement rencontrées dans les ressorts de common law qui, en adhérant à un modèle accusatoire qui ne donne un statut juridique qu’à l’État et à l’accusé, conduisent effectivement à une participation nulle ou limitée des victimes. Selon Beloof (2005), leur capacité d’agir est au contraire maintenant considérable puisque afin qu’elles puissent faire valoir leurs droits en matière de justice pénale, les victimes peuvent désormais dénoncer des obstacles discrétionnaires à la reconnaissance de leurs droits, l’absence de droits applicables, ou encore le refus de réexaminer une décision de justice. Se voyant conférer un statut légal pour défendre leurs droits face à un code donné, les victimes peuvent alors chercher à faire respecter leurs droits en en soulignant les fréquentes violations. Dans un tel contexte, les victimes ne seront peut-être bientôt plus confrontées à des droits qui soit sont non applicables, soit ne sont pas honorés par le gouvernement. C’est à ce prix que leur participation aux procédures judiciaires pourrait considérablement augmenter (Davis et Mulford, 2008 : 203).

Les avocats des victimes peuvent maintenant les représenter pour des infractions fédérales partout aux États-Unis. En Angleterre et au Pays de Galles, ces avocats peuvent, de façon plus limitée certes, représenter les membres des familles de victimes d’homicides. De telles réformes ont été toutefois controversées et le débat fait rage quant à la possibilité que ces avocats puissent aller jusqu’à compromettre le contrôle de l’État sur les poursuites judiciaires, voire mettre à mal le droit de l’accusé à un procès équitable. Alors qu’il est communément accepté que les divers aspects de la procédure judiciaire, incluant l’application des cautions, puissent avoir un impact significatif sur les victimes et leurs familles, le débat reste ouvert sur le poids que pourrait avoir l’avis des victimes dans le processus de prise de décision ou encore sur le pouvoir qui leur serait donné de contester des principes de droit dits fondamentaux.

Le présent article examine la façon dont les victimes ont été associées aux procédures accusatoires dans les ressorts de common law. Il le fait en considérant les avocats des victimes comme une avancée significative dans la philosophie de la justice de type contradictoire. À l’opposé d’une tendance qui soit exclurait la victime soit lui octroierait une participation limitée, ces avocats apparaissent au contraire à la source d’une importance nouvelle attribuée aux victimes dont ils relaient, en même temps qu’ils traduisent, la capacité d’agir et ce, dans un système de justice qui jusque-là limitait le rôle de la victime à celui de témoin potentiel de la Couronne. Packer (1968) s’était prononcé en faveur de la centralité du modèle du procès équitable, qu’il voyait comme le meilleur moyen de protéger les droits de l’accusé. Intégrer les victimes dans les procédures judiciaires en leur donnant des droits et un véritable statut juridique devant un tribunal était alors critiqué comme pouvant compromettre l’équité du procès de l’accusé tout en permettant aux victimes de formuler des revendications périphériques, voire hors de propos par rapport aux accusations en jeu. L’étude d’Edwards (2004 ; voir aussi Doak, 2005) constitue un exemple probant du statut ambigu des victimes dans les ressorts de common law. L’article se conclut en portant attention aux moyens par lesquels des avocats de victimes pourraient être intégrés à une procédure pénale qui ferait fi des distinctions entre systèmes inquisitoire et accusatoire et ce, en vue de valoriser davantage la capacité d’agir des victimes dans les procédures judiciaires.

Les déclarations des victimes

Dans les années récentes, les victimes ont de plus en plus critiqué la façon dont elles ont été évacuées du système de justice pénale au profit de processus étatiques qui monopolisent le contrôle, les poursuites et la punition des infractions. Soucieuses de retrouver une place dans des conflits qui les concernent au premier plan, les victimes ont alors peu à peu constitué des mouvements sociaux pour faire pression sur le gouvernement en vue de voir éclore des services aux victimes plus conséquents, à commencer par la réception d’indemnisations étatiques. Depuis les années 1970, plusieurs ressorts ont répondu aux requêtes des victimes en leur offrant des indemnisations. Selon les infractions commises, ils ont alors imaginé diverses façons de répondre à leurs attentes médicales, à leurs détresses émotionnelles ou encore à leurs difficultés financières. De tels services sont cependant extrajudiciaires et ne donnent à ces victimes ni droits effectifs ni statut juridique véritable, pas plus du reste qu’une participation quelconque aux procédures judiciaires. Dans les systèmes de common law, le sort des revendications de victimes pour des indemnisations est généralement décidé soit par des tribunaux spéciaux, soit dans le cadre d’une procédure administrative organisée à part et complètement en dehors du droit criminel (Kirchengast, 2009).

Toutefois, les demandes de réparation ont maintenant dépassé le stade de la simple mise en place de services de soutien et d’indemnisation comme timides compléments au procès pénal lui-même. Dans les années 1980 et 1990, la plupart des ressorts de common law ont en effet progressivement implanté une législation qui permet aux victimes de formuler des déclarations (orales ou écrites) en lien avec les infractions qui les ont touchées. De telles déclarations ont été d’abord mises à la disposition de victimes d’agressions sexuelles et de viols afin qu’elles puissent informer le tribunal des conséquences désastreuses que ces crimes ont eues sur leur vie (voir Erez, 2004 ; Booth, 2007). Sans cela, il était peu probable que cette information de la victime attire l’attention du juge et ce, vu l’importance accordée par les procédures accusatoires aux aspects psychologiques et comportementaux de l’infraction criminelle. Depuis qu’il est possible de déposer une déclaration de victime devant les tribunaux qui déterminent la peine, cette disposition se répand maintenant à la plupart des infractions impliquant de la violence, et dans certains pays comme le Canada, les déclarations peuvent même concerner toutes les infractions (voir, par exemple, Roberts et Erez, 2010 : 235-236). Cela dit, les tribunaux peuvent encore refuser d’entendre une déclaration bien que de telles pratiques soient désormais critiquées au motif qu’elles empêchent les victimes de parler du traumatisme qu’elles ont vécu à la suite de l’infraction. De telles pratiques peuvent en effet aggraver le dommage déjà causé aux victimes.

Les déclarations de victimes ont été largement considérées comme un moyen pour permettre aux victimes d’être entendues par un tribunal dont elles sont généralement exclues. On reconnaît à ces déclarations d’avoir permis aux victimes de faire entendre un nouveau témoignage qui autrement ne serait pas recevable devant un tribunal « classique ». Les victimes peuvent maintenant participer aux procédures judiciaires ; leur voix est entendue et elles sont représentées au procès pénal (voir dans les grandes lignes, Erez, 2004 ; Kirchengast, 2008 ; Edwards, 2004, 2009). Ce processus a été déterminant pour justifier le maintien de cette déclaration à titre de mode potentiellement thérapeutique de participation et ce, même dans les cas où la déclaration présentée n’était finalement pas prise en compte pour déterminer la peine, soit parce qu’elle était peu fiable, soit parce qu’elle était préjudiciable (voir Booth, 2007). Les victimes ont apprécié cette possibilité d’être prises au sérieux par le tribunal. Si toutes ne saisissent pas l’opportunité qui leur est offerte de soumettre une déclaration devant un tribunal, cette dernière facilite la réparation et la réhabilitation de la victime (Erez, 2004). Alors que la plupart des tribunaux permettent à la victime de présenter une déclaration écrite, certains ressorts ajoutent la possibilité qu’elle lise sa déclaration à voix haute en cour (Kirchengast, 2008 : 635).

La déclaration de la victime a, toutefois, été largement critiquée. D’abord parce qu’elle n’aurait pas suffisamment valeur de preuve devant le tribunal qui doit infliger la peine (Edwards, 2009) ; ensuite, parce qu’elle ne donnerait finalement aux victimes qu’un gage de participation minimale aux procédures judiciaires (voir Wemmers, 2009 : 399). De manière générale, la déclaration ne s’adapte pas facilement à la common law, qu’il s’agisse d’un test du droit substantiel concernant la responsabilité de l’infracteur ou la gravité de l’infraction, ou encore qu’il s’agisse des procédures judiciaires qui, dans quelque mesure que ce soit, échouent à reconnaître le statut des victimes. Les déclarations ont été mal reçues par les juges qui déterminent la peine. Bien qu’ils les reçoivent, ils n’en tiennent généralement pas compte dans la détermination de la peine et ce, sous prétexte qu’une déclaration des victimes serait hautement subjective et de ce fait non digne de confiance (Booth, 2007 ; Edwards, 2009). Cela nous ramène à un autre enjeu directement lié à celui-ci : on trompe les victimes en leur laissant croire que par l’entremise de leurs déclarations, elles participent pleinement aux procédures judiciaires et à la détermination de la peine. À l’inverse, quand le juge porte attention au contenu de la déclaration à titre d’élément de preuve supplémentaire, ou se montre soucieux de répondre au désir de la victime concernant une punition spécifique, il risque de voir la légitimité de sa décision contestée et sa sanction, qualifiée d’excessive, renversée en appel (Kirchengast, 2008 : 619). La résistance significative des avocats et de la magistrature aux déclarations de la victime limite clairement l’utilité de celles-ci et, surtout, retarde la tentative d’intégrer les victimes au processus de common law.

La participation de la victime n’est donc pas complètement assurée par l’usage de cette déclaration et ce, du fait de son statut ambigu en droit. Un tel constat invite alors à prendre en considération d’autres façons d’intégrer la victime dans la procédure criminelle, à réfléchir à la manière dont les victimes pourraient bénéficier de véritables droits et d’un pouvoir réel durant l’ensemble des poursuites judiciaires. C’est dans ce contexte que l’apparition des avocats des victimes a pu être considérée comme une avancée substantielle dans la lutte pour valoriser davantage leur capacité d’agir dans les ressorts de common law.

Les avocats des victimes

Dans le cadre des démarches qui permettent une plus grande intégration des victimes dans le système de justice pénale, divers ressorts de common law assurent maintenant à celles-ci une représentation devant les tribunaux. Appelés avocats ou conseillers juridiques des victimes, des juristes peuvent ainsi représenter les intérêts de la victime à chaque étape de la procédure judiciaire, des premières auditions avant procès jusqu’à la détermination de la peine. Les droits de l’accusé à un procès équitable pouvant être entravés par les avocats des victimes, la marge de manoeuvre laissée à ces derniers apparaît toutefois controversée et peu soutenue par le modèle accusatoire qui, pour rappel, limite le poids de la victime à une représentation dans le cadre d’un intérêt public très large. Des menaces par rapport aux intérêts des accusés peuvent ainsi être prises en compte quand vient le temps de s’interroger sur les poids respectifs à attribuer aux points de vue des victimes et de l’État. Alors qu’il est clairement établi que divers aspects de la procédure judiciaire peuvent avoir un impact sur la victime, le poids qu’on est prêt à octroyer à la victime dans un processus décisionnel de justice reste, lui, très débattu. C’est particulièrement vrai quand on prend en considération d’une part, la position subjective de l’accusé et d’autre part, le point de vue supposément objectif de la poursuite.

C’est en questionnant le poids que les avocats des victimes devraient avoir sur les décisions d’un procureur général qui agirait dans le seul intérêt public qu’on saisira l’enjeu principal comme les limites auxquels font face ces avocats en question. C’est en effet le degré d’intégration des avocats de la victime dans les procédures étatiques qui décidera jusqu’à quel point le fait d’être représenté par un avocat devant les tribunaux détermine la capacité d’agir de la victime. À ce titre, l’approche préconisée aux États-Unis, en Angleterre et aux Pays de Galles, mais aussi en Suède (qui représente ici l’expérience du droit civil européen), montre comment trois ressorts juridiques certes différents mais tous organisés autour d’un modèle accusatoire peuvent soutenir la capacité d’agir des victimes en mettant un avocat à leur service. Bien que chaque juridiction intègre la victime en suivant ses propres postulats normatifs, nous pouvons les comparer en utilisant d’une part, l’analyse de Summers (2007) sur l’émergence d’une procédure pénale internationale et d’autre part, la thèse de Schwikkard (2008) au sujet de la convergence des valeurs entre les systèmes adversaires et inquisitoires. Mettant l’accent sur les processus qui permettent une participation de la victime, le présent article fera état de rapprochements partiels entre ces deux modèles juridiques autrefois distincts.

États-Unis

Aux États-Unis, les victimes d’actes criminels se sont vu conférer des droits substantiels par des amendements inscrits au Code fédéral étatsunien (United States Code, USC). Ces amendements ont été introduits conformément à la loi étatsunienne de 2004 intitulée Une justice pour tous (Justice for All Act, 2004). Les victimes d’infractions fédérales ont maintenant un avocat mis à leur service et bénéficient d’autres nouveaux droits depuis la promulgation de la Loi sur les droits de victimes de crimes (Crime Victims Rights Act, CVRA) de Scott Campbell, Stephanie Roper, Wendy Preston, Louarna Gillis, et Nila Lynn[1]. Si la CVRA ne met pas directement un avocat à la disposition des victimes, elle leur donne néanmoins divers droits. Les victimes peuvent par exemple intervenir dans divers aspects des procédures judiciaires, être tenues informées du déroulement des opérations et participer à certaines procédures décisionnelles importantes, que ce soit avant ou pendant le procès, mais aussi lors de la détermination de la peine. Bien que les victimes se voient conférer un statut au tribunal, elles ne deviennent pas pour autant parties prenantes des procédures, à moins d’apparaître dans une motion qui affirme clairement leurs droits selon la CVRA. Beloof (2005 : 260) ajoute que pour que les victimes puissent réellement agir, il faut d’abord que « le statut, les solutions et les contestations arrimés aux droits des victimes soient directement applicables par les victimes elles-mêmes ». La CVRA a souligné la nécessité d’une réforme articulée à la troisième vague des droits des victimes. Cette loi contribue significativement à faire des victimes de crimes des parties prenantes du système de justice pénale. La CVRA corrige donc le caractère discriminatoire et non applicable des droits des victimes afin que leurs fondements ne reposent plus sur un socle fragile (Beloof, 2005 : 338-339). La possibilité d’engager des avocats, mais aussi de leur donner des consignes, est vitale pour que la capacité d’agir des victimes devienne une réalité. Elle apparaît comme un précieux moyen pour se faire entendre à côté de l’accusé et de l’État.

La CVRA reconnaît des droits aux victimes à l’article 3771 (18 USC) et demande aux tribunaux fédéraux d’assurer à celles-ci l’octroi de ces droits pour les infractions poursuivies par le USC. L’article 3771 remplace l’article 10606 (42 USC), abrogé par la CVRA, puisque ce dernier incluait une liste de droits inapplicables, tels que le droit à être bien traité par les représentants de la justice. Étant inapplicables, de tels droits étaient critiqués parce qu’ils limitaient la participation des victimes là où ils sont censés l’encourager (Beloof, 2005 : 260 ; Davis et Mulford, 2005 ; Kirchengast, 2009). Sous l’article 3771(a) (2) et (3) (18 USC), la CVRA ne permet pas aux victimes de se présenter aux procédures judiciaires. Mais elle leur donne le droit « d’être raisonnablement entendues à n’importe quelle audience publique devant un tribunal du district pour ce qui concerne une libération, une plaidoirie, une détermination de la peine ou encore une libération conditionnelle » et ce, conformément à l’article 3771(a) (4). La CVRA, tel que mentionné dans l’article 3771, présente les droits applicables suivants :

  1. Les droits des victimes de crimes. La victime d’un crime a les droits suivants :

    1. Le droit d’être raisonnablement protégée de l’accusé.

    2. Le droit à une procédure publique raisonnable, juste et pour laquelle la victime est informée dans des délais suffisants, qu’il s’agisse d’une libération conditionnelle, mais aussi d’une implication de l’accusé dans un crime, une libération ou encore une évasion.

    3. Le droit d’assister à toute audience publique, à moins que le tribunal, après avoir reçu une preuve claire et convaincante, détermine que le témoignage de la victime serait matériellement altéré si celle-ci entendait d’autres témoignages durant la procédure.

    4. Le droit d’être raisonnablement entendue à n’importe quelle audience publique du tribunal de district impliquant une libération, une plaidoirie, une détermination de la peine ou encore une libération conditionnelle.

    5. Le droit raisonnable de s’entretenir avec un représentant du ministère public au sujet du cas qui la concerne.

    6. Le droit à une restitution pleine et dans les délais prescrits par la loi.

    7. Le droit à une procédure qui se fasse dans des délais raisonnables.

    8. Le droit d’être traitée avec équité et dans le respect de sa dignité et de sa vie privée.

  2. Les droits octroyés :

    1. En général. Dans toute procédure judiciaire qui concerne une infraction criminelle impliquant une victime, la cour s’assurera que celle-ci se voit octroyer les droits décrits dans la sous-section (a). Avant de prendre une décision, sous l’égide de la sous-section (a) (3), le tribunal doit tout mettre en oeuvre pour permettre la plus grande assistance possible à la victime. Il doit aussi prendre en compte les solutions de rechange raisonnables à une exclusion de la victime de la procédure pénale. Les raisons avancées dans ce chapitre pour refuser une assistance aux victimes devront être clairement établies dans le procès-verbal.

CVRA, article 3771 ; notre traduction

Les cas retenus par la CVRA ont déterminé qui pouvait être reconnu et défini comme « victime » et ainsi bénéficier des droits tels qu’établis par le USC. Par exemple, dans l’arrêt US v Sharp (2006 : 463 F, suppl. 2d, 556 à 561-567), alors qu’un accusé plaide coupable pour possession de stupéfiants dans le but d’en faire le trafic, la conjointe de l’un de ses clients va chercher à obtenir un statut juridique de victime. Pour être reconnue comme telle dans les procédures judiciaires, elle affirmera que les mauvais traitements que lui inflige son conjoint s’expliquent par le fait qu’il consomme les stupéfiants vendus par ledit accusé. Ne considérant que les cas où le plaignant « a directement et immédiatement subi un tort », le tribunal a jugé ici que cette femme battue ne rentrait pas dans les critères retenus par la CVRA. La cour a en effet statué que la conjointe de l’usager de drogues et le vendeur de stupéfiants n’étaient pas suffisamment reliés, et qu’il n’était dès lors pas raisonnable de faire jouer les amendements concernés. Le lien entre la souffrance d’une épouse ou d’une conjointe et l’activité d’un fournisseur de drogues était en somme trop ténu pour donner à la plaignante des droits tels que ceux mentionnés dans la CVRA. Pour pouvoir y avoir recours, le plaignant doit dès lors être capable de faire la preuve d’une connexion suffisante entre les torts ou blessures qu’il a subis et les actes de l’accusé.

L’arrêt Kenna v US District Court (2006 : 435 F, 3d, 1011) détermine ensuite que le droit de participer aux procédures, une fois qu’un plaignant est reconnu comme victime dans les termes de l’USC, inclut le droit d’être « raisonnablement entendu ». Dans cette affaire, le plaignant faisait valoir que le droit de participer incluait la présentation orale ou écrite de déclarations de victimes lors de la détermination de la peine. La Ninth Circuit Court of Appeals a établi que le droit d’être raisonnablement entendu donnait à la victime le droit à une allocution, autrement dit le droit de lire sa déclaration au tribunal même. La cour garantit ainsi aux victimes des capacités d’action similaires à celles dont bénéficiait déjà l’accusé. L’arrêt Kenna v US District Court affirme l’intention du Congrès de garantir une participation des victimes au processus de détermination de la peine. Cette affaire offre une capacité d’agir significative à la victime, faisant d’elle une partie prenante des poursuites judiciaires, au même titre que l’État et l’accusé. Le tribunal établit (à 1016) :

[…] La loi a été promulguée pour faire des victimes de crimes des parties prenantes du système de justice pénale. Les procureurs et les accusés ont déjà le droit de s’exprimer sur la détermination de la peine, voir Fed. R. Crim. P. 32 (i) (4) (A) ; notre interprétation met les victimes de crimes sur le même pied. Elle cherche aussi à atteindre d’autres objectifs prévus par la loi : (1) s’assurer que la cour de district ne minimise pas l’impact du crime sur les victimes ; (2) confronter l’accusé au coût humain de son crime ; et (3) permettre à la victime « de retrouver sa dignité et le respect de soi et non un sentiment de honte et d’impuissance. » (Kenna v US District Court ; notre traduction)

L’arrêt In re Antrobus (2008 : 519 F, 3d, 1123) limite quant à lui le droit d’allocution à ceux que la CVRA considère comme des victimes immédiates. Dans cette affaire, l’accusé a plaidé coupable pour le transfert d’une arme de poing à un mineur qui, par la suite et après avoir atteint l’âge de 18 ans, a tué plusieurs personnes dans un centre commercial. Un siège a suivi et a pris fin quand l’assaillant a été abattu. En cour, les parents de l’une des victimes tuées ont alors demandé que l’infraction de transfert d’arme de poing conduise à reconnaître leur fille comme une victime au sens de l’article 3771(e) de la CVRA. Une telle reconnaissance leur aurait en effet permis d’être entendus à l’audience sur la détermination de la peine de l’accusé reconnu coupable du transfert de l’arme de poing. Un tel statut de victime facilite le fait d’être entendu tout au long des procédures judiciaires (notamment lors de la détermination de la peine) et constitue un avantage non négligeable quand une personne cherche à nommer un avocat pour représenter ses intérêts en cour. Dans ce cas-ci, toutefois, la Tenth Circuit Court of Appeals a établi que le transfert d’arme de poing n’était pas directement en lien avec la mort de la fille des plaignants. La cour s’est prononcée comme suit (à 1131) :

Si nous avions considéré, dans ce procès-verbal, que la fille des plaignants était une victime de crime au sens de la CVRA, nous aurions dû établir une règle per se qui laisse entendre que n’importe quel dommage infligé par un adulte utilisant une arme à feu qu’il ou qu’elle a obtenu illégalement comme mineur serait en fait directement et immédiatement causé par le fournisseur de l’arme… Or les plaignants ne nous ont donné aucun argument d’autorité de quelque ordre que ce soit qui suggérerait que le dommage infligé par un adulte avec une arme à feu qu’il aurait acquise alors qu’il était encore mineur aurait été en l’état et per se directement et immédiatement causé par le fournisseur de l’arme.

In re Antrobus ; notre traduction

La CVRA donne aussi aux victimes la capacité de faire réexaminer les décisions judiciaires concernant les négociations de plaidoyers de culpabilité qui ont eu lieu entre le ministère public et l’accusé. Alors que les victimes peuvent participer à toutes les étapes de la procédure pénale, beaucoup cherchent à participer au processus de prise de décision avant procès, ou encore à la détermination de la peine qui suit un verdict de culpabilité. Dans la période qui précède le procès proprement dit, les victimes ont le droit d’être tenues informées, peuvent bénéficier d’une représentation légale, mais peuvent aussi préparer leur propre comparution à chaque audience (y compris l’audience de la plaidoirie). Là où il y a encore un manque flagrant d’implication de la victime dans le processus qui conduit à la plaidoirie, à savoir lors de la négociation entre le ministère public et la défense concernant les infractions retenues et les peines prévues pour l’accusé, la victime peut adresser une pétition à la cour pour une demande de mandamus. Celle-ci a pour effet d’annuler toute négociation préalable de la plaidoirie de culpabilité, mais aussi d’exiger de la poursuite qu’elle inclue la victime dans toute négociation future. La capacité qu’a la victime de faire réexaminer une décision de justice lui assure un certain contrôle sur les décisions qui engagent des poursuites pénales. Ce pouvoir permet à la victime de faire réviser des négociations de plaidoyers de culpabilité qui ont été faites sans qu’elle ait été préalablement consultée, et lui donne ainsi une véritable capacité d’agir dès les procédures d’avant-procès. L’arrêt In re Dean (2008 : 527 F, 3d, 391 à 393-394) établit qu’une demande de mandamus devrait être émise chaque fois que le plaignant ne dispose « d’aucun autre moyen adéquat » en termes de recours, chaque fois qu’il peut démontrer que son droit à l’émission d’une demande fait apparaître celle-ci comme « claire et indiscutable », ou encore chaque fois que la cour qui doit statuer sur cette demande la considère « adéquate vu les circonstances ».

Le fait que de telles demandes sont maintenant applicables donne une véritable opportunité aux victimes qui sont décidées à faire valoir leurs droits par rapport à ceux que se réserve l’État. C’est donc une avancée significative que n’a pas manqué de souligner Beloof (2005) en évoquant le glissement de droits illusoires vers les droits discrétionnaires applicables tels qu’ils sont maintenant inscrits dans la loi fédérale. Aaronson (2008 : 665) rappelle ainsi que non seulement la CVRA permet désormais aux victimes d’affirmer indépendamment leurs droits (même quand c’est par l’intermédiaire d’un avocat), mais aussi que les juges de la Cour du District fédéral sont tenus de leur garantir la mise à disposition de ces droits, et ce, conformément à l’article 3771(b). Le cas étatsunien montre dès lors que même un modèle accusatoire peut davantage tenir compte des victimes sur une base à la fois procédurale et formelle (voir Blondel, 2008 : 259).

La modification de la loi fédérale (dans laquelle la déclaration de principe a cédé la place à l’instauration de droits formels) a donné à la victime un statut d’acteur à part entière du procès pénal en lui donnant la possibilité de contester les décisions rendues par l’État avec l’aide d’un conseiller juridique pour la représenter. Selon Blondel (2008 : 241), c’est cette contestation potentielle qui constitue l’aspect le plus controversé des droits des victimes, étant donné qu’une intégration des victimes aux procédures judiciaires est conforme au modèle inquisitoire et que ce dernier « diffère fondamentalement » du modèle accusatoire. Toutefois, d’autres reconnaissent fermement que la CVRA cherche en fait à maintenir le rôle du ministère public et ce, même si elle permet que des avocats de victimes viennent contester les décisions des procureurs là où le droit d’une victime d’être raisonnablement entendue n’a pas été respecté. Ajoutons qu’afin de faciliter l’intégration de tels avocats dans le système de justice pénale, le National Crime Victim Law Institute, en coopération avec le US Department of Justice ont mis en place des services juridiques destinés à former des avocats et à éduquer les gens sur la mise en application des droits des victimes (voir Davis et Mulford, 2008 : 205). Huit services ont vu le jour. Certains sont des services de formation juridique ; d’autres, issus d’organismes déjà existants, offrent des services aux victimes. De tels services assurent une connexion non négligeable entre avocats, conseillers juridiques et groupes de victimes. En mettant l’accent sur ces questions, ils peuvent en outre servir d’assise pour aborder les réflexions futures en ces matières.

Angleterre et Pays de Galles

En 2005, le secrétaire d’État aux Affaires constitutionnelles et le ministre de la Justice ont proposé que les intérêts des victimes soient pris en compte dans des procès pour homicide, notamment en permettant à leurs familles d’être représentées par un avocat qui agirait en leur seul nom. Cette proposition s’est traduite par la mise en place d’un processus qui, de fait, assurera aux familles de victimes d’homicide la possibilité d’être accompagnées par un avocat payé par l’État (Ministry of Justice, 2005). Cette politique a d’abord pris la forme d’un projet pilote dans lequel les familles des victimes pouvaient faire appel à des avocats privés, appelés avocats des victimes, concernant les dommages qu’elles avaient subis à la suite de la mort d’un de leurs membres. L’expérience initiale permettait aux victimes d’engager ces avocats à n’importe quelle étape du processus (tant avant que pendant le procès, mais aussi en vue de la détermination de la peine). Le projet Avocats des victimes (Victims’ Advocates Program) s’est déroulé du 24 avril 2006 au 23 avril 2008 aux cours d’assises de Londres, de Birmingham, de Cardiff, de Manchester (Crown Square) et de Winchester. Rock (2010 : 211) indique que la rédaction des déclarations des familles des victimes a amené des tensions entre les différents acteurs prenant part aux poursuites judiciaires, en particulier entre l’avocat de la Couronne, l’avocat de la défense et le juge qui détermine la peine. Bien que les victimes appréciaient la possibilité de présenter de telles déclarations, plusieurs étaient consternées de réaliser que celles-ci pouvaient très bien ne pas influencer la peine, du moins de façon directe. Mais ce projet pilote n’en modifiait pas moins substantiellement la procédure pénale en donnant aux victimes l’opportunité de nommer un avocat qui informerait la cour de leurs intérêts sur divers points concernant les poursuites judiciaires. Toutefois, et comme l’indique Rock (2010), ce processus restait ambigu compte tenu à la fois des exigences spécifiques du style accusatoire mais aussi du désir des familles des victimes de voir leurs exigences entendues.

En juin 2007, le projet pilote a été prolongé de douze mois. Le procureur général, Lord Goldsmith, a aussi annoncé que des variantes au modèle initial seraient mises à la disposition de toute l’Angleterre et de l’ensemble du Pays de Galles (Office for Criminal Justice Reform, 2007 : 8). Le nouveau programme, intitulé Victim Focus, s’appuyait sur d’anciennes pratiques tout en permettant aux victimes d’informer la cour, lors de la détermination de la peine, des dommages qu’elles avaient subis. Ce programme oriente les familles des victimes vers les bureaux des procureurs généraux (le Crown Prosecution Service/CPS). Victim Focus est mis à disposition des familles des victimes quand le contrevenant a été accusé de meurtre, d’homicide involontaire, de responsabilité pénale des sociétés en matière d’homicide involontaire, d’homicide familial, de mort causée par une conduite dangereuse, de mort causée par une conduite imprudente au vu d’une inaptitude (l’effet de l’alcool ou des drogues), ou encore de mort causée par la conduite d’un véhicule volé (ou pris sans consentement).

En dépit des nuances introduites par le projet pilote Avocats des victimes, Victim Focus est retourné à l’ancienne pratique qui consistait à passer par le procureur de la poursuite. À cette fin, les bureaux des procureurs généraux suivent la Criminal Practice Direction of the Lord Chief Justice « qui établit que la déclaration des proches des victimes ‘‘ne peut pas affecter la sanction que le juge peut prononcer’’ » (CPS, 2007 : Pt 23). Bien que cette démarche puisse apparaître comme un pas en arrière, elle défend un équilibre entre la poursuite et la défense, d’une part, en limitant la capacité des proches des victimes d’intervenir dans toute procédure engagée contre l’accusé et d’autre part, en considérant que les intérêts des victimes ne peuvent être satisfaits que s’ils convergent largement vers l’intérêt public. Autant d’arguments qui encourageront probablement à minimiser l’usage de la déclaration de victime dans la détermination de la peine chaque fois que cette déclaration apparaîtra hors de propos pour le procureur.

Évaluant ce projet pilote, Sweeting et al. (2008) en ont conclu que tant les victimes que les avocats estimaient potentiellement bénéfique l’accès à un conseiller juridique personnel. Ces auteurs ont recommandé qu’à la prise de conscience de l’utilité d’un tel avocat, soit ajouté l’établissement d’un réseau administratif à même de donner des conseils juridiques personnalisés et généraux aux victimes de crimes. Cette évaluation confirme aussi que la montée des avocats des victimes est bien reçue par ces dernières, traduisant selon elles une véritable expression de leur capacité d’action dans les poursuites judiciaires. En dépit de la réception plutôt mitigée que les avocats pénalistes et les tribunaux ont accordée aux déclarations de victimes dans le projet pilote, la présence des avocats des victimes donnerait à celles-ci le choix de pouvoir présenter leurs déclarations devant les tribunaux. Les conseils offerts par les avocats concerneraient seulement les enjeux matériels, les rapports parents-enfants ou encore les dépenses personnelles qu’il ne serait pas contestable de mettre en lien avec les conséquences de l’homicide. Cela limiterait le type de conseils juridiques donnés en marge du procès pénal. Des suggestions pour des réformes additionnelles ont toutefois cherché à apporter, ensemble, diverses manières de soutenir les victimes et leurs avocats dans leur rôle d’acteurs au sein même des procédures judiciaires. L’importance d’un partage d’information et d’une formation continue a aussi été rappelée. L’évaluation du modèle a enfin établi qu’il y avait toujours beaucoup de confusion autour des priorités du projet pilote, l’accent mis sur les enjeux personnels et sociaux qui suivent un homicide familial étant par exemple beaucoup plus important que celui concernant la résolution d’enjeux légaux préexistants (Sweeting et al., 2008 : 36).

Les tribunaux dans la tradition civiliste[2]

Les victimes se sont vu octroyer le droit à être représentées par un avocat dans toute l’Europe (Joutsen, 1987). Un tel droit trouve généralement sa place dans le modèle inquisitoire de la procédure pénale tel qu’il a été historiquement inscrit dans le système de droit civil européen. L’avocat des victimes peut alors y jouer le rôle d’un procureur auxiliaire ou additionnel. Toutefois, un nombre limité de juridictions européennes offrent aussi un modèle accusatoire qui peut éventuellement être couplé à une instruction de type inquisitorial. C’est le cas de la Suède, des Pays-Bas, du Danemark, du Portugal, de l’Espagne et de l’Italie, qui tous incluent dans leurs procédures judiciaires des éléments de type accusatoire. La présente section s’intéressera à la procédure suédoise comme étude de cas d’un processus intégrant dimensions accusatoire et inquisitoire pour établir la viabilité des avocats des victimes dans des systèmes de common law (généralement caractérisés, pour rappel, par une procédure accusatoire). Le système suédois constitue une étude de cas cohérente avec ces mêmes principes accusatoires puisqu’il rejette l’usage d’un juge d’instruction et lui préfère un contre-interrogatoire par l’avocat, la conduite expéditive et orale des enquêtes, ou encore l’implication du public ou de juges laïcs comme arbitres des faits (Brienen et Hoegen, 2000 : 883).

La procédure pénale suédoise permet à la personne lésée de lancer des poursuites comme partie civile. Il y a au total trois catégories de « victimes » dans le système suédois. D’abord, un brottsoffer, une victime d’acte criminel au sens large du terme. Ensuite, on fait une distinction entre le målsägande qui est la personne lésée mais qui ne fait pas une demande d’indemnisation et ne se présente pas comme partie lésée et le målsägande qui est la partie lésée et qui présente une déclaration d’indemnisation et/ou apparaît comme procureur auxiliaire à côté de l’État (Brienen et Hoegen, 2000 : 890). Le målsägande qui se présente à côté du procureur public est une victime au sens légal et émotionnel du terme, il est la partie lésée bien que la personne lésée soit uniquement victime au sens émotionnel. La partie lésée est ainsi distincte d’une personne lésée, qui peut elle aussi être qualifiée de målsägande, mais qui ne doit pas s’impliquer dans les poursuites judiciaires comme procureur additionnel, même si elle peut assister au procès, voire y apporter des preuves (voir Zila, 2006 : 293). Le målsägande, comme partie lésée, peut soutenir le Ministère public en indiquant son intention à la cour. La partie lésée peut alors participer aux poursuites judiciaires en questionnant les témoins durant l’enquête préliminaire et lors du procès. Dans des cas d’infractions sexuelles ou pour d’autres infractions graves, la personne lésée a droit, même si la victime se ne présente pas comme partie lésée, à un avocat rémunéré par l’État, un målsägandebiträde. Le målsägandebiträde protège les intérêts de la personne lésée durant l’enquête préliminaire et lors du procès. Il sera en contact tant avec la personne lésée qu’avec la police, se mettra à la disposition de la première pour formuler les déclarations visant une indemnisation, présentera ces déclarations à la cour et enfin, accompagnera la personne lésée dans une éventuelle procédure d’appel. La cour nomme généralement un avocat dans les affaires d’agression sexuelle, mais peut faire de même pour d’autres infractions graves (Brienen et Hoegen, 2000 : 891).

La procédure judiciaire suédoise se distingue d’autres juridictions de type droit civil, comme les systèmes français et allemand, dans la mesure où sa procédure accusatoire guide l’exploitation des preuves et l’interrogatoire des témoins. L’avocat appellera et auditionnera des témoins d’une façon similaire aux procès de common law. L’avocat de la partie adverse peut ainsi contre-interroger chaque témoin, suivi du juge. Ce type d’audition conduira alors à des versions divergentes des événements entre la Couronne et la défense, soit une caractéristique habituelle d’un procès de type accusatoire. Le målsägandebiträde peut se présenter au procès pour parler au nom de la personne lésée, pour émettre des objections, pour contre-interroger l’accusé, pour appeler des témoins à la barre, pour s’adresser à la cour en ce qui concerne la responsabilité de l’accusé mais aussi pour déposer des conclusions en vue d’une peine appropriée (voir Brienen et Hoegen, 2000 : 890 ; Wolhunter et al., 2009 : 192-193 ; Kirchengast, 2010 : 137-143). Les procédures judiciaires suédoises comblent le fossé normatif entre traditions inquisitoire et accusatoire en combinant des aspects de chaque système dans une procédure qui confère à divers « acteurs » de la justice – la police, l’État, les accusés et les victimes – des droits formels à chaque étape des poursuites judiciaires. La capacité d’action de la victime à titre de partie prenante du système de justice pénale est prévue même si, en pratique, seul un nombre limité de victimes ont recours à des avocats.

Victimes et justice accusatoire

L’intégration des victimes de crimes dans des systèmes de justice accusatoire de type common law a été sujette à controverse. Les victimes n’ont généralement pas d’autre rôle dans le processus de common law que celui de se présenter comme témoins lors des poursuites judiciaires ; et encore, selon le bon vouloir du procureur. Cela signifie que là où le procureur peut procéder sans témoignage de la victime, il est peu probable qu’elle soit appelée. En pareil cas, la victime ne participera pas aux procédures judiciaires, renforçant du même coup la notion voulant que la victime soit une source d’information peu fiable. Cette exclusion de la victime dans les systèmes de common law a été largement contestée, et divers ressorts juridiques ont répondu à ces critiques dans les années 1980 et 1990 en permettant aux victimes de présenter une déclaration lors du processus de détermination de la peine. Si cette déclaration a été bien reçue comme manière de fournir à la victime un certain statut dans les cours criminelles, mais aussi comme une forme de jurisprudence thérapeutique qui peut aider à reconnaître la victime et à quelque peu indemniser les dommages qui lui ont été occasionnés (Erez, 2004), elle a été plutôt mal reçue par les tribunaux. La plupart des juges sont en effet peu disposés à utiliser ces déclarations compte tenu de leur statut controversé de preuve (Booth, 2007 ; Edwards, 2009). On ne croit pas les victimes à même d’établir des déclarations de manière objective, étant donné leur connexion émotionnelle avec l’infraction et l’infracteur.

Les avocats des victimes constituent par conséquent une voie d’avenir pour un modèle accusatoire de type common law qui ne limiterait plus la participation aux procédures judiciaires aux seuls policiers et autres procureurs. Le glissement culturel exigé pour donner un rôle significatif aux avocats des victimes n’est probablement pas aussi grand qu’on pourrait le penser. Comme on a pu le voir dans les exemples étatsunien, anglais et suédois, la procédure accusatoire peut s’accommoder d’un avocat des victimes venant se positionner à côté du système des poursuites publiques. De plus, si l’accent est d’abord mis sur le processus qui permettrait une véritable représentation des victimes, les questions liées au respect des postulats normatifs propres aux modèles inquisitoire et accusatoire pourraient être résolues. Summers (2007 : 9) promeut d’ailleurs un cadre flexible et dialogique pour un droit pénal international qui doit s’éloigner des postulats autant que des réalités nationales imposés par ces deux modèles de justice. Plutôt qu’être vus comme incompatibles, ces modèles devraient chacun apporter leur pierre à l’édifice pour intégrer les victimes, et leurs avocats, au coeur des poursuites judiciaires. Une telle contribution apporterait de réelles fondations procédurales à même de valoriser une capacité d’action croissante de la victime comme partie prenante significative de la justice.

Pour assurer le succès de l’intégration des avocats des victimes dans les procédures pénales, les législateurs doivent se résoudre à amender celles-ci afin que les victimes bénéficient de pouvoirs exerçables devant les tribunaux (Beloof, 2005). La modification du droit pénal pour que puissent être déposées des déclarations de victimes a déjà permis un précédent à cet égard. Comme dans le cas des déclarations, le droit de la victime à être représentée par son avocat doit être garanti par une loi et ce, pour éviter que les juges et les avocats multiplient les obstacles à la mise en oeuvre de cette capacité d’action (cf. le projet pilote anglais). Décourager les droits des victimes reste un constat fréquent compte tenu du fait que les avantages potentiels que présentent les avocats de victimes de crime ne sont généralement pas familiers aux juges et aux avocats. Quand ils ne les connaissent pas (encore), ils peuvent en tout cas se montrer sceptiques sur le rôle que jouent ces avocats dans les poursuites judiciaires. L’amendement prévu par la loi du USC aux États-Unis vient donc pallier la carence légale qui était susceptible de nuire à la cause des droits des victimes.

Le souci de permettre aux victimes d’être accompagnées d’un avocat qui les représente tient compte des critiques qui ont été faites au sujet de leurs déclarations ; notamment la critique qui laissait entendre que ces déclarations font finalement peu avancer la capacité d’action de la victime et ce, compte tenu de l’attitude judiciaire vis-à-vis de la réception de celles-ci (voir Booth, 2007 ; Edwards, 2009). En donnant aux victimes une reconnaissance juridique par l’intermédiaire de l’expertise et de l’indépendance de l’avocat qui les accompagne tout au long des procédures judiciaires, c’est aussi la crainte que ces victimes présentent une déclaration subjective, exagérée, voire mensongère, qui a significativement diminuée. Un avocat de victime, à savoir un praticien formé, qualifié et agréé, devrait en effet posséder toutes les aptitudes professionnelles pour conseiller au mieux une victime sur la manière de procéder dans une affaire de justice ou avec déclaration et ce, tout en dialoguant avec les autres professionnels de la justice pénale, que ce soit la police, le procureur, l’avocat de la défense, voire le pouvoir judiciaire dans son ensemble. Un tel accompagnement devrait rassurer sur le fait que les conclusions de toute victime seront présentées sur des faits et de façon objective, comme pour n’importe quelle autre conclusion à laquelle s’attendrait un avocat agréé auprès de la Cour.

L’étendue des droits accordés aux victimes par l’intermédiaire de conseillers juridiques qui les représentent pourrait renforcer certains de leurs droits non reconnus légalement mais en fait déjà à leur disposition par l’entremise de divers ressorts juridiques de common law. De tels droits suivent généralement la Déclaration des Nations Unies de 1985 concernant les principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir (UN Doc A/Res/40/53, 1986). Ils incluent, entre autres, le droit à l’information sur la négociation des plaidoyers de culpabilité, de sorte que l’avocat puisse directement soulever les préoccupations de la victime avec l’avocat de la défense et le procureur. C’est le processus suivi dans le USC, qui a d’abord pris la forme d’un ensemble de droits non reconnus légalement sous l’article 10606 (42 USC). De tels changements assureraient que les droits donnés aux victimes n’impliquent pas une rupture trop radicale avec la pratique actuelle. Les victimes devraient exiger des droits supplémentaires dans le futur, comme le droit de se présenter à côté du procureur public au procès ; le code pourrait être amendé pour permettre une telle participation. L’International Victimology Institute Tilburg et la Société mondiale de victimologie ont proposé une convention des droits des victimes qui cherche à fournir aux victimes des droits légalement reconnus. L’article 5 permet que les victimes aient droit à des mécanismes judiciaires et administratifs qui leur donneraient accès à une indemnisation. Des droits substantiels exigeraient inter alia que la victime soit tenue informée des décisions importantes dans le processus judiciaire, qu’elle ait la possibilité de faire appel contre des décisions prises par le procureur ou encore que soient établis des systèmes à même de reconnaître la situation des victimes et de compenser les dommages qui leur ont été occasionnés. À la différence de la Déclaration de 1985, cette ébauche de convention cherche à conférer aux victimes des droits exécutoires qui, s’ils sont adoptés par les Nations Unies et ensuite dans les législations nationales des États membres, intégreront de plus en plus les victimes dans les procédures civiles et pénales de ces États. De manière significative, les droits prévus dans l’ébauche de la convention peuvent nécessiter une représentation par l’avocat de la victime. De telles réformes sont possibles étant donné le nouvel accent international mis sur l’élaboration d’une procédure pénale comparative qui devra dépasser les postulats normatifs chers à chacun des systèmes de justice (inquisitoire et accusatoire).

Étant donné le contexte et le souci d’intégrer les avocats des victimes dans les systèmes de common law, il est essentiel que ces avocats soient systématiquement intégrés avec clarté, et qu’ils puissent disposer d’un pouvoir exerçable à chaque étape du processus judiciaire. Le recours à une politique de pure forme, comme celle qui a d’abord caractérisé l’élaboration d’un cadre pour les droits des victimes, cherchera seulement à étouffer l’intégration et l’augmentation du profil des victimes comme parties prenantes de la justice. L’importance croissante des avocats des victimes offre par conséquent une capacité d’action non négligeable à celles-ci en leur donnant le choix de s’engager de manière significative et de faire en sorte que leur action puisse réellement jouer sur le cours des procédures judiciaires. Tout cela représente une avancée substantielle par rapport au contexte normatif habituel d’une procédure accusatoire et donne un nouveau rôle à la victime dans les systèmes de justice de common law.