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Introduction

Les adolescents engagés dans une délinquance grave ou persistante (ADGP) présentent des taux élevés de manquements et de récidives, s’exposant ainsi aux mesures pénales les plus sévères et aux effets iatrogènes des contacts prolongés avec le système de justice (Brame, Mulvey, Schubert et Piquero, 2016 ; McAra et McVie, 2010). Au début de l’âge adulte, 30 % à 40 % d’entre eux ont toujours des démêlés avec la justice (Brame et al., 2016 ; Lussier, McCuish et Corrado, 2015). Cette donnée témoigne du défi que représente l’imposition d’une sanction qui, à la fois, les oblige à répondre de leurs actes et les engage dans une démarche corrective, c’est-à-dire de réadaptation et de réinsertion sociale (ministère de la Santé et des Services sociaux [MSSS], 2016a). Bref, une sanction susceptible de les engager dans un processus de désistement.

Le désistement du crime fait partie intégrante d’une démarche d’intégration sociale (McNeill, 2012). Des études réalisées auprès de populations adultes montrent que cette transition, de l’agir criminel à la conformité (King, 2014), comprend différents stades, qui sont respectivement désignés désistement primaire, secondaire et tertiaire. Durant cette transition, des changements comportementaux, cognitifs, identitaires et relationnels surviennent graduellement, de sorte qu’une personne engagée dans une délinquance grave et persistante cesse de commettre des délits – désistement primaire –, adopte de nouveaux rôles sociaux et se décrit comme une personne qui a changé – désistement secondaire (Maruna, Immarigeon et LeBel, 2004) – et, voyant ses efforts de changement reconnus par la communauté, parvient à s’y intégrer et à développer un sentiment d’appartenance envers celle-ci – désistement tertiaire (McNeill, 2016). Bien que graduel, ce processus n’est pas nécessairement linéaire ; il est possible qu’une personne traverse simultanément plus d’un stade ou, qu’en cours de processus, elle revienne à un stade antérieur. En outre, il est parsemé d’obstacles, tels que l’incapacité à atteindre les buts fixés ou souhaités, les difficultés à intégrer de nouveaux groupes sociaux ou sphères sociales positives, et l’absence de reconnaissance des efforts de changement (Nugent et Schinkel, 2016). L’étude du désistement assisté, c’est-à-dire de l’interface entre le désistement et les interventions pénales (McNeill, 2012), met en lumière plusieurs éléments qui peuvent soutenir les changements, notamment recevoir des encouragements, avoir accès à du soutien social formel et informel, pouvoir développer son potentiel et ses habiletés personnelles et sociales, de même que (re)créer des liens avec des personnes significatives et explorer de nouveaux rôles sociaux (Barry, 2013 ; Farrall, 2002 ; Panuccio, Christian, Martinez et Sullivan, 2012). La reconnaissance, même symbolique, par l’entourage des signes de désistement contribue à renforcer l’image positive/transformée de soi en (re)construction (Maruna, 2012).

L’étude du désistement assisté propose d’examiner l’efficacité des peines en s’intéressant aux changements observés dans l’ensemble des sphères de la vie de la personne et à la façon dont ces changements ont pu être facilités ou contraints, plutôt qu’en calculant les taux de récidive et d’échec des mesures (O’Sullivan, Hart et Healy, 2018). Les connaissances sur le désistement sont nécessaires au développement des politiques et des pratiques d’intervention (McAra et McVie, 2010). En effet, les travaux sur le désistement ont conduit au constat que la récurrence des contacts avec les acteurs du système de justice pénale peut contribuer à l’intériorisation d’une identité de contrevenant et de personne incapable de changer, alors que l’adolescence est une période cruciale pour le développement identitaire (McAra et McVie, 2010 ; Shapland et Bottoms, 2011).

Le désistement chez les ADGP, particulièrement en contexte de suivi pénal, est sous-exploré dans les écrits scientifiques (Piquero, Hawkins et Kazemian, 2012). Bien que des études montrent que les modalités de suivi et de gestion des manquements, les démarches visant à soutenir la réinsertion sociale et la nature des interventions psychosociales peuvent avoir une incidence sur le déroulement du suivi (Lipsey, 2009 ; Trotter, 2015), les connaissances sur le sujet demeurent embryonnaires. Il est donc apparu pertinent de s’intéresser à la perspective des intervenants psychosociaux, puisqu’ils sont des témoins privilégiés du désistement, par les contacts réguliers qu’ils ont avec ces adolescents (Healy, 2012 ; Panuccio et al., 2012). Conséquemment, l’analyse des données consignées par ces informateurs dans les dossiers cliniques est susceptible de nous en apprendre davantage sur les circonstances favorables aux changements (Piquero et al., 2012). L’exploration des dossiers de suivi est une avenue intéressante pour les recherches empiriques qui visent à explorer la nature des pratiques d’intervention et le cheminement des participants, notamment dans les services de protection de l’enfance et de la jeunesse (Cordero, 2004 ; Hoggan et Spearin, 2009 ; Lacerte, Nadeau et Tremblay-Roy, 2014 ; Panuccio et al., 2012). Ce matériel permet de recueillir des informations sur le déroulement du suivi, en temps réel et à intervalles rapprochés, qu’il serait difficile d’obtenir autrement, en plus de minimiser les inconvénients pour les participants (Cordero, 2004 ; Hoggan et Spearin, 2009 ; Lacerte et al., 2014). Des études sur les désisteurs adultes montrent que les données colligées dans les dossiers de suivi sont cohérentes avec celles recueillies lors d’entretiens semi-dirigés (Healy, 2012 ; Panuccio et al., 2012).

Cet article présente les résultats de cette analyse qualitative des dossiers de suivi rédigés par des intervenants psychosociaux qui accompagnent des ADGP soumis à une peine alternative. Il porte particulièrement sur l’exploration des éléments favorables ou qui nuisent : 1) à l’arrêt des comportements criminels ; 2) à l’adoption de nouveaux rôles sociaux ; et, le cas échéant, 3) aux changements identitaires. Ultimement, il vise à contribuer au développement des connaissances sur le processus de désistement du crime d’ADGP en contexte de suivi pénal.

Les peines alternatives

Les peines alternatives, ou intermédiaires, permettent d’éviter le recours à la mise sous garde, dont les effets iatrogènes sont amplement documentés (Gatti, Tremblay et Vitaro, 2009). Ces peines, plus sévères que la probation, sont entièrement purgées dans la collectivité. Elles impliquent une période de surveillance à durée et à intensité variables, au cours de laquelle les adolescents doivent respecter différentes conditions (Junger-Tas, 2008). Le nombre de conditions et leur nature restrictive, l’intensité et la fréquence des contacts avec les intervenants, de même que les interventions axées sur la dissuasion, la punition et le contrôle peuvent avoir un effet iatrogénique, en augmentant les risques de manquements, les possibilités de se voir imposer une autre sanction pénale, ainsi que les probabilités de commettre un nouveau délit (Drake, Aos et Miller, 2010 ; F.-Dufour, Villeneuve et Lafortune, 2017 ; Grandi et Adler, 2016). À l’inverse, l’ajout de conditions visant la réhabilitation, par exemple l’obligation de fréquenter l’école, d’occuper un emploi et de participer à une thérapie, n’augmente pas le risque de manquements (F.-Dufour et al., 2017). Les peines alternatives qui visent l’exploration de nouveaux rôles sociaux, le maintien ou le développement de liens sociaux positifs, ainsi que le développement ou la consolidation d’habiletés sociales pourraient concourir au désistement (primaire) du crime (Drake et al., 2009 ; Kim, Merlo et Benekos, 2013 ; Lipsey, 2009). Il en est de même des pratiques d’intervention qui se déroulent dans les milieux naturels que fréquente l’adolescent et qui visent l’accompagnement vers les « grappins à changements » (Giordano, Cernkovich et Rudolph, 2002 ; F.-Dufour, Brassard et Martel, 2015), tels que les ressources d’emploi, les établissements scolaires et les ressources communautaires d’hébergement. Les interventions doivent mettre l’accent sur les limites et les obligations liées au cadre légal, les progrès réalisés et la recherche active de solutions pour surmonter les obstacles rencontrés, ainsi qu’impliquer les membres de la famille lorsque possible (Drake et al., 2009 ; Hart, 2010), en plus de tenir compte des besoins des ADGP (Barry, 2013 ; Iselin, Mulvey, Loughran, Chung et Schubert, 2012).

Au Canada, l’une de ces peines alternatives est l’ordonnance différée de placement sous garde et de surveillance (ODP). Elle peut être imposée à des adolescents qui ont commis un délit avec violence, sans toutefois causer de lésions corporelles graves, qui n’ont pas respecté leurs peines antérieures et qui ont commis un acte criminel pour lequel un adulte serait passible d’une peine d’emprisonnement de plus de deux ans (MSSS, 2016b). Elle est d’une durée maximale de six mois, pendant lesquels les adolescents doivent respecter plusieurs conditions : couvre-feu, assignation à domicile, interdictions de fréquenter certaines personnes et certains lieux, obligation de se trouver un emploi ou de fréquenter un lieu de formation, obligation de suivre un traitement. Un manquement à ces conditions peut conduire à la suspension ou à la révocation de leur liberté (MSSS, 2016b). Il s’agit d’une « peine de la dernière chance » offerte à des adolescents qui présentent un bon potentiel de réinsertion sociale, selon l’évaluation initiale de leur situation (Carrington, Roberts et Davis-Barron, 2011). Au Québec, les trois quarts des ODP sont assorties d’une probation de 6 à 18 mois et de travaux communautaires. Les délégués à la jeunesse (DJ) sont les intervenants responsables d’assurer le suivi de la peine. Ils proviennent de différents horizons disciplinaires, comme le travail social, la criminologie, la psychoéducation ou la psychologie. Des éducateurs spécialisés peuvent également être assignés aux dossiers (MSSS, 2016a). Une étude récente montre que 60 % des adolescents québécois soumis à cette peine ont vu leur liberté révoquée ou ont récidivé dans l’année suivant le prononcé de l’ordonnance (F.-Dufour et al., 2017). Ce phénomène est davantage relevé chez les adolescents dont la délinquance est grave ou persistante. En effet, les adolescents condamnés à une ODP pour avoir commis un délit contre la personne ou en réponse au non-respect de peines antérieures présentent un risque de deux à trois fois plus élevé de voir leur ODP révoquée. La probabilité que ces adolescents commettent un nouveau délit dans l’année suivant le prononcé de la peine est 50 % plus élevée (F.-Dufour et al., 2017).

La réponse à la criminalité grave et persistante à l’adolescence est particulièrement complexe du fait que l’intervention doit tenir compte des parcours de vie tumultueux des ADGP, caractérisés par des problèmes de consommation de substances psychoactives, des troubles de santé mentale, des difficultés scolaires, des problèmes familiaux et la fréquentation de pairs déviants, autant de facteurs qui, ensemble ou séparément, limitent l’attrait, voire les opportunités, d’abandonner les conduites délinquantes (Bottoms et Shapland, 2016 ; Lussier et al., 2015). Le plus grand défi des intervenants psychosociaux consiste alors à trouver un équilibre entre les rôles d’agent de surveillance et de réadaptation, afin de répondre aux objectifs de la peine (Trotter, 2015).

De la peine au désistement

Des études se sont intéressées à la période de transition entre le crime et la conformité (Healy, 2012 ; King, 2014). Elles amènent à conclure qu’une durée d’abstention de 12 mois permet de distinguer le stade de désistement primaire, soit les phases initiales des processus de changements comportementaux, cognitifs et identitaires, du stade de désistement secondaire, qui se caractérise par l’intégration de nouveaux rôles sociaux et le développement d’une nouvelle image de soi. Même s’il est principalement associé à l’absence de récidive, le désistement primaire se présente comme une période de relative accalmie. Les désisteurs amorcent des changements qui créent les structures permettant de soutenir et de maintenir le désistement (King, 214, p. 156), mais ils se heurtent à plusieurs obstacles susceptibles de faire dérailler leurs efforts.

Selon Healy (2012), le désistement primaire passe par trois phases. Il plonge d’abord les désisteurs dans une phase de séparation, pendant laquelle il est possible d’observer des changements dans la routine et les façons habituelles de se comporter, les lieux fréquentés et les réseaux sociaux. Les ruptures dans la routine sont source d’ambivalence et font place à une phase critique, où les désisteurs se retrouvent entre deux mondes : ils ne se considèrent pas, ou ne sont pas considérés, comme délinquants ni comme désistés (Healy, 2012 ; F.-Dufour et Brassard, 2014). Cette phase est caractérisée par l’introspection, l’ambivalence et le retrait social (Hunter et Farrall, 2018 ; Nugent et Schinkel, 2016). Les désisteurs sont amenés à réfléchir à leurs buts et à leurs aspirations, aux actions à prendre et aux efforts à consentir, ainsi qu’aux ressources auxquelles ils ont accès (F.-Dufour et Brassard, 2014 ; Vaughan, 2007 ; Weaver, 2016). Cette réflexion permet d’amorcer des changements cognitifs et identitaires, puisque les désisteurs doivent discerner ce qui est important pour eux, déterminer leurs priorités, puis s’engager dans des actions cohérentes avec leurs objectifs, tout en tenant compte des opportunités et contraintes qu’ils perçoivent dans la structure sociale (Archer, 1995 ; Vaughan, 2007). Les désisteurs réévaluent constamment leurs intérêts, leurs priorités et leurs actions selon qu’ils obtiennent, ou non, les effets escomptés et qu’ils aient accès, ou non, à des opportunités de les actualiser (F.-Dufour et Brassard, 2014 ; Vaughan, 2007 ; Weaver, 2016). Le désistement implique donc un processus de (re)construction qui permet aux désisteurs de se dissocier et se distancier de leur passé, puis d’envisager un avenir positif (knifing off, voir Maruna et Roy, 2007). Les changements sont consolidés durant la phase d’intégration, où les désisteurs s’engagent dans de nouveaux rôles sociaux et intègrent les changements cognitifs et identitaires, développant ainsi une identité personnelle transformée (Healy, 2012). Ils entrent alors dans le stade de désistement secondaire.

Figure 1

Le processus de désistement du crime

Le processus de désistement du crime

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Le cadre de référence proposé par Healy (2012) implique d’étudier le désistement à différents intervalles afin de mieux comprendre les dynamiques impliquées, ainsi que les éléments pouvant faciliter ou entraver les efforts de changement (Serin et Lloyd, 2009). C’est ce cadre qui est utilisé dans la présente étude, qui porte sur le processus de désistement primaire d’ADGP en contexte de suivi pénal, c’est-à-dire la transition de l’arrêt des comportements criminels (séparation) à l’adoption de nouveaux rôles sociaux (intégration), en passant par une phase d’ambivalence et d’introspection (critique).

Méthodologie

Les données sont extraites d’une banque de 411 dossiers d’adolescents québécois soumis à une ODP. Elles proviennent des notes chronologiques de suivi, colligées à partir des bases de données alimentées par l’interface informatique du Projet intégration jeunesse (PIJ). Cette interface compile en temps réel les interventions réalisées aux différentes étapes de la prestation de services (Lacerte et al., 2014). Ces données renseignent sur les modalités de suivi et de gestion des manquements, les démarches en vue de la réinsertion sociale, les liens sociaux, l’occupation du temps de l’adolescent, la nature des interventions psychosociales et tout événement significatif survenant pendant le suivi. On y retrouve des informations descriptives et des observations qui relèvent à la fois des valeurs de l’intervenant, du sens donné à la situation et des contraintes structurelles (Healy, 2012 ; McAra et McVie, 2010) qui influencent le sens que les ADGP attribuent à leur situation et, ultimement, leur parcours délictuel (Iselin et al., 2012). L’analyse chronologique des observations et événements consignés par les intervenants permet de retracer, décrire et analyser de façon longitudinale le cheminement des adolescents (Hoggan et Spearin, 2009).

Échantillon

Un échantillon de 198 dossiers a été constitué au hasard à partir de la banque des 411 suivis. Une première lecture des dossiers a mené à l’exclusion de 143 d’entre eux, soit parce que les adolescents avaient commis un nouveau délit dans les 12 mois suivant le prononcé de l’ODP (n = 75), que leur liberté avait été révoquée (n = 22), que la durée du suivi était inférieure à 12 mois (n = 36), que les adolescents étaient en centre de réadaptation en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse (n = 8) ou qu’il s’agissait d’adultes condamnés pour des délits commis à l’adolescence (n = 2). Les 55 dossiers restants ont fait l’objet d’une lecture approfondie. En raison de la lourdeur et de la complexité que représente l’analyse qualitative de dossiers de suivi, un sous-échantillon de 26 dossiers a été sélectionné en s’appuyant sur la stratégie d’échantillonnage dite « des cas déviants ». Cette stratégie privilégie la sélection de cas riches en information qui sont les plus susceptibles d’aider les chercheurs à comprendre le phénomène étudié en raison de leur caractère particulier, de conditions inhabituelles ou de résultats inattendus (Patton, 1990). Ainsi, l’échantillon final est composé de dossiers d’adolescents soumis à une ODP qui : 1) n’ont pas commis de nouveau délit dans les 12 mois suivant le prononcé de la peine ; et 2) présentent des signes de désistement, par exemple de changement dans les lieux fréquentés ou dans la routine, dans la poursuite ou l’identification d’un projet vocationnel ; 3) malgré un suivi marqué par l’ambivalence, c’est-à-dire une occupation du temps variable, un ou des manquements aux conditions, une lenteur à se mettre en action ou à faire ce qui est demandé, etc. ; 4) sont exposés à plusieurs problèmes psychosociaux tels un milieu familial dysfonctionnel, la rupture de liens sociaux, des difficultés scolaires, des troubles de santé mentale ou des problèmes de comportement ; et 5) ont un profil de délinquance grave ou persistante. La délinquance persistante est définie par la commission de plus d’un acte criminel à l’adolescence (Abrams, 2012 ; McIvor, Murray et Jamieson, 2004 ; Panuccio et al., 2012 ; Schubert, Mulvey et Pitzer, 2016). La délinquance grave inclut les crimes contre la personne, comme les voies de fait, le vol qualifié et les agressions sexuelles, les crimes contre la propriété, notamment les vols et les introductions par effraction (Stouthamer-Loeber, Wei, Loeber et Masten, 2004 ; Van Domburgh, Loeber, Bezemer, Stallings et Stouthamer-Loeber, 2009), ainsi que les infractions liées aux armes à feu et au trafic de stupéfiants (Abrams, 2012 ; Panuccio et al., 2012).

Les adolescents qui forment l’échantillon sont tous de sexe masculin et ils étaient âgés en moyenne de 17 ans lors du prononcé de la peine (Tableau 1). Ils proviennent de six régions du Québec. Les dossiers font état de délits variés : crimes contre la personne, incluant voies de fait graves, vols qualifiés ou agressions sexuelles (n = 11) ; possession et trafic de stupéfiants, principalement de psychostimulants comme la cocaïne et les amphétamines (n = 9) ; introductions par effraction et vols (n = 4) ; conduite avec les facultés affaiblies causant des lésions (= 1) ; et possession d’arme à feu (n = 1). Plus de la moitié (n = 15) étaient en liberté conditionnelle ou sous le coup d’une probation au moment de la sentence, alors que deux autres avaient été mis sous garde en attendant le prononcé de la peine.

TABLEAU 1

Caractéristiques de l’échantillon

Caractéristiques de l’échantillon

TABLEAU 1 (continuation)

Caractéristiques de l’échantillon

Note : ODP = ordonnance différée de placement sous garde et de surveillance.

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Analyse

L’analyse des dossiers s’est faite selon la méthode inductive générale de Thomas (2006). Une première codification, dite inductive, a permis de condenser les données brutes et de résumer chacun des dossiers. Une deuxième codification, dite déductive, a permis d’analyser les données à partir de concepts prédéterminés établis en fonction des objectifs de la recherche, des écrits scientifiques et du cadre de référence (p. ex. : phase de séparation, phase d’intégration, ambivalence, retrait social, gestion des manquements, rôles sociaux). Finalement, les catégories générées ont été combinées, permettant ainsi de déterminer certaines structures sous-jacentes des expériences de désistement primaire des 26 ADGP, telles que consignées par les intervenants psychosociaux.

Résultats

Cette section présente les éléments associés au processus de désistement qui se traduit notamment par l’arrêt de la criminalité, l’adoption de nouveaux rôles sociaux et, le cas échéant, des changements cognitifs et identitaires. Les résultats présentés se rapportent principalement au stade de désistement primaire, lequel peut se décomposer en trois phases : séparation, critique et intégration. L’analyse tente de faire ressortir les mécanismes qui favorisent ou font obstacle au désistement d’ADGP en contexte de suivi pénal.

Phase de séparation

Des changements dans la routine et les façons habituelles de se comporter peuvent s’amorcer en amont de l’ODP, puisque plusieurs mois s’écoulent entre l’arrestation et le prononcé de la peine. Au cours de cette période, les adolescents et leurs parents ont des contacts avec des délégués à la jeunesse (DJ) pour établir le rapport prédécisionnel (RPD[2]), assurer la surveillance des conditions de remise en liberté ou des sanctions et peines en vigueur, ou lors d’un placement en centre de réadaptation. Les adolescents sont informés que leur façon de se comporter durant cette période est prise en compte dans la détermination de la peine. Certains d’entre eux rapportent avoir cessé de consommer et modifié leurs activités, « parce qu’ils doivent toujours être en présence de l’un de leurs parents » (Pierre-Olivier[3]). Au tribunal, les juges et les intervenants psychosociaux font le « bilan de l’évolution du jeune et du respect qu’il a accordé aux conditions » (Alexandre). S’être éloigné de la délinquance, développer un projet de vie structurant et bénéficier d’un encadrement parental adéquat « militent en faveur d’une peine différée, plutôt qu’une peine de garde fermée » (Guillaume). L’ODP peut être recommandée pour permettre aux adolescents de « poursuivre leurs études » (Étienne).

La majorité des adolescents occupent leur temps de façon positive lorsque l’ODP commence : ils vont à l’école ou ont un emploi. Dans certains dossiers, leur situation change avant le prononcé de la peine, de sorte qu’ils « passent leur temps avec leurs amis » (Alexandre et Charles-Olivier), à « jouer à des jeux vidéoou sur l’ordinateur » (Antoine et Pascal). Ils « doivent faire des démarches pour réintégrer l’école » (Félix-Antoine, Loïc et Pascal) ou « attendent la période d’inscription » à un programme de formation (Kevin et Jacob). Pour certains, la période de surveillance coïncide avec la fin de l’année scolaire. Des circonstances particulières qui ne relèvent pas entièrement de choix individuels peuvent faire en sorte que les adolescents n’occupent pas leur temps de façon positive au début de l’ODP. Par exemple, Mathieu ne peut pas commencer son emploi d’été puisqu’il s’est blessé dans un accident de vélo et Pascal s’est fait expulser de l’école « parce que sa performance n’était pas conforme à ce qu’on exigeait de lui ».

Tous les dossiers font état de rencontres au cours desquelles les intervenants s’assurent que les adolescents se conforment à leur ordonnance. Ils vérifient leur emploi du temps en leur demandant une copie de leurs horaires de travail, chèques de paie, démarches d’emploi ou de leur inscription à un programme de formation. Ils peuvent également s’enquérir de leur fonctionnement auprès des acteurs du milieu scolaire, des responsables des travaux bénévoles ou de leurs parents :

Il amène avec lui trois talons de chèque comme preuve de son travail. Il me dit qu’il pense fortement à laisser son travail car il ne fait pas assez d’heures. Comme il dit vouloir changer d’emploi, je regarde avec lui les emplois disponibles à l’heure actuelle. Comme il n’a pas terminé son secondaire 1, ce n’est pas évident de trouver des emplois qui collent à sa réalité.

Antoine

Demander aux adolescents de faire des démarches et de rendre des comptes ne suffit pas à les mettre en action. Plusieurs intervenants notent le manque d’organisation et de structure des adolescents, qui peut être exacerbé par la présence d’un trouble de santé mentale. Le cumul de démarches peut nuire à la mise en action de l’adolescent qui ressent « trop de pression et n’aime pas ça » (Kevin). L’inaction se retrouve au centre des rencontres de surveillance :

Faisons le tour de la semaine et dit qu’il a eu beaucoup de rendez-vous : est allé à l’organisme de justice alternative pour ses travaux bénévoles, a manqué un rendez-vous à l’aide juridique et doit y retourner, est allé chez le dentiste. A oublié d’appeler au centre de réadaptation en dépendances pour l’évaluation en toxicomanie. N’a pas appelé pour le transport scolaire. […] On revient sur ses démarches car actuellement il est plutôt oisif.

Jacob

Les discussions entourant les modalités de l’ODP permettent aux DJ d’utiliser la latitude dont ils disposent pour inciter les adolescents à se conformer à leur ordonnance. Par exemple, Jacob est « avisé que pour le moment nous ne lui demandons pas de se présenter au poste de police mais que cela pourrait s’ajouter à ses conditions plus tard, si jugé nécessaire ». Lorsque les adolescents font face à des obstacles dans la réalisation des démarches demandées, notamment en raison de frais reliés au transport ou à l’inscription scolaire, ou de l’accès à une ligne téléphonique fixe, les intervenants peuvent prendre des mesures concrètes pour adapter les modalités de suivi, évitant ainsi d’émettre un avis de manquement. Certains « donnent des billets pour le transport en commun » (Thomas), « se rapprochent d’où se trouve l’adolescent parce que les déplacements coûtent cher » (Jacob), font des recherches d’emploi sur Internet lors de rencontres de suivi, adressent l’adolescent à des organismes communautaires qui facilitent l’employabilité, impriment des offres d’emploi qui pourraient l’intéresser ou encore l’accompagnent pour aller porter des CV. Les intervenants peuvent aussi suspendre les appels de vérification du couvre-feu la nuit « puisque le jeune prend une médication et n’entendrait pas, ce qui entraînerait des manquements » (Mathieu) ou parce qu’il « est au travail et n’a pas accès à un téléphone » (Charles-Olivier).

Phase critique

Suivant ces premiers changements, le désistement primaire se poursuit par une période critique, caractérisée par l’introspection, c’est-à-dire une réflexion sur soi, ses champs d’intérêt et sa vision d’avenir, et l’ambivalence, marquant une tension entre l’attrait qu’exercent les anciens comportements (la délinquance) et les nouvelles habitudes.

Au début du suivi, certains adolescents ont « une forte tendance à la déresponsabilisation et à rejeter le blâme sur la victime » (Adam et Patrick) malgré qu’ils disent « avoir eu leur leçon » (Patrick) ou « admettent avoir commis « une belle erreur » » (Adam). D’autres estiment que le délit est chose du passé et ils appréhendent devoir en discuter lors des rencontres. Par exemple, Jean-Gabriel « reconnaît avoir refoulé ses émotions depuis deux ans en ce qui a trait à l’événement. Il est difficile pour lui de revenir là-dessus. » Ceux qui ont déjà fait un séjour en centre de réadaptation peuvent « se dire chanceux d’être chez eux et contraints seulement par des conditions sans être à l’intérieur des murs » (Charles-Olivier). Dans leur cas, l’ODP représente un soulagement, puisqu’ils « pensaient définitivement avoir à « faire du temps » alors qu’ils se retrouvent actuellement à domicile » (Pierre-Olivier). Malgré tout, ils sont nombreux à « tirer l’élastique » :

Il n’est pas inscrit à l’école et devrait s’inscrire au Centre de formation aux adultes. Il veut juste terminer son 5e secondaire et travailler pour le moment. Il est actuellement oisif et ne fait rien de son temps. Nous lui offrons notre aide pour qu’il se mobilise dans une démarche sérieuse […]. Il pense travailler de jour et aller à l’école de soir. […] S’il est oisif de jour, nous allons l’organiser.

Thomas

La majorité des adolescents, même s’ils occupent leur temps de façon positive, ne sont pas engagés dans un projet vocationnel clair. Ils n’ont « pas de choix défini dans la vie, tournent en rond et ne font qu’attendre ce que la vie peut leur apporter » (Guillaume). D’autres réalisent que l’âge adulte approche : « Il faut de l’argent pour ses 18 ans. Il ne veut pas être pris au dépourvu. Ne sait pas trop ce qu’il souhaite devenir, mais ne pense pas qu’il sera couvreur toute sa vie » (Maxime).

Au fil de la surveillance, plusieurs intervenants notent que les adolescents « trouvent difficiles les rencontres car il y en a trop » (Antoine). Ils « clament qu’ils ne font que travailler, aller à l’école et voir un peu leur copine. Ils réclament pouvoir « respirer un peu »… en voyant leurs amis » (Raphaël). D’autres « semblent éprouver du découragement par rapport à leur recherche d’emploi » (Alexandre). Ils peuvent alors choisir de moduler leur participation à certaines activités, ou du moins être tentés de le faire, même si elles s’inscrivent dans des sphères sociales positives. Par exemple, Pierre-Olivier « prévoit faire un arrêt par rapport à sa scolarisation car il conçoit qu’il en a trop actuellement dans cette période et prétend qu’il ne sait plus où mettre la tête ».

Lors des rencontres, les intervenants abordent plusieurs thèmes, afin de faire prendre conscience aux adolescents de leurs responsabilités, des conséquences de leurs actions et de l’importance d’apporter des changements dans leur mode de vie. Ainsi, même si « le manque d’argent fait mal, surtout qu’il avait connu mieux avec la vente de drogue avant, s’il fait le lien avec son délit, il dit que ça n’en vaut pas la peine avec tout ce qu’il a à respecter par la suite » (Charles-Olivier). Cette réflexion peut également concerner le groupe de pairs. Par exemple, un intervenant impliqué dans le suivi de Thomas « voit avec lui les avantages d’avoir des amis recommandables vs les désavantages du contraire ». De manière générale, revenir sur la situation entourant la commission du délit permet de « questionner les adolescents à savoir si le délit vaut les contraintes de la garde » et de lui « demander de réfléchir aux avantages et désavantages de la vie de citoyen » (Alexandre).

Les adolescents sont dirigés vers des programmes offerts par des organismes communautaires pour répondre à des problèmes spécifiques, tels que l’agressivité, la violence, l’impulsivité ou la consommation de substances psychoactives, ou encore pour les aider à occuper leur temps de façon positive, que ce soit par des stages visant le développement de l’employabilité ou des loisirs structurés :

Je lui demande des nouvelles de sa rencontre à [suivi pour problèmes d’impulsivité]. Il me répond que « tout a super bien été ». Croit que son suivi lui permettra de se libérer du « gros bagage » qu’il traîne sur son dos et trouver les « petits bobos » qui contribuent à sa problématique d’impulsivité.

Adam

L’introspection et l’ambivalence de la phase critique peuvent mener à une période de retrait social, alors que les adolescents ont modifié leurs routines et cessé de fréquenter certaines personnes et certains lieux, mais n’ont pas encore intégré de nouvelles sphères sociales. Ainsi, plusieurs d’entre eux, dont Pierre-Olivier et Maxime, « trouvent le temps long » durant la période de surveillance, même s’ils vont à l’école ou travaillent. Ils trouvent difficile « d’être restreints dans les heures de sortie et des activités avec les amis » (Maxime). Leurs activités sociales sont modifiées, parce que leurs amis « ne veulent plus aller chez eux parce qu’ils ne peuvent pas consommer » (Patrick). D’autres décident « de surtout rester à la maison pour ne plus voir leurs amis » (Jacob et Maxime). Les adolescents se montrent « réticents » voire « nébuleux » (Guillaume et Maxime) lorsque vient le temps de parler de leur vie sociale. Les intervenants rapportent « faire part de leurs doutes » (Guillaume et Thomas) quant aux fréquentations des adolescents, mais ils sont limités : « il n’y a rien dans l’ordonnance actuelle pour l’empêcher de fréquenter ces gens » (Pascal). Dans certains cas, les conditions liées aux interdits de contacts peuvent amener les adolescents à « ne plus voir leurs anciens complices » (Alexandre), mais c’est surtout dans les changements de lieux fréquentés que l’opportunité de créer de nouveaux liens sociaux se présente. Par exemple, Pierre-Olivier s’est fait de nouveaux amis « qui ne consomment pas » à son travail, alors que Thomas « s’est fait de nouveaux amis prosociaux » dans le quartier où il vient d’emménager.

Sur le plan de l’intervention, différents moyens peuvent être mis en place pour soutenir les adolescents lors de la phase critique. Certains sont incités à conserver leur emploi, même s’ils s’en montrent insatisfaits, pour se conformer aux conditions de l’ordonnance. Les intervenants les sensibilisent à l’importance des emplois légitimes et de la gestion de leur budget :

Il me dit qu’il a payé sa pension à son frère et qu’il réussit à se mettre un peu d’argent de côté. […] Il continue de travailler chez [employeur] mais encore une fois, il me dit qu’il veut cesser ce travail parce qu’il ne fait pas assez d’heures. Je lui dis de ne pas lâcher son travail avant d’en avoir trouvé un autre et que le travail avec son ami n’est pas déclaré et que nous n’acceptons pas cela.

Antoine

Les adolescents ont plusieurs chances de se mobiliser et de se conformer au suivi. Les intervenants rapportent d’abord demander des explications ou les rappeler à l’ordre. Certains misent sur la responsabilisation et « réexpliquent que les procédures liées au couvre-feu sont très importantes et qu’ils en sont entièrement responsables. Aucune excuse n’est valable et ce ne sera jamais toléré » (Charles-Olivier). D’autres misent plutôt sur la sensibilisation et la mise en action graduelle. Par exemple, les intervenants discutent d’abord avec Thomas de son « manque de mobilisation et de sérieux », puis l’encouragent à faire ce qui lui est demandé au « minimum afin qu’il ne soit pas en bris », pour finalement indiquer que « s’il se retrouve en manquement, il sera dénoncé ».

Lorsque les manquements se répètent, les intervenants procèdent à « la gradation de l’intervention » (Alexandre). Les adolescents s’exposent alors à différentes conséquences : plans de rattrapage, assignations à domicile, suspensions de liberté pour procéder à l’examen de la peine, révocations de l’ordonnance ou dénonciations judiciaires. Ces mesures peuvent être utilisées par les intervenants pour susciter un changement dans la mobilisation de l’adolescent :

Dans un premier temps, nous faisons un retour sur son retour à la maison, ce qu’il a pensé de sa période de suspension de liberté de 48 heures en centre de réadaptation pour l’examen de la peine, ce qui en ressort. Le jeune se montre ouvert et il se dit conscient que c’est le « coup de pied » qu’il avait besoin afin de respecter l’ensemble de ses conditions et prendre le tout au sérieux. Il mentionne que dorénavant il va respecter tout à la lettre.

Charles-Olivier

Les adolescents en viennent alors à « reconnaître qu’ils n’ont pas fait les choses correctement » (Alexandre). Or, ils ne changent pas pour autant leur façon de se comporter. Par exemple, Alexandre et Charles-Olivier sont convoqués à un deuxième examen de leur peine. Pour sa part, Anthony a mis plus de deux mois avant d’entamer des recherches d’emploi, alors qu’il était assigné à domicile en raison de son inaction. Certains adolescents bénéficient d’encouragements et du soutien constant des intervenants qui peuvent moduler leurs attentes en cours de suivi, selon les besoins des adolescents. Ils sont « encouragés à continuer dans le positif qu’ils ont jusqu’ici et prendre les opportunités qui s’offrent » (Kevin). Avoir accès à un programme qui répond à leurs besoins peut susciter leur engagement :

Lui rappelle qu’il doit avoir un emploi à temps plein s’il ne va pas à l’école. Il me demande des informations sur le programme d’employabilité et voudrait y participer en attendant de commencer l’école. Fais une démarche pour que le jeune participe au stage. […] Kevin est à son stage et il est de bonne humeur. Il est aussi très heureux d’avoir la chance de vivre une expérience payée.

Kevin

Phase d’intégration

Guidés par leur volonté de changement et appuyés par leurs réseaux de soutien social formel et informel, certains adolescents ont cheminé vers le désistement secondaire. Même si plusieurs ont des difficultés à s’adapter à la période de surveillance, celle-ci peut néanmoins les amener à contrôler leur comportement et réfléchir aux conséquences avant d’agir. Par exemple, Édouard « rapporte une situation où, s’il n’avait pas été sous l’ordonnance, il aurait frappé un gars ». Certains ne veulent « même pas s’approcher d’apparence de controverse face au respect des conditions » (Raphaël). Le partage de ces expériences peut être une occasion de souligner les bons coups des adolescents et les encourager à maintenir leurs efforts :

Étienne me raconte que son premier réflexe a été de penser à le frapper, mais qu’il a tout de suite pensé à ses conditions et au fait qu’il ne voulait plus avoir de problèmes avec la justice et se retrouver en détention. Le soir, il s’est défoulé sur son punching bag. Lui reflète qu’il a fait le bon choix et le renforce en ce sens.

Étienne

Le sens donné aux interventions et l’attitude de l’intervenant peuvent amener les adolescents à porter un regard somme toute positif sur le suivi pénal :

Adam nomme que, pour lui, son suivi actuel représente « une expérience de vie de plus » et un « coup de pouce » dans sa vie. Verbalise qu’il est à présent plus apte à penser aux conséquences avant d’agir et nous indique que, si un événement similaire se reproduisant aujourd’hui, il préférerait s’en aller. Relate avoir trouvé le début de sa surveillance difficile, mais a fini par apprécier l’encadrement dont il bénéficiait, comprenant que notre objectif n’était pas de lui nuire, mais bien de lui apporter notre soutien pour l’aider à modifier ses comportements problématiques.

Adam

En somme, la transition de l’une à l’autre des phases de désistement primaire a été plus ou moins longue selon les obstacles rencontrés, la nature des interventions, les (ré)actions des adolescents et des intervenants, de même que la disponibilité des ressources personnelles et sociales.

Discussion

Cette étude a examiné le processus de désistement de 26 ADGP en explorant les éléments sous-jacents à la transition du crime à la conformité (King, 2014). Selon les écrits scientifiques, ces jeunes présentaient un risque élevé de récidives ou d’échecs en raison des problèmes psychosociaux qu’ils rencontrent et de la nature de la peine. Les informations analysées ont permis de suivre le cheminement d’adolescents en cours de suivi pénal et d’explorer les circonstances entourant l’éloignement de la criminalité, les périodes d’incertitude et l’exploration des rôles sociaux (Healy, 2012). Au-delà du succès ou de l’échec de la mesure, l’étude du désistement assisté met en lumière les changements graduels observés en cours de suivi, et ce, dans plusieurs sphères sociales (McNeill, 2012 ; O’Sullivan et al., 2018).

Les analyses rejoignent les conclusions des études du désistement assisté réalisées auprès de populations adultes. La nature de la peine imposée, mais surtout des pratiques de surveillance, peut être favorable à l’éloignement de la délinquance, à l’adoption de nouveaux rôles sociaux et à l’amorce de changements cognitifs et identitaires (Barry, 2013 ; Farrall, 2002 ; Panuccio et al., 2012). La plupart des adolescents ont des opportunités d’intégration sociocommunautaire et en viennent à occuper un emploi, à s’inscrire à un programme de formation professionnelle ou secondaire, ou encore à participer à des activités structurées. Les notes de suivi font ressortir le rôle d’agent de surveillance des intervenants, qui font de la surveillance passive, dans la mesure où ils misent sur le caractère punitif et restrictif de la peine pour inciter les adolescents à s’y conformer, alors que ces pratiques sont associées à des risques plus élevés de récidives et d’échecs des mesures (Drake et al., 2009 ; Grandi et Adler, 2016). Mais en même temps, les intervenants donnent plusieurs chances aux adolescents pour qu’ils se mettent en action. Ils optent pour des mesures éducatives ou cliniques en cas de manquements, comme les rappels à l’ordre et le resserrement de la surveillance, plutôt que pour des mesures légales comme la suspension ou la révocation de la liberté. Pour d’autres, la surveillance est plutôt active, alors qu’ils accompagnent les adolescents dans leurs démarches et leur offrent du soutien pour répondre à des besoins spécifiques, le plus souvent en collaboration avec des organismes communautaires. L’ODP n’est donc pas une sentence de la dernière chance (Carrington et al., 2011), mais des dernières chances. L’utilisation du pouvoir discrétionnaire et du jugement professionnel permet aux intervenants d’éviter deux écueils importants des peines alternatives, soit imposer des sanctions supplémentaires aux ADGP pour leurs écarts de conduite et prolonger leurs contacts avec les acteurs du système de justice pénale (Brame et al., 2016). Par contre, le poids de cette surveillance peut avoir un effet inhibant sur le processus de désistement (McAra et McVie, 2010) des adolescents qui ont de la difficulté à jongler avec l’ensemble des exigences de l’ordonnance. Dans leur cas, l’ODP peut limiter les opportunités de développer une vision alternative de soi, puisque les rencontres portent davantage sur ce qu’ils ne font pas que sur ce qu’ils font (McAra et McVie, 2010). Il peut être difficile d’entamer, ou de poursuivre, un processus de (re)construction et de se distancier de son passé (Maruna et Roy, 2007) en y étant constamment ramené.

La période de surveillance en est une d’accalmie sur le plan des conduites délinquantes, mais de déséquilibre dans d’autres sphères de la vie. Ce déséquilibre est source d’introspection, d’ambivalence et de retrait social. En effet, les ADGP ont, pour la plupart, des parcours de vie tumultueux, marqués par des problèmes de comportement, de consommation, de santé mentale, d’échecs scolaires et de difficultés familiales (Lussier et al., 2015). Les conditions visant la réhabilitation peuvent être une solution de rechange intéressante pour contribuer aux démarches de réadaptation et de réinsertion sociale (F.-Dufour et al., 2017). Pour certains adolescents, la période d’ambivalence en est une où ils sont actifs. Elle peut les amener à explorer les rôles de « travailleur » ou d’« étudiant » dans différents milieux, susciter un changement de routine, développer de nouveaux liens sociaux et, par le fait même, donner l’opportunité de se distancier de son passé et de développer une vision positive de soi, qui sont des éléments fondamentaux du désistement (Healy, 2012 ; King, 2014 ; Maruna et Roy, 2007). Toutefois, les analyses montrent que les adolescents soumis à une ODP sont nombreux à ne pas avoir de projet de vie structurant et à « tourner en rond » : dans leur cas, la phase d’ambivalence peut être une période où ils sont plutôt inactifs. Ils n’ont pas les ressources, internes ou externes, pour saisir les « grappins à changement » (F.-Dufour et al., 2015 ; Giordano et al., 2002) qui leur sont offerts. Ils ont besoin d’être dirigés vers des programmes offrant des opportunités d’intégration sociocommunautaire, par exemple en développant leur employabilité ou en structurant leurs démarches d’emploi, mais surtout qu’on leur fasse voir les avantages concrets de participer à ces programmes. Il s’agit de susciter une réflexion chez les adolescents, de les amener à discerner les options qui s’offrent à eux et à déterminer les actions à prendre pour atteindre leurs buts (Archer, 1995 ; F.-Dufour et Brassard, 2014 ; King, 2014 ; Vaughan, 2007). La démarche d’intervention doit donc en être une de surveillance active, afin de permettre aux adolescents de découvrir leurs champs d’intérêt et leurs aspirations, tout en tenant compte des opportunités qui sont parfois limitées. En effet, ne pas obtenir les effets escomptés peut décourager les efforts de changement, voire même être source de détresse psychologique (Nugent et Schinkel, 2016). À cet égard, cette recherche met en lumière les limites inhérentes au contexte légal, institutionnel et social encadrant le suivi de l’ODP. Le double mandat des intervenants, soit veiller au respect des conditions de l’ordonnance et offrir des interventions de réadaptation, est délimité par des lignes directrices ministérielles ainsi que par des balises légales, énonçant la teneur des modalités de surveillance et des conditions que les ADGP doivent respecter. Leur rôle en est un de généraliste, qui dirige les adolescents vers des ressources spécialisées lorsqu’il s’agit de prendre en main des problèmes particuliers, par exemple la consommation abusive de substances psychoactives et la gestion de l’impulsivité. L’accessibilité et la disponibilité de programmes au sein même des centres jeunesse ou d’organismes communautaires apparaissent particulièrement importantes à considérer dans un contexte de désistement assisté, car elles ont une incidence sur les opportunités de changement que les intervenants sont en mesure de saisir et d’offrir aux adolescents, faisant en sorte qu’elles deviennent alors à la portée de ces derniers.

FIGURE 2

Le désistement d’adolescents dont la délinquance est grave ou persistante en contexte de suivi pénal communautaire

Le désistement d’adolescents dont la délinquance est grave ou persistante en contexte de suivi pénal communautaire

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La présente étude montre que les ADGP peuvent explorer et développer un répertoire comportemental qui leur facilite l’accès aux grappins à changement et leur permet de les saisir (F.-Dufour et al., 2015 ; Giordano et al., 2002) grâce au soutien quasi quotidien des intervenants formels (délégués à la jeunesse et éducateurs spécialisés) et des acteurs de soutien informels (oeuvrant dans les ressources communautaires, dans le système scolaire ou dans les ressources d’employabilité). À la lumière des résultats, il semble que le processus de désistement de ces adolescents ne corresponde pas à la séquence définie chez les adultes, puisque certains éléments associés au désistement tertiaire apparaissent simultanément au désistement primaire, et semblent même y contribuer. Le désistement tertiaire, c’est-à-dire la reconnaissance des efforts de changement et les opportunités d’intégration sociocommunautaire, leur permettrait de passer au désistement secondaire, soit à l’adoption de nouveaux rôles sociaux et aux changements identitaires (voir Figure 2). L’adolescence étant une période charnière sur le plan du développement identitaire, le désistement donne accès à des ressources qui soutiennent l’intégration sociale de ces adolescents, en plus de leur renvoyer une image positive d’eux-mêmes et de leur avenir.

Conclusion

Cette étude témoigne de l’intérêt d’utiliser les dossiers de suivi pour cerner le cheminement d’adolescents en processus de désistement. Même s’ils sont imparfaits (manque d’uniformité dans les informations consignées, niveau de détails variable), ils donnent accès à des informations qui, autrement, auraient été difficiles à obtenir en raison des ressources humaines et financières à mobiliser (Lacerte et al., 2014).

Cette étude a permis d’examiner l’application d’une peine alternative en prenant connaissance des changements observés en cours de suivi et non seulement en se penchant sur la conformité à celle-ci. Le processus de désistement des ADGP peut s’enclencher et être soutenu en cours de suivi pénal communautaire. Or, cela dépend d’un amalgame de facteurs, lesquels ne sont pas tous tributaires de leurs actions. Même si les parcours sont loin d’être sans faille, la nature des pratiques d’intervention et la façon dont les intervenants ont utilisé leur pouvoir discrétionnaire dans la gestion des manquements ont pu contribuer à l’amorce des changements et au signalement des efforts de désistement (Maruna, 2012). Ce constat n’est pas banal, dans la mesure où les écrits scientifiques indiquent que ces adolescents étaient à haut risque de maintenir leurs activités illégales et qu’en plus, ils étaient soumis à une peine qui, habituellement, ne répond pas à leurs besoins. Il montre l’importance du désistement tertiaire chez les ADGP suivis dans la communauté, c’est-à-dire de leur renvoyer une image positive d’eux-mêmes et de la communauté, en les soutenant dans leurs efforts pour se distancier de leur passé, plutôt qu’en leur rappelant constamment qu’ils se retrouvent dans cette situation puisqu’ils sont des « délinquants graves et persistants ». Le désistement est donc un projet social, collectif, qui dépasse les frontières sociojudiciaires et les actions individuelles. Les politiques et pratiques d’intervention doivent miser sur l’implication des milieux scolaires et des communautés pour offrir à ces adolescents des perspectives positives d’intégration sociocommunautaire et les guider à travers les aléas de l’élaboration d’un projet de vie « citoyen ». D’autres études sont nécessaires afin de mieux comprendre comment s’articulent les processus de désistement dans un contexte de suivi pénal, notamment du point de vue des adolescents concernés et du soutien social reçu et perçu, formel et informel.