Présentation. Les espaces-temps de la production ethnographique[Record]

  • Frédéric Parent and
  • Paul Sabourin

À la fondation de la revue Recherches sociographiques en 1960 Fernand Dumont et Jean-Charles Falardeau écrivaient : « On l’a répété cent fois : notre société est peu connue. Pour une large part, nous en sommes encore au niveau des vastes représentations idéologiques concurrentes. On parle souvent du “Canada français”, de l’“Ouvrier”, du “Capitalisme”, comme s’il s’agissait de groupements homogènes et bien connus. » Qu’en est-il aujourd’hui ? L’accumulation des travaux et des recherches conjuguées à l’accroissement des subventions, à travers notamment la création de chaires de recherche, n’ont-ils pas rendu plus « transparent » le monde dans lequel nous vivons ? Comment alors rendre compte de la remontée des extrêmes, des discours caricaturaux et de ces « vastes représentations idéologiques » qui semblent à nouveau occuper l’espace politico-médiatique ? D’autres groupements homogènes n’ont-ils pas remplacé ceux mentionnés précédemment ? L’homogénéisation et l’essentialisation des catégories sociales ne résulteraient-elles pas de conditions sociales particulières ? Difficile de ne pas revenir à l’idée de « crise », à l’idée d’un « décalage » ou d’un écart toujours de plus en plus prononcé entre d’une part, ce que nous vivons quotidiennement et, d’autre part, les images produites et diffusées par le « monde » politico-médiatique et parfois même sociologique. C’est dire la profondeur de la crise ! La « crise » n’existerait-elle pas depuis la naissance de la sociologie ? Diagnostiquer un état de « crise » n’est-il pas, par ailleurs, d’emblée un geste politique inscrit dans un horizon normatif médicalisant le social ou le moralisant ? La sociologie étudie-t-elle le monde tel qu’il devrait être ou tel qu’il est ? Le Québec est-il effectivement peu « saisi », dans le sens où l’entendaient Dumont et Faladeau, comme un laboratoire – original ou non – de connaissances sociographiques d’une société « globale » ? Le Québec dispose par exemple d’une riche tradition historiographique, pensons en particulier au Chantier des histoires régionales de la Chaire Fernand-Dumont, débuté dans les années 1990 au sein de l’Institut québécois de la recherche sur la culture (IQRC). Disposons-nous en sociologie d’une tradition proprement sociographique de la diversité du territoire québécois permettant de réaliser une sociologie de la société québécoise, dans l’évidence de son existence ? La situation de la connaissance sociographique n’est pas tout à fait la même ailleurs dans le monde. La vitalité de la recherche ethnographique (sociographique) s’observe en France depuis au moins les années 1990, à la suite notamment des travaux d’Olivier Schwartz et de Florence Weber. La recherche sociographique ou ethnographique est tellement valorisée que même des historiens de la sociologie qui n’avaient jamais fait de terrain, si ce n’est qu’en bibliothèque, affirmaient dès lors pratiquer une ethnographie de la pratique scientifique d’autrefois. Cette vitalité de la recherche ethnographique en France s’observe également aux États-Unis et en Angleterre et se manifeste à travers de nombreuses publications sur les « classes populaires », des revues et des collections. Le lien étroit qui semble unir classes populaires et ethnographie n’est pas anodin en ce que les traces écrites de la vie en société à travers des documents institutionnels sont bien souvent élaborés par des personnes lettrées scolarisées. Il faut donc aller sur le terrain pour avoir accès à la parole des personnes des classes populaires. La popularité de la recherche ethnographique s’observe également à travers la résurgence de « la question éthique » en sociologie ; aux États-Unis avec la parution controversée du « best-seller » sociologique d’Alice Goffman ; en France avec la controverse impliquant la maison d’édition du Croquant et au Québec, avec la parution au sein de cette même revue d’un numéro spécial …

Appendices