Book ReviewsRecensions de publication

Le silence sur nos maux. Transformations identitaires et psychiatrisation. Katharine Larose-Hébert. Presses de l’Université du Québec, 2020, 304 pages[Record]

  • Paul Morin

…more information

  • Paul Morin
    École de travail social, Université de Sherbrooke

Présenté comme « une ethnographie située », je pensais pouvoir situer le livre de Larose-Hébert dans la foulée de ceux de deux anthropologues américaines qui, tout comme l’auteure, ont cherché à pénétrer l’univers des personnes ayant des problèmes de santé mentale : Sue Estroff (Making It Crazy: An Ethnographic Study of Clients in an American Community, 1985) et Emily Martin (Bipolar expeditions, 2007). Cela m’est impossible puisque la dimension socioculturelle des troubles mentaux est à toute fin pratique évacuée par l’auteure. En effet, sa démonstration vise essentiellement à mettre en lumière le dispositif disciplinaire encadrant et construisant la vie quotidienne des personnes psychiatrisées au Québec. S’inspirant des travaux de Foucault, Larose-Hébert a Les questions ayant guidé sa recherche sont celles-ci : Sa démonstration s’appuie sur un impressionnant travail empirique et constitue véritablement la force de son ouvrage : 95 personnes ont participé à son étude dont 18 ont été interviewées par l’auteure. Cinquante-sept de ces personnes reçoivent des prestations du programme de solidarité sociale, c’est-à-dire qu’elles sont considérées comme inaptes au travail. La collectivisation de leurs épreuves est analysée en fonction de moments modulateurs qui ont émergé de l’analyse des données. Il en découle pour l’auteure que Ce phénomène de transformation identitaire contemporain est comparé à celui de Goffman (Goffman, 1968); ce n’est plus seulement l’hôpital psychiatrique qui est une institution totalitaire, mais bien l’ensemble du dispositif de soins et services sociaux. De même, la justice et la sécurité du revenu font partie du « filet de relations de pouvoir tentaculaires » qui oppriment les personnes psychiatrisées. Il s’agit donc d’un tableau très sombre du quotidien des personnes psychiatrisées au Québec que Larose-Hébert présente au lecteur. Ayant oeuvré près de 25 ans dans le mouvement de défense des droits en santé mentale au Québec, je reconnais la pertinence de la description du quotidien de ces personnes tout en ne partageant pas son analyse et les affirmations qui en découlent quant à une société programmée. Par exemple, sa présentation du rétablissement comme système unidirectionnel ne correspond pas à la réalité puisque des tensions épistémologiques s’observent quant à la définition du concept de rétablissement. Un premier courant est empreint d’une posture postpositiviste-pragmatiste alors qu’une autre posture interprétativiste est davantage axée sur la transformation focalisant sur l’expérience subjective vécue par les personnes psychiatrisées. Ainsi, sur les bases d’un consensus de plus de 150 experts internationaux, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a publié, en novembre 2019, le Guide de pratique QualityRights, axé sur l’actualisation des droits fondamentaux et sur le soutien au processus de rétablissement personnel. Cette initiative de l’OMS s’appuie sur le fait qu’il y a véritablement eu construction d’un savoir émancipateur au cours des trente dernières années de la part des personnes psychiatrisées. Il ne s’agit pas ici de nier l’écueil de l’instrumentalisation inhérent au différentiel de pouvoir (Storgaard Bonfils et Askheim, 2014). De ce fait, la distinction introduite par Nancy Fraser entre « publics faibles » et « publics forts » nous semble toujours pertinente. Les publics faibles sont des publics dont « les pratiques de délibération consistent exclusivement en la formation d’une opinion et forts, les publics dont le discours comprend à la fois la formulation de l’opinion et la prise de décision. » (Fischbach, 2015, p. 204) Pour l’auteure, pour qui l’écriture de ce livre a fait partie intégrante de son propre rétablissement, Cette lutte du pot de terre contre celle du pot de fer, selon moi, n’a pourtant progressé que par des alliances après la période de la prise de parole des années 70 et 80 par les personnes psychiatrisées. Par exemple, …

Appendices