Article body

Dès la création de la Nouvelle-France, des tentatives furent faites pour y cultiver la vigne. Peut-être encouragée par le fait que Jacques Cartier baptisa l’île d’Orléans l’île de Bacchus puisqu’il y vit croître de la vigne sauvage, la culture de Vitis vinifiera, l’espèce utilisée en Europe pour faire le vin, fut toujours un échec dû au gel intense qui mit systématiquement fin aux espoirs d’audacieux viticulteurs. Ce n’est que depuis une trentaine d’années, grâce, entre autres, à la localisation de terres appropriées, au développement de techniques protégeant des rigueurs de l’hiver, à l’usage de plants hybrides plus résistants au froid et aux cycles courts de maturation, que la culture de la vigne a définitivement pris pied au Québec.

Alors qu’aujourd’hui les défis climatique et génétique sont relevés, même si de grands progrès sont encore possibles, le développement de la culture de la vigne au Québec n’était dans un premier temps possible qu’à condition que les viticulteurs parviennent à vivre de leurs efforts. En ce sens l’intervention du Gouvernement du Québec fut cruciale pour que le vin québécois puisse parvenir aux consommateurs. Plusieurs étapes importantes furent ainsi franchies au cours des dernières années parmi lesquelles il est essentiel de mentionner la possibilité, en 1985, de transformer le raisin en produit alcoolique (comme tous les autres fruits) et de le vendre à la propriété, puis en 1996 sur les marchés publics et, en 1998, de vendre le vin directement aux restaurateurs. Plus récemment, la possibilité de vendre le vin produit localement par l’intermédiaire de la Société des Alcools du Québec (SAQ) fut une étape majeure pour promouvoir les vins d’ici et atteindre une échelle de commercialisation comparable à celle de tout autre produit importé, même si du travail reste à faire pour rendre accessible visuellement les produits auprès des consommateurs. On peut dire, en ce sens, que les conditions nécessaires au développement à long terme de la viticulture québécoise et de son développement vinicole sont à peu près mises en place.

Puisque les vins locaux, dont la production quantitative est encore modeste–nous produisons en moyenne 1.5 millions de bouteilles par année–, se trouvent désormais en compétition avec les meilleurs vins du monde sur les tablettes de la SAQ, le défi central des viticulteurs est désormais celui de la qualité. En effet, de mauvais vins pourraient rapidement mettre à mal la réputation d’un produit que de plus en plus de Québécois, un peu à l’instar des fromages, considèrent comme partie intégrante de leur patrimoine. N’est-ce pas au Québec que l’on consomme, à travers tout le Canada, le plus de litres de vin par habitant, soit une vingtaine de litres par an? Les autres provinces canadiennes, tout particulièrement l’Ontario et la Colombie-Britannique, ont compris les premières que la reconnaissance de la qualité de leur vin sur la scène nationale et internationale passait par un contrôle rigoureux de la qualité. Elles ont donc créé une certification visant à garantir aux consommateurs que leurs vins étaient faits selon les règles de l’art et que le prix de leur produit se justifiait par le haut niveau d’exigence auquel les producteurs s’astreignaient. Dans cet esprit, l’Ontario a créé la certification VQA (Vintners Quality Alliance), qui, grâce au cahier des charges–c’est-à-dire aux obligations de production auxquelles les viticulteurs se soumettent–, assure un niveau minimum commun de qualité et une garantie d’origine. La même certification existe en Colombie-Britannique de telle sorte que les vins de qualité portant ces certifications représentent 98% des vins de qualité au Canada.[1] Si les viticulteurs québécois souhaitaient se comparer à leurs homologues des autres provinces, ils n’avaient d’autre choix que de s’engager dans un processus de certification au moins aussi exigeant que celui de leurs voisins.

En 1987, l’Association des vignerons du Québec a été créée. Ce fut grâce à ses efforts qu’ont été notamment mis en place les conditions ayant permis l’émergence d’un marché québécois pour les vins locaux. Mais aujourd’hui, le défi est bien celui de mettre en place une appellation « vin certifié du Québec » qui fait écho à la fierté de ces consommateurs qui aiment faire les vendanges et attachent une grande importance à l'individualisation des produits, comme posséder des bouteilles de vins dont l’étiquette porte leur nom. Il est essentiel, pour assurer la fidélisation de cette clientèle curieuse et de plus en plus experte, que nos crus aient une grande qualité et typicité organoleptiques, qui sont en quelque sorte la signature de notre terroir. Or, pour parvenir à cette certification qui sera mise en place en cet automne 2009, bien des difficultés ont dû être surmontées. Quelles furent les principales?

En premier lieu, même si une collaboration certaine s’était nouée entre les viticulteurs au fil des années, celle-ci n’avait plus pour but de faire pression auprès des autorités ministérielles mais bien de mettre en place des règles écrites par et pour les membres. Tous ne voyaient donc pas d’un bon oeil que des voisins viennent leur dire comment faire leur vin et craignaient en quelque sorte une police du vin. Toutefois, fort d’une majorité de volontaires, le souhait commun de certification s’est imposé. Mais comment s’assurer que l’Association ne serait pas juge et partie et que la certification ne créerait pas de conflit d’intérêt ? Une firme externe de certification crédible au Québec, Écocert, a donc été engagée avec le mandat de s’assurer que le suivi du cahier des charges que se promettaient d’élaborer les membres, serait vérifié par cet organisme externe avec toute l’autonomie pour ce faire. Écocert pourrait donc vérifier dans les vignes la quantité et la qualité des raisins avant la récolte, identifier les cépages utilisés et suivre tout le processus de transformation de telle sorte, par exemple, que la chaptalisation–c’est-à-dire l’ajout de sucre–ne puisse pas hausser le niveau d’alcool de plus de 3%, niveau similaire ou supérieur à celui reconnu dans les autres provinces.

Restait donc à élaborer le cahier des charges, qui fut créé avec une remarquable rapidité, soit une année. Il s’agit presque d’un record qui témoigne du sérieux et de la détermination de l’engagement collectif. L’idée d’élaborer des normes à toutes les étapes de la production du raisin et de sa vinification ne fut pas sans créer des problèmes, puisque certaines pratiques n’étaient pas généralisées. Par exemple, dans certains cas, les surfaces d’encépagement étaient insuffisamment établies ou encore les cépages utilisés étaient mal identifiés. Les informations sur les étiquettes n’étaient pas normalisées pouvant créer des confusions. Il fallait donc choisir des règles qui soient équitables, c’est-à-dire que tous appliquent et qui, le cas échéant, conduisent les viticulteurs à modifier leurs habitudes passées. Il ne faut donc pas s’étonner qu’il y ait eu certaines résistances mais, au-delà des difficultés individuelles d’adaptation et d’un minimum de temps de transition, la majorité a tranché pour aller de l’avant.

Des viticulteurs et agronomes auront donc la responsabilité de veiller à la production des récoltes et à leur transformation à toutes les étapes, classant par exemple l’état des récoltes en trois catégories (A, B ou C selon l’abondance du raisin) ou encore vérifiant que les conditions de vinification permettent l’identification des lots et leur parfaite traçabilité. Ces professionnels assurent ainsi les consommateurs que ces derniers puissent facilement remonter « de la bouteille à la parcelle » et donc pointer du doigt l’origine de tout défaut ou fraude. Ce faisant, et selon l’analyse des résultats qui sera faite, des conseils pourront être donnés aux viticulteurs et des formations offertes pour que la certification soit aussi un outil d’amélioration des savoir-faire de tous les membres. Le rehaussement de l’expertise collective ne pourra qu’avoir un effet bénéfique sur la qualité ultime des vins. Il sera donc possible, et c’est là un autre avantage de la certification, de modifier progressivement le cahier des charges pour se doter de règles encore plus exigeantes lorsque tous les membres seront prêts à franchir une nouvelle étape. En ce sens, le cahier des charges est flexible, évolutif, et permettra, par exemple, de certifier d’ici 5 ans que les raisins utilisés sont tous issus du Québec. Il est en effet possible actuellement, comme c’est le cas dans d’autres provinces, d’utiliser des raisins, dans une proportion de 15%, qui ne proviennent pas du Québec. Pour les vins dits liquoreux, les raisins devront être, dès 2009, 100% québécois.

Pour assurer la promotion de la certification « Vin Certifié du Québec », une campagne de presse sera entreprise au cours des années à venir puisque les premiers vins élaborés selon le cahier des charges ne seront pas disponibles avant 2010. Il est certain que l’idée est de faire en sorte que les consommateurs préfèrent les vins certifiés à tous les autres produits disponibles. Ainsi, les quelque 52 membres de l’Association sont engagés dans une dynamique qui devrait porter ses fruits dans quelques années et démontrera que la viticulture au Québec est entrée dans une ère non seulement de développement quantitatif, mais une ère où nos vins seront en mesure de s’imposer tout autant pour leur goût que leur valeur patrimoniale. Ce sont là les fondements d’une nouvelle expansion du vignoble québécois et de développements plus importants encore.

La certification couvre, bien entendu, toutes les étapes des processus d’élaboration qui, dans certains cas, sont cruciales pour garantir la nature même d’une appellation. Par exemple, pour le vin de glace, le cahier des charges garantira aux consommateurs que le passerillage et la congélation se feront naturellement et dans la vigne,[2] respectant ainsi de grands standards internationaux.

Engagés dans une vaste opération de certification de leurs productions, les viticulteurs québécois s’assurent que leurs produits puissent être considérés au moins l’égal des produits des autres provinces canadiennes. Toutefois, et malgré les obstacles possibles, l’horizon de leurs efforts est plus vaste. En effet, grâce à la certification, des méthodes de production plus similaires permettront sans doute, avec le temps et l’expérience, de faire ressortir de manière encore plus nette la typicité de certaines régions. Il n’y a pas de raison de croire qu’un cépage, comme, par exemple, le Vandal-Cliche cultivé dans les Cantons-de-l’Est et le long du Saint-Laurent, ne puisse pas donner lieu à des vins aux arômes et textures distincts. Il sera alors possible de mieux comprendre les spécificités de certains cépages, de mieux cerner leurs réactions à des terrains ou des climats différents et de penser ainsi dans des termes équivalents à ceux des terroirs en Europe. Mais nous n’en sommes pas là.

À l’avenir, il n’est pas exclu non plus, qu’un jour, la démarche de certification débouche aussi sur une demande de reconnaissance d’une appellation validée par le Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV). Ce n’est pas une nécessité mais une opportunité supplémentaire dont l’intérêt devra être évalué en temps et lieu.

Ainsi, le processus de certification des vins québécois va permettre de faire en sorte que nous puissions, au cours des prochaines années, rattraper non seulement l’Ontario et la Colombie Britannique mais aussi affirmer nos spécificités à un moment où d’autres provinces, comme la Nouvelle-Écosse et le Nouveau Brunswick, s’engagent aussi sur la voie de la labellisation d’origine. Notre objectif, grâce à la flexibilité de la certification, est de hausser encore nos exigences de telle sorte que nos vins soient, sans conteste, au moins de qualité égale aux autres vins nord-américains. En outre, la certification a aussi le mérite de nous permettre, une fois l’expérience acquise, d’identifier plus facilement des crus et des terroirs. L’engagement des vignerons québécois est prometteur à cet égard. Rappelons-nous que la première loi en France sur les appellations contrôlées date de 1905 et a pris un siècle pour devenir un modèle européen. Il paraît donc certain que le Québec, dans ce domaine comme dans d’autres, notamment le domaine alimentaire, saura profiter rapidement des acquis d’outre-Atlantique.