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Pour son numéro 38, la revue Études de communication, langage, information, médiations, publiée par l’Université Charles-de-Gaule Lille 3, propose un dossier sous le titre : L’éducation à l’information, aux TIC [Technologies de l’information et de la communication] et aux médias : le temps de la convergence ? Ce dossier intéressera les chercheurs et les professionnels des sciences de l’information concernés par les questions relatives aux différentes formes de littératie et à l’apprentissage en ligne.

L’un des coordonnateurs du dossier, Éric Delamotte, est bien connu pour ses travaux au sein du groupe de recherche Gestion de la connaissance dans des contextes professionnels d’apprentissage (GCCPA). Il signe l’introduction, avec deux collègues. La question du territoire occupé par la culture informationnelle au regard de celle de l’informatique (computer literacy) et de celle des médias (media literacy) est analysée. Avec la conclusion sur la convergence des littératies, c’est sans doute l’une des contributions les plus novatrices et intéressantes de ce dossier thématique. Les chercheurs du GCCPA posent clairement la question de la convergence entre l’éducation à l’information, aux TIC et aux médias, et étendent le champ d’étude de la culture informationnelle à celui de la translittératie informationnelle.

Le numéro est structuré en trois parties. La première regroupe trois textes centrés sur les usages et les études des pratiques informationnelles. Hélène Bourdeloi, s’appuyant sur les travaux du projet de recherche PRECIP (Pratiques d’écriture interactive en Picardie), aborde la question de l’appropriation des dispositifs d’écriture numérique par les étudiants universitaires et souligne le déficit de culture technique de cette clientèle et la nécessité d’une formation à mettre en place pour tous, même les plus lettrés. Dominique Bessière va dans le même sens et propose une réflexion sociologique sur les implications d’une culture informationnelle à vocation professionnelle et didactique. Analysant les discours et les représentations des formateurs, les deux chercheurs en arrivent à la même conclusion : il n’y a pas eu de transformation notable des pratiques pédagogiques et pour y arriver, une métamorphose identitaire est requise par ces nouveaux modes d’organisation du travail. Les auteurs de la dernière contribution, notamment Henri Assogba de la Chaire de journalisme scientifique Bell Globemedia de l’Université Laval, se demandent si les natifs numériques profitent de la convergence. Ils vont plus loin que l’attitude optimiste généralement adoptée sur cette question, notamment par Michel Serres ou par les tenants de la naturalité apparente observée à l’égard des TIC par les jeunes. Ils en arrivent à la conclusion que l’usage que font les jeunes des technologies reste essentiellement à vocation de loisir et de sociabilité. Les « natifs » ont des compétences très limitées en matière de recherche d’information. La culture de la convergence médiatique et de la translittératie reste donc à construire.

Les deux auteurs de la deuxième partie abordent la question de la convergence médiatique et des cultures numériques et informatiques en procédant à une revue de la littérature. Au final, et c’est là l’originalité de leur contribution, les auteurs concluent que les cultures informatiques et numériques partagent le même territoire que la culture informationnelle, qui place l’information dans une perspective critique et citoyenne sans exclure l’informatique. La mise en place du site Web <lesite.tv>, collaboration entre une chaîne de télévision et le Centre national de documentation pédagogique, semble pour Frédéric Marty une occasion d’accentuer l’ouverture vers les médias et la convergence, en proposant aux enseignants le téléchargement de vidéos éducatives. Soulignons que l’expérience française est différente de l’approche québécoise, notamment celle de la Société GRICS, qui offre aux commissions scolaires et aux cégeps des documentaires complets de 30 ou 60 minutes alors qu’en France, on a plutôt choisi une diffusion de segments de 30 secondes à 10 minutes avec un livret pédagogique.

La troisième et dernière partie aborde les problématiques reliées aux médias sociaux et aux plateformes d’apprentissage en ligne. La contribution de Michel Arnaud en intéressera plusieurs de ce côté-ci de l’Atlantique, car elle aborde une question qui est au centre de nos préoccupations pédagogiques, à savoir celle de l’apprentissage en ligne et des réseaux sociaux. L’étude porte sur les finissants du diplôme universitaire CAFEL, une formation à distance pour concevoir, planifier, organiser, accompagner et évaluer un projet utilisant les possibilités offertes par les nouvelles technologies pour développer la formation et la gestion des connaissances. Pour l’auteur, les médias sociaux, dans la formation à distance, améliorent l’image de soi. Ils sont incontournables et sont appelés à évoluer vers une mise en réseau des personnes aptes à réaliser leur recherche d’information à l’aide de leurs pairs et des enseignants. L’étude de terrain réalisée établit un lien direct entre l’apport du lien social en ligne et l’apprentissage coopératif. Elle révèle également la nécessité du développement de trois types de compétences : la maîtrise des outils du Web 2.0, les capacités de traitement des savoirs et le bon usage du lien social entre les participants afin de faciliter la mutualisation des savoirs. D’où la nécessité d’une refonte des bases de la formation traditionnelle. Les problèmes posés par l’assiduité, la persévérance et la motivation scolaires dans un contexte de formation en ligne ainsi que la nécessité pour l’enseignant de remettre son rôle en question, des questions au coeur des préoccupations des chercheurs en éducation, ne sont pas abordés par Michel Arnaud. Plusieurs parallèles intéressants peuvent être établis entre le projet CAFEL et les problématiques propres aux communautés de pratiques, bien établies en Amérique, et les avantages de l’approche constructiviste.

Les limites posées par la plateforme d’apprentissage numérique Corrélyce sont mieux posées par les auteurs de la contribution suivante. On y démontre que les enjeux sont souvent plus institutionnels que pédagogiques. Aller au-delà des logiques industrielles, bien illustrées par le manuel que l’on tente de remplacer par un catalogue ouvert de ressources éditoriales publiques ou privées, remet en question le système éducatif français peu enclin à l’apprentissage individualisé. Le même courant existe ici aussi et les auteurs ont le mérite de poser clairement le problème et d’identifier les enjeux liés à l’individualisation et à la médiatisation des contenus.

Finalement, Olivier Le Deuff, du laboratoire de recherche MICA (Médiation, Communication, Information, Art) de l’Université Bordeaux 3, conclut ce dossier en déchiffrant le territoire conceptuel des différentes formes de littératie, qui sont passées de la concurrence à la convergence.

La lecture de ce numéro met en évidence des problématiques et des profils de clientèles propres à la fois à la France et à l’Amérique, à savoir que les natifs du numérique, malgré une naturalité apparente avec les TIC, ont des compétences très limitées en matière de recherche documentaire et que leur usage des nouvelles technologies est souvent limité à une vocation de loisir et de sociabilité. Une transformation notable des pratiques pédagogiques, qui placent l’apprenant au coeur de son apprentissage avec l’aide des nouvelles technologies de l’information et des communications, s’impose des deux côtés de l’Atlantique.